Les hospitalisations pour tentative de suicide dans les établissements de soins de courte durée : évolution entre 2008 et 2017

// Hospitalizations for attempted suicide in acute care facilities in France: Trends between 2008 and 2017

Christine Chan-Chee (christine.chan-chee@santepubliquefrance.fr)
Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 19.10.2018 // Date of submission: 10.19.2018
Mots-clés : Tentative de suicide | Hospitalisation | Évolution
Keywords: Suicide attempt | Self harm | Hospitalization | Trends

Résumé

Introduction –

L’objectif de l’étude est de décrire les caractéristiques des hospitalisations pour tentative de suicide (TS) dans les établissements de soins de courte durée en France et de présenter leur évolution entre 2008 et 2017.

Méthodes –

Les données ont été extraites de la base nationale du Programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (PMSI-MCO). L’analyse a porté sur les hospitalisations de toutes les personnes âgées de 10 ans et plus avec un diagnostic de TS (codes CIM-10 X60 à X84) entre 2008 et 2017.

Résultats –

Le nombre d’hospitalisations pour TS a diminué, passant de plus de 100 000 par an en 2008 à un peu moins de 89 000 en 2017. Les taux d’hospitalisation pour TS étaient respectivement de 17,4 et 15,1 pour 10 000 habitants en 2008 et 2017. La diminution était plus marquée chez les femmes (21,7 en 2008 et 18,0 en 2017, p<0,0001) que chez les hommes (13,0 en 2008 et 12,2 en 2017). La réadmission pour TS est restée stable : quelle que soit l’année étudiée, 89,5% des patients ont eu un seul séjour pour TS et 10,5% ont eu au moins un nouveau séjour au cours de la même année civile. Les jeunes filles âgées de 15 à 19 ans avaient systématiquement les taux les plus élevés, en moyenne 41 pour 10 000. Entre 2008 et 2017, une baisse des taux par âge était observée chez les femmes de 20 à 49 ans, tandis que chez les hommes au-delà de 50 ans, les taux étaient plus élevés en 2017 qu’en 2008. En Bretagne, Normandie et Hauts-de-France, les taux étaient supérieurs aux taux nationaux chez les hommes et chez les femmes en 2008 et en 2017. Quelle que soit l’année, les intoxications médicamenteuses volontaires, en particulier aux psychotropes, représentaient le mode le plus fréquent des TS. Une pathologie psychiatrique était notée dans 61% des séjours pour TS (59% chez les femmes et 64% chez les hommes). Les pathologies les plus fréquentes étaient la dépression, les troubles mentaux et du comportement liés à l’alcool, ainsi que les troubles anxieux.

Conclusion –

Bien qu’une diminution des hospitalisations pour TS ait été observée au cours des dix dernières années, des actions de prévention et de prise en charge doivent se poursuivre, en ciblant plus particulièrement certains groupes de population tels que les adolescentes, les hommes de plus de 50 ans et les personnes ayant fait une tentative de suicide.

Abstract

Introduction –

The aim of this study is to describe the characteristics of admissions for self-harm (SH) in general hospitals in France and their trends between 2008 and 2017.

Methods –

Data were extracted from the National Hospital Discharge Database. All hospitalizations for SH (ICD-10 codes X60 to X84) between 2008 and 2017 for individuals aged 10 and over were analyzed.

Results –

The number of hospitalizations for SH has decreased from more than 100,000 per year in 2008 to less than 89,000 in 2017. The hospitalization rates for SH were respectively 17.4 and 15.1 per 10,000 inhabitants in 2008 and 2017. Decrease in the rates was more important in females (21.7 in 2008 and 18.0 in 2017, p<.0001) than in males (13.0 in 2008 and 12.2 in 2017). Readmission for SH remained stable throughout the studied years: 89.5% of the patients were hospitalized once, and 10.5% were hospitalized several times during the same year. Over the years, 15-19 year-old females had consistently the highest rate (41 per 10,000). Between 2008 and 2017, a decrease in the rates was observed for females between 20 and 49 years old, while the rates were higher in males older than 50 in 2017 than in 2008. Standardized hospitalization rates for SH were higher than the national rate in the Northern and Western regions (Brittany, Normandy and Hauts-de-France) for both males and females in 2008 and in 2017. The most frequent method for SH was self-poisoning by drugs, especially psychotropics. A psychiatric diagnosis was noted for 61% of the hospitalizations for SH (59% in females and 64% in males). The most frequent diagnoses were depression, mental disorders due to alcohol use and anxiety disorders.

Conclusion –

Although a decrease in hospitalization for SH has been observed during the past ten years, prevention and care should focus on specific groups of population such as adolescent females, males above 50 years old and patients with a history of SH.

Introduction

Dans ce numéro du BEH, C. Léon et coll. rapportent que 7% des personnes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré avoir tenté de se suicider au cours de la vie. Au sein de la population générale, un antécédent de tentative de suicide (TS) constitue le plus important facteur de prédiction de décès par suicide : il multiplie par 60 le risque de mourir par suicide dans les cinq ans par rapport aux personnes sans antécédent de TS 1. Pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la prévention du suicide est une urgence mondiale, et elle recommande qu’une surveillance des actes suicidaires et des modes opératoires employés soit implantée dans chaque pays afin de fournir les informations pouvant aider à l’élaboration de stratégies de prévention du suicide et à leur évaluation 2.

En France, une surveillance épidémiologique de l’évolution temporo-spatiale des TS est réalisée depuis une dizaine d’années à Santé publique France. Elle est basée sur les données hospitalières 3 et complétée par les enquêtes en population générale via le Baromètre de Santé publique France (voir l’article de C. Léon et coll.). Les données sur les hospitalisations dans les établissements de soins de courte durée en médecine ou chirurgie sont particulièrement adaptées à cette surveillance. En effet, le programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (PMSI-MCO) recueille de façon exhaustive les données médicales et administratives relatives aux séjours dans tous les établissements de soins publics et privés de courte durée. De plus, dans les guides méthodologiques pour la production des résumés du PMSI-MCO, le codage des suicides et TS fait partie des priorités de santé publique (1). Par conséquent, le PMSI-MCO semble être un outil pertinent pour assurer une surveillance efficiente et pérenne sur la totalité des hospitalisations suite à une TS en France.

Une première description des hospitalisations pour TS à partir des données du PMSI-MCO en France métropolitaine entre 2007 et 2011 avait fait l’objet d’un rapport publié en 2014 3. L’objectif du présent travail est de mettre à jour ces données en intégrant les départements d’outremer, et de présenter l’évolution des caractéristiques des hospitalisations pour TS en France entre 2008 et 2017.

Matériel et méthodes

Définition et codage de la tentative de suicide dans le PMSI-MCO

Les TS sont définies dans le PMSI-MCO par la classification internationale des maladies – 10e révision (CIM-10) comme une intoxication ou une lésion traumatique que s’inflige délibérément un individu. Elles sont regroupées sous les codes X60 à X84 dans le sous-chapitre « lésions auto-infligées » du chapitre XX de la CIM-10 consacré aux causes externes de mortalité et de morbidité. Dans cette étude, certains codes ont été regroupés :

Extraction des données du PMSI-MCO

Tous les séjours des personnes de 10 ans et plus hospitalisées entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2017 avec un diagnostic associé (2) de TS (X60 à X84) dans les établissements publics et privés de court séjour français ont été sélectionnés. Une procédure de chaînage des séjours permet de relier les différentes hospitalisations grâce à un numéro d’identification national unique pour un même patient.

Les principales caractéristiques des séjours ont été étudiées selon les données démographiques des patients (âge, sexe, résidence), les modes opératoires des TS, les durées de séjour et les diagnostics psychiatriques associés. Des taux annuels d’hospitalisation standardisés pour l’ensemble de la France et par département de résidence ont été calculés par la méthode de standardisation directe, en utilisant la répartition par âge de la population européenne de 2011 comme population de référence. La létalité hospitalière a été calculée en rapportant le nombre de décès au nombre de patients hospitalisés pour TS ; une standardisation directe a aussi été faite sur la létalité afin d’examiner son évolution au cours du temps. Pour quantifier les tendances des taux d’hospitalisation au cours du temps, la variation annuelle des taux d’hospitalisation standardisés a été calculée par un modèle de régression négative binomiale ajusté sur l’âge et le sexe 4.

Résultats

Le nombre de séjours hospitaliers pour TS dans les établissements de courte durée était de plus de 100 000 par an entre 2008 et 2011. À partir de cette date, ce nombre a diminué progressivement, atteignant un peu moins de 89 000 hospitalisations en 2016 et 2017 (tableau). Chez les hommes comme chez les femmes, le ratio entre le nombre de séjours et le nombre de patients est resté constant à 1,15 durant toute la période étudiée. Ainsi, le nombre annuel de patients hospitalisés pour TS a fluctué autour de 90 000 entre 2008 et 2011, puis a diminué progressivement pour atteindre environ 77 000 patients en 2016 et 2017. Quelle que soit l’année, 89,5% des patients ont eu 1 seul séjour pour TS au cours de la même année civile, 8% en ont eu 2 et 2,5% en ont eu 3 ou plus. La part relative des femmes hospitalisées pour TS est passée de 63,5% en 2008 à 61,1% en 2017, réduisant ainsi l’écart entre les deux sexes.

Tableau : Nombre de séjours hospitaliers pour tentative de suicide, nombre de patients hospitalisés et pourcentage de femmes, France, 2008-2017
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Globalement, le taux d’hospitalisation pour TS en France est passé de 17,4 séjours pour 10 000 habitants en 2008 à 15,1 pour 10 000 en 2017 (figure 1). La diminution n’était retrouvée que chez les femmes, passant de 21,7 pour 10 000 en 2008 à 18,0 pour 10 000 en 2017, tandis que chez les hommes, l’évolution annuelle des taux standardisés n’était pas significative (13,0 en 2008 et 12,2 en 2017). Chez les femmes, la diminution des taux entre 2008 et 2017 est estimée à 1,6% par an (p<0,0001), évolution surtout marquée entre 2010 et 2013. Entre 2013 et 2017, aucune différence significative n’est observée dans l’évolution des taux féminins.

Figure 1 : Taux d’hospitalisation* pour tentative de suicide selon le sexe, France, 2008-2017
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Selon le sexe et l’âge

Quelle que soit l’année étudiée, les taux d’hospitalisation pour TS par âge étaient plus élevés chez les femmes que chez les hommes, sauf au-delà de 85 ans. Toutefois, à partir de 2012, le taux d’hospitalisation des hommes de 30-34 ans s’est rapproché du taux féminin, le dépassant même à partir de 2015 et de fait, en 2017, le taux masculin était de 16,6 pour 10 000 contre 15,9 chez les femmes. Par ailleurs, les jeunes filles de 15 à 19 ans avaient systématiquement le taux de séjour le plus élevé (en moyenne 41 pour 10 000). Un deuxième pic est retrouvé chez les femmes entre 40 et 49 ans (environ 29 pour 10 000). Chez les hommes, contrairement à la courbe bimodale des femmes, les taux augmentaient avec l’âge, atteignant un maximum d’environ 20 pour 10 000 chez les 40-49 ans, puis diminuaient jusqu’à environ 5 pour 10 000 chez les 70-74 ans pour remonter ensuite dans les âges extrêmes. L’allure des courbes était la même quelle que soit l’année. Entre 2008 et 2017, la baisse la plus importante dans les taux par classe d’âge était observée chez les femmes entre 20 et 49 ans ; a contrario, chez les hommes au-delà de 50 ans, les taux par classe d’âge étaient supérieurs en 2017 à ceux de 2008 (figure 2).

Figure 2 : Taux d’hospitalisation pour tentative de suicide selon le sexe et la classe d’âge, France, 2008, 2013 et 2017
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Selon le sexe et le département de résidence

Les quatre cartes de la figure 3 présentent les taux d’hospitalisation pour TS selon le département de résidence en 2008 et en 2017 chez les hommes et les femmes. Les taux départementaux étaient supérieurs aux taux nationaux en 2008 et 2017, pour les deux sexes, en Bretagne, Normandie et Hauts-de-France. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, les taux étaient supérieurs aux taux nationaux en 2008 mais sont devenus proches du taux national chez les femmes et inférieurs au taux national chez les hommes. Dans certaines régions (Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté), les taux départementaux étaient très contrastés, que ce soit en 2008 ou en 2017.

Figure 3 : Taux d’hospitalisation pour tentative de suicide selon le sexe et le département de résidence, France, 2008 et 2017
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Modes opératoires

La hiérarchie des modes opératoires des TS hospitalisées n’a pas changé durant les années étudiées. Les intoxications médicamenteuses volontaires (IMV) représentaient le mode le plus fréquent chez les femmes (en moyenne 87% des hospitalisations pour TS) et chez les hommes (75%). Les IMV aux psychotropes étaient responsables de plus de 60% des TS hospitalisées (64% chez les femmes et 55% chez les hommes) ; il s’agissait de sédatifs barbituriques dans la grande majorité des cas (82%) et d’antidépresseurs (10%). Les IMV aux analgésiques antipyrétiques représentaient environ 10% des hospitalisations pour TS, dont les deux tiers par paracétamol. Des IMV par médicaments à visée cardiovasculaire étaient retrouvées dans 2,6% des TS hospitalisées, et par antidiabétiques, antibiotiques, médicaments hormonaux dans respectivement moins de 1% des TS hospitalisées. Entre 2008 et 2017, la part globale des IMV a chuté de 5 à 6 points chez les femmes comme chez les hommes, principalement en raison d’une diminution des intoxications aux psychotropes, et ce malgré une augmentation de 5 points des intoxications aux analgésiques antipyrétiques (+7 points chez les femmes et +3 points chez les hommes).

Les autres modes opératoires de TS hospitalisées étaient des intoxications par des produits non médicamenteux (7% chez les femmes et 12% chez les hommes), incluant les pesticides (<1% des TS hospitalisées), des lésions par objet tranchant (respectivement 7% chez les femmes et 8% chez les hommes) et la pendaison (respectivement 1% et 4%). Les autres modes de TS (saut dans le vide, arme à feu, noyade, collision intentionnelle, exposition au feu et aux flammes) étaient moins fréquents. Entre 2008 et 2017, la part des lésions par objet tranchant a augmenté (+5 points chez les femmes et +3 points chez les hommes) ; de plus, chez les hommes, les hospitalisations pour TS par intoxication par des produits non médicamenteux et par pendaison ont augmenté d’environ 1,6 points respectivement.

Durée de séjour

Quelle que soit l’année, la durée médiane des séjours était d’un jour sans différence selon le sexe, les deux tiers des séjours ayant duré une journée ou moins. Toutefois, la durée médiane différait selon la classe d’âge. Entre 15 et 69 ans, elle était d’un jour, sans différence selon le sexe ni l’année. Chez les adolescents entre 10 et 14 ans, globalement sur la période étudiée, la durée médiane était d’environ 3 jours. Entre 2008 et 2017, cette dernière est passée de 2 à 3 jours chez les garçons et de 3 à 4 jours chez les filles. À partir de 70 ans, la durée médiane des séjours augmentait avec l’âge, atteignant 5 à 6 jours chez les 85 ans et plus (sans changement notable entre 2008 et 2017).

Létalité hospitalière suite à l’acte suicidaire

Au total, entre 2008 et 2017, 9 859 personnes (6 409 hommes et 3 450 femmes) sont décédées à l’hôpital des suites d’un acte suicidaire, soit en moyenne environ 1 000 décès par an. La létalité hospitalière était en moyenne de 1,2% par an (2% chez les hommes hospitalisés pour TS et 0,7% chez les femmes), sans différence selon les années (après standardisation sur l’âge). En revanche, elle augmentait systématiquement avec l’âge, surtout à partir de 50 ans, chez les femmes comme chez les hommes. Elle était aussi très différente selon le mode opératoire. Quelle que soit l’année considérée, les létalités les plus élevées étaient observées lorsque les actes suicidaires étaient par arme à feu, par pendaison ou par exposition aux flammes, à la fumée et au gaz. L’acte suicidaire a entraîné le décès de 1 patient sur 4 lorsque le mode opératoire était par arme à feu, de 1 sur 7 lorsqu’il s’agissait d’une pendaison, de 1 sur 10 en cas d’exposition aux flammes, à la fumée et au gaz, et de 1 sur 200 lorsque l’acte suicidaire était commis par IVM.

Comorbidités

L’existence d’une pathologie psychiatrique était notée dans 61% des séjours pour TS en moyenne (59% chez les femmes et 64% chez les hommes), avec une augmentation de 3 à 4 points entre 2008 et 2017. Les pathologies le plus fréquemment notées étaient la dépression (32% des séjours – 34% chez les femmes, 29% chez les hommes), les troubles mentaux et du comportement liés à l’alcool (23% des séjours – 18% chez les femmes, 32% chez les hommes) et les troubles anxieux (10% des séjours – 11% chez les femmes, 9% chez les hommes). Les autres troubles psychiatriques étaient plus rarement notés : troubles psychotiques (3%), troubles bipolaires (2%), troubles de l’alimentation (0,7%). En 2017, les troubles dépressifs étaient moins souvent notés (-7 points) qu’en 2008, tandis que les troubles anxieux et les troubles liés à l’alcool l’étaient plus souvent (respectivement +4 et +2 points).

Discussion

La surveillance épidémiologique de l’évolution sur 10 ans des hospitalisations pour TS montre une diminution du nombre de séjours et du nombre de patients. En 2008 et en 2017, respectivement 87 500 et 77 000 patients ont été hospitalisés suite à une TS, soit 10 500 patients de moins en 2017 qu’en 2008. Cette diminution a touché essentiellement les femmes de 20 à 49 ans. Toutefois, le ratio entre le nombre de séjours et le nombre de patients est resté identique au cours de la période d’étude, avec chaque année environ 10% des patients qui ont été réadmis pour TS, sans différence selon les années. Cette stabilité du taux des réadmissions pour TS est un important défi en santé publique qu’il convient de prendre en compte, car les TS et leurs récidives sont des facteurs de risque majeurs de décès dans les années suivant un passage à l’acte suicidaire, décès soit par suicide ou par autre cause 1,5. Depuis plus d’une dizaine d’années, des dispositifs de prévention de récidives suicidaires consistant à maintenir le contact avec les suicidants à la sortie de l’hôpital par l’envoi de cartes postales, par des rappels téléphoniques ou des visites à domicile font l’objet d’études, mais leurs résultats semblent hétérogènes, avec toutefois une tendance vers une réduction non significative des récidives de TS et des décès par suicide 6. En France, le dispositif VigilanS 7 de maintien de contacts avec les suicidants, actuellement déployé dans plusieurs régions pilote, est en cours d’évaluation par Santé publique France. Lors de la première réunion du Comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie en juin 2018, la ministre des Solidarités et de la Santé a prévu qu’un « plan d’ensemble contre le risque suicidaire soit déployé sur tout le territoire, sous le pilotage des Agences régionales de santé, notamment le dispositif VigilanS de recontact systématique des personnes ayant fait une tentative de suicide » (3).

Concernant la diminution des hospitalisations pour TS entre 2008 et 2017, observée surtout chez les femmes, des hypothèses peuvent être avancées mais certaines doivent être vérifiées par des enquêtes ad hoc. Par exemple, cette diminution pourrait être imputée à un moindre recours aux soins des femmes après une TS, mais la vérification d’une telle hypothèse nécessiterait des enquêtes déclaratives répétées sur ce questionnement spécifique. Par ailleurs, l’hypothèse d’un codage moins exhaustif des TS hospitalisées au cours du temps qui ciblerait les femmes et non les hommes ne semble pas très réaliste, pas plus que l’hypothèse d’une diminution des hospitalisations suite à un passage aux urgences pour TS, car les données des services d’urgence montrent que 64% des passages aux urgences pour TS sont suivis d’hospitalisation sans différence selon les années 3. Il est donc plausible que la diminution des hospitalisations pour TS soit le reflet d’une réelle diminution des TS suffisamment graves au plan somatique pour conduire à une hospitalisation. De plus, il est à noter que cette diminution est concomitante de la diminution des décès par suicide, passés de 10 316 en 2008 à 8 948 en 2015 en France métropolitaine (4). Comme pour les données hospitalières, la diminution des décès par suicide ne concerne que les personnes relativement jeunes et elle est plus importante chez les femmes que chez les hommes. En Angleterre aussi, une diminution des hospitalisations pour TS a été observée chez les femmes, ainsi que chez les hommes dans une moindre mesure 8.

La prédominance féminine que nous avons montrée dans les hospitalisations pour TS est une donnée classiquement retrouvée dans la littérature, tant dans les données hospitalières 9 que dans les enquêtes déclaratives 10. Cette surreprésentation féminine dans les TS, contrairement aux décès par suicide où prédomine le sexe masculin, est observée dans tous les pays industrialisés. Cette relation inverse entre morbidité et mortalité suicidaire (gender paradox) est plus complexe que le simple fait de considérer le suicide et les TS comme deux phénomènes différents impliquant des populations différentes (hommes versus femmes) ou encore penser que l’issue fatale ou non du geste suicidaire dépend seulement des facteurs tels que l’intentionnalité du suicidant ou la performance du système de soins. Cette différence serait plutôt à analyser au travers du prisme des normes sociales et des contraintes culturelles liées au genre dans l’expression de la détresse psychologique et des troubles psychiatriques, le recours aux soins et la représentation de l’acte suicidaire lui-même 11. De plus, le taux particulièrement important des TS hospitalisées mis en évidence chaque année chez les jeunes filles de 15-19 ans, aussi retrouvé dans d’autres pays 9,12, doit questionner sur la prévention et la prise en charge adaptées à cette population. Au-delà d’un comportement de prise de risques lié à l’adolescence, ce comportement suicidaire est probablement le résultat complexe de facteurs individuels, familiaux et sociaux, tels que les troubles anxio-dépressifs, l’abus de drogues, l’exposition aux événements stressants, le harcèlement, l’isolement, les difficultés scolaires, familiales ou sociales, qu’il s’agit de prendre en compte 13. Enfin, l’augmentation des taux chez les hommes de 50 ans et plus entre 2008 et 2017, retrouvée aussi en Angleterre, coïncide avec la récession économique de ces dernières années et pourrait être liée à ses conséquences (perte d’emploi, mise en préretraite…) 8.

Nous avons montré que, dans plus de six hospitalisations sur 10 pour TS, il y avait un diagnostic de trouble psychiatrique, avec en premier lieu des troubles dépressifs suivis des troubles liés à l’alcool et des troubles anxieux. Cette proportion de troubles psychiatriques associés aux TS semble plutôt faible comparativement aux 84% rapportés dans une méta-analyse portant sur les patients pris en charge dans des hôpitaux généraux après une TS 14. En revanche, les types de troubles rapportés et leur hiérarchie sont concordants avec nos résultats, à savoir que ce sont les troubles dépressifs qui sont les plus prévalents, suivis des troubles anxieux et des troubles liés à l’alcool, avec la même répartition selon le sexe (troubles dépressifs et anxieux plus souvent retrouvés chez les femmes et troubles liés à l’alcool chez les hommes) 14. La différence observée entre nos résultats et la méta-analyse n’est pas due à une moindre prévalence de troubles psychiatriques en France, mais plutôt au fait que certains troubles psychiatriques tels que les troubles anxieux, psychotiques et bipolaires sont moins souvent recherchés lors des prises en charge pour TS en MCO 15. Quoiqu’il en soit, la prise en charge précoce et le traitement des troubles dépressifs sont parmi les actions de prévention des actes suicidaires qui ont prouvé leur efficacité 16. Par ailleurs, au vu de la forte comorbidité avec les troubles liés à l’alcool, une évaluation du risque suicidaire ainsi que sa prise en charge, en cas de risque élevé, pourraient peut-être être incluses dans la prise en charge des addictions par les équipes de liaison et de soins en addictologie (ELSA).

L’intérêt des données médico-administratives pour la surveillance en santé publique n’est plus à démontrer. Le PMSI, en offrant l’avantage d’une image exhaustive des hospitalisations sur le territoire national, permet une surveillance de façon efficiente et pérenne des TS. Toutefois, la qualité des données est dépendante du codage effectué par les cliniciens, et le fait que les données du PMSI national soient anonymes nécessite des études particulières avec un retour aux sources pour vérification et évaluation d’une éventuelle sous-déclaration. Par ailleurs, dans le PMSI, le recueil des données sociodémographiques reste limité au sexe, à l’âge et au lieu de résidence. Aucune donnée n’est collectée sur les situations professionnelles, familiales ou scolaires qui peuvent constituer des facteurs de risque du passage à l’acte suicidaire. Enfin, cette étude n’inclut pas les personnes n’ayant aucun recours aux soins ou consultant exclusivement un médecin libéral, ni celles vues aux urgences sans être transférées dans les services d’hospitalisation MCO (ou en psychiatrie, en particulier si le service des urgences est proche de la psychiatrie de secteur). Dans ces cas, il s’agit probablement de patients dont l’état de santé somatique ne pose pas de problème de prise en charge.

Conclusion

Malgré une diminution des hospitalisations pour TS au cours des 10 dernières années, en particulier chez les femmes entre 20 et 49 ans, une vigilance accrue doit être portée sur certains segments de la population tels que les adolescentes et les hommes au-delà de 50 ans. Par ailleurs, la surveillance des hospitalisations pour TS doit être maintenue, afin de suivre l’évolution des réadmissions après l’instauration sur l’ensemble du territoire des dispositifs de maintien du contact des suicidants.

Références

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Citer cet article

Chan-Chee C. Les hospitalisations pour tentative de suicide dans les établissements de soins de courte durée : évolution entre 2008 et 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(3-4):48-54. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/
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