Causes associées aux suicides dans les certificats de décès. Analyse des certificats médicaux de décès, France, 2000-2014

// Causes associated with suicide in death certificates. Analysis of death certificates in France, 2000-2014

Catherine Ha (catherine.ha@santepubliquefrance.fr), Christine Chan-Chee
Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 21.09. 2018 // Date of submission: 09.21.2018
Mots-clés : Mortalité | Suicide | Causes de décès | France
Keywords: Mortality | Suicide | Causes of death | France

Résumé

Introduction –

L’objectif de l’étude était de décrire la distribution des pathologies mentales et non mentales associées au suicide à partir des certificats médicaux de décès.

Méthodes –

L’analyse porte sur les décès survenus en France entre 2000 et 2014, extraits de la base nationale du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-Inserm). Ont été sélectionnés les décès dont le certificat contenait un code de suicide (CD suicide) de la Classification internationale des maladies (CIM-10), soit les codes X60 à X84.

Résultats –

Sur la période d’étude, 156 910 décès par suicide chez les individus âgés d’au moins 10 ans ont été enregistrés en France, dont 74% d’hommes. Ces décès représentent 1,9% du total des décès et 10 461 cas en moyenne par an. Selon ces certificats de décès, 40% des suicides étaient associés à la présence de troubles mentaux, plus souvent chez les femmes que chez les hommes (48% vs 36%). Il s’agissait en grande majorité de troubles dépressifs (38% chez les femmes et 28% chez les hommes). Ceux-ci étaient 41 fois plus fréquemment associés aux suicides qu’aux autres décès. Les suicides des personnes âgées de moins de 25 ans représentaient une part modérée du total des suicides (5,5%), mais étaient à l’origine d’un nombre élevé d’années de vie perdues. Des associations particulièrement fortes ont été observées avec les troubles de l’humeur et les troubles anxieux dans cette classe d’âge.

Pour 16% des suicides, le certificat de décès indiquait l’existence d’au moins une pathologie non mentale ayant contribué au décès : les maladies les plus souvent associées étaient celles de l’appareil circulatoire (5% des CD suicide), les maladies du système nerveux (4%) et les tumeurs invasives (3%), sans que l’étude ait été en mesure d’identifier des pathologies non mentales liées aux suicides.

Conclusion –

Malgré les limites des certificats médicaux de décès à rendre compte des comorbidités, ce travail a permis d’explorer l’information transmise par les médecins certificateurs sur 15 années. Il sera intéressant de poursuivre ce travail et de l’approfondir avec les données des bases médico-administratives du système national des données de santé (SNDS), qui permettront d’identifier les éventuelles pathologies prises en charge en amont du décès, palliant ainsi les biais de certification médicale des états morbides ayant pu contribuer au suicide.

Abstract

Introduction –

The aim of this study was to describe the distribution of mental and physical illnesses associated with suicide from death certificates.

Methods –

Our analysis focuses on deaths occurring in France from 2000 to 2014, extracted from the national mortality database of CépiDc-Inserm. Death certificates containing a suicide code from the International Classification of Diseases (ICD-10), X60 to X84, were selected.

Results –

Over the study period, 156,910 deaths by suicide among individuals aged 10 years and older were recorded in France, of whom 74% were men. These deaths represented 1.9% of the total deaths, with an average of 10,461 suicides per year. According to the death certificates, 40% of suicides were associated with the presence of mental disorders, more often in women than in men (48% vs 36%). The great majority were depressive disorders (38% for women and 28% for men), which were 41 times more frequently associated with suicide than with other deaths. Suicide in people aged 25 years or less accounted for a moderate part of all the suicides (5.5%) but was responsible for a high number of years of life lost, and particularly strong associations were observed in this age group with mood disorders and anxiety disorders.

For 16% of the suicides, the death certificate indicated the existence of at least one physical illness that contributed to death: the most frequent were circulatory diseases (5% of death certificates with suicide), diseases of the nervous system (4%) and cancer (3%), but the study was unable to identify any physical illness related to suicide.

Conclusion –

Despite the limitations of death certificates to report comorbidities, this work allowed exploring information provided by certifying physicians over 15 years. It will be interesting to continue this work with further investigation using medico-administrative bases of the national health data system, in order to identify possible health conditions diagnosed during lifetime and try reducing the biases of medical certification of comorbidities that may have contributed to suicide.

Introduction

Le lien entre troubles mentaux et suicide est maintenant bien établi. Les troubles mentaux les plus fréquemment associés au suicide sont les troubles dépressifs et les conduites addictives, en particulier celles liées à l’alcool 1. Nombre d’études font aussi le lien entre certaines conditions morbides telles que la douleur chronique 2,3 ou certaines maladies physiques 4.

Le recours aux données quasi-exhaustives de mortalité pour décrire et analyser les caractéristiques épidémiologiques du suicide s’est largement répandu à travers le monde. En France, les données de mortalité sont issues à la fois du certificat médical de décès rempli par un médecin à l’occasion de chaque décès survenu sur le territoire et du bulletin de décès complété par l’officier d’état-civil de la mairie. Sur le certificat médical de décès, deux parties distinctes permettent au médecin d’en documenter les causes. La première partie rapporte la (ou les) maladie(s) ou affection(s) morbide(s) ayant directement provoqué le décès, dont la cause initiale (définie comme la maladie ou le traumatisme à l’origine du processus morbide ayant conduit au décès, ou les circonstances de l’accident ou de la violence qui ont entraîné le traumatisme mortel). La seconde partie permet de signaler les états morbides ayant pu contribuer au décès 5. Depuis l’an 2000, toutes les causes de décès sont codées selon la 10e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10) de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), qui catégorise les maladies et définit les règles de sélection de la cause initiale de décès.

Toutes les causes qui figurent autrement qu’en cause initiale du décès seront désignées ci-après « causes associées ». Précisons que les règles de la CIM de l’OMS conduisent à privilégier la sélection du suicide en tant que cause initiale, même si le médecin certificateur a indiqué un autre enchaînement causal et a mentionné le suicide en cause associée 5.

Ce travail a pour objectif de décrire la distribution des troubles mentaux et des grands groupes de pathologies non mentales associées au décès, chez les personnes décédées en France entre 2000 et 2014 et dont le certificat de décès mentionne un suicide, en comparaison à celle observée chez les personnes décédées sans mention de suicide.

Population et méthodes

Certificats de décès

L’analyse porte sur l’ensemble des causes (initiales et associées) des décès survenus entre 2000 et 2014 des personnes résidant en France et âgées de 10 ans et plus au moment du décès en France (DOM inclus, excepté Mayotte), extraites de la base nationale du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (CépiDc-Inserm). Le département de Mayotte n’a pas été inclus dans ce travail, les décès n’y étant pas encore suffisamment bien dénombrés sur la période étudiée (https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281384#encadre1).

Ont été sélectionnés les décès dont le certificat contenait un code CIM-10 de suicide (lésions auto-infligées, codes X60 à X84).

La comparaison des causes renseignées sur les certificats médicaux de décès entre les décès par suicide et les autres a été faite selon les grands groupes de pathologies. Les troubles mentaux et du comportement correspondent au chapitre V de la CIM-10 : codes F, auxquels s’ajoute le code G30 pour la maladie d’Alzheimer (le code F00 « Démence de la maladie d’Alzheimer » n’est pas utilisé en pratique pour coder cette maladie). Les pathologies non mentales considérées correspondent aux chapitres I à XVII de la CIM-10 (codes A à Q), à l’exclusion du chapitre V, du code G30 et du code I46 (arrêt cardiaque). Les chapitres pour lesquels les fréquences étaient inférieures à 0,5% parmi les décès par suicide ne figurent pas dans les tableaux (maladies du sang, de la peau, congénitales, de l’œil et de l’oreille).

Analyse statistique

Les résultats descriptifs sont présentés sous forme de moyennes (m) et écart-types (ET) pour les variables quantitatives et de pourcentages pour les variables qualitatives.

Les risques relatifs (RR) de pathologies mentales et non mentales associées aux suicides sont issus d’un modèle de régression de Poisson ajusté sur le sexe (pour les analyses tous sexes confondus) et sur l’âge (sauf pour les analyses par classe d’âge).

Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel SAS Enterprise guide®, version 7.1.

Résultats

L’analyse porte sur les décès survenus chez les individus âgés d’au moins 10 ans (les 10 décès par suicide avant l’âge de 10 ans sont exclus de cette analyse).

De 2000 à 2014, 156 910 suicides ont été enregistrés en France dans la population d’étude, soit 10 461 cas en moyenne par an. Le suicide représentait 1,94% de l’ensemble des décès (2,81% chez les hommes et 1,03% chez les femmes) et, dans trois quarts des cas, il s’agissait d’un suicide masculin (n=115 870, soit 74%).

Comparaison des décès par suicide aux autres décès

Comparées aux personnes décédées sans mention de suicide, les personnes suicidées étaient en moyenne plus jeunes au moment du décès (53,3 vs 77,3 ans), avec un écart d’âge encore plus important chez les femmes (54,7 vs 81,3 ans) que chez les hommes (52,8 vs 73,4 ans) (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des individus âgés d’au moins 10 ans au décès, pour les suicides et pour les autres décès, France, 2000-2014
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Une seule cause était renseignée pour 28,1% des certificats de décès par suicide (CD suicide) (30,2% chez les hommes et 22,3% chez les femmes) et pour seulement 12,0% des certificats des autres décès (CD autres) (11,6% chez les hommes et 12,6% chez les femmes). Le nombre moyen de causes renseignées dans les CD suicide s’élevait à 2,4, significativement inférieur à celui des CD autres (3,4). Décès par suicide ou non, le nombre moyen de causes renseignées augmentait régulièrement avec l’âge après 15 ans. Pour toutes les classes d’âge à partir de 15 ans, le nombre moyen de causes renseignées en cas de suicide était plus élevé chez les femmes que chez les hommes, alors qu’après 65 ans pour les autres décès, il s’avérait plus important chez les hommes (tableau 2).

Tableau 2 : Nombre de causes de décès renseignées en cas de suicide et pour les autres décès, selon l’âge et le sexe, chez les individus âgés d’au moins 10 ans, France, 2000-2014
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Comparaison de la fréquence des troubles mentaux entre les décès par suicide et les autres

Sur les 156 910 CD suicide de la période étudiée, 39,2% portaient mention d’au moins un trouble mental, plus souvent chez les femmes (48,2%) que chez les hommes (36,1%), avec une fréquence minimale chez les 10-14 ans (6,9% chez les femmes et 5,6% chez les hommes) et maximale chez les 45-64 ans (51,9% chez les femmes et 38,9% chez les hommes).

Le tableau 3 indique la fréquence des troubles mentaux selon leurs différentes catégories et les risques relatifs de les voir figurer sur le CD suicide par rapport aux CD autres. Un trouble mental était mentionné dans près de 40% des CD suicide contre 14% des CD autres. Les troubles mentaux associés aux suicides étaient en très grande majorité des troubles de l’humeur (31,7% des CD suicide), pour l’essentiel des troubles dépressifs (mentionnés dans 30,4% des CD suicide contre 0,9% des CD autres). Figuraient ensuite, avec une fréquence bien moindre, les troubles mentaux liés à l’utilisation de substances psychoactives (5,1%), principalement ceux dus à l’alcool (4,5%), les troubles anxieux (2,9%) et les troubles psychotiques (2,2%).

Les troubles mentaux notifiés dans les CD autres étaient, quant à eux, majoritairement des troubles mentaux d’origine organique – constitués essentiellement de démences – ou liés à des conduites addictives (respectivement 9,4% et 3,3% des CD autres). À noter que les troubles de l’humeur ont été très rarement mentionnés dans les CD autres (1,0%).

Le risque qu’au moins un trouble mental soit mentionné était 3,6 fois plus élevé lorsqu’il s’agissait d’un suicide. Ce risque était multiplié par 40,6 pour les troubles dépressifs, 18,6 pour les troubles anxieux, 7,6 pour les troubles bipolaires et 3,1 pour les troubles psychotiques. À l’inverse, les conduites addictives et les troubles mentaux d’origine organique apparaissaient plus fortement associés aux décès par autre cause qu’aux suicides.

La mention d’au moins un trouble mental était plus fréquente chez les femmes suicidées que chez leurs homologues masculins (48% vs 36%), et le risque que cette mention soit associée au suicide comparativement aux autres décès était supérieur chez ces dernières (RR=4,9 vs 2,9 chez les hommes). La mention de troubles dépressifs apparaissait là aussi plus fréquemment chez les femmes (38% vs 28%), mais le risque de les voir associés au suicide était supérieur chez les hommes (RR=45,9 vs 34,2 chez les femmes). Il en est de même pour les troubles anxieux, mentionnés plus souvent chez les femmes (3,6% vs 2,6%), mais le risque de les voir associés au suicide était supérieur chez les hommes (RR=21,1 vs 15,4 chez les femmes).

Tableau 3 : Fréquence des troubles mentaux associés aux décès par suicide et aux autres décès, chez les individus âgés d’au moins 10 ans, France, 2000-2014
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Le tableau 4 indique, pour les suicides, la fréquence des troubles mentaux et des groupes de pathologies non mentales selon quatre classes d’âge, et les risques relatifs de les voir figurer sur le CD suicide par rapport aux CD autres. L’analyse selon la classe d’âge indique un plus faible signalement de pathologies associées chez les suicidés de moins de 25 ans, du fait probablement de comorbidités moins fréquentes à cet âge (tableau 2). Néanmoins, c’est chez eux que la fréquence des troubles psychotiques renseignés sur les CD suicide s’avérait la plus élevée, avec un risque multiplié par 12 par rapport aux CD autres, et que le risque d’avoir un trouble mental dû à l’alcool renseigné sur le certificat de décès était significativement augmenté en cas de suicide (RRa=1,3) (tableau 4). À noter que cette classe d’âge se caractérisait avant tout par des risques particulièrement augmentés de troubles de l’humeur – troubles dépressifs (RRa=71,9) et troubles bipolaires (RRa=23,1) – ainsi que de troubles anxieux (RRa=46,0).

Comme pour les personnes suicidées de moins de 25 ans, un léger excès de risque de trouble mental dû à l’alcool était observé chez celles de 65 ans et plus (RRa=1,1), mais ne l’était pas dans les classes d’âge intermédiaires (tableau 4).

Tableau 4 : Fréquence des troubles mentaux et des pathologies non mentales associés aux suicides, selon la classe d’âge, et risques relatifs par rapport aux autres décès, chez les individus âgés d’au moins 10 ans, France, 2000-2014
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Comparaison de la fréquence des pathologies non mentales entre les décès par suicide et les autres

Au moins une pathologie non mentale était renseignée dans 15,7% des CD suicide (respectivement 13,4% et 19,1% des CD suicide sans mention et avec mention de trouble mental) et dans 87,9% des CD autres (respectivement 87,6% et 89,6%). Ainsi, une pathologie non mentale était plus souvent renseignée dans les cas avec trouble mental que sans trouble mental, pour les CD suicide comme pour les CD autres, et 7,4% des CD suicide et 12,7% des CD autres rapportaient à la fois au moins un trouble mental et au moins une pathologie non mentale.

Le tableau 5 indique la fréquence des pathologies non mentales regroupées selon les grands chapitres de la CIM-10. Tous âges confondus, le groupe le plus représenté était celui des maladies de l’appareil circulatoire qui concernaient 44% des CD autres et 5% des CD suicide. Pour les CD autres, venaient respectivement au 2e et 3e rang les tumeurs invasives (33%) et les maladies respiratoires (21%), tandis que pour les CD suicide, les maladies du système nerveux occupaient la 2e position (4%) et les tumeurs invasives la 3e (3%).

Tableau 5 : Fréquence des pathologies non mentales associées aux décès par suicide et aux autres décès, chez les individus âgés d’au moins 10 ans, France, 2000-2014
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Pour les pathologies non mentales (à l’exception des maladies du système nerveux), on observe, dans les CD suicide, une augmentation progressive de fréquence de signalement avec l’âge : par exemple, chez les individus suicidés entre 25 et 44 ans, le signalement de pathologies non mentales concernait 9,3% des cas, celui d’une maladie de l’appareil circulatoire 1,8% et celui d’un cancer 0,3%, et respectivement 26,6%, 10,2% et 8,1% chez les 65 ans et plus (tableau 4).

La comparaison avec les fréquences observées dans les CD autres ne permet pas de suggérer, quelle que soit la classe d’âge, de lien particulier entre ces groupes de pathologies et le suicide (RR non significativement différents de 1).

Discussion

Sur la période 2000-2014, 156 910 décès par suicide chez les individus âgés d’au moins 10 ans ont été enregistrés en France, dont 74% d’hommes. Ces décès représentaient 1,9% du total des décès et 10 461 cas en moyenne par an. À noter qu’un certain nombre de suicides ne sont pas connus à partir de ces bases de données : personnes ayant fait l’objet d’une enquête médico-légale dont la conclusion n’a pas été transmise au CépiDc ou celles pour lesquelles le décès est codé « évènement dont l’intention n’est pas déterminée » (Y10-Y34). La sous-évaluation des décès par suicide estimée sur les données de mortalité de 2006 au niveau métropolitain était de l’ordre de 10%, avec des variations régionales 6. En 2014, les décès codés « évènements dont l’intention n’est pas déterminée » représentaient 0,13% des décès (n=744) et étaient presque toujours des morts violentes : « décharge d’armes à feu » (50,8%), « chute, saut ou précipitation dans le vide » (14,4%), « pendaison, strangulation et suffocation » (8,5%). Les intoxications, plus rares, représentaient 3,9% des décès. Ceux qui ne comportaient aucune précision en représentaient 8,5%. Globalement, la sous-évaluation des décès par suicide est susceptible d’introduire un biais dans la mesure où les suicides non répertoriés pourraient être associés plus particulièrement à certaines causes.

Les résultats de cette analyse retrouvent le lien entre troubles mentaux et suicide : 40% des suicides ont été associés, selon les médecins certificateurs, à la présence de tels troubles. Il s’agissait en grande majorité de troubles dépressifs (30% des cas de suicide). Ceux-ci sont 41 fois plus fréquemment associés au décès dans les CD suicide que dans les CD autres. Il est vraisemblable qu’en cas de suicide, la recherche d’antécédents dépressifs par le médecin appelé pour certifier le décès d’une personne que souvent il ne connait pas, soit a priori plus systématique que pour les autres causes de décès pour lesquelles il existe un risque élevé de ne pas rechercher des antécédents dépressifs.

Les troubles psychotiques (dont la schizophrénie) constituent dans le champ de la pathologie psychiatrique un facteur contributeur considéré généralement comme majeur dans le phénomène suicidaire. Les CD suicide indiquent des troubles psychotiques en cause chez 2,2% des cas de suicide (3,6% chez les moins de 45 ans). Ces troubles apparaissent trois fois plus souvent sur les CD suicide que sur les CD autres, de façon comparable pour les deux sexes.

Contrairement à ce à quoi l’on pouvait s’attendre, cette analyse ne montre pas d’association positive entre suicide et troubles mentaux dus à l’alcool, sauf de façon assez modérée chez les 10-24 ans (RRa=1,3) et les ≥65 ans (RRa=1,1).

La part la plus importante des suicides revient à la classe d’âge des 45-64 ans, qui compte pour 36,7% d’entre eux. Les suicides des personnes de moins de 25 ans représentent une part presque 7 fois plus faible (5,5% du total des suicides, avec 573 décès annuels en moyenne), mais un nombre élevé d’années de vie perdues, la 3e cause de mortalité après les accidents de la circulation et les tumeurs, et même la 2e cause après les accidents de la circulation chez les 15-24 ans (https://www.insee.fr/fr/statistiques/
2386052
). Chez les jeunes, une attention particulière (par un dépistage et une prise en charge précoce) doit être portée aux troubles de l’humeur, troubles anxieux, troubles psychotiques et troubles mentaux dus aux addictions, plus fréquemment associés au suicide.

Pour 16% des CD suicide, le certificat indique l’existence d’au moins une affection non mentale ayant contribué au décès – les plus souvent associées étant les maladies de l’appareil circulatoire, qui concernent 5% des CD suicide, les maladies du système nerveux (4%) et les tumeurs invasives (3%) – sans que l’étude ait été en mesure d’identifier des pathologies non mentales plus particulièrement liées aux suicides. Les maladies du système nerveux se distinguent à la fois par des prévalences relativement élevées parmi les CD suicide, quelle que soit la classe d’âge, et plutôt plus élevées dans les classes d’âge les plus jeunes, contrairement à ce que l’on observe pour les autres groupes de pathologies. Cela pourrait s’expliquer en partie par l’association fréquente des codes G93 (autres affections du cerveau), principalement de l’anoxie cérébrale (G93.1) particulièrement mentionnée en cas de pendaison (mode de suicide le plus utilisé à tout âge et quel que soit le sexe, mais relativement plus fréquent encore chez les personnes de moins de 45 ans).

Notre étude présente plusieurs limites. La capacité des certificats de décès à rendre compte des comorbidités, en particulier des comorbidités psychiatriques, est incontestablement un facteur limitant pour appréhender le poids des pathologies associées au suicide et, plus généralement, à la mortalité. Comme on pouvait s’y attendre, la proportion des troubles mentaux (40%) observée dans ce travail est basse par rapport à celles mesurées dans les études avec autopsie psychologique. Les travaux qui se sont développés ces 60 dernières années avec la mise en œuvre de cette méthode d’analyse des causes du suicide indiquent en effet qu’entre 80 et 90% des personnes suicidées souffraient d’un trouble mental 7,8. De même, l’association classiquement retrouvée dans ces études entre suicide et troubles mentaux dus à l’alcool a certes été observée ici pour les 10-24 ans et les ≥65 ans, mais pas pour les classes d’âge intermédiaires. Ce résultat pourrait résulter, au moins partiellement, d’une sous-notification ou d’une méconnaissance des problèmes d’alcoolodépendance au moment de la certification médicale des causes ayant pu contribuer au suicide.

Il semblerait de plus que la recherche de comorbidités varie selon la cause initiale de décès et selon le sexe. Nos résultats suggèrent en effet une moins grande propension des médecins certificateurs à indiquer des comorbidités lorsqu’il s’agit d’un suicide et un report un peu plus fréquent chez les femmes de causes associées au suicide.

À notre connaissance, la qualité des informations portées en causes associées aux suicides n’a pas fait à ce jour l’objet d’une évaluation.

En conclusion, ce travail, réalisé à partir des bases de données du CépiDc-Inserm, a permis d’explorer l’information renseignée par les médecins certificateurs en France entre 2000 et 2014 et de confirmer les limites de cette exploitation pour étudier les causes de décès associées aux suicides.

La qualité et la fiabilité des données des certificats de décès n’a et n’aura de cesse de s’améliorer, grâce notamment au déploiement de la certification électronique des décès et à ses possibilités d’aide en ligne. Celles concernant les morts violentes indéterminées quant à l’intention devraient gagner en précision avec le nouveau certificat de décès, mis en place au 1er janvier 2018, qui facilitera la transmission des résultats des enquêtes médico-légales.

Il sera intéressant de poursuivre ce travail et de l’approfondir avec les données des bases médico-administratives du système national des données de santé (SNDS). Outre les données de mortalité, le SNDS contient les prestations de soins de santé prises en charge par l’Assurance maladie (consultations et actes médicaux, médicaments, hospitalisations…), qui permettront d’identifier notamment les pathologies, psychiatriques ou non, prises en charge en milieu hospitalier en amont du décès, palliant ainsi les biais de certification médicale des états morbides ayant pu contribuer aux suicides ou aux autres décès.

Remerciements

Les auteurs remercient tout particulièrement Frank Assogba pour ses conseils avisés dans l’analyse de ces données.

Références

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Citer cet article

Ha C, Chan-Chee C. Causes associées aux suicides dans les certificats de décès. Analyse des certificats médicaux de décès, France, 2000-2014. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(3-4):55-62. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/
3-4/2019_3-4_3.html