Étude de faisabilité de la mise en place d’un système de surveillance des suicides basé sur les données des instituts médico-légaux

// Feasibility study of the implementation of suicide surveillance system based on data from forensic institutes

Virginie Gigonzac¹ (virginie.gigonzac@santepubliquefrance.fr), Imane Khireddine-Medouni¹, Christine Chan-Chee¹, Grégoire Rey², Laurence Chérié-Challine¹ et le groupe de travail IML
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès, Inserm, Le Kremlin-Bicêtre, France
Soumis le 05.10.2018 // Date of submission: 10.05.2018
Mots-clés : Suicide | Surveillance | Décès | Institut médico-légal
Keywords: Suicide | Surveillance | Death | Forensic institutes

Contexte

En France, on estime à environ 10% la sousestimation des décès par suicide 1. Une partie d’entre eux sont enregistrés en tant que morts violentes indéterminées quant à l’intention, ou encore en tant que décès de cause inconnue. Cette sous-estimation est en partie liée à la transmission, non systématique et variable selon les régions, des informations sur les causes médicales de décès après enquête médico-légale au Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-Inserm) 1,2,3,4. Notons qu’une recommandation européenne préconise la réalisation d’une autopsie médico-​légale en cas de mort violente, notamment en cas de suspicion de suicide 5.

Par ailleurs, certains éléments de la surveillance épidémiologique des suicides, tels ceux concernant les suicides en lien potentiel avec le travail, ne peuvent pas être repérés par les systèmes actuels d’information. Depuis le 1er janvier 2018, de nouvelles informations ont été ajoutées sur les certificats de décès, notamment la survenue du décès lors d’une activité professionnelle ; cependant, ces informations n’ont pas encore fait l’objet d’analyses et elles resteront vraisemblablement insuffisantes pour caractériser finement le lien entre suicide et travail. Ainsi, malgré une importance de plus en plus grande de la problématique dans le débat public, l’épidémiologie des suicides en lien potentiel avec le travail demeure mal connue.

Une étude exploratoire avait mis en évidence, en 2013, la richesse potentielle des données contenues dans les rapports des instituts médico-légaux (IML), que l’on ne retrouve pas dans les autres bases de données 6. En effet, ces rapports sont susceptibles de contenir des informations sur les circonstances du décès, les enquêtes de police ou de gendarmerie, les observations du médecin légiste, les témoignages des proches ou encore la lettre de la victime. Les données des IML semblent donc être une source intéressante pour l’amélioration de la surveillance épidémiologique des suicides, notamment ceux en lien potentiel avec le travail. Les travaux menés dans les pays anglo-saxons grâce aux rapports des coroners (1) confirment l’intérêt d’utiliser ce type de données issues d’enquêtes médico-légales pour la recherche, la surveillance et la prévention des suicides 7,8,9. Depuis 2015, un groupe de travail piloté par Santé publique France, et réunissant des IML et le CépiDc-Inserm, travaille à une étude pilote visant à tester la faisabilité de développer un système de surveillance des suicides, et en particulier des suicides en lien potentiel avec le travail, basé sur de telles données. Cette étude suit une recommandation de l’Observatoire national du suicide 10.

Méthode de l’étude de faisabilité

L’étude pilote a été menée auprès de neuf IML entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018. Pour chaque cas de suicide ou de décès d’intention indéterminée, les médecins légistes ont transmis à Santé publique France, via une application informatique sécurisée, une fiche électronique comportant des informations sur les caractéristiques du décès, les données sociodémographiques de la personne, les investigations médico-légales pratiquées, les éventuelles addictions et comorbidités, les caractéristiques professionnelles et l’existence de liens potentiels entre le décès et le travail. Les médecins légistes ont recueilli des informations sur les suicides :

pour lesquels les conditions de travail étaient clairement mises en cause dans un courrier laissé par la victime ;

survenus sur le lieu de travail et pendant le temps de travail ;

survenus sur un lieu de travail mais en dehors du temps de travail ;

pour lesquels les conditions de travail étaient mises en cause par les témoignages des proches ;

pour lesquels l’entreprise rencontrait des difficultés connues (financières, cas de suicides déjà rencontrés dans l’entreprise…) ;

pour lesquels le moyen létal était l’outil de travail ;

survenus en tenue de travail alors que la victime ne travaillait pas.

Ces informations ont permis d’établir des hypothèses de hiérarchisation, de très probable à incertain, concernant le rôle du travail dans le geste suicidaire, selon les situations recueillies.

Les analyses en cours portent, dans un premier temps, sur l’évaluation de la faisabilité de développer un système de surveillance des suicides basé sur les données des IML, la description des décès par suicide et ceux dont l’intention reste indéterminée, ainsi que la part et les caractéristiques des suicides en lien potentiel avec le travail. Dans un second temps, il est prévu d’effectuer un appariement des données recueillies avec les données de mortalité du CépiDc-Inserm pour comparer la concordance des causes de décès rapportées par les deux sources.

Perspectives

Les résultats des analyses réalisées en 2019, à l’issue de la période de recueil, permettront de formuler des propositions pour le renforcement de la surveillance des suicides en France. Les résultats des comparaisons avec les données du CépiDc sont attendus pour la fin 2020.

L’utilisation des données des IML pourrait permettre d’enrichir les connaissances sur les suicides, notamment sur ceux en lien potentiel avec le travail, et ainsi mieux cibler les actions de prévention en direction des populations les plus exposées. Si cette étude se révèle faisable, il sera recommandé de développer ce système de surveillance auprès de l’ensemble des IML et d’étudier la possibilité d’intégrer des données jugées pertinentes par cette étude dans le volet médical complémentaire du certificat de décès, créé par décret du 23 avril 2017 et destiné à être rempli par le médecin qui procède à la recherche de la cause de décès en cas de mort suspecte ou violente.

Remerciements

Aux Instituts médico-légaux de Bordeaux, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Lyon, Nîmes, Paris, Strasbourg et Tours, ainsi qu’au Pr. Michel Debout.

Références

1 Aouba A, Péquignot F, Camelin L, Jougla E. Évaluation de la qualité et amélioration de la connaissance des données de mortalité par suicide en France métropolitaine, 2006. Bull Epidémiol Hebd. 2011;(47-48):497-500. http://portaildo​cumen​taire.santepubliquefrance.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/INV10220
2 Farrugia A, Ludes B. Rôle de l’activité médico-légale dans la connaissance des morts violentes dans le Bas-Rhin (France) au cours de l’année 2008. Bull Epidémiol Hebd. 2010;(40-41):412-4. http://portaildocumentaire.sante
publiquefrance.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/INV549
3 Tilhet-Coartet S, Hatton F, Lopez C, Péquignot F, Miras A, Jacquart C, et al. Importance des données médico-légales pour la statistique nationale des causes de décès. Presse Med. 2000;29(4):181-5.
4 Richaud-Eyraud E, Gigonzac V, Rondet C, Khireddine-Medouni I, Chan-Chee C, Chérié-Challine L, et al. État des lieux des pratiques et de la rédaction des certificats de décès par les instituts médicolégaux en France, en 2016, dans la perspective de la mise en place d’un volet complémentaire du certificat de décès. Revue de Médecine Légale. 2017;1776(1):1-39.
5 Conseil de l’Europe, Comité des ministres. Recommandation N° R(99)3 relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médico-légale. 1999. 18 p.
6 Bossard C, Cohidon C, Santin G. Mise en place d’un système de surveillance des suicides en lien avec le travail. Étude exploratoire. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2013. 90 p. http://portaildocumentaire.santepublique
france.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/INV11758
7 Perron PA. Encadré 3. Les données des coroners au Québec : utiles pour la recherche, la surveillance et la prévention des décès. Bull Epidémiol Hebd. 2010;(40-41):417. http://portaildocumentaire.santepubliquefrance.fr/exl-php/vue-consult/spf___internet_recherche/INV542
8 Routley VH, Ozanne-Smith JE. Work-related suicide in Victoria, Australia: A broad perspective. Int J Inj Contr Saf Promot. 2012;19(2):131-4.
9 Milner A, Morrell S, LaMontagne AD. Economically inactive, unemployed and employed suicides in Australia by age and sex over a 10-year period: What was the impact of the 2007 economic recession? Int J Epidemiol. 2014;43(5):1500-7.
10 Observatoire national du suicide. Suicide. État des lieux des connaissances et perspectives de recherche. 1er rapport, Novembre 2014. Paris: ONS; 2014. 219 p. http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapportons2014-mel.pdf

Citer cet article

Gigonzac V, Khireddine-Medouni I, Chan-Chee C, Rey G, Chérié-Challine L. Focus. Étude de faisabilité de la mise en place d’un système de surveillance des suicides basé sur les données des instituts médico-légaux. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(3-4);63-4. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2019/3-4/2019_3-4_4.html

(1) Les coroners sont des officiers judicaires chargés de déterminer les causes et les circonstances des décès survenus en cas de morts violentes, non naturelles ou suspectes. Le coroner peut pratiquer ou faire pratiquer un examen externe du cadavre, une autopsie, des analyses toxicologiques ou encore demander une enquête policière ou l’accès au dossier médical du défunt. À l’issue de son investigation, il établit un rapport dont les données sont accessibles à la recherche et à la surveillance.