Éradication du cancer du col utérin : une priorité de santé publique

// Eradication of cervical cancer: A public health priority

Catherine Sauvaget & Elisabete Weiderpass
Chercheuse du Groupe Dépistage et Directrice, Centre international de recherche sur le cancer/Organisation mondiale
de la santé, Lyon, France

Ce numéro spécial du BEH sur la prévention du cancer du col utérin coïncide parfaitement avec la mise en œuvre, à l’automne 2019, du dépistage organisé du cancer du col en France. Le dépistage du cancer du col utérin s’inscrit dans le plan cancer 2014-2019, dont l’une des priorités est de faire reculer les inégalités face au cancer du col utérin et de réduire son incidence.

En mai 2018, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Tedros, déclarait l’élimination du cancer cervical dans le monde comme priorité de santé publique. En effet, le cancer du col utérin fait partie de ces pathologies contre lesquelles nous possédons des armes efficaces : la vaccination contre le virus du papillome humain (HPV) pour la prévention primaire et le dépistage organisé, associé à une confirmation diagnostique et à une prise en charge thérapeutique adéquate pour la prévention secondaire. Ces deux types de prévention permettent de diminuer l’incidence du cancer du col et la mortalité par ce cancer. L’histoire naturelle du cancer du col est longue (une à deux décennies), entre l’exposition au virus du papillome humain, la persistance de l’infection virale dans l’épithélium du col, le développement de lésions précancéreuses et l’occurrence du cancer. Si la vaccination anti-HPV permet d’empêcher l’infection virale persistante des souches oncogènes HPV les plus fréquentes, le dépistage va détecter des lésions précancéreuses qui pourront être traitées à temps avant d’évoluer en cancer invasif. Ainsi, le dépistage permet de diminuer non seulement le nombre de nouveaux cas, mais aussi la mortalité si les cancers du col sont diagnostiqués à un stade précoce.

Le cancer du col est « Le » cancer des pays à faibles ressources. Environ 90% des cas de cancers du col utérin dans le monde surviennent dans les pays à faible indice de développement humain. Le cancer du col représente également la première cause de décès par cancer chez les femmes vivant dans les pays à faible revenu 1. Ceci s’explique par l’absence de connaissances sur le cancer par la population et le personnel de soins, l’existence limitée de structures de diagnostic et de traitement du cancer, l’existence d’autres priorités de santé, et surtout le manque de volonté et d’engagement politique dans la lutte contre le cancer.

Mais, le cancer du col n’est pas uniquement diagnostiqué chez les femmes des pays à faible revenu. On l’observe aussi dans les pays à revenu élevé, en France par exemple, où il existe de grandes disparités régionales (voir article de FF. Hamers et coll. dans ce numéro du BEH). Ces disparités régionales pourraient s’expliquer, entre autres, par des disparités dans la couverture de dépistage et/ou dans le niveau socioéconomique (voir article de AS. Barret et coll. dans ce numéro). Jusqu’à maintenant, en France, le dépistage par frottis cervico-utérin est opportuniste, c’est-à-dire qu’il dépend d’une décision individuelle, souvent à la suite d’une consultation chez le gynécologue, beaucoup plus rarement chez le médecin traitant ou la sage-femme. Pour la période 2015-2017, le taux de couverture s’élevait à 58,7% de la population cible (voir article de FF. Hamers & D. Jezeweski-Serra dans ce numéro). Alors que le taux moyen de couverture des pays de l’Union européenne (UE) était de 45,4%, avec de grandes disparités entre pays, allant de 9,2% en Roumanie à plus de 80% au Danemark, en Irlande et en Suède 2. Le programme organisé en cours de mise en place en France cible toutes les femmes de 25 ans à 65 ans. Les femmes n’ayant pas fait de frottis au cours des trois dernières années recevront un courrier les invitant à se rendre chez un professionnel de santé (sage-femme, médecin généraliste, gynécologue) pour un dépistage du cancer du col de l’utérus.

Concernant la méthode de dépistage, l’OMS émet des recommandations dépendant des ressources des pays 3. Jusqu’à présent en France, les recommandations donnaient l’examen cytologique comme test de dépistage chez les femmes de 25 à 65 ans. Récemment, la Haute Autorité de santé (HAS) a révisé ces recommandations en faveur du test HPV chez les femmes à partir de 30 ans et du maintien de l’examen cytologique chez les femmes entre 25 et 29 ans 4. Le test HPV présente une meilleure sensibilité et une valeur prédictive négative supérieure, permettant d’espacer l’intervalle entre deux dépistages. De plus, ce test est plus efficace que l’examen cytologique pour détecter les adénocarcinomes 5 qui sont en constante augmentation en France (voir article de FF. Hamers et coll. dans ce numéro). En France, ces recommandations devraient être intégrées au programme national de dépistage organisé.

Enfin, l’élimination du cancer du col inclut la vaccination contre le HPV ; il s’agit d’un vaccin efficace et sûr 6,7. La vaccination HPV en France, recommandée dès l’âge de 11 ans chez les jeunes filles 8 se fait sur la base d’une décision individuelle, essentiellement des parents, souvent grâce au rôle primordial des professionnels de santé dans l’information et la sensibilisation. Les évaluations montrent une couverture vaccinale faible, moins d’un tiers de la population cible (voir article de L. Fonteneau et coll. dans ce numéro). Une modélisation indique qu’une couverture vaccinale à 85% associée à la correction des inégalités vaccinales empêcherait la survenue de 377 cancers du col et 139 décès par cancer du col par cohorte de naissance (voir article de S. Rousseau et coll. dans ce numéro).

L’analyse des freins à la vaccination est nécessaire pour mener des actions permettant de les lever (voir article de I. Bonmarin et coll. dans ce numéro). Il existe bon nombre d’interventions visant à augmenter cette couverture vaccinale. Les approches multi-composantes ciblant les jeunes, les parents et les professionnels de santé semblent être les plus efficaces (voir article de V. Campana et coll. dans ce numéro).

La mise en place d’un programme organisé de vaccination en milieu scolaire, comme il en existe dans de nombreux pays comme l’Australie, le Canada ou la Suède, permettrait d’augmenter la couverture vaccinale, mais aussi de réduire les inégalités sociales en touchant une plus large population.

Références

1 Ferlay J, Ervik M, Lam F, Colombet M, Mery L, Piñeros M, Znaor A, Soerjomataram I, Bray F. Global Cancer Observatory: Cancer Today. Lyon, France: International Agency for Research on Cancer; 2018. https://gco.iarc.fr/today
2 European Commission. Cancer Screening in the European Union (2017). Report on the implementation of the Council. Recommendation on cancer screening. Brussels: EC; 2017. 333 p. https://screening.iarc.fr/EUreport.php
3 Organisation mondiale de la santé. Lignes directrices de l’OMS pour le dépistage et le traitement des lésions précancéreuses pour la prévention du cancer du col de l’utérus. Genève: OMS; 2014. 43 p. https://www.who.int/reproductivehealth/publications/cancers/screening_and_treatment_of_precancerous_lesions/fr/
4 Haute Autorité de santé. Évaluation de la recherche des papillomavirus humains (HPV) en dépistage primaire des lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l’utérus et de la place du double immunomarquage p16/Ki67. Synthèse et recommandations. Saint-Denis: HAS; 2019. 36 p. https://has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-07/synthese_et_recommandations_hpv.pdf
5 Castanon A, Landy R, Sasieni PD. Is cervical screening preventing adenocarcinoma and adenosquamous carcinoma of the cervix? International Journal of Cancer. 2016;139(5):1040-5.
6 Human papillomavirus vaccines: WHO position paper, May 2017-Recommendations. Vaccine. 2017;35(43):5753-55. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28596091
7 Organisation mondiale de la santé. Comité consultatif mondial pour la sécurité des vaccins, 5-6 juin 2019. Relevé épidémiologique hebdomadaire 2019, 28 (94), 309-316. https://www.who.int/wer/2019/wer9428/fr/
8 Haut Conseil de la santé publique. Avis relatif à la révision de l’âge de vaccination contre les infections à papillomavirus humains des jeunes filles. Paris: HCSP; 2012. 7 p. https://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapports
domaine?clefr=302

Avertissement

Les auteurs, étant identifiés comme des membres du personnel du Centre international de recherche sur le cancer/Organisation mondiale de la santé, les opinions exprimées dans la présente publication n’engagent qu’eux-mêmes et ne représentent pas nécessairement les décisions, la politique officielle ou les opinions du Centre international de recherche sur le cancer/Organisation mondiale de la santé.

Citer cet article

Sauvaget C. & Weiderpass E. Éditorial. Éradication du cancer du col utérin : une priorité de santé publique. Bull Epidémiol Hebd. 2019(22-23):408-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/22-23/2019_22-23_0.html