Le tabagisme au domicile en France en 2014 et son évolution depuis 2005

// Smoking at home in France in 2014 and changes since 2005

Anne Pasquereau1 (anne.pasquereau@santepubliquefrance.fr), Romain Guignard1, Raphaël Andler1, Jean-Baptiste Richard1, Pierre Arwidson1, François Beck2,3, Viêt Nguyen-Thanh1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, France
3 Sorbonne Universités, UPMC Univ Paris 06, Inserm, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (IPLESP UMRS 1136), Équipe de recherche en épidémiologie sociale (Eres), Paris, France
Soumis le 12.05.2016 // Date of submission: 05.12.2016
Mots-clés : Tabac | Tabagisme à domicile | Tabagisme passif
Keywords: Tobacco | Smoking at home | Secondhand smoke

Résumé

Introduction –

 La fumée de tabac, qui contient 4 000 composants chimiques dont 250 nocifs et 50 cancérigènes, est nocive pour les non-fumeurs comme pour les fumeurs. Une partie de la population fume à l’intérieur du domicile, ce qui peut exposer les autres personnes du foyer à la fumée de tabac.

Méthodes –

 Dans le Baromètre santé, enquête téléphonique menée auprès d’un échantillon représentatif de la population française de 15 à 75 ans, une question porte sur la présence de fumeur(s) consommant au domicile. Posée dans les enquêtes de 2005, 2010 et 2014, elle permet de dresser le profil de la population déclarant un tabagisme au domicile et d’en mesurer l’évolution.

Résultats –

 En 2014, au sein de la population de France métropolitaine, 28,2% des 15-75 ans déclaraient que quelqu’un fumait à l’intérieur de leur domicile, 8,2% de temps en temps et 20,0% régulièrement. La présence d’un fumeur à domicile était logiquement liée au statut tabagique : elle était de 15,7% chez les non-fumeurs et 52,2% chez les fumeurs. Les plus jeunes non-fumeurs étaient particulièrement nombreux à déclarer un tabagisme au domicile en 2014 (30,3% des 15-24 ans). En une décennie, la proportion de la population déclarant un tabagisme à domicile est passée de 32,8% en 2005 à 28,2% en 2014.

Discussion –

 La diminution de la prévalence du tabagisme à l’intérieur du domicile apparaît significative, mais d’amplitude limitée. L’interdiction de fumer dans les lieux publics en 2007 n’a pas entraîné de hausse du tabagisme à domicile, argument utilisé par les opposants à cette mesure. Au contraire, les législations antitabac accompagnées de campagnes d’information sur les risques du tabagisme passif ont pu permettre une prise de conscience accrue des risques encourus par l’entourage, qui doit être poursuivie et renforcée.

Abstract

Background –

 Tobacco smoke, which contains 4,000 chemical components, among which 250 are noxious and 50 carcinogenic, is harmful both for smokers and non-smokers. Part of the population smokes inside the home and can expose others to tobacco smoke.

Methods –

 In the Health Barometer, a cross-sectional telephone survey among a representative sample of the French population age 15-75 years, one question measures the presence of smoker(s) at home. It was asked in the 2005, 2010 and 2014 surveys, thus allowing the observation of the evolution of exposure to tobacco smoke at home.

Results –

 In 2014, in France, 28.2% of 15-75 year-olds reported that someone smokes inside their home – 8.2% sometimes and 20.0% regularly. As expected, this situation was related to smoking status: it concerned 15.7% of non-smokers versus 52.2% of smokers. Younger non-smokers were more likely to report smoking at home in 2014 (30.3% of 15-24 years). In a decade, the proportion of the population exposed to smoking at home decreased from 32.8% in 2005 to 28.2% in 2014.

Discussion –

 The decrease of smoking at home is significant but modest. The smoking ban in public places in 2007 did not result in an increase of smoking at home, a claim put forward by the opponents of the legislation. On the contrary, smoke-free laws together with media campaigns on the effects of environmental tobacco smoke could raise awareness of the exposure of the entourage, which must be pursued and strengthened.

Introduction

Parmi les 28,2% de fumeurs quotidiens en France en 2014, une partie fumait au domicile. La fumée de tabac, qui contient 4 000 composants chimiques, dont 250 nocifs et 50 cancérigènes, est nocive pour les non-fumeurs comme pour les fumeurs 1. Une consommation de tabac à l’intérieur du domicile pollue l’air intérieur et peut présenter des risques pour les personnes du foyer qui le respirent. Les composants de la fumée restent dans l’air, ils sont en partie absorbés par les rideaux, tissus, moquettes, et continuent d’être émis plus tard dans l’air.

Le tabagisme passif est défini comme le fait d’inhaler involontairement la fumée dégagée par un ou plusieurs fumeurs, ce qui peut être le cas pour les personnes d’un foyer où quelqu’un fume à l’intérieur du domicile. Le nombre de décès liés à l’exposition à la fumée de tabac en France est estimé à 1 100 chaque année 2. Les études épidémiologiques montrent que le tabagisme passif comporte des risques pour la santé, qui croissent avec la durée et l’intensité de l’exposition 1,3. Le tabagisme passif augmente notamment de 27% le risque de cardiopathie ischémique 1 et d’environ 25% le risque de cancer du poumon pour les non-fumeurs 4,5. Chez les enfants exposés à la fumée du tabac, les risques d’infections respiratoires et d’asthme augmentent respectivement de 55% et 32%, et le risque de mort subite du nourrisson est multiplié par 2,1 6,7. Des études sur le tabagisme passif à domicile ont montré l’augmentation du risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) de personnes non-fumeuses vivant avec un conjoint fumeur. Le risque d’AVC augmentait avec la quantité de cigarettes fumées par jour et l’ancienneté du tabagisme du conjoint 8,9. Afin de limiter cette exposition relevant de la sphère privée, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) (1) a diffusé entre 2004 et 2006 des campagnes de sensibilisation de la population aux risques du tabagisme passif, avec comme slogan « Quand vous fumez à côté d’un non-fumeur, il fume aussi ». Le « Guide de la pollution de l’air intérieur (2) » mentionne également la pollution liée au tabagisme et les précautions à prendre pour éviter tout risque pour les personnes du foyer : « Sortez toujours à l’extérieur pour fumer et demandez à vos invités d’en faire autant ».

Les enquêtes en population constituent un outil indispensable pour mesurer l’évolution du tabagisme à domicile. Le projet « International Tobacco control » (ITC) a pour objectif d’évaluer les politiques de lutte antitabac par le suivi de cohortes dans plus de 20 pays. Le volet français de cette enquête est porté par Santé publique France et l’Institut national du cancer (INCa). Trois vagues d’enquête ont déjà eu lieu en 2006, 2008 et 2012. Elles ont montré, entre autres, que la proportion d’individus vivant dans des foyers sans tabac a augmenté après la mise en œuvre des lois d’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif 10.

Depuis le début des années 1990, Santé publique France mène également, en partenariat avec de nombreux acteurs de santé, une série d’enquêtes appelées Baromètres santé, qui abordent les différents comportements et attitudes de santé des Français, notamment la consommation de tabac 11. Les mesures effectuées en 2005 et 2010 avaient montré une baisse du tabagisme à domicile parmi les fumeurs, mais une stabilité chez les non-fumeurs 12. Nous proposons une analyse des données de l’enquête 2014 avec l’objectif d’évaluer la proportion de Français déclarant un tabagisme à l’intérieur de leur domicile, son évolution depuis 2005 et les facteurs associés à ce comportement.

Méthodes

L’échantillon des Baromètres santé est constitué par un sondage aléatoire à deux degrés (ménage puis individu). Dans la vague 2014, un échantillon représentatif de la population des 15-75 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français a été interviewé par téléphone. Les enquêteurs sont guidés par un système de Collecte assistée par téléphone et informatique (Cati). Le terrain du Baromètre santé 2014, confié à l’institut Ipsos, s’est déroulé du 11 décembre 2013 au 31 mai 2014. Les numéros de téléphone ont été générés aléatoirement, l’individu étant également sélectionné au hasard au sein des membres éligibles du ménage. En cas d’indisponibilité, un rendez-vous téléphonique était proposé et, en cas de refus de participation, le ménage n’était pas remplacé. Quarante appels ont été effectués avant l’abandon d’un numéro de téléphone.

En 2014, du fait de l’utilisation préférentielle du téléphone mobile par une partie de la population, y compris parmi ceux disposant d’une ligne fixe, deux échantillons « chevauchants » ont été constitués : l’un interrogé sur ligne fixe, l’autre sur téléphone mobile. L’échantillon comprend au total 15 635 individus (7 577 interrogés sur téléphone fixe et 8 058 sur mobile). Le taux de participation est de 61% pour l’échantillon des fixes et de 52% pour celui des mobiles. La passation du questionnaire a duré en moyenne 33 minutes.

Les données ont été pondérées par le nombre d’individus éligibles et de lignes téléphoniques au sein du ménage, et calées sur les données de référence nationales de l’Insee les plus récentes au moment de la préparation de la base de données, à savoir celles de l’Enquête Emploi 2012. Ce calage sur marges tient compte du sexe croisé avec la tranche d’âge, de la région de résidence, de la taille d’agglomération, du niveau de diplôme et du fait de vivre seul ou non.

La méthodologie détaillée de l’enquête et la présentation des évolutions méthodologiques sont disponibles par ailleurs 13.

La question portant sur le tabagisme à domicile a été posée lors des enquêtes de 2005, 2010 et 2014. Elle permet de décrire l’évolution de la proportion de Français déclarant qu’au moins une personne fume de temps en temps ou régulièrement à l’intérieur de son domicile (personne interrogée comprise), et d’en mesurer l’évolution : « Y a-t-il quelqu’un qui fume à l’intérieur de votre domicile (« vous y compris » si fumeur) ? Oui régulièrement / Oui, de temps en temps / Non, rarement / Non jamais » 14.

Les liens entre les caractéristiques sociodémographiques du répondant et la présence d’une consommation de tabac au domicile ont été testés au moyen de tests du Chi2. Des régressions logistiques ont également été réalisées chez les fumeurs, puis chez les non-fumeurs. Les variables explicatives suivantes ont été utilisées : sexe, âge, niveau de diplôme, revenus par unité de consommation (UC), situation professionnelle, PCS (de l’individu ou du chef de famille si l’individu n’a jamais travaillé), type de foyer (vit seul, ne vit pas seul sans enfant, vit avec enfant de 4 à moins de 18 ans, vit avec enfant de moins de 4 ans), taille d’agglomération.

Résultats

Tabagisme au domicile en 2014

En 2014, 28,2% des 15-75 ans déclaraient que quelqu’un fumait à l’intérieur de leur domicile, 8,2% de temps en temps et 20,0% régulièrement. Le tabagisme au domicile était logiquement fortement lié au statut tabagique. Il était rapporté par 15,7% des non-fumeurs (de temps en temps ou régulièrement) et par 52,2% des fumeurs (tableau 1). Parmi les fumeurs quotidiens, la consommation de tabac au domicile était liée à la quantité de tabac fumé : elle était rapportée par 45,1% des fumeurs de moins de 10 cigarettes par jour et 62,8% des fumeurs de 10 cigarettes ou plus par jour (p<0,001).

Tableau 1 : Proportion d’individus déclarant un tabagisme au domicile selon le statut tabagique en 2005, 2010 et 2014, parmi l’ensemble des 15-75 ans (en %), France
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La présence d’un tabagisme à domicile variait aussi avec l’âge. Parmi les non-fumeurs, les 15-24 ans étaient les plus concernés avec 30,3% déclarant un tabagisme à leur domicile, alors que cette proportion variait entre 10 et 16% pour les autres classes d’âge. Chez les fumeurs, environ 60% des 45-75 ans déclaraient que quelqu’un fumait à domicile ; les moins nombreux étaient les 35-44 ans (42,7%) (figure 1).

Figure 1 : Présence de quelqu’un fumant à l’intérieur du domicile (de temps ou temps ou régulièrement), selon le statut tabagique et l’âge en 2014 (en %) (n=15 635), France
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La présence d’un tabagisme au domicile était associée à différents facteurs (tableau 2). Parmi les non-fumeurs, les femmes déclaraient davantage que quelqu’un fumait à l’intérieur du domicile et le risque était plus élevé parmi les 15-24 ans par rapport à toutes les autres classes d’âge. La consommation de tabac au domicile était moins souvent rapportée à mesure que le niveau de diplôme augmentait : 18,2% des personnes sans diplôme ou ayant un diplôme inférieur au Bac déclaraient un tabagisme au domicile, contre 14,7% des personnes ayant le bac et 11,5% des titulaires d’un diplôme supérieur au Bac. Les ouvriers étaient proportionnellement plus nombreux (20,0%) que les autres catégories socioprofessionnelles à déclarer un tabagisme au domicile, notamment par rapport aux cadres et professions intellectuelles supérieures (10,8%), ceci restant vrai après ajustement sur les autres critères sociodémographiques. Enfin, le tabagisme à domicile était également lié à la structure du foyer : les non-fumeurs ne vivant pas seuls mais sans enfant de moins de 18 ans ou avec un enfant de 4 à moins de 18 ans, étaient respectivement 16,5% et 18,4% à déclarer une consommation de tabac au domicile, contre 13,3% des non-fumeurs vivant avec un enfant de moins de 4 ans et 9,9% des personnes vivant seules.

Tableau 2 : Facteurs associés à la présence de quelqu’un qui fume à l’intérieur du domicile en 2014 (pourcentages et régressions logistiques), France
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Parmi les fumeurs, la présence de quelqu’un fumant au domicile était plus souvent rapportée par les femmes. Elle diminuait avec le niveau de diplôme : 55,9% déclaraient un tabagisme au domicile parmi les personnes sans diplôme ou ayant un diplôme inférieur au Bac, 50,5% parmi les titulaires du Bac et 43,9% parmi les titulaires d’un diplôme supérieur au Bac. Le tabagisme à domicile était plus fréquemment rapporté par les chômeurs (61,6%) que parmi les actifs occupés (48,4%), le lien persistant après ajustement. Enfin, en ce qui concerne la structure du foyer, 65,0% des fumeurs vivant seuls déclaraient un tabagisme à domicile, contre 55,6% parmi les fumeurs ne vivant pas seuls mais sans enfant de moins de 18 ans, 48,7% pour ceux ayant un enfant de 4 à moins de 18 ans et 31,9% parmi ceux vivant avec un enfant de moins de 4 ans. La présence de quelqu’un fumant au domicile diminue ainsi fortement lorsqu’il y a un enfant en bas âge, tout en restant cependant élevée. La présence d’enfants de 4 à moins de 18 ans a un impact plus faible.

Évolution du tabagisme à domicile depuis 2005

En une décennie, la présence d’un tabagisme à l’intérieur du domicile a diminué significativement, passant de 32,8% en 2005 à 28,2% en 2014 (p<0,01) (tableau 1). L’évolution n’a cependant pas été la même pour les fumeurs et les non-fumeurs. En effet, de 2005 à 2010, la diminution était due uniquement à une évolution parmi les fumeurs, pour lesquels la présence de quelqu’un fumant au domicile est passée de 59,3 % à 51,8% (p<0,01) alors qu’elle était restée stable parmi les non-fumeurs (de 20,7% à 19,4%, évolution non significative, p=0,18). La baisse observée parmi les fumeurs était due à la baisse d’une présence régulière de quelqu’un fumant au domicile (de 44,2% à 35,8%, p<0,01), alors qu’une présence occasionnelle (de temps en temps) était restée stable (figure 2).

Figure 2 : Proportion d’individus déclarant que quelqu’un fume au domicile quelle qu’en soit la fréquence (total) / régulièrement / de temps en temps, selon le statut tabagique en 2005, 2010 et 2014, parmi l’ensemble des 15-75 ans (en %), France
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À l’inverse, de 2010 à 2014, la baisse de l’ensemble était due uniquement à celle constatée chez les non-fumeurs (de 19,4% à 15,7%, p<0,01) alors que la présence de quelqu’un fumant au domicile était stable parmi les fumeurs (de 51,8% à 52,2%, évolution non significative, p=0,85). Cependant cette stabilité globale chez les fumeurs est en réalité due à la combinaison de la baisse du tabagisme occasionnel au domicile (de 16,1% à 13,3%, p=0,01) et de la hausse d’un tabagisme régulier, même si celle-ci n’est pas significative (de 35,8% à 38,9%, p=0,11). Parmi les non-fumeurs, la baisse s’observait aussi bien pour une fréquence régulière que pour une fréquence occasionnelle (figure 2).

Discussion

En 2014, au sein de la population de France métropolitaine, une proportion importante d’individus déclarait que quelqu’un fumait à l’intérieur de son domicile (28,2% des 15-75 ans). Pourtant, d’après les enquêtes ITC réalisées en France, la majorité des fumeurs sont conscients des risques liés au tabagisme passif : plus de 90% déclarent savoir que le tabagisme passif peut causer le cancer du poumon chez les non-fumeurs et l’asthme chez l’enfant 15.

Les différentes éditions du Baromètre santé permettent de constater qu’en une décennie, la proportion de la population rapportant un tabagisme à domicile est passée de 32,8% en 2005 à 28,2% en 2014. La diminution est significative mais d’amplitude limitée. Chez les non-fumeurs, la proportion d’individus déclarant un tabagisme à domicile est passée de 20,7% en 2005 à 15,7% en 2014. Les plus jeunes non-fumeurs restent particulièrement confrontés au tabagisme à domicile en 2014 (30,3% des 15-24 ans). Cette évolution est cohérente avec l’évolution constatée dans l’enquête ITC France, même si l’indicateur utilisé est différent dans cette dernière enquête : la proportion de fumeurs ayant déclaré qu’il était strictement interdit de fumer à l’intérieur de leur domicile a augmenté, passant de 23% en 2006 à 37% en 2012 ; parmi les non-fumeurs, cette proportion est passée de 44% à 61% sur cette même période.

La part des foyers français où il est interdit de fumer peut être comparée à celle observée dans d’autres pays européens. Les enquêtes ITC menées entre 2008 et 2009 ont montré que la part des fumeurs vivant dans des foyers où il était totalement interdit de fumer était plus importante en France (28,2%) qu’aux Pays-Bas (18,7%), mais moins qu’en Allemagne (40,9%) 10.

L’interdiction de fumer dans les lieux publics n’a pas entraîné de hausse du tabagisme à domicile, argument utilisé par l’industrie du tabac au moment des débats pour freiner la mise en place des mesures de lutte contre le tabagisme passif. Au contraire, l’interdiction dans les lieux publics accompagnée de campagnes informant sur les risques du tabagisme passif semble avoir permis une prise de conscience accrue des risques pour la santé de l’entourage. Les résultats des enquêtes ITC conduites dans plusieurs pays après l’interdiction de fumer dans les lieux publics ont en effet montré une augmentation de la part des personnes qui ont complètement interdit de fumer à leur domicile. L’augmentation de foyers sans tabac après l’instauration des interdictions dans les lieux publics a par ailleurs été mesurée auprès d’élèves écossais 16. Le fait d’avoir des jeunes enfants constitue un facteur favorisant l’interdiction totale à domicile, ainsi que le fait d’avoir un conjoint non-fumeur 10,17.

Au titre des limites, soulignons que le questionnaire du Baromètre santé permet de savoir s’il y a au moins une personne qui fume à l’intérieur du domicile. Cette unique question ne permet pas de mesurer précisément une exposition réelle à la fumée de tabac ni un tabagisme passif. Il peut être décidé de ne fumer que dans une pièce du domicile ou à la fenêtre, ce qui n’entraîne pas la même exposition de l’entourage que s’il est possible de fumer dans tout le domicile. Les autres personnes du foyer ne sont pas forcément présentes dans le logement au moment où quelqu’un fume, ce qui limite l’exposition directe à la fumée de tabac mais ne l’élimine pas du fait de la pollution de l’air intérieur. Les modalités de réponse (régulièrement/de temps en temps/etc.) ne permettent pas de mesurer une durée précise d’exposition, mais donnent une approximation subjective de la fréquence du tabagisme au domicile. La question étant identique dans les trois enquêtes, un éventuel biais déclaratif serait probablement similaire dans le temps et permet d’étudier les évolutions. Malgré ces limites, ces données permettent probablement d’approcher une norme familiale plus ou moins favorable au tabagisme.

Continuer d’informer le public sur les risques liés au tabagisme passif pourrait aider à atteindre l’objectif de sa dénormalisation, voire de la disparition du tabagisme à domicile. Les dernières campagnes de communication alertant sur les risques du tabagisme passif datant de 2006, elles nécessiteraient d’être reconduites. La communication pourrait être utile auprès des adultes pour rappeler les risques encourus par l’entourage, et auprès des enfants pour relayer le message au sein de leur foyer. Ces actions seraient doublement utiles : les études montrent en effet que l’établissement de foyers non-fumeurs permet non seulement de diminuer l’exposition des non-fumeurs à la fumée de tabac à domicile, mais influence également positivement les comportements des fumeurs dans le sens d’une diminution voire d’un arrêt définitif de leur consommation 18.

Références

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Citer cet article

Pasquereau A, Guignard R, Andler R, Richard JB, Arwidson P, Beck F, et al. Le tabagisme au domicile en France en 2014 et son évolution depuis 2005. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(30-31):522-8. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/30-31/2016_30-31_6.html

(1) Devenu Santé publique France en mai 2016.