Consommation de tabac et utilisation d’e-cigarette en France en 2015 : premiers résultats du Baromètre cancer 2015
// Tobacco consumption and e-cigarette use in France in 2015: preliminary results from the 2015 Cancer Barometer
Résumé
Introduction –
L’enquête Baromètre cancer 2015 est intervenue un an après le lancement du Programme national de réduction du tabagisme 2014-2019. Elle permet de mettre à jour les estimations de prévalence du tabagisme ainsi que de l’usage d’e-cigarette.
Méthodes –
Les données proviennent d’une enquête aléatoire par téléphone réalisée entre mai et octobre 2015. L’échantillon a inclus 3 931 personnes âgées de 15 à 75 ans résidant en France métropolitaine.
Résultats –
En 2015, le tabagisme concernait 34,6% des Français, et le tabagisme quotidien 28,8%. Ces prévalences sont significativement plus élevées parmi les hommes (respectivement 38,9% et 32,5%) que parmi les femmes (respectivement 30,5% et 25,4%). Aucun de ces indicateurs n’est statistiquement différent de ceux observés en 2014 dans le Baromètre santé. La prévalence de l’usage actuel de l’e-cigarette était de 4,0%, en baisse significative par rapport à 2014, mais l’usage quotidien s’avérait stable à 3,0%. La part des ex-fumeurs au sein des vapoteurs était de 26%, en augmentation sensible en l’espace d’un an.
Conclusion –
Plus du tiers de la population métropolitaine âgée de 15 à 75 ans fumait encore, au moins occasionnellement, en 2015. Il est par conséquent crucial de poursuivre les efforts engagés dans la lutte contre le tabagisme.
Abstract
Introduction –
The 2015 Cancer Barometer Survey took place one year after the launch of the National Program for Smoking Reduction 2014-2019, and enables updating the estimation of smoking prevalence in France. The use of e-cigarette was also monitored.
Methods –
Data were collected through a telephone survey with random sampling conducted between May and October 2015. The sample included 3,931 individuals aged 15-75 years living in mainland France.
Results –
In 2015, tobacco smoking concerned 34.6% of French people and daily smoking 28.8%. These rates are significantly higher among men (respectively 38.9% and 32.5%) than among women (respectively 30.5% and 25.4%). None of these indicators is statistically different from those observed in 2014. The rate for current use of e-cigarette is 4.0%, down compared to 2014, but daily use is steady at 3.0%. The proportion of former tobacco smokers among vapers is 26%, significantly increasing in a one year period.
Conclusion –
More than a third of the French population aged 15-75 years still smoke in 2015, at least occasionally. Thus, it is crucial to pursue the efforts made so far in tobacco control.
Introduction
Le tabagisme reste aujourd’hui un fléau sanitaire majeur en France : en 2013, le nombre de décès attribuables au tabagisme était estimé à environ 73 000 1. Dans une période de mise en œuvre du Programme national de réduction du tabagisme, et à la veille de l’instauration effective du paquet neutre (paquet de tabac de couleur unie, dépourvu d’éléments de marketing et ne portant aucun signe distinctif, sur lequel le nom de la marque de tabac est écrit de manière standardisée et qui sera associé à un agrandissement des avertissements sanitaires illustrés) 2, il est important de poursuivre le suivi régulier du niveau de consommation de tabac en France. La prévalence du tabagisme a augmenté entre 2005 et 2010 3,4 puis s’est stabilisée en 2014 5. Parallèlement, la cigarette électronique (e-cigarette) est apparue en France au début des années 2010 et le Baromètre santé 2014 a permis de faire un premier état des lieux quant à son usage : celui-ci concernait alors 6,0% des 15-75 ans et l’e-cigarette avait été essayée par 25,7% d’entre eux 6.
L’analyse des données du Baromètre cancer 2015 permet de mettre à jour les estimations de la prévalence du tabagisme afin de confirmer ou non sa récente stabilité et de continuer à suivre l’usage d’e-cigarette, produit récent dont la rapide émergence et le rôle de substitution au tabac demandent à être confirmés.
Matériel et méthodes
Le Baromètre cancer 2015, actualisation du Baromètre cancer 2010, est une enquête menée par téléphone sur un échantillon représentatif de la population des 15-85 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français. Le pilotage de l’enquête et du recueil des données a été mené par l’Institut national du cancer (INCa), en partenariat avec Santé publique France. Les thèmes centraux de cette enquête sont les connaissances et comportements de la population vis-à-vis du cancer ; certains facteurs de risque majeurs sont également étudiés. Un volet du questionnaire a ainsi concerné la consommation de tabac et, par extension, l’utilisation de l’e-cigarette (Voir encadré).
La population cible (15-85 ans) et la majeure partie du questionnaire (dont la section portant sur la consommation de tabac) correspondent à celles du Baromètre cancer 2010 7. En revanche, la méthode de sondage reprend celle de l'enquête Baromètre santé 2014 8 et les questions relatives à l'usage d'e-cigarette en sont également en partie inspirées.
L’échantillon a été constitué grâce à un sondage aléatoire à deux degrés : les numéros de téléphone sont dans un premier temps générés aléatoirement, puis l’individu est sélectionné au hasard au sein des membres éligibles du ménage. La réalisation de l’enquête, par système de Collecte assistée par téléphone et informatique (Cati), a été confiée à l’Institut BVA. Le terrain s’est déroulé du 19 mai au 13 octobre 2015 (avec une pause estivale). Le taux de participation était de 28% pour l’échantillon des téléphones fixes et de 33% pour celui des mobiles.
Les données ont été pondérées pour tenir compte de la probabilité d’inclusion, puis redressées sur les distributions, observées dans l’enquête emploi 2014 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), des variables sociodémographiques suivantes : sexe croisé par l'âge en tranches décennales, région, taille d’agglomération, niveau de diplôme, fait de vivre seul.
La base de données du Baromètre cancer 2015 comprenait 4 139 individus au total. L’échantillon restreint aux 15-75 ans, correspondant à la tranche d’âge du Baromètre santé 2014, a inclus 3 931 personnes.
Typologie des consommations de tabac et d’usage d’e-cigarette dans le Baromètre cancer 2015
Est défini comme fumeur quotidien un individu déclarant fumer tous les jours ou déclarant une consommation de cigarettes par jour, et comme fumeur occasionnel un individu déclarant fumer mais pas tous les jours et ne déclarant pas une consommation de cigarettes par jour.
L’usage d’e-cigarette est mesuré par trois indicateurs : l’expérimentation (« Avez-vous déjà essayé la cigarette électronique ? »), l’usage actuel (« Utilisez-vous la cigarette électronique actuellement ? ») et l’usage quotidien (« À quelle fréquence utilisez-vous la cigarette électronique ? »).
L’usage actuel comprend ainsi l’usage quotidien et l’usage occasionnel.
Les prévalences du tabagisme et du vapotage sont présentées par sexe et âge, et les évolutions depuis 2014 ont été testées au moyen du test du Chi2 de Pearson.
Résultats
Tabagisme
En 2015, le tabagisme concernait 34,6% des 15-75 ans (hommes : 38,9%, femmes : 30,5%, p<0,001). La prévalence du tabagisme quotidien était de 28,8% (hommes : 32,5%, femmes : 25,4%, p<0,001), celle du tabagisme occasionnel de 5,7% (figure 1). Relativement à 2014, ces niveaux de consommations apparaissaient stables, aussi bien parmi l’ensemble des 15-75 ans qu’en analysant séparément hommes et femmes. Cette stabilité s’observait à tous les âges, à la seule exception de la tranche 25-34 ans (figure 2). En effet, pour cette tranche d’âge, la prévalence du tabagisme quotidien avait augmenté, passant de 36,3% à 41,7% (p<0,05). Dans l’ensemble, la part d’ex-fumeurs était également stable à 30,4 %.
Usage d’e-cigarette
En 2015, 23,3% des 15-75 ans déclaraient avoir expérimenté l’e-cigarette (hommes : 26,3%, femmes : 20,4%, p<0,001) (figure 3). L’usage actuel concernait 4,0% des Français (hommes : 5,2%, femmes : 2,9%, p<0,01), et la prévalence du vapotage quotidien était de 3,0% (hommes : 4,0%, femmes : 2,0%, p<0,05).
Relativement à 2014, les niveaux d’expérimentation (25,6% en 2014, p<0,05) et d’usage actuel (5,9% en 2014, p<0,001) s’avéraient en baisse, tandis que l’usage quotidien apparaissait stable. Par conséquent, au sein des vapoteurs, la part d’usagers quotidiens apparaissait en forte hausse, passant de 48,6% en 2014 à 74,2% en 2015 (p<0,001).
L’usage actuel avait particulièrement baissé parmi les femmes, passant de 5,2% à 2,9% (figure 3). L’usage quotidien était
stable quel que soit le sexe (figure 3) et la tranche d’âge (figure 4), excepté pour les 65-75 ans chez lesquels on observait
une augmentation significative (p<0,05).
Tabagisme et usage d’e-cigarette
Comme cela avait été observé en 2014 6,9, l’expérimentation de l’e-cigarette était beaucoup plus fréquente parmi les fumeurs (52,3%) que parmi les non-fumeurs (8,0%, p<0,001). Les vapoteurs actuels étaient par ailleurs 71% à fumer également du tabac, cette proportion se révélant en baisse significative relativement à 2014 (83%, p<0,05), la proportion d’ex-fumeurs au sein des vapoteurs ayant augmenté, passant de 15% à 26% (p<0,05) (figure 5). La part de personnes n’ayant jamais fumé était stable parmi les vapoteurs (3%).
Discussion-conclusion
Ces premières analyses des données du Baromètre cancer 2015 révèlent une prévalence du tabagisme de 34,6% parmi les 15-75 ans, celle du tabagisme quotidien étant de 28,8%. Ces prévalences ne sont pas statistiquement différentes de celles recueillies en 2014 et confirment la stabilité déjà constatée entre 2010 et 2014, après la hausse enregistrée entre 2005 et 2010. La France reste un des pays d’Europe occidentale où le tabagisme est le plus répandu : parmi les personnes de plus de 15 ans, plus du tiers fument en France contre, par exemple, environ un quart en Allemagne 10, en Espagne, en Belgique et aux Pays-Bas 11, et environ un cinquième en Italie 11 et en Grande-Bretagne (parmi les adultes) 12. L’écart est encore plus marqué avec les États-Unis et l’Australie, où les prévalences du tabagisme parmi les adultes étaient, respectivement, de 17% en 2014 13 et de 15% en 2014-2015 14.
L’expérimentation et l’usage actuel de l’e-cigarette étaient en baisse entre 2014 et 2015, tandis que le vapotage quotidien est resté stable à 3,0%. Ces résultats semblent ainsi montrer d’une part, que la diffusion de l’e-cigarette s’est nettement ralentie et, d’autre part, que sa consommation est désormais majoritairement quotidienne.
En outre, au sein des vapoteurs, la part d’ex-fumeurs a nettement augmenté, ce qui laisse supposer une efficacité potentielle de l’e-cigarette dans l’arrêt, au moins momentané, du tabac. Certaines études récentes ont d’ailleurs estimé que le vapotage est un moyen efficace de réduire la prévalence tabagique dans les pays où cette prévalence est élevée 15.
Le lien entre vapotage et consommation de tabac, et en particulier entre la durée de vapotage et son éventuel lien avec l’arrêt du tabagisme, fera l’objet d’une publication ultérieure.
Il est surprenant d’observer que la prévalence d’expérimentation de l’e-cigarette a diminué entre 2014 et 2015, même s’il faut d’emblée souligner qu’il s’agit d’une baisse très légère. En effet, de façon générale, il est peu probable qu’entre deux périodes d’observations séparées d’une année (ici, de décembre 2013 à juin 2014 et de mai à octobre 2015), un indicateur d’expérimentation en population générale baisse de manière significative. Il est cependant possible que l’interprétation de ce qu’est l’expérimentation par les personnes interrogées puisse varier avec, notamment, la durée d’ancienneté du produit. Ainsi, l’e-cigarette étant encore un produit nouveau au moment de l’enquête 2014, le terme « essayer » a pu être interprété à cette période comme le fait de prendre quelques bouffées alors qu’une année après, l’aspect nouveauté ayant disparu, ce terme pourrait être perçu comme le fait d’avoir utilisé ce produit au moins quelque temps. Ces différences de représentations se rapprocheraient ainsi de ce qui s’observe par exemple pour le cannabis : l’analyse des données du Baromètre santé 2005 avait montré que 3,1% des 15-64 ans déclaraient ne pas avoir expérimenté le cannabis, mais précisaient ensuite en avoir consommé juste pour y goûter 16.
Notons que, même si la méthodologie du Baromètre cancer 2015 est très proche de celle du Baromètre santé 2014, il existe des différences, lesquelles invitent à une certaine prudence dans les comparaisons des résultats de ces deux exercices. En particulier, le taux de participation obtenu lors du Baromètre cancer 2015 (28% sur téléphone fixe et 33% sur mobile) est très inférieur à celui de l’enquête Baromètre santé 2014 (61% sur fixe et 52% sur mobile). Ces écarts s’interprètent difficilement, mais certains éléments explicatifs peuvent être proposés. Ainsi, les périodes des terrains ne sont pas, en grande partie, superposables pour les deux enquêtes, sachant que la période estivale est moins propice pour joindre les personnes sélectionnées. De plus, il est envisageable que le fait que l’enquête 2015 porte avant tout sur le cancer, ce qui est précisé dès la phrase d’annonce, puisse décourager certains individus d’y répondre, en lien ou non avec une pathologie personnelle ou celle de proches. Des analyses complémentaires sont en cours pour expliquer ces écarts, mais la structure sociodémographique de l’échantillon du Baromètre cancer 2015 apparaît relativement proche de celle du Baromètre santé 2014, ce qui laisse penser que la plus faible participation n’a pas eu pour conséquence une déstructuration du profil sociodémographique des répondants, dont l’impact sur les comportements de santé étudiés est bien connu.
Notons enfin que la prévalence du tabagisme est un indicateur qui fluctue relativement lentement et que la taille de l’échantillon en 2015 ne permet pas de mesurer significativement un écart de faible amplitude avec 2014. L’enquête Baromètre santé 2016, incluant un nombre de sujets nettement supérieur à celle de 2015, permettra de fournir de nouveaux chiffres afin de suivre les tendances mises en évidence au travers de cette analyse.
Quoi qu'il en soit, la stabilité de la prévalence tabagique observée depuis 2010 incite à renforcer les efforts engagés dans la lutte contre cette addiction, notamment vis-à-vis des jeunes, chez qui les taux de fumeurs sont particulièrement élevés.
Remerciements
Le Baromètre cancer 2015 a été financé par l’Institut national du cancer (INCa). Le Département Recherche en sciences humaines et sociales, santé publique et épidémiologie de l’INCa a assuré la coordination de la collecte des données.