La consommation de tabac au cours des années lycée. Résultats de l’enquête ESPAD 2015

// Tobacco use among French high-school students in 2015. Results from the 2015 European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (ESPAD)

Olivier Le Nézet (olivier.lenezet@ofdt.fr), Marcus Ngantcha, François Beck, Stanislas Spilka
Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, France
Soumis le 13.06.2016 // Date of submission: 06.13.2016
Mots-clés : Lycéens | Tabac | Cigarette | Chicha | E-cigarette | Accessibilité
Keywords: High school students | Tobacco | Cigarette | Hookah | E-cigarette | Accessibility

Résumé

Introduction –

 Les premiers résultats du 5e exercice de l’enquête ESPAD (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs), menée auprès de 6 642 lycéens français, portent notamment sur la consommation de cigarettes et de chicha en 2015 chez les lycéens. Ils sont l’occasion de revenir sur l’évolution la perception de l’accessibilité au tabac, en lien avec les mesures d’interdiction de vente chez les mineurs. L’enquête 2015 permet, par ailleurs, de renseigner pour la première fois l’usage de la cigarette électronique chez les lycéens.

Méthodes –

L’enquête ESPAD est une enquête scolaire quadriennale, dont le dernier exercice s’est déroulé dans 426 classes d’établissements publics et privés du secondaire en France métropolitaine et, pour la première fois, dans les départements d’outre-mer, entre avril et juin 2015. Réalisée au niveau européen, cette enquête auto-administrée a été menée au même moment et selon la même méthodologie dans 35 pays. En France, elle est portée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, en partenariat avec les ministères de l’Éducation nationale et de l’Agriculture.

Résultats –

En 2015, près des deux tiers des lycéens (61%) déclaraient avoir fumé au moins une cigarette au cours de leur vie. Ce niveau d’expérimentation est en nette baisse par rapport à 2011 (70%). Il en est de même pour le tabagisme quotidien, de nouveau orienté à la baisse avec 23% de lycéens fumeurs en 2015 contre 31% en 2011. Par ailleurs, près de la moitié des lycéens (48%) avaient déjà utilisé une chicha (narguilé) et 7% l’avaient fait sans avoir jamais fumé de cigarette. Les fumeurs quotidiens percevaient le tabac beaucoup plus accessible en 2015 qu’en 2011. Ce constat est vrai pour les fumeurs majeurs (+11 points) comme les mineurs (+7 points). Une très large majorité des fumeurs quotidiens, qu’ils soient mineurs ou majeurs, déclaraient acheter régulièrement leurs cigarettes chez un buraliste. Enfin, l’enquête révèle que 40% des lycéens déclaraient en 2015 avoir déjà essayé la cigarette électronique et qu’un élève sur dix en avait utilisé une au cours du mois.

Abstract

Background –

 The results of the fifth European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (ESPAD) conducted among a sample of 6,642 high school student assesses the consumption of e-cigarettes and hookah among high school students in 2015. The preliminary results review the trends in the perception of tobacco access related to the smoking ban among minor users. Furthermore, the 2015 Survey included a new question to measure the use of electronic cigarettes.

Methods –

 ESPAD is an European quadrennial school survey carried out in France by the French Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction in collaboration with the Ministry of National education and of Agriculture. The last survey was conducted in 426 classes in public and private high schools in mainland France and for the first time, in the overseas departments between April and June 2015. ESPAD is an European project in order to collect comparable data on substance use among European students from 35 countries at the same time.

Results –

 In 2015, six secondary school pupils out of ten (61%) reported having already smoke at least one cigarette. This level of experimentation has sharply decreased (70%) compared to 2011. Accordingly, daily smoking followed the same downward trend (23% vs 31% in 2011). Almost half (48%) of the respondents reported having used hookah at least once, and 7% did so without ever smoking cigarettes. Perceived cigarette accessibility has increased over the four years among underage (+7 points) and major (+11 points) daily smokers. The majority of daily smokers purchased cigarettes at a licensed tobacconist or newsagent. Finally, 40% of respondents used e-cigarette at least once in their lifetime, and 10% during the last thirty days.

Introduction

Le tabac demeure la substance psychoactive la plus consommée quotidiennement en France. En 2015, à partir des résultats de plusieurs enquêtes nationales, on estimait à 13,3 millions le nombre de fumeurs quotidiens, dont environ 650 000 avaient moins de 18 ans 1. L’adolescence demeure la période privilégiée de l’initiation et de l’intensification des usages de tabac. Cette dernière estimation montre, s’il en est besoin, que la lutte contre le tabagisme des adolescents est un enjeu majeur de santé publique. Malgré tout, si les derniers résultats de l’enquête ESCAPAD (Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense) 2014 auprès des adolescents âgés de 17 ans ont révélé une légère hausse du tabagisme chez les filles, l’enquête HBSC (Health Behaviour in School-Aged Children), réalisée en 2014 parmi les collégiens, a mis en évidence un tabagisme en baisse, en particuliers chez les plus jeunes 2.

Le dernier exercice de l’enquête ESPAD (European School Survey Project on Alcohol and others Drugs), menée en 2015, est l’occasion de faire le point sur les toutes dernières évolutions des consommations de tabac parmi les lycéens, qu’il s’agisse de l’usage de la cigarette ou de celui de la chicha (1) 3. L’enquête a également intégré une question sur l’usage de la cigarette électronique (e-cigarette), dans l’objectif de compléter les premières observations des enquêtes ESCAPAD et HBSC en 2014. Observer la consommation de tabac sous l’angle du niveau scolaire offre la possibilité d’identifier des moments-clés au sein du parcours scolaire pour les différents acteurs de santé et de prévention. Enfin, en questionnant les élèves sur leur perception de l’accessibilité de la cigarette et leur approvisionnement en cigarettes chez les buralistes, l’enquête propose un regard original sur les mesures les plus caractéristiques de ces dernières années visant à réduire le tabagisme des plus jeunes, telle l’interdiction de vente aux mineurs de moins de 16 ans en 2003 4, étendue de 16 à 18 ans en 2009.

Méthode

Depuis 1999, l’enquête ESPAD interroge en France les adolescents âgés de 15-16 ans. Le cinquième exercice de cette enquête quadriennale s’est déroulé entre avril et juin 2015 dans 213 établissements scolaires du second degré (public et privé), sélectionnés aléatoirement sur l’ensemble du territoire national. Cette enquête, réalisée dans 35 pays d’Europe, permet en outre de mesurer la consommation de substances psychoactives chez les jeunes âgés de 16 ans 5,6. Les données de l’enquête permettent aussi d’évaluer l’impact de facteurs associés à leur consommation.

En France, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) est chargé de mettre en œuvre ESPAD, avec l’appui du ministère de l’Éducation nationale, du ministère de l’Agriculture et du secrétariat à l’enseignement catholique. Depuis l’enquête 2011, en France uniquement, l’échantillon est représentatif de l’ensemble des élèves, de la seconde à la terminale. Les classes ont été tirées au sort par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale selon un sondage aléatoire équilibré sur les critères suivants : type d’enseignement (général, professionnel…), localisation des établissements (dans une commune urbaine ou rurale), secteur (public ou privé). Deux classes par établissement (426 classes au total) ont été échantillonnées et tous les élèves d’une classe sélectionnée ont été interrogés. Au total, entre avril et juin 2015, 8 558 élèves ont répondu à un questionnaire auto-administré et anonyme en classe en présence d’un enquêteur de la société Efficience® chargé de leur présenter l’enquête et d’en encadrer la passation. La participation des classes a été de 93% et, compte tenu des absents le jour de l’enquête et des refus de participer (parents, élèves et classes), le taux de participation des élèves a finalement atteint 80%.

L’analyse présentée ici a concerné au final 6 642 élèves (dont 3 321 lycéennes) résidant en France métropolitaine et âgés de 17,1 ans en moyenne. Les données ont été redressées pour pallier les non-réponses et assurer la représentativité selon les marges : sexe, âge, classe, secteur (public/privé) et filière (professionnelle et générale).

Les indicateurs mobilisés dans cet article pour caractériser les usages sont ceux recommandés et utilisés au niveau international dans l’enquête ESPAD. L’expérimentation est définie comme le fait d’avoir fumé du tabac au moins une fois au cours de sa vie ; l’usage dans le mois – appelé aussi usage récent – correspond au fait de déclarer un usage au cours des trente jours précédant l’enquête ; l’usage quotidien correspond au fait d’avoir fumé au moins une cigarette par jour ; et, enfin, l’usage intensif est défini comme le fait d’avoir consommé quotidiennement plus de dix cigarettes par jour. L’utilisation de la chicha ou de l’e-cigarette est mesurée au travers de deux indicateurs : l’expérimentation et l’usage au cours du mois.

Les comparaisons des proportions dans les différents groupes ont été réalisées à l’aide des tests de Rao-Scott pour prendre en compte les effets de grappes du plan de sondage. En effet, l’enquête ESPAD repose sur un plan de sondage en grappes où l’unité primaire est l’établissement et non l’élève lui-même. Or, des enfants scolarisés dans un même établissement ou une même classe ont une plus grande probabilité de se ressembler que des enfants pris séparément au hasard. Il convient donc de prendre cet effet en compte dans le calcul des erreurs standard et des p-values.

Résultats

Consommations de cigarette, de narguilé (chicha) et de cigarette électronique au cours des années lycées

Le tableau 1 présente les niveaux de consommations de tabac des lycéens en 2011 et en 2015.

Tableau 1 : Niveaux des consommations de tabac des lycéens en 2011 et en 2015 selon le sexe (en %). Enquêtes ESPAD 2011 et 2015, France
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En 2015, 6 lycéens sur 10 (60,9%) déclaraient avoir déjà fumé une cigarette au cours de leur vie. L’usage au cours des 30 derniers jours concernait 33% des élèves. Les années lycée demeurent une période majeure de développement du tabagisme quotidien, amorcé au cours de la seconde moitié du collège : près d’un quart des lycéens fumaient tous les jours. Néanmoins, le recul du tabagisme observé entre 1999 et 2007, interrompu en 2011 5, a repris sur la dernière période. Ainsi, l’expérimentation de la cigarette a baissé d’environ 10 points entre 2011 et 2015 et les usages récents et quotidiens ont diminué respectivement de 11 et 8 points. Le recul du tabagisme quotidien apparaît légèrement plus marqué parmi les lycéens (-9 points) que chez les lycéennes (-6 points).

Par ailleurs, près de la moitié des lycéens (47,8%) ont dit avoir eu l’occasion d’essayer la chicha en 2015, une proportion en nette réduction par rapport à l’année 2011 (-13 points). L’expérimentation de la chicha sans avoir jamais fumé de cigarette par ailleurs concernait 7% des lycéens, une proportion demeurant stable par rapport à 2011. L’usage récent de la chicha sans avoir fumé de cigarette au cours du mois concernait 6% des adolescents. Ainsi, plus de 6 vapoteurs récents sur 10 (61%) étaient également des fumeurs récents de cigarettes.

Au final, que ce soit avec une cigarette ou une chicha, l’expérimentation de tabac concernait pratiquement 7 élèves sur 10 en 2015 (68,0%) contre près de 8 sur 10 en 2011 (77,4%), et l’usage récent près de 4 lycéens sur 10 (38,8%).

Concernant la cigarette électronique, son usage a déjà été mesuré en population adulte 1. Les dernières enquêtes en population adolescente, comme ESCAPAD et HBSC en 2014 et ESPAD en 2015, ont donc intégré de nouvelles questions. En 2015, 4 lycéens sur 10 déclaraient avoir déjà utilisé une cigarette électronique au moins une fois au cours de leur vie. Par ailleurs, son expérimentation exclusive, c’est à dire sans avoir expérimenté la cigarette, s’avérait marginale, ne concernant que 4% des lycéens.

Parmi les adolescents ayant expérimenté les deux produits, l’expérimentation de la cigarette précédait généralement l’expérimentation d’e-cigarette. Ainsi, 74% d’entre eux déclaraient un âge d’expérimentation antérieur pour la cigarette. A contrario, ils n’étaient que 3% à préciser un âge antérieur pour la cigarette électronique, soit moins de 1% de l’ensemble des lycéens.

Le sexe apparaissait comme un facteur discriminant pour l’usage quotidien de cigarettes, les filles se révélant davantage fumeuses que les garçons (tableau 2). La filière d’étude apparaissait également comme une caractéristique fortement associée à l’usage quotidien : après ajustement sur l’ensemble des variables, les lycéens issus de l’enseignement professionnel fumaient 3 fois plus quotidiennement comparés à leurs homologues des filières générales et technologiques. Comme cela a été récemment montré sur les adolescents âgés de 17 ans 7, les lycéens vivant dans des familles recomposées ou monoparentales présentaient une consommation quotidienne de cigarette plus importante que ceux vivant dans des familles nucléaires. Cependant, le niveau socioculturel du foyer de l’adolescent, estimé ici par le diplôme le plus élevé des parents (2), ne semblait pas avoir de lien avec la consommation quotidienne de cigarettes. Le type de territoire dans lequel se situait l’établissement scolaire de l’élève s’est révélé un facteur associé au tabagisme quotidien : les élèves scolarisés dans un lycée situé en zone rurale ou dans une ville isolée présentaient un tabagisme plus important relativement à ceux localisés en périphérie d’agglomérations, toutes choses égales par ailleurs. Il s’agit de la seule substance pour laquelle le type de territoire semble jouer un rôle sans qu’il soit possible d’en déterminer la nature exacte. Enfin, avoir expérimenté la chicha et la cigarette électronique étaient les facteurs les plus fortement liés au tabagisme quotidien.

Tableau 2 : Analyse multivariée de l’usage quotidien de cigarettes, de chicha et de l’expérimentation de cigarette électronique selon des facteurs sociodémographiques et familiaux. Enquête ESPAD 2015, France
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Les profils des expérimentateurs de chicha et d’e-cigarette différaient quelque peu. Si le sexe demeurait un facteur associé fort, les garçons étant nettement plus expérimentateurs que les filles, l’expérimentation de tabac apparaissait comme la plus déterminante dans la favorisation de l’expérimentation de ces deux pratiques.

L’accessibilité perçue par les lycéens

Outre les prévalences de consommations de cigarettes, la diffusion du tabac dans la population adolescente peut également s’apprécier par l’évolution de l’accessibilité perçue du produit dans le temps. L’enquête ESPAD contient la question obligatoire et constante suivante : « à quel point vous serait-il difficile de vous procurer des cigarettes, si vous le vouliez ? » avec comme modalités de réponse « impossible, très difficile, plutôt difficile, plutôt facile, facile, très facile, ne sait pas ». Si la question est bien évidemment très subjective, elle permet de suivre les évolutions de cette accessibilité perçue selon les différentes générations de lycéens observées, sous réserve que les déterminants individuels susceptibles de modifier cette perception demeurent relativement stables dans le temps.

Les fumeurs quotidiens, qu’ils soient mineurs ou majeurs, considéraient en 2015 qu’il était plus facile de se procurer du tabac relativement à 2011 (+11 points chez les majeurs contre seulement 7 points chez les mineurs). Sur cette même période, l’accessibilité perçue chez les lycéens qui ne fument pas de cigarette n’a pas évolué (figure).

Figure : Évolution de la part des lycéens qui considère très facile ou facile de se procurer du tabac selon l’âge et le statut tabagique. Enquêtes ESPAD 2011 et 2015, France
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Facteurs associés à l’accessibilité perçue en 2011 et 2015

Une plus grande accessibilité perçue augmente le risque de consommer du tabac parmi les adolescents, particulièrement chez ceux ayant des amis fumeurs 8. Pour mieux comprendre les évolutions observées entre 2011 et 2015 et limiter les facteurs de confusion en tenant compte à la fois de l’âge et du statut tabagique, une variable distinguant les fumeurs quotidiens mineurs et majeurs ainsi que les non-fumeurs quotidiens mineurs et majeurs a été introduite dans un modèle de régression.

Une fois les effets de structure contrôlés, l’accessibilité perçue reste fortement marquée par le statut tabagique des lycéens, l’âge des fumeurs n’intervenant qu’à la marge. Cette absence d’effet âge est particulièrement frappante parmi les non-fumeurs, dont la perception de l’accessibilité ne varie quasiment pas entre majeurs et mineurs (tableau 3).

Tableau 3 : Facteurs associés à la perception facile ou très facile de l’accessibilité au tabac. Enquêtes ESPAD 2011 et 2015, France
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Une manière très factuelle de confirmer ces résultats consiste à demander aux fumeurs la manière dont ils se procurent leurs cigarettes. En 2015, au cours du mois précédant l’enquête, pratiquement 8 fumeurs sur 10 ont indiqué s’être approvisionnés dans un bureau de tabac au cours du mois (tableau 4). Ce constat est le même chez les majeurs et chez les mineurs qui, malgré l’interdiction d’achat les concernant, ne semblent pas éprouver de difficultés particulières pour acheter leurs cigarettes. Remarquons que l’offre et le don constituent toujours des sources importantes d’approvisionnement, en particulier pour ceux qui fument occasionnellement.

Tableau 4 : Mode d’approvisionnement en tabac en fonction de la majorité. Enquête ESPAD 2015, France
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Discussion

Plusieurs limites et biais liés à la méthodologie de l’enquête doivent être évoqués. Premièrement, des risques de sur-déclaration comme de sous-déclaration, de la part d’adolescents qui cherchent à se valoriser auprès de leurs camarades, sont parfois possibles dans certaines classes où des effets de groupe n’ont pas pu être entièrement maîtrisés lors de la passation de l’enquête (dans les cas les plus flagrants les classes ont été écartées). Deuxièmement, l’absentéisme des élèves (environ 10%) le jour de l’enquête est lui aussi susceptible d’introduire des biais dans les estimations. En particulier, il est probable que certains élèves absents, notamment ceux qui manquent régulièrement les cours, présentent des profils de consommation particuliers. Toutefois, la méthodologie de l’enquête ESPAD repose sur un cadre validé au niveau international. En particulier, de nombreux travaux ont montré que le questionnaire auto-administré demeurait la meilleure manière d’interroger les adolescents, et plus particulièrement sur leurs usages de tabac 9,10,11,12.

Conclusions

Un des principaux résultats de l’enquête ESPAD 2015 s’avère être le net recul de la consommation de tabac chez les lycéens entre 2011 et 2015. Par ailleurs, depuis plusieurs années, les niveaux d’usages du tabac des filles et des garçons n’ont cessé de se rapprocher à la faveur d’une diffusion du tabagisme plus marquée chez les jeunes filles. Dans l’enquête ESPAD, le niveau de tabagisme quotidien des adolescentes est, pour la première fois, supérieur à celui des garçons. Déjà en 2014, l’enquête ESCAPAD avait révélé une progression du tabagisme parmi ces dernières entre 2011 et 2014 alors qu’il était resté stable chez les garçons.

L’usage du narguilé a également régressé mais reste toutefois élevé, avec un peu moins d’un lycéen sur 2 l’ayant expérimenté et plus d’un sur 6 l’ayant consommé au cours du mois.

Quant à la cigarette électronique, dont les niveaux sont mesurés pour la première fois dans cette enquête, son niveau d’expérimentation est légèrement inférieur (40,4%) à celui mesuré en 2014 parmi les adolescents âgés de 17 ans dans ESCAPAD, dont la moitié déclarait en avoir déjà fait usage. L’engouement pour la cigarette électronique récemment observé en population adulte pouvait laisser supposer une diffusion importante également au sein de la population adolescente. Contrairement à d’autres études 13, ces résultats ne permettent pas de démontrer que la cigarette électronique constitue une porte d’entrée vers la cigarette 14. Quant à savoir si la cigarette électronique est un moyen pour les adolescents de réguler ou d’arrêter leur consommation de cigarettes, il est vraisemblablement trop tôt pour se prononcer et l’enquête n’offre pas vraiment les moyens de répondre à cette interrogation. Signalons en outre que, parmi les lycéens, le tabagisme est souvent très récent. La question d’arrêter de fumer ne se pose donc pas encore.

Comme avec la chicha, les usages de cigarettes et de cigarettes électroniques s’avèrent fortement liés entre eux, la nature de ces liaisons et les mécanismes qui les sous-tendent restant encore méconnus. Plus de 6 vapoteurs récents sur 10 sont également des fumeurs récents de tabac.

Concernant les facteurs associés, la filière d’études apparaît comme l’une des caractéristiques les plus liées à la consommation de tabac, les lycéens suivant un enseignement professionnel s’avérant nettement plus souvent usagers que les lycéens des filières générales ou technologiques. Ce constat fait écho aux prévalences observées en population adulte, où le tabagisme apparait plus marqué parmi les catégories socioprofessionnelles (ou les niveaux de diplôme) les moins favorisées 14.

En 2015, les lycéens mineurs sont un peu plus nombreux qu’en 2011 à considérer qu’il est difficile de se procurer du tabac. Cette tendance est à rapprocher des résultats de la dernière enquête HBSC, qui ont montré que l’expérimentation de la cigarette était plus tardive en 2014 qu’en 2010 parmi les collégiens. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les générations interrogées actuellement dans les enquêtes ont grandi dans un cadre d’interdiction de vente (la première législation datant de 2003, les plus vieux interrogés ici n’avaient pas encore 9 ans à l’époque). Cependant, le nombre toujours important de fumeurs, notamment parmi les mineurs, rend nécessaire la poursuite de la débanalisation du tabac. Les résultats montrent en outre que les fumeurs mineurs se procurent des cigarettes dans les bureaux de tabac sans difficulté, déclarant d’ailleurs une plus grande accessibilité perçue en 2015. Cet apparent paradoxe, avec une moindre accessibilité perçue chez les mineurs non-fumeurs alors qu’elle apparaît plus grande parmi ceux qui le sont, laisse entendre que l’interdit de vente « fonctionne ». Toutefois, il convient de rappeler qu’une enquête transversale telle qu’ESPAD ne peut à elle seule constituer un moyen d’évaluation ex nihilo d’une mesure ou d’un dispositif. En effet, certains mécanismes sous-jacents d’ordre sociologique et psychologique, également susceptibles d’influencer les représentations comme les motivations d’usages d’une substance, sont difficilement mesurables par des dispositifs d’observation quantitatifs.

Références

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Citer cet article

Le Nézet O, Ngantcha M, Beck F, Spilka S. La consommation de tabac au cours des années lycée. Résultats de l’enquête ESPAD 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(30-31):515-21. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/30-31/2016_30-31_5.html

(1) Ou narguilé : désigne une sorte de grande pipe à eau utilisée pour fumer du tabac, généralement du « tabamel ».
(2) Cet indicateur, utilisé au niveau européen, offre une bonne approximation du milieu social des élèves même si 9,4% des élèves n’ont pas été en mesure de préciser le diplôme de leurs parents.