2016 : une année cruciale dans la lutte contre le tabagisme

// 2016: A critical year for the fight against smoking

François Bourdillon
Directeur général de Santé publique France

Une fois n’est pas coutume, le BEH propose un numéro spécial tabac au deuxième semestre de l’année 2016. Il vient marquer le début d’une grande mobilisation nationale pour inciter les fumeurs à arrêter de fumer : le lancement de l’opération « Moi(s) sans tabac » qui va se dérouler tout au long du mois de novembre 2016.

2016 est une année cruciale dans la lutte contre le tabagisme, marquant l’aboutissement de la volonté politique de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la santé, d’agir sur le premier déterminant de santé qu’est le tabagisme en France. Après avoir lancé un programme national de lutte contre le tabagisme en septembre 2014 et imposé le paquet neutre dans sa loi de modernisation du système de santé, elle a souhaité, à l’instar de ce que font avec beaucoup de succès les Anglais avec la campagne annuelle Stoptober (Stop Tobacco in October), inciter les fumeurs à arrêter de fumer pendant un mois. Quand on arrête de fumer pendant tout un mois, on a cinq fois plus de chances d’arrêter de fumer de manière durable.

L’opération Moi(s) sans tabac est née d’un triple constat :

1. le besoin de mieux mobiliser tout au long de l’année et pas seulement au moment de la journée mondiale de lutte contre le tabagisme. Il y aura dorénavant janvier, mois des bonnes résolutions, mai, qui consacre la mobilisation mondiale, et novembre, avec l’opération Moi(s) sans tabac ;

2. la nécessité de développer de nouvelles approches plus ambitieuses ayant fait la preuve de leur efficacité, articulant le national et le régional, et mobilisant bien au-delà du champ de la santé ;

3. enfin, le succès de l’opération Stoptober en Angleterre. Lors de la première édition, en 2012, les Anglais ont enregistré une augmentation de 50% des tentatives d’arrêt de fumer (voir le texte de Kevin Fenton dans ce numéro). Il est vrai que l’Angleterre peut être un modèle pour la France, puisque le tabagisme y concerne actuellement 17% des adultes quand sa prévalence en France atteint un tiers de la population des plus de 15 ans.

Ce numéro du BEH est donc l’occasion de faire un point de la situation avant le lancement de la grande opération Moi(s) sans tabac. Il présente deux catégories d’articles : d’une part, ceux qui font le constat du tabagisme, de sa prévalence au niveau national et régional, de sa gravité en termes de mortalité, de la consommation de tabac chez les jeunes, du tabagisme au domicile, et qui, pour certains, explorent les fréquences d’usage de la cigarette électronique ; d’autre part, ceux qui présentent l’efficacité, comme aide au sevrage tabagique, de la ligne téléphonique Tabac Info Service ou des consultations de tabacologie.

Le premier constat est qu’en 2015 la prévalence du tabagisme n’a pas baissé en France. Les derniers résultats du Baromètre cancer (INCa – Santé publique France) affichent une stabilité désespérante : le tabagisme concerne 34,6% des 15-75 ans, et le tabagisme quotidien est de 28,8% (33% des hommes et 25% des femmes). L’analyse à l’échelon régional (Baromètre santé 2014, Santé publique France) montre des disparités : les prévalences de tabagisme quotidien les moins élevées sont observées dans les DOM (notamment dans les départements français d’Amérique) et en Île-de-France ; à l’inverse, la prévalence la plus élevée est observée dans la région Grand-Est.

Il y a pourtant quelques embellies. Tout d’abord chez les lycéens, pour lesquels le tabagisme quotidien est orienté à la baisse, avec 23% de lycéens fumeurs en 2015 contre 31% en 2011 ; ces données sont issues de l’enquête ESPAD de l’OFDT, enquête européenne quadriennale qui a porté en 2015 sur 213 établissements français publics et privés. Il y a aussi une embellie concernant le tabagisme à domicile, puisque 28,2% de la population déclarait en 2014 que quelqu’un fume au domicile, en baisse par rapport à 2005 (32,8%) (Baromètres santé). Mais, disons-le, ce chiffre reste trop important, en particulier lorsque vivent des enfants au domicile. Il faut aussi retenir de cette étude que l’interdiction de fumer dans les lieux publics n’a pas entrainé de hausse du tabagisme à domicile, un des grands arguments de ceux qui étaient contre cette mesure de santé publique.

Le second constat est la confirmation du fardeau des décès attribuables au tabac. La dernière estimation réalisée évalue à 73 000 le nombre de décès attribuables au tabagisme pour l’année 2013 (Santé publique France). Mais les données les plus inquiétantes sont les tendances observées entre 2000 et 2013 chez les femmes, pour qui la mortalité a été multipliée par deux, passant d’environ 8 000 à plus de 17 000 décès sur cette période.

Des études d’évaluation de l’efficacité des interventions très encourageantes

Dans ce contexte, les études d’évaluation de l’efficacité des interventions pour l’aide au sevrage tabagique sont les bienvenues, car elles contribuent aux politiques publiques et à l’évolution des pratiques professionnelles. On connaissait l’efficacité du e-coaching de Tabac Info Service à trois mois, et même à six mois chez ceux ayant suivi le programme dans son entier 1.

Nous disposons désormais de données d’efficacité :

1. à six mois, de la ligne téléphonique Tabac Info Service. Les résultats sont cohérents avec les données internationales : le taux d’abstinence à six mois est de 32,4% parmi les fumeurs qui étaient en tentative d’arrêt et de 19,3% parmi les autres fumeurs. Ce dispositif étant quasiment gratuit (comme d’ailleurs les applications pour smartphone correspondantes), il peut être considéré comme un outil qui présente de multiples intérêts, notamment parce qu’il permet aux personnes en tentative d’arrêt de disposer d’une aide immédiate sans délai de rendez-vous ; il constitue aussi certainement un outil précieux de réduction des inégalités sociales et territoriales de santé, puisque il est accessible à tous sur l’ensemble du territoire français.

2. à un mois des consultations de tabacologie. Les résultats sont cohérents avec les données anglaises : le taux d’abstinence maintenue un mois durant est de 45,2% parmi les fumeurs, sachant qu’une grande part des consultants était très dépendante (43%).

On ne peut que se réjouir de constater que, dans le champ du tabagisme, l’évaluation des interventions fait dorénavant partie du paysage de la prévention. L’opération Moi(s) sans tabac, qui aura lieu en novembre 2016 et qui mobilise, d’ores et déjà, plus de 50 partenaires nationaux, dispose également d’un dispositif d’évaluation ambitieux.

Enfin, je note avec intérêt que, désormais, les études intègrent la question de l’usage de la cigarette électronique : dans ce BEH, son usage actuel, avec des données par régions. Il ressort clairement que cet usage est étroitement lié à celui du tabac. Il faudra pour l’avenir établir des définitions précises afin de pouvoir comparer les études entre elles. Nous avons besoin en particulier de pouvoir suivre les usages quotidiens de la cigarette électronique, notion plus restrictive que la notion d’usage actuel.

À la veille de la grande opération Moi(s) sans tabac, je ne peux qu’espérer voir, dès 2017, se casser la courbe de prévalence du tabagisme et la voir évoluer vers la baisse.

Référence

1 Nguyen-Thanh V, Guignard R, Lancrenon S, Arwidson P. Efficacité d’un coaching automatisé par e-mail pour l’arrêt du tabac : un essai contrôlé randomisé. Communication affichée au Colloque « Recherche interventionnelle contre le cancer : réunir chercheurs, décideurs et acteurs de terrain ». Aviesan –INCa, Paris, 17-18 novembre 2014. http://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-la-recherche/Colloques-et-symposiums/RISP-2014

Citer cet article

Bourdillon F. Éditorial. 2016 : une année cruciale dans la lutte contre le tabagisme. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(30-31):494-5. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/30-31/2016_30-31_0.html