Consommation de tabac parmi les adultes en 2020 : résultats du Baromètre de Santé publique France
// Tobacco use among adults in 2020: Results from the Santé publique France Health Barometer
Résumé
Introduction –
La prévalence du tabagisme a diminué en France ces dernières années, avec la mise en place de plans nationaux de lutte contre le tabagisme. Mais la France, comme le reste du monde, a été touchée en 2020 par une crise exceptionnelle liée à la pandémie de Covid-19. L’objectif de cette étude est d’estimer la prévalence du tabagisme en 2020 et son évolution par rapport à 2019.
Méthodes –
Les données proviennent du Baromètre de Santé publique France, enquête téléphonique sur échantillon aléatoire auprès de la population adulte résidant en France métropolitaine, menée entre janvier et mars, puis entre juin et juillet 2020, auprès d’un échantillon total de 14 873 individus.
Résultats –
En 2020, plus de trois adultes de 18-75 ans sur dix déclaraient fumer (31,8%) et un quart déclaraient fumer quotidiennement (25,5%). Pour l’ensemble de la période couverte en 2020, la prévalence du tabagisme et du tabagisme quotidien ne varie pas significativement par rapport à 2019. Cependant, entre 2019 et 2020, la prévalence du tabagisme quotidien a augmenté de 29,8% à 33,3% parmi le tiers de la population dont les revenus étaient les moins élevés. Cette augmentation est essentiellement due à une hausse entre 2019 et début 2020, avant le premier confinement, une stabilisation étant notée en post-confinement. Les inégalités sociales restent ainsi très marquées en 2020, avec 15 points d’écart entre les plus bas et les plus hauts revenus.
Conclusion –
Après une baisse du tabagisme en France métropolitaine de 2014 à 2019, la prévalence se stabilise en 2020. Dans un contexte de crise sanitaire, psychologique, économique et sociale inédite, un des enjeux est de réinstaller une tendance à la baisse, et de renforcer encore la lutte auprès des populations les plus vulnérables face au tabagisme, les inégalités sociales étant très marquées.
Abstract
Introduction –
The smoking rate has decreased in France in recent years, with the implementation of national anti-smoking plans. France, like the rest of the world, was however affected by an exceptional crisis in 2020 linked to the COVID-19 pandemic. The objective of this study is to estimate the smoking rate in 2020 and its evolution since 2019.
Methods –
Data come from the 2020 Health Barometer of the national public health agency, Santé publique France, a telephone survey with random sampling conducted between January and March, then between June and July 2020, among 14,873 adults aged 18-85 living in metropolitan France.
Results –
In 2020, more than three out of ten French people between 18 and 75 years of age reported smoking (31.8%), and a quarter were daily smokers (25.5%). Overall, the smoking and daily smoking rates did not vary significantly between 2019 and 2020.
However, the daily smoking rate increased among the lowest-income third of the population, from 29.8% to 33.3%. This increase is mainly due to an increase between 2019 and early 2020, before the first lockdown. Social inequalities thus remain very pronounced, with a 15-point gap between the lowest and highest incomes.
Conclusion –
After an unprecedented drop in smoking in France in recent years, the prevalence has stabilized in 2020. In a context of exceptional health, psychological, economic and social crisis, one of the challenges is to reinstate a downward trend, and to further strengthen the fight against social inequalities with regard to smoking, which are very marked.
Introduction
La prévalence du tabagisme a diminué en France ces dernières années, passant de 28,5% de fumeurs quotidiens en 2014 à 24,0% en 2019 1. Le Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) 2014-2019 2, puis le Plan national de lutte contre le tabac 2018-2022 (PNLT) 3 ont vraisemblablement contribué à cette baisse, inédite depuis le début des années 2000. En 2020, on peut considérer qu’une partie des mesures phares du PNLT ont été mises en place, avec un paquet de cigarettes qui a atteint 10 €, et le remboursement à 65% par l’Assurance maladie de traitements nicotiniques de substitution (TNS) sur ordonnance, comme n’importe quel médicament, mesures qui ont montré leur efficacité pour réduire le tabagisme 4,5,6. L’objectif de la première génération sans tabac à l’horizon 2030 a été réaffirmé lors du lancement de la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 7. La mesure annuelle de la prévalence tabagique fait partie des orientations données par les instances gouvernementales, en tant qu’outil de suivi de l’impact des politiques mises en place.
Malgré ces évolutions encourageantes, la prévalence reste très élevée en France et la mortalité attribuable au tabagisme, qui reflète la durée et l’intensité des consommations passées, a été estimée à 75 000 décès en 2015, soit 13% des décès survenus en France métropolitaine 8.
La France, comme le reste du monde, a été touchée en 2020 par une crise sanitaire et sociale exceptionnelle, liée à la pandémie de Covid‑19. Le premier confinement généralisé, décrété le 17 mars, a provoqué un bouleversement des modes de vie, avec des répercussions psychologiques, économiques, sanitaires et sociales et un impact sur la santé mentale et les comportements de santé. L’enquête CoviPrev, enquête sur Internet mise en place par Santé publique France pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie de Covid-19, démarrée deux semaines après le début du 1er confinement de mars 2020, a montré que, fin mars 2020, 55% des fumeurs n’avaient pas modifié leur consommation de tabac, 19% l’avaient diminuée et 27% l’avaient augmentée 9,10.
Qu’en est-il de la prévalence du tabagisme en 2020 ? L’objectif principal de cette étude est de l’estimer à partir du Baromètre de Santé publique France et de mesurer son évolution par rapport à 2019, ainsi que d’observer les tendances sur les dernières décennies. Un objectif secondaire imposé par le contexte de crise sanitaire de 2020 est d’étudier les évolutions entre le début de l’année 2020 avant le confinement, et la mi-2020 à la sortie de ce confinement. Pour plus de lisibilité, ce second objectif est présenté dans un encadré.
Évolutions entre 2020 avant le 1er confinement (pré-confinement) et 2020 en sortie de 1er confinement
(post-confinement)
Parmi les 18-75 ans, la prévalence du tabagisme avant le premier confinement (de janvier à mi-mars 2020) s’élevait à 32,7%, en hausse par rapport à la prévalence 2019 (30,4%, calculée sur l’ensemble du terrain allant de janvier à juin 2019, p<0,05). Puis elle a diminué en post-confinement (de juin à juillet 2020) pour revenir au même niveau qu’en 2019 (30,5%, p<0,05).
La prévalence du tabagisme quotidien n’a pas significativement varié entre 2019 (24,0%), le pré-confinement (25,6%) et le post-confinement (25,3%).
Des évolutions différenciées selon le niveau socio-économique ont cependant été observées :
– le tabagisme quotidien a augmenté parmi le tiers de la population ayant les revenus les moins élevés entre 2019 et le pré-confinement de 29,8% à 34,3% (p<0,05), puis s’est stabilisé lors du post-confinement (31,6%).
– Parmi les personnes dont le diplôme le plus élevé est équivalent au bac, la prévalence du tabagisme quotidien a augmenté entre 2019 et le pré-confinement (22,4% à 26,7%, p<0,05), avant de se stabiliser ensuite (27,0%).
Par ailleurs, la part de fumeurs quotidiens déclarant avoir fait une tentative d’arrêt au cours des 12 derniers mois était stable entre pré- et post-confinement. Le nombre moyen de cigarettes fumées par jour par les fumeurs quotidiens n’a pas varié significativement.
Méthode
Source de données
Cette étude a été réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2020. La méthode d’enquête est identique à celle du Baromètre de Santé publique France 2019 11 et repose sur une génération aléatoire de numéros de téléphone fixe et mobile. Les participants (âgés de 18 à 85 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français) sont sélectionnés via un sondage aléatoire à deux degrés sur ligne fixe (sélection aléatoire d’un individu éligible par ménage) et une interrogation de la personne qui décroche sur ligne mobile. L’enquête a été menée par téléphone par l’Institut Ipsos. Elle a démarré le 8 janvier 2020 et a été stoppée le 16 mars avec la mise en place des mesures de confinement. À cette date, 9 178 personnes avaient été interrogées. Le taux de participation révisé est de 40,0%, pour un questionnaire d’une durée moyenne de 33 minutes. L’enquête a repris le 4 juin et s’est achevée le 28 juillet, permettant ainsi d’interroger 5 695 nouvelles personnes. Pour cette seconde phase d’enquête, le taux de participation révisé est de 47,6%, avec un questionnaire réduit (faisabilité en période de crise) d’une durée moyenne de 19 minutes mais sans incidence sur le recueil des variables utilisées dans cette étude. Au total, 14 873 personnes ont ainsi été interrogées sur leur consommation de tabac dans le cadre du Baromètre de Santé publique France 2020 : 13 725 personnes âgées de 18 à 75 ans ont répondu à l’ensemble des questions du module tabac et 1 148 personnes âgées de 76 à 85 ans ont répondu à la version écourtée du module pour alléger la passation du questionnaire auprès de cette population.
Les estimations ont été pondérées afin de tenir compte de la probabilité d’inclusion (au sein du ménage et en fonction de l’équipement téléphonique), puis redressées sur la structure de la population par sexe croisé avec l’âge en tranches décennales, région, taille d’unité urbaine, taille du foyer et niveau de diplôme (population de référence : Insee, Enquête emploi 2018). Une pondération a été calculée pour les interviews réalisées avant le confinement, une autre pour celles réalisées après le confinement, et une dernière pour l’ensemble des interviews réalisées en 2020.
Variables d’intérêt
Est qualifié de fumeur quotidien un individu déclarant fumer tous les jours ou déclarant un nombre de cigarettes consommées (manufacturées ou roulées), de cigares, de cigarillos ou de chicha par jour. Est qualifié de fumeur occasionnel un individu déclarant fumer mais pas quotidiennement. Le terme « fumeur » (et par extension le terme « tabagisme ») sans précision désigne tout individu fumeur, que sa consommation soit quotidienne ou occasionnelle. Est qualifiée d’« ex-fumeur » une personne qui a fumé dans le passé, que ce soit occasionnellement ou quotidiennement et qui déclare ne pas fumer au moment de l’enquête. Une personne qui déclare avoir fumé seulement une ou deux fois pour essayer est considérée comme n’ayant jamais fumé. Les quantités de tabac fumées ont été calculées avec les équivalences utilisées dans les Baromètres de Santé publique France suivantes : 1 cigare = 1 cigarillo = 2 cigarettes.
Les tentatives d’arrêt d’au moins une semaine au cours de la dernière année ont été mesurées au sein des fumeurs quotidiens.
Enfin, l’usage d’e-cigarette est mesuré par trois indicateurs issus de trois questions idoines : les prévalences de l’expérimentation au cours de la vie, de l’usage actuel et de l’usage quotidien. L’usage actuel comprend l’usage quotidien et l’usage occasionnel. Seules les prévalences sont présentées ici afin de suivre l’évolution des trois indicateurs entre 2019 et 2020. Des études sur le lien entre vapotage et statut tabagique ont par ailleurs été réalisées sur de précédentes éditions du Baromètre de Santé publique France et sont présentées dans d’autres publications 12.
Ces définitions sont les mêmes que celles utilisées dans les précédentes analyses de l’enquête Baromètre de Santé publique France. Le questionnaire complet est disponible par ailleurs 13.
Analyses
Les prévalences du tabagisme sont présentées selon plusieurs variables sociodémographiques : sexe, niveau de diplôme (aucun diplôme, inférieur au bac, bac ou équivalent, supérieur au bac), niveau de revenu mensuel par unité de consommation du foyer de la personne interrogée en terciles de la distribution observée dans l’échantillon (1er tercile [0 €-1 100 €], 2e tercile ]1 100 €-1 800 € [, 3e tercile [1 800 €-9 000 €]) et situation professionnelle (en emploi, au chômage, en études ou inactif). Cette dernière variable n’étant disponible que pour les moins de 65 ans.
Les résultats principaux portent sur la tranche d’âge 18-75 ans, commune aux éditions précédentes de ces enquêtes. La prévalence du tabagisme a également été calculée parmi les 76-85 ans de façon séparée.
La prévalence du tabagisme parmi les 18-75 ans est calculée à partir des données des Baromètres de Santé publique France 2000 (n=12 588), 2005 (n=28 226), 2010 (n=25 034), 2014 (n=15 186), 2015 (Baromètre Cancer, n=3 832 ; du fait de l’effectif moins important, seuls les résultats par sexe sont présentés pour 2015), 2016 (n=14 875), 2017 (n=25 319), 2018 (n=9 074), 2019 (n=9 611) et 2020 (n=13 725, pré-confinement n=8 473 et post-confinement n=5 252).
Les évolutions temporelles de la prévalence entre 2019 et 2020, ainsi que les évolutions observées entre 2020 avant le 1er confinement (pré-confinement) et 2020 en sortie de 1er confinement (post-confinement) ont été testées statistiquement au moyen du test du Chi2 de Pearson avec correction de second ordre de Rao-Scott, pour tenir compte du plan de sondage pour les variables dichotomiques, et au moyen du test de Wald pour les moyennes de variables continues.
Les prévalences observées entre 2000 et 2020 sont représentées graphiquement, mais les tests de différence portent sur les années 2019 et 2020. Les évolutions entre 2019, 2020 pré-confinement et 2020 post-confinement sont mentionnées dans un encadré dédié. Les estimations et évolutions sur les années précédentes, ainsi que les protocoles des enquêtes en question, sont détaillées dans des publications dédiées 1,14.
Résultats
Prévalence du tabagisme en 2020 et évolution par rapport à 2019
En 2020, 31,8% des personnes âgées de 18 à 75 ans ont déclaré fumer du tabac : 36,2% des hommes et 27,7% des femmes (p<0,001). La prévalence du tabagisme quotidien s’élevait à 25,5%, soit 29,1% parmi les hommes et 22,0% parmi les femmes (p<0,001). La prévalence du tabagisme occasionnel s’élevait à 6,4%, soit 7,1% parmi les hommes et 5,7% parmi les femmes (p<0,01).
En 2020, les personnes de 76-85 ans ont également été interrogées. Dans cette tranche d’âge, la prévalence du tabagisme était de 4,8% et de 4,1% pour le tabagisme quotidien. La prévalence du tabagisme parmi les 18-85 ans était ainsi de 29,9%, et 23,9% déclaraient fumer quotidiennement.
Entre 2019 et 2020, les variations de la prévalence du tabagisme et du tabagisme quotidien ne sont pas significatives parmi les personnes âgées de 18 à 75 ans. L’analyse de la prévalence du tabagisme quotidien selon le sexe ne montre pas non plus d’évolution significative, l’écart entre hommes et femmes se maintenant (figure 1). La proportion d’ex-fumeurs est stable, passant de 31,9% en 2019 à 32,7% en 2020. La part de personnes déclarant n’avoir jamais fumé diminue de 37,7% à 35,5% sur la période (figure 2).
Différences selon des facteurs socio-économiques et évolution
Les inégalités sociales en matière de tabagisme ont été mesurées dans cette étude à partir de trois indicateurs socio-économiques (figure 3).
Selon le niveau de diplôme
La prévalence du tabagisme quotidien a augmenté parmi les personnes de 18-75 ans titulaires d’un baccalauréat entre 2019 et 2020 (de 22,4% à 26,9%), alors qu’elle n’a pas évolué significativement dans les autres catégories. La prévalence du tabagisme quotidien restait en 2020 nettement plus élevée lorsque le niveau de diplôme était plus faible : elle variait de 35,8% parmi les personnes n’ayant aucun diplôme à 17,3% parmi les titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat (figure 3a).
Selon le niveau de revenu par unité de consommation
Entre 2019 et 2020, la prévalence du tabagisme quotidien a augmenté parmi le tiers de la population ayant les revenus les moins élevés, de 29,8% à 33,3%. Le constat reste le même en 2020 que les années précédentes : plus le revenu est élevé, plus la prévalence du tabagisme quotidien est faible. La prévalence du tabagisme quotidien est de 33,3% parmi les personnes dont le revenu correspondait au tercile le plus bas vs 18,0% pour le tercile le plus élevé (figure 3b).
Selon la situation professionnelle
Enfin, parmi les 18-64 ans, la prévalence du tabagisme quotidien est restée stable entre 2019 et 2020 dans toutes les catégories étudiées. Elle reste nettement plus élevée parmi les personnes au chômage (43,9% en 2020), que parmi les étudiants et inactifs (24,3%) et les actifs occupés (27,1%) (figure 3c).
Quantité de tabac fumée
En 2020, les fumeurs quotidiens de 18-75 ans ont déclaré fumer en moyenne 13,0 cigarettes (ou équivalent) par jour (écart-type=9,4). La variation par rapport à 2019 n’était pas significative (12,5 en 2019). Les femmes ont déclaré fumer en moyenne moins que les hommes avec 11,7 versus 14,1 cigarettes en moyenne par jour (p<0,001).
Tentatives d’arrêt
En 2020, 29,9% des fumeurs quotidiens avaient fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine au cours des 12 derniers mois. Cette proportion est en baisse significative par rapport à 2019 (33,4%, p<0,05), mais reste à un niveau supérieur aux années précédentes (autour de 25% entre 2016 et 2018).
Usage de produits de vapotage
En 2020, 37,4% des 18-75 ans ont déclaré avoir déjà expérimenté la cigarette électronique, en hausse par rapport à 2019 (34,4%, p<0,001). L’usage actuel d’une vapoteuse a été déclaré par 5,4% des 18-75 ans, et la prévalence du vapotage quotidien s’élevait à 4,3%, proportions stables par rapport à 2019.
Discussion
En 2020, en France métropolitaine plus de 3 personnes de 18-75 ans sur 10 ont déclaré fumer (31,8%) et un quart d’entre eux ont déclaré fumer quotidiennement (25,5%). Les variations de la prévalence du tabagisme et du tabagisme quotidien par rapport à 2019 ne sont globalement pas significatives. La prévalence du tabagisme quotidien augmente cependant de façon significative parmi le tiers de la population dont les revenus sont les moins élevés.
Ces résultats globaux sont cohérents avec d’autres données françaises. Les livraisons de tabac aux buralistes en 2020 ont diminué de 1,3%, baisse d’ampleur assez faible par rapport à celle observée en 2019 par rapport à 2018 (-6,6%). Cette stabilité relative n’est peut-être pas uniquement due aux confinements ayant entrainé un report des achats transfrontaliers dans le réseau des buralistes français, mais également à une stabilité du nombre de consommateurs 15.
Les différences de prévalence du tabagisme quotidien selon les groupes socio-économiques restent très importantes en 2020, avec par exemple 15 points d’écart entre le tiers de la population ayant les revenus les plus bas et le tiers touchant les revenus les plus élevés. L’augmentation de la prévalence observée entre 2019 et 2020 parmi les populations les moins favorisées en matière de revenus est essentiellement due à une hausse entre 2019 et début 2020, avant le premier confinement. Cette hausse s’inscrit dans un contexte de crise sociale en France qui a démarré fin 2018, avec le « mouvement des gilets jaunes », marqué notamment par une contestation des inégalités socio-économiques. Cette crise a fortement concerné les populations de plus faible niveau socio-économique. Or parmi les populations les moins favorisées, la cigarette pourrait être utilisée pour gérer le stress ou pour surmonter les difficultés du quotidien, malgré le coût de plus en plus important de ce produit 16. En revanche, notre étude suggère que le début de l’épidémie de Covid-19 et les mesures de restriction mises en place (dont le confinement généralisé de la population) ne semblent pas avoir eu d’impact défavorable sur la prévalence tabagique au premier semestre 2020.
Le niveau de prévalence du tabagisme reste élevé en France par rapport aux pays anglo-saxons : en 2019 la prévalence du tabagisme s’élevait à 14% au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie 17,18,19. Par ailleurs les inégalités sociales marquées observées en France l’étaient également en 2019 au Royaume-Uni où la prévalence variait de 9% parmi les cadres à 23% parmi les ouvriers, ainsi qu’aux États-Unis où la prévalence était de 4% parmi les personnes les plus diplômées versus 35% parmi les moins diplômées et de 7% vs 21% en fonction des revenus.
Plusieurs résultats demandent à être consolidés :
–La prévalence du tabagisme a varié entre 2019, 2020 pré-confinement et 2020 post-confinement, alors que la prévalence du tabagisme quotidien n’a pas varié de façon significative. Le tabagisme quotidien est certainement un indicateur plus stable que le tabagisme qui inclut les fumeurs occasionnels. Ces derniers ont peut-être davantage été impactés par le contexte, et ont pu arrêter leurs consommations pendant les crises sociales et sanitaires de cette période récente.
–La baisse de la proportion de personnes de 18-75 ans déclarant n’avoir jamais fumé n’est pas cohérente avec les derniers indicateurs disponibles auprès des jeunes. Parmi les lycéens en 2018, 53,0% déclaraient avoir expérimenté le tabac, en baisse par rapport à 2015 (60,9%) 20. Les prochaines éditions des enquêtes chez les jeunes et chez les adultes permettront de confirmer ou non cette tendance. Des initiations plus tardives (après la majorité) sont également possibles.
Forces et limites
La force de cette étude repose sur l’utilisation d’une enquête de grande ampleur, basée sur une méthodologie de sondage aléatoire et un protocole d’appels destiné à maximiser les chances de chaque individu d’être joint et interrogé. La méthode d’enquête tend ainsi à représenter la diversité des comportements de la population résidant en France métropolitaine, parlant le français et équipée d’une ligne téléphonique. Par ailleurs, la méthode est relativement stable depuis plusieurs années, de même que les questions interrogeant la consommation de tabac, ce qui permet de disposer d’indicateurs standardisés et d’un certain recul sur les évolutions observées.
Deux principales limites peuvent être évoquées :
–le Baromètre de Santé publique France est une enquête déclarative, ce qui peut entraîner un biais de sous-déclaration (biais de désirabilité sociale ou de mémoire par exemple), même s’il est sans doute assez faible dans les enquêtes observationnelles 21 ;
–la baisse du taux de réponses observée en France comme à l’international et le problème que cela pose en matière de représentativité des échantillons.
Ces limites ont été discutées plus en détail dans les articles sur la consommation de tabac en 2018 et en 2019 1,22.
Soulignons également que l’interruption de l’enquête de terrain lors du premier confinement a eu un impact sur la période d’enquête. Alors que le recueil de données du Baromètre de Santé publique France se déroule habituellement tout au long du premier semestre de l’année, l’enquête en 2020 a été interrompue entre mars et avril. Les périodes d’enquête ne sont donc pas strictement comparables. Au-delà de la période d’enquête, la prévalence du tabagisme en 2020 a été estimée lors d’une période exceptionnelle, et les évolutions à plus long terme seront nécessaires pour dégager des tendances.
Enfin, les Baromètres de Santé publique France 2019 et 2020 ont porté sur des effectifs inférieurs à 15 000 personnes : la puissance pour analyser les évolutions annuelles par sous-groupes est ainsi limitée, et des évolutions de petite ampleur ne peuvent pas être détectées. C’est pour cette raison que les évolutions de la prévalence du tabagisme quotidien ne sont pas présentées par sexe et tranche d’âge dans cette étude.
La mesure annuelle de la prévalence du tabagisme joue un rôle majeur dans le pilotage des politiques publiques, mais l’analyse des évolutions sur un plus long terme est indispensable pour observer des tendances dans les changements de comportements qui peuvent mettre plusieurs années à se dégager 1.
Conclusion
Après une baisse inédite du tabagisme en France ces dernières années, dans un contexte de lutte antitabac renforcée par des plans nationaux, une stabilité a été observée entre 2019 et 2020. Dans un contexte de crise sanitaire, économique et sociale inédite, un des enjeux sera de réinstaller une tendance à la baisse, et de renforcer encore la lutte contre les inégalités sociales face au tabagisme, qui sont encore très prononcées et semblent même marquer un rebond entre 2019 et 2020.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article
Références
solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNRT2014-2019.pdf
pdf/feuille_de_route_-_strategie_decennale_de_lutte_contre_les_cancers.pdf
15_2.html
fr/etudes-et-enquetes/coviprev-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie-de-covid-19
barometre-de-sante-publique-france-2019-methode
enquetes-etudes/barometre-de-sante-publique-france-2017.-usage-de-la-cigarette-electronique-tabagisme-et-opinions-des-18-75-ans
santepubliquefrance.fr//2015/17-18/2015_17-18_1.html
adultsmokinghabitsingreatbritain/2019
summary
publications/collections/periodiques/lettre-tendances/usages-dalcool-de-tabac-et-de-cannabis-chez-les-adolescents-du-secondaire-en-2018-tendances-132-juin-2019/