Tabado, un programme pertinent d’accompagnement des lycéens professionnels et apprentis à l’arrêt du tabac développé en milieu scolaire

// Tabado, a relevant program to support vocational high school students and apprentices in quitting smoking

François Cathelineau1 (francois@agencephare.com), Marion Le Tyrant1, Martin Audran1, Antoine Deutsch2, Clara Jeannin2
1 Agence Phare, Paris
2 Institut national du cancer, Boulogne-Billancourt
Soumis le 01.03.2021 // Date of submission: 03.01.2021
Mots-clés : Évaluation | Intervention | Accompagnement | Tabac | Jeunes
Keywords: Evaluation | Program | Support | Tobacco | Youth

Résumé

Si les politiques publiques menées en France depuis 30 ans ont contribué à faire diminuer les consommations de tabac chez les jeunes, celles-ci restent inégalement réparties : les jeunes issus de milieux sociaux moins favorisés restent fortement consommateurs. Le programme Tabado vise à accompagner lycéens professionnels et apprentis, marqués par une prévalence tabagique élevée, dans l’accès au sevrage tabagique. Jugé probant lors de son expérimentation en 2009, il a été déployé auprès de 142 établissements scolaires lors de l’année 2019-2020.

Les résultats présentés dans cet article, produits dans le cadre de l’évaluation du programme, s’appuient sur un questionnaire passé aux jeunes de ces établissements scolaires en amont du déroulement de l’intervention. Il a recueilli 34 669 réponses.

L’analyse statistique met en évidence plusieurs résultats. Tout d’abord, le déploiement du programme à grande échelle conduit à une diversification limitée du profil du public-cible. Celui-ci se caractérise par des consommations élevées et variées de tabac ainsi que par des phénomènes de polyconsommation. La population enquêtée est également marquée par des tentatives et des volontés d’arrêt élevées, tout en ne recourant aux aides existantes que de manière très limitée.

L’étude montre la pertinence d’un programme proposant une approche universelle proportionnée afin de réduire les inégalités de santé chez les publics jeunes particulièrement exposés au tabagisme et propose des pistes d’approfondissement du programme.

Abstract

Although the public policies implemented in France over the past 30 years have helped to reduce tobacco consumption among young people, a social gradient still exists in smoking consumption among French youth. The Tabado program aims to help high school students and apprentices, who are marked by a high prevalence of smoking, to quit smoking. The program was deemed effective during its pilot phase in 2009, and was rolled out in 142 schools in 2019-2020.

The results presented in this article, produced as part of the program evaluation, are based on a questionnaire given to the young people in these schools prior to the intervention. It collected 34,669 responses.

Statistical analysis highlights several results. Firstly, the large-scale deployment of the program leads to a limited diversification of the profile of the target public in socio-demographic terms. The target audience is caracterized by high and varied tobacco consumption and multiple consumption. Secondly, the survey population is marked by high quit attempts and willingness to quit, while making only very limited use of existing aids.

The study shows the relevance of a program that proposes a proportionate universal approach to reduce health inequalities among young people who are particularly exposed to tobacco use and suggests ways to further develop the program.

Introduction

En France, la lutte contre le tabagisme s’est imposée comme une priorité politique nationale au cours des 30 dernières années 1. La promulgation de la loi Evin relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme interdit notamment, depuis 1991, la publicité et la vente du tabac aux mineurs de moins de 16 ans. D’autres mesures emblématiques de prévention du tabagisme auprès des jeunes ont été mises en place grâce aux différents Plans cancer (2003, 2009 et 2014) puis par le Programme national de lutte contre le tabac (2018-2022). Les mesures telles que l’extension de l’interdiction de vente du tabac aux moins de 18 ans (2009), la généralisation des paquets neutres (2016) ou encore l’augmentation continue du prix du tabac ont également permis de contribuer à une baisse de 7 points de la prévalence tabagique quotidienne chez les jeunes de 17 ans sur la période 2014-2017 2. Or, l’ambition politique ne vise pas seulement à réduire le nombre de fumeurs, en particulier des plus jeunes, mais aussi à « dénormaliser » le tabac et la pratique du tabagisme 3. L’objectif politique affiché dans le cadre du dernier Programme national de lutte contre le tabac (2018-2022) entend à ce titre particulièrement cibler les jeunes générations et ainsi faire émerger une « génération sans tabac » d’ici 2032. Cependant, cette baisse tendancielle du tabagisme chez les jeunes masque d’importantes disparités. Les jeunes scolarisés dans les établissements techniques et professionnels, plus souvent issus de milieux sociaux moins favorisés que dans l’enseignement général, fument davantage que ceux des filières générales 4. En 2017, le niveau d’usage quotidien de tabac des apprentis âgés de 17 ans était ainsi deux fois plus élevé que parmi l’ensemble des lycéens du même âge (47,3% contre 22%) 2.

Dans ce contexte, l’Institut national du cancer (INCa), soutenu par le fonds de lutte contre les addictions, coordonne depuis 2018 le déploiement progressif de Tabado sur l’ensemble du territoire. Il s’agit d’un programme d’accompagnement au sevrage tabagique élaboré entre 2007 et 2009 par une équipe de l’Université de Lorraine et du CHU de Nancy auprès de huit centres de formation des apprentis (CFA) 5 et qualifié de probant à la suite de son évaluation 6. Tabado a été déployé dans 12 régions (11 métropolitaines et 1 en Outre-mer) auprès de 142 établissements lors de l’année scolaire 2019-2020.

L’intervention Tabado consiste à proposer, désormais au sein de trois types d’établissements scolaires (CFA, lycées professionnels, Maisons familles rurales (MFR)), un dispositif en trois temps : une séance d’information en classe entière sur le tabac et le sevrage ; une ou plusieurs consultations individuelles avec un tabacologue/addictologue et jusqu’à quatre ateliers motivationnels de groupe pour les jeunes inscrits au programme. L’intégralité du dispositif Tabado se décline « entre les murs » des établissements scolaires, selon une logique « d’aller-vers » 7. Par une double logique d’action de sensibilisation et d’accompagnement au sevrage tabagique, le programme Tabado entend agir sur la réduction des inégalités sociales de santé chez les jeunes.

Cet article présente les résultats relatifs à la pertinence du programme Tabado en contexte de déploiement à grande échelle. Il présente les caractéristiques de la population cible du programme alors que celui-ci est effectif auprès d’établissements scolaires variés, sur l’ensemble du territoire national.

Matériel et méthodes

Nous étudions ici les résultats du questionnaire diffusé à l’ensemble des élèves des établissements bénéficiant de l’intervention Tabado à la rentrée scolaire 2019. Ce questionnaire a été renseigné par les élèves en début d’année scolaire, avant que les premières interventions du programme n’aient lieu.

Objectifs du questionnaire

Le questionnaire « pré-intervention » a pour objectif de décrire quantitativement la population à laquelle s’adresse Tabado, afin de mieux connaître le profil des jeunes des établissements. Il s’agit de vérifier que le programme, en contexte de déploiement, continue de s’adresser à des jeunes plus exposés au tabagisme que la moyenne de la population de cette tranche d’âge.

Le questionnaire décrit des types de consommation (tabac, cannabis, boissons alcoolisées, cigarettes électroniques et chicha) et les représentations des jeunes répondants sur le tabac afin de dresser un état des lieux des niveaux et types de consommation des jeunes à T0, c’est-à-dire avant le début des interventions dans l’établissement scolaire. Il permet également de mesurer les besoins d’arrêt du tabac exprimés, à partir des déclarations des répondants sur leurs motivations à arrêter et leurs tentatives antérieures.

Modalités de passation et répondants

Le questionnaire a été diffusé auprès des jeunes de 142 établissements à la rentrée scolaire 2019. Le questionnaire a été distribué et rempli en classe. Afin de garantir la plus grande liberté de réponse aux jeunes, le questionnaire était anonyme.

La diffusion du questionnaire a permis de recueillir 34 669 réponses, soit un taux de réponse proche de 63% et un taux d’achèvement individuel moyen (c’est-à-dire un niveau de complétion du questionnaire) de 96%.

Modalités d’analyse

L’analyse visait à mesurer l’adéquation entre les objectifs du programme Tabado et les caractéristiques des publics ciblés. Les variables descriptives mobilisées sont les suivantes : sexe, âge, origine sociale et type d’établissement. La variable d’intérêt principale est le niveau de consommation de cigarettes, complétée d’autres variables d’intérêt (niveaux de consommation de chicha, de e-cigarette, d’alcool et de cannabis, recours aux aides, volonté et tentatives d’arrêt antérieures).

L’analyse a été menée à deux niveaux. Tout d’abord, une « comparaison interne » des résultats, réalisée grâce à des analyses descriptives et bivariées des données du questionnaire, ainsi qu’à des régressions logistiques, a permis de mettre en évidence et de comparer les facteurs explicatifs des consommations de tabac observées et des souhaits d’arrêter en fonction des profils sociodémographiques des jeunes et des contextes (types d’établissements, région). Ensuite, une « comparaison externe » des résultats a permis de situer et contextualiser les résultats par rapport à des enquêtes récentes sur les consommations tabagiques des jeunes en France (enquêtes Escapad 2017 2 et EnClass 2018 8). Certaines variables ont ainsi été recodées suivant la classification utilisée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) dans ces enquêtes afin de favoriser la comparaison. De plus, une variable synthétique portant sur l’origine sociale des répondants a été créée, en référence aux catégories retenues dans l’enquête Escapad 2017 : cette catégorisation commune permet la comparaison des caractéristiques sociodémographiques de la population enquêtée avec la population générale.

Résultats

L’analyse du questionnaire « pré-intervention » diffusé en 2019 a permis d’étudier les caractéristiques du public visé par le déploiement à grande échelle du programme Tabado.

Une diversification limitée du public-cible

L’étude montre que le déploiement du programme Tabado à grande échelle, intégrant les lycées professionnels et les MFR, a conduit à une diversification limitée du public-cible en ce qui concerne ses caractéristiques sociodémographiques. L’âge moyen est de 17,2 ans en 2019 contre 16,8 ans 10 ans plus tôt, lors de l’expérimentation de Tabado 5. De plus, le public cible du programme tend à se féminiser (64,8% de garçons en 2019-2020 contre 82% en 2007-2009) bien qu’il reste majoritairement masculin (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des enquêtés dans le cadre du déploiement du programme Tabado. France, 2019-2020
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En ce qui concerne les caractéristiques socioéconomiques des jeunes, qui constituent un facteur très structurant de leurs niveaux et pratiques de consommation de tabac 4, les résultats montrent la permanence de jeunes d’origine sociale modeste dans la population ciblée. Tous établissements confondus, 59% des répondants étaient issus d’un milieu social modeste (c’est-à-dire issus de familles dont la profession la plus élevée des parents est ouvrier ou employé) ou défavorisé (c’est-à-dire issus de familles dont les deux parents sont déclarés sans activité professionnelle), contre 46,8% pour les enquêtes en population moyenne 2.

Sur le plan scolaire, 48,9% des répondants étudiaient dans des lycées professionnels (y compris agricoles). Les apprentis (étudiant en CFA, CFA agricole ou MFR), représentaient quant à eux 38,2% des répondants. Parmi les répondants, 11,5% étaient scolarisés en lycée polyvalent.

Des niveaux élevés de consommations de tabac

Les élèves et apprentis ciblés par le programme Tabado avaient des niveaux de consommation de tabac élevés. Ils déclaraient avoir très largement expérimenté la cigarette, à des niveaux supérieurs à la population lycéenne globale (63,6% des répondants et répondantes au questionnaire, contre 53,5% des répondants en enquêtes représentatives des lycéens en population générale 8). En outre, 35,9% des répondants déclaraient avoir fumé au moins une cigarette au cours du mois précédant la réponse au questionnaire (usage régulier) et 27,2% déclaraient fumer au moins une cigarette par jour (usage quotidien). La part de fumeurs et fumeuses intensifs était également importante : 9,0% des répondants déclaraient fumer plus de 10 cigarettes par jour.

Les résultats variaient cependant en fonction de plusieurs critères. L’usage quotidien de tabac augmentait ainsi significativement avec l’âge. Alors que 20,8% des enquêtés de moins de 17 ans déclaraient fumer quotidiennement, ils étaient 28,4% à 17 ans et 35,1% parmi les plus de 17 ans. L’usage intensif (plus de 10 cigarettes par jour) suivait la même tendance. Situé à un niveau relativement faible parmi les moins de 17 ans, il augmentait significativement à 17 ans (9,2%) et parmi les plus de 17 ans (12,7%). Ces résultats questionnent ainsi l’adaptation du programme selon les tranches d’âge auxquelles il s’adresse.

Deux autres critères faisaient également varier les résultats : le sexe (les garçons consommant plus fréquemment et plus intensément des cigarettes que les filles) et le type d’établissement scolaire, les jeunes scolarisés en CFA déclarant un usage quotidien de cigarettes supérieur de 20 points aux lycéens professionnels ; un écart de 10 points se retrouvait également dans l’usage intensif de cigarettes (tableau 2).

Tableau 2 : Expérimentation et niveaux d’usage de cigarettes des enquêtés, selon le type d’établissement.
Enquête Tabado, France, 2019-2020
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D’une manière générale, par rapport aux échantillons représentatifs de la population générale, les élèves et apprentis des établissements scolaires ciblés par Tabado sont plus fréquemment fumeurs intensifs (tableau 3).

Tableau 3 : Usages de tabac et e-cigarette des enquêtés et comparaison avec la population générale.
Enquête Tabado, France, 2019-2020
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Des modes de consommation variés et combinés

Les enquêtes menées mettent également en évidence la variété des modes de consommation du tabac chez les jeunes. En ce qui concerne la chicha, on constate des niveaux de consommation élevés (36,3% des répondants en ont consommé dans le mois), ainsi qu’un lien entre la consommation de chicha et celle de cigarettes (parmi les fumeurs intensifs de l’enquête 2019-2020, 63,5% ont fumé la chicha dans le mois).

Le phénomène est similaire avec d’autres substances psychoactives, davantage utilisées par les jeunes des établissements ciblés par Tabado que la moyenne, et en particulier par les consommateurs intensifs de cigarette. L’utilisation de cigarette électronique (ou e-cigarette) était ainsi fréquente parmi les répondants au questionnaire : 38,6% en déclaraient un usage occasionnel (utilisation au moins une fois dans le mois), 14,9% un usage régulier (utilisation au moins 10 fois dans le mois) et 9,7% un usage quotidien. En ce qui concerne les polyconsommations, les fumeurs quotidiens étaient également souvent consommateurs réguliers de cannabis ou d’alcool ou des deux substances : parmi les fumeurs quotidiens, 30,0% déclaraient ainsi consommer du cannabis au moins 10 fois par mois. Les usages conjoints du tabac et de la e-cigarette étaient importants : 30,3% des fumeurs quotidiens avaient un usage régulier de la e-cigarette et 64,7% un usage récent.

Des tentatives et volontés d’arrêt élevées

L’étude met ensuite en évidence l’importance des tentatives d’arrêt parmi les fumeurs-euses répondant au questionnaire. Plus de la moitié d’entre eux (53,5%) déclarait avoir essayé d’arrêter au moins une fois de fumer des cigarettes. Plus précisément, 14,5% déclaraient avoir essayé d’arrêter une fois, 26% deux ou trois fois et 12,9% plus de trois fois (figure 1).

Les fumeurs occasionnels ont plus souvent tenté d’arrêter de fumer que les fumeurs quotidiens et intensifs.

Figure 1 : Tentatives d’arrêt du tabac des enquêtés au cours des 12 derniers mois en fonction de la fréquence de consommation de cigarettes. Enquête Tabado, France, 2019-2020
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La fréquence des tentatives d’arrêt récentes déclarées témoigne qu’une partie importante des lycéens professionnels et apprentis se situe déjà dans une démarche d’arrêt ou de réduction de la consommation de cigarettes. Ce résultat est corroboré par les volontés déclarées d’arrêter la cigarette des enquêtés fumeurs : près d’un quart d’entre eux (24,4%) souhaitait arrêter dans les 12 prochains mois et quasiment la moitié (47,9%) à plus long terme.

Les volontés d’arrêt étaient liées aux niveaux de consommation de tabac : plus l’usage de cigarette était intensif, moins les volontés d’arrêt à court terme étaient importantes (figure 2).

Une analyse par régression logistique a mis en évidence le rôle de l’âge dans les volontés d’arrêt des jeunes. Avoir plus de 17 ans était ainsi associé à des chances plus importantes de vouloir arrêter de fumer.

Figure 2 : Volonté d’arrêter de fumer des enquêtés en fonction de la fréquence de consommation de cigarettes. Enquête Tabado, France, 2019-2020
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Un recours aux aides limité

Bien que les jeunes fumeurs des établissements ciblés par le programme Tabado aient manifesté des volontés d’arrêt significatives et aient déjà souvent essayé d’arrêter leur consommation de cigarettes, le recours à des aides au sevrage tabagique restait très peu mobilisé par les répondants (figure 3).

Les résultats mettent en avant un recours important de la part des élèves et apprentis aux aides « matérielles » de sevrage tabagique (cigarette électronique et substituts nicotiniques notamment). En revanche, l’aide d’un professionnel de santé ou du personnel infirmier scolaire, l’utilisation d’une application ou le service Tabac Info Service restent mobilisées marginalement (par moins de 5% des enquêtés).

Figure 3 : Aides mobilisées par les enquêtés déclarant avoir essayé d’arrêter de fumer. Enquête Tabado, France, 2019-2020
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Discussion

L’étude montre que Tabado s’adresse à une population particulièrement exposée au tabagisme (à la fois dans son entourage et son milieu scolaire) et qui est moins dotée de perceptions négatives concernant le tabac 4. La mise en évidence de niveaux de consommation et d’exposition aux risques tabagiques différenciés en fonction des catégories socioéconomiques des populations, y compris des plus jeunes, incite à la mise en œuvre d’actions préventives universelles proportionnées, c’est-à-dire adaptées en intensité ou en qualité selon les besoins des populations 9,10.

Un programme qui reste pertinent à grande échelle

L’exploitation des données des questionnaires pré-intervention passés entre octobre et novembre 2019, totalisant 34 669 réponses de lycéens professionnels et d’apprentis, permet de confirmer la pertinence du programme Tabado. Alors qu’il se situe en phase d’extension, en étant déployé sur la majeure partie du territoire national (12 régions au total en 2019-2020) dans une diversité de type d’établissements (CFA, lycées professionnels, lycées polyvalents, MFR), Tabado demeure fidèle à son identité initiale en continuant de s’adresser à une population présentant une prévalence tabagique plus importante que la population générale. Les niveaux de consommation des élèves et apprentis qui participent à Tabado sont en effet significativement plus élevés : la part de fumeurs quotidien est supérieure de 10 points à celle de la population enquêtée pour l’étude EnClass (2018) 8.

Néanmoins, parmi les fumeurs, une majorité souhaite arrêter de fumer à plus ou moins long terme. Le programme d’intervention, en proposant un accompagnement sur le lieu d’apprentissage des élèves et apprentis, demeure particulièrement pertinent. L’étude montre en effet que les fumeurs mobilisent très peu les accompagnements ou les aides dans leurs tentatives d’arrêt préexistantes.

Les plus de 17 ans : une tranche d’âge particulièrement pertinente à cibler

L’étude met en évidence un premier résultat utile pour approfondir la pertinence du programme. En effet, si l’approche de prévention par l’information parait adaptée à l’ensemble des tranches d’âge, l’approche d’aide à l’arrêt, mise en œuvre au moyen de propositions de consultations individuelles et d’ateliers motivationnels, semble davantage adaptée aux élèves et apprentis de 17 ans et plus, pour qui les niveaux de consommations de cigarettes sont les plus importants et qui souhaitent davantage arrêter de fumer que les plus jeunes.

Modes de consommation de tabac et polyconsommation : une piste d’approfondissement du programme

Ensuite, si le programme Tabado est d’abord destiné à aborder la consommation de tabac, l’intervention devrait prendre en compte au mieux deux phénomènes liés : d’une part la variété des modes de consommation du tabac (cigarette électronique, chicha) et, d’autre part, les consommations d’autres substances psychoactives, qui vont souvent de pair avec les consommations de tabac 11.

Tabado s’adresse ainsi à des jeunes en situation de polyconsommation, pouvant difficilement être identifiés et accompagnés par d’autres dispositifs. Un enjeu fort pour la réussite du programme réside en la capacité des professionnels intervenant à savoir apporter des réponses claires et efficaces vis-à-vis de l’évolution des modes de consommation du tabac comme des situations de polyconsommation.

Limites

L’analyse présente deux limites principales. D’abord, l’hétérogénéité des types de formations du public enquêté ne permet pas de réaliser des analyses en fonction du niveau scolaire. Ensuite, il n’est pas possible d’établir une comparaison entre les caractéristiques des répondants et celle des non-répondants, bien que le taux de participation au questionnaire soit satisfaisant. De ce point de vue, si les motivations du refus de répondre n’ont pas été systématiquement documentées par les personnes en charge de la passation dans chaque établissement scolaire, plusieurs hypothèses peuvent être émises concernant l’attrition observée. Tout d’abord, certains établissements n’ont pas retourné le questionnaire. Ensuite, dans certains établissements, certaines classes ne l’ont pas retourné. Enfin, dans certaines classes, des élèves ou apprentis n’ont pas assuré la passation du questionnaire.

Conclusion et perspectives

L’intervention Tabado s’inscrit dans le renouvellement des approches jusqu’alors portées par les politiques de lutte contre le tabagisme en milieu scolaire. Tabado se caractérise par trois éléments majeurs : l’intervention au sein d’établissements à forte prévalence tabagique, la combinaison d’une stratégie d’aide à l’arrêt du tabac avec des séances collectives inspirées des thérapies cognitivo-comportementales, et enfin la constitution d’une offre de prévention accessible car de proximité. Si l’exploitation des données confirme la pertinence du programme Tabado, la suite de l’évaluation permettra de mesurer l’efficacité du programme sur le taux de sevrage des fumeurs, ainsi que les conditions de sa transférabilité.

Le programme s’adresse à des fumeurs qui souhaitent majoritairement arrêter de fumer à plus ou moins long terme, mais qui paradoxalement mobilisent très peu d’accompagnements ou d’aides pour les soutenir dans leurs souhaits ou démarches d’arrêt. La crise sanitaire de la Covid-19 et son impact psycho-social auprès des jeunes apprentis et lycéens professionnels nécessitera de continuer à soutenir cette population par des programmes de proximité efficaces sur les addictions, pour prévenir le risque de voir s’aggraver les inégalités de santé.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Le déploiement national du programme Tabado est soutenu et coordonné par l’Institut national du cancer via un financement du fonds de lutte contre les addictions.

Références

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Citer cet article

Cathelineau F, Le Tyrant M, Audran M, Jeannin C, Deutsch A. Tabado, un programme pertinent d’accompagnement des lycéens professionnels et apprentis à l’arrêt du tabac développé en milieu scolaire. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(8):148-54. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/8/2021_8_3.html