Les comportements tabagiques à la fin de l’adolescence. Enquête Escapad 2017
// The 2017 French ESCAPAD survey: a snapshot of tobacco use at the end of adolescence
Résumé
Introduction –
Le dernier exercice de l’enquête Escapad (Enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense), menée depuis 2000, s’est déroulé en 2017. Les résultats permettent d’offrir un point précis sur les usages de tabac à la fin de l’adolescence.
Méthodes –
Le neuvième exercice de l’enquête Escapad, menée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) lors de la Journée défense et citoyenneté, s’est déroulé en mars 2017 auprès 39 115 adolescents français de métropole âgés de 17 ans.
Résultats –
En 2017, 6 adolescents de 17 ans sur 10 (59,0%) ont déclaré avoir déjà fumé au moins une cigarette au cours de leur vie. Ce niveau est en nette baisse par rapport à 2014 et largement en deçà de celui mesuré au début des années 2000 (77,6%). De même, le tabagisme quotidien se révèle en très nette diminution, avec 1 jeune adolescent sur 4 (25,1%) concerné. L’usage de la chicha suit la même tendance, 1 jeune sur 2 (49,9%) l’ayant déjà expérimentée en 2017. Dans ce contexte de moindre consommation, une part importante des jeunes déclarent à 17 ans encore être exposée à la fumée de tabac, 24,0% à la maison et 62,9% devant leur établissement scolaire. Par ailleurs, malgré l’interdiction de vente aux mineurs, les adolescents n’ont aucune difficulté à acheter leurs cigarettes chez un buraliste, 94,5% des fumeurs quotidiens le faisant régulièrement. La très grande majorité de ceux qui en ont acheté déclarent n’avoir en outre jamais eu besoin de justifier de leur âge (68,4%).
Conclusion –
Les résultats d’Escapad 2017 confirment la tendance observée depuis 2014 d’une baisse des consommations de tabac à l’adolescence. Cependant, les adolescents restent fréquemment exposés à la fumée de tabac et les produits du tabac leur demeurent encore trop largement accessibles au regard de la loi.
Abstract
Introduction –
First put in place in 2000, the most recent ESCAPAD survey (on health and consumption during the National Defence and Citizenship Day) was conducted in 2017. The survey results provide a detailed snapshot of tobacco use in France at the end of adolescence.
Methodology –
Organized by the French Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (OFDT), the 9th ESCAPAD survey was distributed on National Defence and Citizenship Day (JDC) in March 2017, ultimately reaching 39,115 17-year-olds on the French mainland.
Results –
In 2017, 6 in 10 adolescents under 17 years old (59.0%) reported having smoked at least one cigarette in their life. Overall, this ate has decreased since 2014, and is noticeably lower than levels measured in 2000 (77.6%). Similarly, daily tobacco smoking has also decreased since 2014, with 1 in 4 adolescents (25.1%) reporting smoking daily in 2017. Waterpipe use (shisha, narghille, hookah) has also followed a decreasing trend among French adolescents. In 2017, 1 in 2 (49.9%) 17-years-olds declared that had previously used a waterpipe at least once in their lives. Despite these decreasing trends, a noticeable portion of French adolescents continue to be exposed to tobacco use in their daily lives. Specifically, 24.0% of adolescents are exposed to tobacco in their homes and 62.9% in front of their schools. In spite of laws prohibiting the sale of tobacco products to minors, French adolescents appear to have little to no trouble purchasing cigarettes in tobacco shops. In fact, 94.5% of adolescent daily smokers reported having purchased cigarettes in tobacco shops on a regular basis. The majority of these adolescents (68.4%) indicated that they never did have to provide proof of age when purchasing tobacco.
Conclusion –
The results of ESCAPAD survey 2017 confirm the trend observed since 2014 of a decrease in tobacco consumption during adolescence. However, adolescents are still frequently exposed to tobacco smoke, and tobacco products are still too widely accessible to them as regards the law.
Introduction
Le tabac demeure la substance psychoactive la plus consommée quotidiennement en France. En 2015, on estimait à 13,3 millions le nombre de fumeurs quotidiens en France métropolitaine, dont environ 650 000 avaient moins de 18 ans 1. L’adolescence reste la période privilégiée de l’initiation au tabac, et la fin de l’adolescence celle des premières consommations régulières. La lutte contre le tabagisme des jeunes est donc un enjeu majeur de santé publique toujours très actuel en France. Les dernières enquêtes scolaires HBSC (Health Behaviour in School-aged Children), réalisée en 2014 parmi les collégiens, et Espad (European School survey Project on Alcohol and other Drugs), effectuée en 2015 auprès des lycéens , avaient montré une baisse marquée des consommations de tabac, même si la France se maintenait dans le premier tiers des pays européens du point de vue de l’usage quotidien de tabac à 16 ans 2,3.
Dans ce contexte, le dernier exercice de l’enquête Escapad, mené en 2017, est l’occasion de faire le point sur les toutes dernières évolutions des consommations de tabac parmi les jeunes français de 17 ans. Outre le suivi des tendances et des usages actuels de la cigarette et de la chicha, plusieurs autres questions permettent d’interroger quelques-unes des principales mesures de réduction du tabagisme (interdiction de fumer dans les lieux publics, dont les établissements scolaires, interdiction vente aux mineurs, etc.).
Matériel et méthode
Neuvième exercice de l’enquête menée au niveau national, en partenariat avec la Direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) lors de la Journée défense et citoyenneté (JDC), le terrain d’Escapad s’est déroulé du 13 au 25 mars 2017 dans tous les centres JDC en France (y compris ceux des DOM) et a concerné tous les appelés présents durant cette période. En métropole, 43 892 adolescents de nationalité française ont répondu à un questionnaire auto-administré anonyme portant sur leur santé et leurs consommations de substances psychoactives dont le tabac, l’alcool et le cannabis. Les données ont été redressées afin de garantir le sex ratio et le poids de la population de 17 ans à l’échelle départementale. Les questionnaires non renseignés sur le sexe ou le département et ceux dont le taux de réponse était inférieur à 50% ont été éliminés (soit 8,5% des répondants). Les analyses descriptives présentées ici portent sur un échantillon de 39 115 Français métropolitains. Les filles et les garçons, à part égale dans l’échantillon analysé, sont âgés de 17,3 ans en moyenne : 91% sont âgés de 17 ans et les plus âgés ont 18,5 ans.
Les questions posées portant sur les usages de tabac figurent dans l’encadré 1. L’usage de tabac est défini par une consommation de cigarettes (en paquet ou roulées), de cigares ou cigarillos. Pour décrire les consommations à l’adolescence, plusieurs indicateurs d’usage ont été définis. Ces seuils, forcément en partie subjectifs, permettent une description simple des pratiques de consommation durant l’adolescence : l’expérimentation, qui désigne le fait d’avoir déjà consommé au moins une fois au cours de sa vie ; l’usage récent qui caractérise la consommation au cours des trente derniers jours ; l’usage occasionnel, qui qualifie les consommations dans le mois inférieures à une cigarette par jour ; l’usage ou le tabagisme quotidien, qui correspond à au moins une cigarette par jour ; enfin le tabagisme dit « intensif », qui correspond à la consommation de plus de dix cigarettes par jour et permet de caractériser de jeunes fumeurs déjà engagés dans une consommation importante. En 2017, pour la première fois, l’enquête Escapad a également interrogé un sous-échantillon d’appelés (n=12 471) sur un module de questions qui visait à appréhender : l’exposition à la fumée de tabac, les modes approvisionnement ou la connaissance des dispositifs législatifs liés à la consommation et la vente de tabac. Les questions de ce module sont également présentées dans l’encadré 1.
Les questions de l’enquête Escapad 2017
Questions sur les usages de tabac :
– Au cours de votre vie, avez-vous déjà fumé des cigarettes en paquet, à rouler, cigares/cigarillos, fumé du tabac avec un narguilé (1) (chicha) ? Jamais / 1 fois / plusieurs fois
– Au cours des 30 derniers jours, avez-vous fumé des cigarettes ? Aucune / moins d’une par semaine / moins d’une par jour / entre 1 et 5 par jour / entre 6 et 10 par jour / entre 11 et 20 par jour / plus de 20 par jour
Questions sur l’exposition à la fumée de tabac, l’approvisionnement, la législation :
– Au cours des 30 derniers jours, avez-vous été exposé à la fumée de tabac de votre entourage devant l’entrée de votre établissement scolaire, à l’intérieur de votre établissement scolaire, sur votre lieu de travail, chez vous, en soirée, dans un bar ou restaurant ? Jamais / de temps en temps/ souvent / tous les jours
– Au cours des 12 derniers mois, vous avez acheté vos cigarettes dans un bureau de tabac, vous avez demandé à un parent ou ami de les acheter, vous les avez obtenues gratuitement, vous les avez achetées dans un commerce type épicerie ou dans la rue, vous les avez achetées à l’étranger ? 0 fois / 1 à 2 fois / 3 à 5 fois / 6 à 9 fois / 10 à 19 fois / 20 fois ou plus)
– Au cours des douze derniers mois, vous a-t-on demandé votre carte d’identité alors que vous vouliez acheter des cigarettes dans un bureau de tabac ? Jamais / rarement / parfois / souvent / toujours
(1) Narguilé (ou chicha) : désigne une grande pipe à eau utilisée principalement dans le monde arabe pour fumer généralement du « tabamel » mélange de tabac, de sucre ou de miel et d’arômes de fruits sous forme de pâte.
D’autres questions sociodémographiques ont été mobilisées dans les analyses. Grâce aux informations du code postal et de la commune renseignée en toutes lettres, Escapad permet une analyse territoriale des usages à l’aide d’une classification en quatre classes du territoire : les communes rurales (moins de 2 000 habitants) et trois types d’agglomérations selon le nombre d’habitants (de 2 000 à moins de 20 000 habitants, de 20 000 à moins de 200 000 habitants et de plus de 200 000 habitants). Enfin, une variable a été créée à partir d’une combinaison des emplois de chaque parent déclarés par les répondants. Elle s’appuie sur la typologie en neuf catégories de l’Insee (1. Cadres, professions libérales et supérieures ; 2. Chefs d’entreprise de 10 salariés ou plus ; 3. Artisans, chef d’entreprise de moins de 10 salariés ; 4. Agriculteurs ; 5. Professions intermédiaires ; 6. Employés ; 7. Ouvriers ; 8. Sans profession), auxquelles est ajoutée une catégorie « Non concerné ». Une fois ces emplois regroupés, il en découle une variable synthétique se déclinant en cinq catégories : très favorisé (adolescent dont les deux parents ont des professions supérieures) ; favorisé (un seul des deux parents exerce une profession supérieure) ; intermédiaire (au mieux un parent est de profession intermédiaire) ; modeste (au mieux un parent est ouvrier ou employé) ; défavorisé (les deux parents sont sans emploi ou inactifs).
Les analyses descriptives de comparaison de pourcentages ont été menées avec des tests du Chi2. Une analyse multivariée, permettant de contrôler les effets de structure, met en évidence les associations des caractéristiques étudiées sur le fait d’être usager quotidien de cigarettes parmi l’ensemble de la population adolescente.
L’enquête Escapad 2017 a reçu l’avis d’opportunité du Conseil national de l’information statistique (Cnis).
Résultats
Consommation de cigarettes
En 2017, 6 jeunes de 17 ans sur 10 (59,0%) déclaraient avoir fumé une cigarette au cours de leur vie (tableau 1). Avoir fumé au moins une cigarette au cours des 30 jours précédant l’enquête concernait 34,1% des jeunes, et l’usage quotidien s’élevait à 25,1%. Ces consommations sont les plus faibles observées depuis 2000, année de la première enquête Escapad (figure 1). En proportion, les filles étaient toujours plus nombreuses que les garçons à avoir déjà fumé (59,9% contre 58,1%), mais ces derniers se déclaraient plus souvent fumeurs quotidiens (26,3% contre 23,8%). Ainsi, le sex ratio H/F apparaît fortement associé au niveau d’usage, atteignant 1,68 pour l’usage de plus de 10 cigarettes par jour contre seulement 1,04 pour l’usage au cours du mois.
Près de la moitié des jeunes de 17 ans (49,9%) ont essayé la chicha, en net recul par rapport à 2014 (-15 points). L’expérimentation exclusive de la chicha, c’est-à-dire sans avoir jamais fumé de cigarette par ailleurs, concerne 7,7% des jeunes de 17 ans, en léger recul par rapport à 2014 (8,1%). Au final, deux tiers des jeunes (66,5%) ont expérimenté du tabac en 2017, que ce soit avec une cigarette ou une chicha (généralement consommée avec du « tabamel » ou un équivalent). Ils étaient 76,7% en 2014.
Comparés à 2014, les niveaux observés sont tous orientés à la baisse (diminution de 13% des jeunes ayant expérimenté et de 23% pour les fumeurs quotidiens). Cet infléchissement s’inscrit dans une tendance de baisse quasi-continue depuis la première enquête Escapad, où 41,9% des garçons de 17 ans et 40,2% des filles déclaraient être fumeurs quotidiens, alors qu’ils étaient en 2017 respectivement 26,3% et 23,8%. À la faveur de la baisse plus marquée chez les filles, l’écart entre garçons et filles atteint 2,5 points. Cet écart est le plus important jamais observé dans l’enquête. Les différences s’avèrent cependant moins marquées pour les niveaux d’expérimentation ou d’usage au cours du mois. Ces baisses observées pour l’ensemble des niveaux d’usage de cigarettes sont d’autant plus remarquables que les usages récents et quotidiens avaient connu un léger regain entre 2008 et 2014.
En 2017, pour la première fois dans l’enquête Escapad, la question sur l’expérimentation de cigarettes a été décomposée selon le produit (cigarettes en paquet, cigarettes roulées et cigares ou cigarillos). Avec plus d’un jeune sur 2 (56,5%) déclarant avoir déjà fumé une cigarette en paquet, soit 95% des jeunes expérimentateurs, ce type de cigarette s’avère le plus fréquemment essayé. En comparaison, plus de 4 jeunes sur 10 (43,1%) déclaraient avoir déjà fumé du tabac à rouler, alors que seulement 22,1% avaient essayé les cigares ou cigarillos. Si une part importante des expérimentateurs (33,3%) déclaraient avoir déjà essayé les trois, les garçons le faisaient nettement plus souvent que les filles (43,5% contre 22,9%). Au final, c’est la combinaison cigarettes en paquet et cigarettes roulées qui se révèle la plus répandue avec 36,5% des jeunes concernés (figure 2). Enfin, près d’un jeune expérimentateur sur 4 (23,6%) déclarait avoir uniquement consommé des cigarettes en paquet, les filles plus souvent que les garçons (27,5% contre 19,9%).
Facteurs associés à la consommation de tabac
L’enquête Escapad offre la possibilité d’étudier certains facteurs sociodémographiques souvent associés à la consommation de tabac, comme le sexe, la situation scolaire, la situation familiale et professionnelle des parents, le lieu de résidence.
En 2017, les garçons (26,3%) étaient plus souvent fumeurs quotidiens que les filles (23,8%), l’écart mesuré étant statistiquement significatif. Les différences de consommations s’avèrent particulièrement marquées entre les élèves de l’enseignement général et leur homologues du même âge en apprentissage ou sortis du système scolaire, avec respectivement 22,0%, 47,3% et 57,0% d’usagers quotidiens (tableau 2). Toujours en analyse bivariée, les adolescents provenant de familles recomposées ou monoparentales se déclaraient plus souvent fumeurs quotidiens que les jeunes issus de familles nucléaires, constituées des deux parents et d’une éventuelle fratrie (respectivement 34,9%, 31,7% et 20,8%). Ces mêmes différences de consommation, selon l’activité professionnelle des parents, étaient encore plus accentuées selon l’origine socioéconomique, les adolescents de milieu défavorisé de déclarant plus souvent fumeurs (respectivement 28,2% vs 20,1%). Enfin, la consommation quotidienne de tabac était moins répandue dans les zones urbaines de plus de 200 000 habitants.
Si tous ces facteurs sont plus ou moins fortement corrélés à la consommation de tabac (tableau 2), il convient d’en contrôler les effets de structure à l’aide d’une analyse multivariée. À titre d’exemple, derrière la situation scolaire ou professionnelle des adolescents, on retrouve généralement des profils sociodémographiques distincts. L’apprentissage demeure encore aujourd’hui largement plus masculin, avec 72,9% des apprentis qui sont des garçons. Cette surreprésentation masculine pourrait expliquer les niveaux d’usage plus importants observés parmi cette population. Cependant, en prenant en compte l’ensemble des autres variables, les jeunes en apprentissage et ceux sortis du système scolaire se révélaient encore davantage susceptibles de présenter un tabagisme quotidien (odds ratios ajustés, ORa, de respectivement 3,1 et 4,4 en 2017). Par contre, le sexe n’était plus associé à l’usage quotidien de cigarette en 2017, une fois contrôlées les différentes variables sociodémographiques mobilisées dans le modèle. La situation scolaire restait fortement associée à l’usage quotidien de tabac, toutes choses égales par ailleurs. La structure familiale restait également associée à l’usage de tabac (ORa de, respectivement, 1,9 et 1,6 pour les jeunes vivant en famille recomposée et monoparentale ou autre). À l’inverse, l’activité professionnelle des parents et l’origine socioéconomique n’étaient plus liées au tabagisme de leurs enfants, alors que l’association précédemment relevée entre tabac quotidien et zone de résidence persistait. Les jeunes des grandes zones urbaines demeuraient moins enclins à déclarer un tabagisme quotidien que leurs homologues des villes moyennes, petites ou en milieu rural, toutes choses égales par ailleurs (ORa de, respectivement, 1,2, 1,3 et 1,2).
Exposition à la fumée et accessibilité du tabac
Exposition à la fumée de tabac
Au quotidien, les jeunes de 17 ans étaient principalement exposés à la fumée de tabac aux abords de leur établissement scolaire : au cours des 30 derniers jours précédant l’enquête, 87,4% déclaraient y avoir déjà été exposés « devant l’entrée, à l’extérieur de leur établissement scolaire », avec 62,9% qui y étaient exposés souvent ou tous les jours (figure 3). Bien qu’il soit interdit de fumer dans les établissements scolaires depuis le 1er février 2007 (1), 21,7% des jeunes disaient y avoir déjà été exposés « à l’intérieur de leur établissement scolaire ». Par ailleurs, ils étaient 42,7% à subir à la fumée de tabac chez eux de temps en temps ou tous les jours.
Les espaces festifs, déclarés par 74,9% des jeunes, se révèlent également des espaces fréquents d’exposition à la fumée de tabac. L’expression générique « en soirée » demeurant imprécise, certains répondants ont pu confondre le lieu et la temporalité. Néanmoins, près d’un jeune sur 2 (52,3%) considérait avoir été exposé « dans un bar, un restaurant ».
Le sexe n’était pas associé à l’exposition au tabagisme passif, contrairement à la situation scolaire. Au quotidien, les jeunes en apprentissage se déclaraient, en effet, plus exposés à la fumée de cigarette que les élèves : 42,3% des apprentis s’estimaient « souvent » ou « tous les jours » exposés à la fumée au travail (contre 12,5% des élèves), 24,0% à l’intérieur de l’école (10,6% parmi les élèves) et 35,3% à la maison (22,2% parmi les élèves).
Approvisionnement en cigarettes
La quasi-totalité (94,5%) des fumeurs quotidiens de 17 ans déclaraient acheter régulièrement leurs cigarettes dans un bureau de tabac. Les deux tiers d’entre eux (66,3%) y avaient eu recours 10 fois ou plus au cours des 12 derniers mois, alors que moins de la moitié (44,9%) avaient demandé au moins une fois à un parent ou un ami d’acheter des cigarettes pour eux, 11,0% l’ayant fait 10 fois ou plus souvent. Un fumeur quotidien sur 2 (52,9%) avait déjà obtenu gratuitement une cigarette, et ce à 10 reprises ou plus pour 14,8% d’entre eux. Enfin, 48,2% disaient avoir eu l’occasion d’acheter du tabac dans un pays étranger. À niveau d’usage équivalent, les modes d’approvisionnement des filles et des garçons ne sont pas significativement différents.
Ces fréquences d’achat sont bien évidemment modulées par les fréquences de consommation. Les fumeurs occasionnels n’étaient ainsi que 57,8% à avoir acheté leurs cigarettes chez un buraliste, alors qu’ils étaient plus nombreux (72,2%) à déclarer les avoir déjà obtenues gratuitement.
Demande de la carte d’identité
Parmi les adolescents ayant déclaré au moins un achat de cigarettes chez un buraliste au cours des 12 derniers mois, 68,4% n’ont pas eu à justifier de leur âge et 28,6% que « rarement » ou « parfois ». Parmi ceux qui ont eu recours à un achat moins de 10 fois dans l’année, 74,0% n’ont pas eu à présenter leur carte d’identité et 23,8% « rarement » ou « parfois », contre respectivement 64,0% et 32,4% parmi ceux qui y ont acheté des cigarettes plus de 10 fois. À fréquence d’achat équivalente, les filles déclaraient plus souvent que les garçons n’avoir jamais été dans l’obligation de justifier leur âge.
Connaissance de l’âge légal d’achat
À la question « Selon vous, à partir de quel âge a-t-on le droit d’acheter des cigarettes dans un bureau de tabac ? », une large majorité (71,8%) a répondu « 18 ans » alors que 17,7% des adolescents ont répondu un âge inférieur à 18 ans ou qu’« il n’y a pas d’âge », 1,4% un âge supérieur à 18 ans et 9,1% avouaient ne pas savoir.
La part des jeunes ne connaissant pas l’âge légal d’achat de cigarettes était aussi importante chez les non-expérimentateurs (29,6%) que chez les fumeurs quotidiens (29,0%). Cependant, ces derniers ont eu davantage tendance à se tromper d’âge (25,7% contre 16,0% des non-expérimentateurs).
Conclusion
Depuis 2014, les données de l’ensemble des enquêtes sur les consommations de tabac à l’adolescence mettent en évidence une baisse des niveaux d’usage de tabac. Ainsi, entre 2011 et 2015, en population lycéenne, l’expérimentation et l’usage quotidien étaient en recul respectivement de 7 points et de 8 points 3. L’enquête Escapad 2017 confirme cette tendance avec, en 2017, les plus faibles niveaux d’usage jamais observés depuis 2000. Le recul du tabagisme chez les adolescents est un phénomène aussi observé au niveau européen 4. Cela pourrait signifier un processus de dénormalisation du tabac. Les adolescents interrogés dans cette dernière enquête, majoritairement nés en 1999, appartiennent à une génération qui avait entre 9 et 10 ans au moment de la loi HPST en 2009 qui a étendu l’interdiction de vente de tabac à l’ensemble des mineurs. Ils ont donc vécu leur période d’adolescence dans un contexte où l’interdiction pouvait sembler normale, contrairement à leurs aînés ayant connu un contexte plus permissif. Les représentations semblent également de plus en plus négatives dans les nouvelles générations 5 (voir l’encadré 2 en fin d’article).
L’usage de la chicha s’inscrit également dans cette tendance, avec une baisse du niveau d’expérimentation sur la période récente, cette mesure n’étant recueillie que depuis 2014. Cette tendance corrobore le constat d’un recul de l’expérimentation en population lycéenne entre 2011 et 2015 (-13 points) dans l’enquête Espad 3.
Il convient de tempérer ces évolutions positives, en constatant que des profils particuliers de jeunes, principalement ceux en apprentissage ou sortis du système scolaire, présentent des niveaux de consommation franchement supérieurs à la moyenne, que ce soit pour les cigarettes ou la chicha. Ces populations, qui représentent respectivement 7,0% et 3,9% des jeunes de 17 ans, sont peut-être moins réceptives aux messages de prévention. Il y a là un enjeu de santé publique : il faudra, à l’avenir, mieux prendre en compte ces publics.
Protéger les adolescents de l’exposition à la fumée de tabac est une des mesures phares des politiques publiques de lutte contre le tabac. Le tabagisme passif a de nombreux effets délétères sur la santé chez les plus jeunes 6. Les lois d’interdiction de fumer, si elles sont bien appliquées, contribuent à protéger la santé des jeunes et permettent de dénormaliser les produits du tabac en les rendant indésirables dans l’espace public.
Si l’enceinte de l’établissement scolaire joue globalement son rôle de protection, les jeunes de 17 ans se déclarent toutefois majoritairement exposés à la fumée de tabac aux abords de leur établissement scolaire. Cependant les résultats laissent entendre que l’interdiction de fumer dans les enceintes scolaires souffre quelques exceptions. Une partie importante des jeunes en apprentissage déclarent, en effet, être fréquemment exposés à la fumée de tabac à l’intérieur de leur établissement. Il convient de rappeler que, dans le cadre de l’état d’urgence, une circulaire (n°2015-206 du 25-11-2015) émanant du ministère de l’Éducation nationale a autorisé de manière exceptionnelle la mise en place d’espaces restreints en plein air au sein des établissements afin d’éviter aux lycéens fumeurs de se concentrer aux abords de leur établissement durant les interclasses. Cette circulaire, remettant de fait en cause la loi, apparaît comme un élément de contexte à prendre en considération dans les résultats de l’enquête, bien qu’il soit impossible d’évaluer la part des établissements ayant modifié leur règlement intérieur à la suite de la circulaire. En outre, la moitié des jeunes déclarent être exposés régulièrement à la fumée dans un bar ou un restaurant. Ici encore, compte tenu de la législation, on peut supposer qu’une partie des jeunes a inclus la terrasse ou les abords des bars dans leur réponse. Le Baromètre santé 2014 avait toutefois alerté sur un recul possible de l’application de la législation dans les lieux de convivialité 7.
L’enquête révèle par ailleurs que, malgré l’interdiction de vente aux mineurs, les produits du tabac demeurent encore largement accessibles aux adolescents. Ainsi, le bureau de tabac reste le principal lieu d’achat de cigarettes pour les jeunes de 17 ans, à qui il est rarement demandé de justifier de leur majorité. Ils sont nombreux à ne toujours pas connaître ou se tromper sur l’âge légal d’achat : une partie non négligeable des fumeurs pense que l’âge légal d’achat de cigarettes est toujours de 16 ans alors que l’interdiction de ventes à l’ensemble des mineurs date de 2009.
Les baisses constatées de l’ensemble des niveaux d’usage font très probablement écho à l’ensemble des mesures adoptées au cours des quinze dernières années afin de lutter contre le tabagisme (premier Plan cancer adopté en 2003, avertissements sanitaires sur l’emballage des produits du tabac, interdiction de fumer dans les lieux publics et lieux de travail en 2007, hausse des prix entre 2010 et 2014…) 8. L’adoption du troisième Plan cancer en 2014, et du Programme national de réduction du tabagisme qui lui est rattaché, vise un objectif plus ambitieux encore : compléter les mesures précédentes visant à retarder l’expérimentation de tabac facilitant l’émergence d’une génération « sans tabac ». Quoi qu’il en soit, les enseignements de cette enquête Escapad, avec le fort recul de la consommation sur une période très courte (2014-2017), devront être confirmés dans les prochaines enquêtes en milieu scolaire et notamment l’enquête EnClass (Enquête nationale en collèges et en lycées chez les adolescents sur la santé et les substances) qui s’est déroulée au premier semestre 2018 auprès de 32 000 collégiens et lycéens.
Représentations, motivations et trajectoires d’usage de tabac à l’adolescence : principaux enseignements de l’enquête Aramis
Centrée sur les mineurs, l’enquête qualitative Aramis (Attitudes, représentations, aspirations et motivations lors de l’initiation aux substances psychoactives) a exploré les perceptions, motivations d’usage et trajectoires de consommation de drogues à l’adolescence. Sur la base de l’analyse d’un corpus de 200 entretiens effectués entre novembre 2014 et juin 2017, elle a sondé les représentations du tabac et des comportements tabagiques au sein des nouvelles générations 5.
L’enquête interroge d’abord les circonstances de l’initiation tabagique, révélant que le premier contact avec le tabac donne lieu à des impressions unanimement négatives. Outre ses désagréments immédiats (toux, migraine…), le tabac est identifié à des connotations péjoratives (mauvaises odeurs, fumée jugée cancérigène, etc.). Les réminiscences de la première cigarette, majoritairement partagée avec les pairs hors du cadre familial et scolaire, cristallisent déplaisir et répulsion. Pourtant, le dégoût du tabac est précisément ce qui fait l’intérêt de cette expérience : l’enjeu semble en effet de surmonter une sensation de l’ordre de l’aversion et d’acquérir un savoir-faire : nombre d’enquêtés retracent ainsi avec satisfaction le parcours qui leur a permis de « réussir à fumer » puis de « savoir bien fumer ». L’initiation tabagique apparaît donc comme un des premiers apprentissages de l’adolescence permettant de repousser son seuil de tolérance corporelle. L’analyse des représentations témoigne d’une dénormalisation du tabac dans cette génération née à partir du milieu des années 1990, qui rassemble en majorité des descendants de fumeurs marqués par un historique familial de mortalité tabagique par cancer. Très majoritairement, la cigarette y est perçue comme dangereuse, « abîmant le corps » et conduisant à une mort certaine. Le caractère synthétique et chimique de la cigarette redouble cette défiance, entretenue aussi par son prix jugé excessif, en particulier dans les milieux populaires. Avouant une tolérance limitée à l’égard des fumeurs, les mineurs des générations actuelles semblent avoir pris acte du bannissement de la cigarette de l’espace public, ayant toujours connu un régime législatif interdisant la cigarette dans les lieux publics (établissements scolaires, bars, discothèques, etc.) et proscrivant son achat avant 18 ans.
L’enquête s’intéresse surtout aux pratiques tabagiques des jeunes. Elle montre que, contrairement à l’alcool et au cannabis associés à des contextes d’usage festifs, la cigarette apparaît davantage comme un « compagnon de route » du quotidien, répondant à des motivations relevant du réconfort. Les fumeurs évoquent l’importance des rituels de consommation et le rôle transitionnel de « la » cigarette : pour la mise en route du matin, avec le café, entre deux cours, avant d’aller se coucher, etc. Dans ces récits, la « cigarette-plaisir » apparaît relativement peu, si ce n’est parmi les plus âgés, comme gratification symbolique après l’effort. Les contraintes pour « aller fumer » structurent, à l’inverse, de nouvelles figures du fumeur, contraints de s’éloigner du lycée pour pouvoir fumer, de « fumer à la fenêtre » ou « au bas de l’immeuble ». La dimension de socialisation semble différente des générations précédentes, hormis en filière professionnelle où les jeunes considèrent la pratique tabagique comme un élément de leur insertion professionnelle, profitant de « la cigarette à la pause » pour s’intégrer au groupe des aînés et nouer des liens avec les autres salariés.