La consommation de tabac en France et son évolution : résultats du Baromètre santé 2014

// Evolution of tobacco smoking in France: results from the Health Barometer 2014

Romain Guignard1 (romain.guignard@inpes.sante.fr), François Beck2, Jean-Louis Wilquin1, Raphaël Andler1, Viêt Nguyen-Thanh1, Jean-Baptiste Richard1, Pierre Arwidson1
1 Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), Saint-Denis, France
2 Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, France
Soumis le 29.01.2015 // Date of submission: 01.29.2015
Mots-clés : Tabagisme | Tabac | Enquête en population générale | Inégalités sociales de santé | France
Keywords: Smoking | Tobacco | General population survey | Social determinants of health | France

Résumé

Après la hausse observée entre 2005 et 2010, la prévalence du tabagisme s’est stabilisée en 2014 parmi les 15-75 ans (34,1% de fumeurs actuels) et le tabagisme régulier apparaît même en baisse légère mais significative (de 29,1% en 2010 à 28,2% en 2014). La proportion d’ex-fumeurs est en augmentation par rapport à 2010 (de 29,2% à 31,0%), ainsi que la part de fumeurs ayant fait une tentative d’arrêt dans l’année (de 25,2% à 29,0%).

L’analyse par sexe montre que la prévalence du tabagisme régulier est en baisse uniquement chez les femmes (de 26,0% à 24,3%). Cependant, parmi elles, l’effet de génération déjà observé en 2010 chez les 45-64 ans se prolonge en 2014, la proportion de femmes âgées de 55 à 64 ans qui fument quotidiennement continuant à augmenter. La consommation quotidienne de tabac apparaît stable parmi les fumeurs quotidiens (13,5 cigarettes par jour) et se concentre sur des quantités comprises entre 5 et 15 cigarettes par jour. On observe un maintien des inégalités sociales en matière de tabagisme. L’écart entre les chômeurs et les personnes qui travaillent continue même à se creuser, alors même que les fumeurs les moins favorisés sont aussi nombreux que les autres à déclarer avoir envie d’arrêter de fumer. Un tel constat invite à concevoir une aide adaptée à chaque type de population selon ses besoins et ses difficultés.

Abstract

After an increase between 2005 and 2010, tobacco smoking prevalence has stabilized in 2014 among 15-75 year-olds (34.1% of current smokers), and daily smoking has even slightly decreased (from 29.1% in 2010 to 28.2% in 2014). Former smokers’ proportion has been increasing since 2010 (from 29.2% to 31.0%), as well as the proportion of smokers who have attempted to quit smoking in the last 12 months (from 25.2% to 29.0%). Daily smoking is decreasing among women only (from 26.0% to 24.3%). However, the proportion of women 55 to 64 years old who smoke is still increasing, as it was already the case in 2010. The average number of cigarettes per day is stable among daily smokers (13.5). A majority of daily smokers declare they smoke between 5 and 15 cigarettes per day. Social inequalities in tobacco smoking remain important in France. The gap between unemployed people and employed ones is still widening, although the most deprived smokers are as many desiring to stop smoking as others. It would thus be crucial to provide prevention programs targeting population groups according to their specific difficulties and needs.

Introduction

Dans le cadre du Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) lancé en septembre 2014 par le ministère en charge de la Santé, l’objectif a été fixé de réduire de 10% la prévalence du tabagisme quotidien parmi les 15-75 ans d’ici à 2019. Le PNRT se donne notamment pour ambition de faire que « les enfants qui naissent aujourd’hui soient la première génération de non-fumeurs ». Pour y parvenir, il est proposé des mesures relatives à trois axes d’intervention : protéger les jeunes et éviter leur entrée dans le tabagisme, aider les fumeurs à arrêter et agir sur l’économie du tabac 1.

Depuis 1976 (Loi Veil), de nombreuses mesures législatives et réglementaires ont été mises en place pour renforcer la lutte contre la consommation de tabac en France, avec un renforcement important en 1991 (Loi Evin). Cette politique a encore connu des avancées notoires dans les années 2000, avec l’entrée en vigueur progressive de l'interdiction de fumer dans les lieux publics en 2007 et 2008. Les mesures relatives aux hausses de prix ont été, selon les périodes, d’intensité variable, les dernières très fortes hausses étant intervenues entre 2002 et 2004 avec un passage de 3,60 euros à 5 euros du prix du paquet de 20 cigarettes le plus vendu à cette époque. Le prix de ce même paquet atteint désormais 7 euros, suite à plusieurs augmentations de l’ordre de 5 à 6%. Par ailleurs, depuis le début des années 2000, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) conduit chaque année des campagnes d’information et de prévention (sous forme de spots télévisés ou radiodiffusés, d’affiches, de bannières Web, de brochures, etc.) destinées au grand public ou à des populations ciblées (jeunes, femmes enceintes…) en jouant sur différents ressorts que sont les risques pour la santé du fumeur et de son entourage, l’influence de l’industrie, les raisons d’arrêter…, chacun des angles pouvant constituer un levier pour prévenir l’initiation au tabagisme 2, pour inciter à l’arrêt du tabac 3 ou au recours à l’aide à distance 4. Ces campagnes ont pu être accompagnées de celles lancées par les associations de lutte anti-tabac comme le Comité national contre le tabagisme (CNCT) ou Droit des non-fumeurs (DNF). Depuis 2003, des sessions d’information et d’éducation à la santé, comprenant des messages de prévention contre le tabagisme, doivent être organisées en milieu scolaire, en primaire et en secondaire (loi du 31 juillet 2003, art. L.3511-9 du Code de la santé publique).

Depuis le début des années 1990, l’Inpes mène, en partenariat avec de nombreux acteurs de santé, une série d’enquêtes appelées Baromètres santé, portant sur les différents comportements et attitudes de santé des Français 5,6,7. Le Baromètre santé 2010 avait montré une hausse de la prévalence tabagique par rapport à 2005, notamment chez les femmes 8. Celui de 2014 permet de faire le point sur l’évolution récente de la prévalence. Cette enquête permet également de suivre d’autres comportements, tels que le recours à la cigarette électronique. Par sa grande taille d’échantillon, cette enquête permet d’étudier ces évolutions non seulement sur l’ensemble de la population mais aussi sur des tranches d’âge détaillées ou pour des segments de population particuliers.

Méthode

Les Baromètres santé sont des sondages aléatoires à deux degrés (ménage puis individu) réalisés à l’aide du système de collecte assistée par téléphone et informatique (Cati). Le terrain du Baromètre santé 2014, confié à l’institut Ipsos, s’est déroulé par téléphone du 11 décembre 2013 au 31 mai 2014 auprès d’un échantillon représentatif de la population des 15-75 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français. Les numéros de téléphone ont été générés aléatoirement, l’individu étant également sélectionné au hasard au sein des membres éligibles du ménage. En cas d’indisponibilité, un rendez-vous téléphonique était proposé et, en cas de refus de participation, le ménage n’était pas remplacé. Quarante appels ont été effectués avant l’abandon d’un numéro de téléphone.

En 2005, pour faire face à l’abandon du téléphone fixe au profit du mobile par une partie de la population pouvant présenter des caractéristiques particulières en termes de comportements de santé, deux échantillons indépendants avaient été constitués : l’un composé d’individus disposant d’un téléphone fixe, l’autre composé de personnes équipées seulement d’un téléphone mobile. Le même protocole a été utilisé en 2010, en intégrant en plus les individus en dégroupage total (dont le numéro de téléphone fixe commence par 08 ou 09) au sein de l’échantillon des « mobiles exclusifs ». En 2014, du fait de l’utilisation préférentielle du téléphone mobile par une partie de la population, y compris parmi ceux disposant d’une ligne fixe, deux échantillons « chevauchants » ont été constitués : l’un interrogé sur ligne fixe, l’autre sur téléphone mobile, sans filtre sur l’équipement téléphonique du ménage. L’échantillon interrogé comprend au total 15 635 individus (7 577 fixes et 8 058 mobiles). Le taux de participation est de 61% pour l’échantillon des fixes et de 52% pour celui des mobiles. La passation du questionnaire a duré en moyenne 33 minutes.

Les données ont été pondérées par le nombre d’individus éligibles et de lignes téléphoniques au sein du ménage et calées sur les données de référence nationales de l’Insee les plus récentes, à savoir celles de l’Enquête Emploi 2012. Ce calage sur marges tient compte du sexe croisé avec la tranche d’âge, de la région de résidence, de la taille d’agglomération, du niveau de diplôme et du fait de vivre seul ou non. Une pondération spécifique à la mesure des évolutions a également été construite sur la base des individus de l’échantillon « mobiles » disposant uniquement d’un téléphone mobile ajoutés à ceux interrogés sur ligne fixe, de manière à rendre comparable l’échantillon à celui du Baromètre santé 2010.

La description détaillée de la méthode de l’enquête et la présentation de son évolution au fur et à mesure des vagues sont disponibles par ailleurs 9.

Dans cet article, un fumeur actuel est défini comme une personne qui déclare fumer du tabac, ne serait-ce que de temps en temps. Un fumeur régulier ou quotidien est une personne déclarant fumer du tabac tous les jours ou déclarant un nombre de cigarettes fumées par jour. Un ex-fumeur est une personne déclarant ne pas fumer, mais avoir déjà fumé au moins occasionnellement au cours de sa vie. L’expérimentation de tabac désigne le fait d’avoir déjà essayé de fumer, ne serait-ce qu’une ou deux fois. Par convention, à l’instar des enquêtes précédentes, on considère les équivalences suivantes pour les quantités de tabac fumées : 1 cigare = 1 cigarillo = 2 cigarettes et 1 pipe = 5 cigarettes.

Les évolutions de la prévalence du tabagisme régulier depuis 2000 sont présentées par sexe et âge et testées au moyen du test du Chi2 de Pearson. Parmi les actifs, l’analyse des évolutions des inégalités sociales liées au tabagisme est effectuée à partir de régressions logistiques sur le statut tabagique ajustées simultanément sur chacune des variables d’intérêt (niveau de diplôme, revenu exprimé en quintiles et par unité de consommation (UC), chômage, profession et catégorie socioprofessionnelle (PCS), sexe et âge), pour les années 2000, 2005, 2010 et 2014. Les facteurs sociodémographiques associés à l’usage de la cigarette électronique sont également étudiés au moyen de régressions logistiques.

Résultats

Évolution de la prévalence tabagique par sexe et âge parmi les 15-75 ans

En 2014, les quatre cinquièmes (79,8%) des 15-75 ans déclarent avoir expérimenté le tabac. Un tiers sont des fumeurs actuels (34,1%), dont 28,2% sont des fumeurs réguliers (ou quotidiens), soit environ 13,2 millions d’individus. Environ un tiers également (31,0%) sont des ex-fumeurs.

Parmi les 15-75 ans, après la hausse de la prévalence du tabagisme actuel observée entre 2005 (31,4%) et 2010 (33,7%), qui faisait suite à une forte baisse depuis 2000 (34,7%), la tendance apparaît stable entre 2010 et 2014. En revanche, la proportion de fumeurs réguliers est en légère baisse entre 2010 (29,1%) et 2014 (28,2%, p=0,01), alors que la proportion d’ex-fumeurs est en hausse (de 29,2% à 31,0%, p<0,01). La prévalence du tabagisme régulier est stable chez les hommes (de 32,4% en 2010 à 32,3% en 2014) alors qu’elle apparaît en baisse chez les femmes (de 26,0% à 24,3%, p<0,01).

Parmi les hommes, la prévalence du tabagisme régulier est en hausse significative (p<0,05) chez les 65-75 ans entre 2010 et 2014 (figure 1). Parmi les femmes, la prévalence du tabagisme régulier est en baisse significative au sein des 20-44 ans, mais elle apparaît en hausse chez celles âgées de 55 à 64 ans (figure 2), prolongeant la tendance déjà observée en 2010 sur les femmes de 45 à 64 ans.

Figure 1 : Évolution de la prévalence du tabagisme quotidien chez les hommes en France entre 2000 et 2014, par tranche d’âge (15-75 ans)
Agrandir l'image
Figure 2 : Évolution de la prévalence du tabagisme quotidien chez les femmes en France entre 2000 et 2014, par tranche d’âge (15-75 ans)
Agrandir l'image

Quantité de tabac fumée

Le nombre moyen de cigarettes fumées (ou équivalent) est resté stable parmi les fumeurs quotidiens, à 13,5 cigarettes par jour (14,6 chez les hommes et 12,0 chez les femmes). Néanmoins, dans le détail, on observe une baisse du nombre de cigarettes manufacturées (de 10,2 à 8,6 cigarettes par jour) et une hausse du nombre de cigarettes roulées (de 2,8 à 4,4 par jour). La part de ceux fumant moins de 5 cigarettes est en baisse (de 19,2% à 17,4%, p<0,05), tout comme tend à l’être celle des fumeurs de plus de 15 cigarettes par jour (de 31,7% à 30,5%, p=0,05) (tableau 1).

Tableau 1 : Nombre de cigarettes fumées par jour par les fumeurs quotidiens en France en 2010 et 2014, par tranche de consommation (15-75 ans) (en %)
Agrandir l'image

Inégalités sociales en matière de tabagisme

L’analyse des liens entre le tabagisme régulier et le niveau de diplôme, la situation professionnelle (le fait d’être au chômage), le niveau de revenu et la PCS (le fait d’être ouvrier) depuis 2000 montre que les inégalités en matière de tabagisme, qui s’étaient renforcées entre 2000 et 2010, se maintiennent en 2014, et pourraient même s’être accentuées si l’on considère la situation de chômage (odds ratio, OR=1,8 par rapport aux individus qui travaillent, p<0,001) et dans une moindre mesure le fait d’être ouvrier (OR=1,4 par rapport aux autres PCS, p<0,001) (tableau 2). Ces liens sont particulièrement marqués chez les hommes, mais la situation de chômage est aussi associée au tabagisme chez les femmes. Le fait d’être sans diplôme ou d’avoir un niveau de diplôme inférieur au bac reste également fortement associé au tabagisme régulier (OR=1,7 par rapport aux diplômés de niveau au moins égal au bac, p<0,001), en particulier chez les femmes de 20 à 44 ans (OR=2,1, p<0,001).

Tableau 2 : Odds ratios (OR) et intervalles de confiance à 95% (IC95%) associés au tabagisme quotidien issus de régressions logistiques ajustées sur chacune des covariables et sur le sexe et l’âge, parmi les actifs, France, 2000-2014
Agrandir l'image

Prévalence d’usage de la cigarette électronique (ou e-cigarette) et facteurs associés

Un quart des personnes âgées de 15 à 75 ans (25,7%) déclarent avoir déjà essayé la cigarette électronique, et presque six fumeurs sur dix (57,8%). La cigarette électronique a par ailleurs été expérimentée par 5,6% des individus n’ayant jamais fumé ou « juste une ou deux fois pour essayer ».

L’usage actuel de la cigarette électronique concerne 6,0% de l’ensemble de la population. Parmi les usagers actuels d’e-cigarette (ou vapoteurs) l’utilisant depuis au moins un mois à la date de l’enquête (5,0%), 57,3% l’utilisent tous les jours, 30,0% de manière hebdomadaire et 12,7% moins souvent. Sur l’ensemble des 15-75 ans, la proportion de vapoteurs quotidiens est ainsi de 2,9%.

Les trois quarts des vapoteurs sont des fumeurs réguliers de tabac (74,7%), 8,4% sont des fumeurs occasionnels, 15,0% sont des ex-fumeurs et 1,9% sont des individus n’ayant jamais fumé. Ces proportions sont respectivement de 65,3%, 10,3%, 23,1% et 1,2% parmi les vapoteurs quotidiens. Ramené à l’ensemble de la population, 0,9% des 15-75 ans sont des ex-fumeurs vapoteurs et 0,1% vapotent sans avoir jamais fumé.

Le lien entre usage de cigarette électronique et statut tabagique étant très marqué, l’analyse des facteurs associés a été effectuée parmi les fumeurs. Ainsi, l’usage de cigarette électronique est positivement associé à un niveau de revenu élevé, tandis que les chômeurs sont moins nombreux à l’utiliser, de même que les agriculteurs exploitants, artisans, commerçants et chefs d’entreprise (tableau 3).

Tableau 3 : Facteurs associés à l’utilisation de la cigarette électronique parmi les fumeurs de 15-75 ans, France, 2014. Pourcentages redressés et odds-ratios (OR) issus de régressions logistiques (n=4 752)
Agrandir l'image

Parmi les vapoteurs, l’arrêt du tabac est moins fréquent chez les femmes (14,1% sont des ex-fumeuses vs 16,2% des hommes, OR=0,6 [0,4-1,0], p<0,05). La proportion d’ex-fumeurs augmente également avec l’âge (jusqu’à 22,2% des vapoteurs chez les 45-54 ans). Concernant les autres variables socio-économiques étudiées, aucun lien significatif avec l’arrêt du tabac parmi les vapoteurs n’est observé après ajustement sur le sexe et l’âge.

Discussion

Sur le long terme, la prévalence tabagique diminue de manière régulière depuis les années 1970 parmi les hommes et, de manière moins nette, depuis les années 1990 parmi les femmes. Une baisse importante avait été observée entre 2000 et 2005, correspondant au lancement du premier plan cancer et à des augmentations importantes du prix du tabac. Après la hausse de la prévalence tabagique observée entre 2005 et 2010, la proportion de fumeurs apparaît stable entre 2010 et 2014 et une légère diminution de l’usage quotidien de tabac est observée. L’analyse par sexe montre que la prévalence du tabagisme régulier est en baisse chez les femmes uniquement, après avoir augmenté entre 2005 et 2010. La hausse observée entre 2005 et 2010 s’expliquait à la fois par un effet de génération chez les 45-64 ans 7 et par le fait que certaines femmes avaient recommencé à fumer après avoir arrêté un temps, ou étaient passées d’un tabagisme occasionnel à un tabagisme régulier 8. Au contraire, en 2014, le pourcentage de femmes ayant arrêté de fumer est en augmentation par rapport à 2010, ceci étant vérifié pour quasiment toutes les générations. Le nombre de cigarettes fumées est stable parmi les fumeurs quotidiens et se concentre sur des quantités comprises entre 5 et 15 cigarettes par jour. Un autre élément saillant de cette analyse est le maintien des inégalités sociales en matière de tabagisme. L’écart entre les chômeurs et les personnes qui travaillent pourrait même continuer à se creuser, alors que les fumeurs les moins favorisés sont aussi nombreux que les autres à déclarer avoir envie d’arrêter de fumer 10.

Les résultats du Baromètre santé 2014 peuvent être mis en regard des données de vente de tabac en France métropolitaine analysées par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Ces ventes ont fortement baissé en volume en 2013 par rapport à l’année précédente (-6%), et la tendance est identique en 2014 (-5% par rapport à 2013) 11. Cette baisse des ventes, importante (-14% au total entre 2010 et 2014), ne correspond que partiellement à l’évolution des données de consommation des Baromètres santé : légère baisse de la prévalence du tabagisme quotidien et stabilité du nombre moyen de cigarettes fumées par les fumeurs quotidiens. Des analyses sont actuellement en cours sur l’augmentation constatée du nombre moyen de cigarettes roulées fumées par les fumeurs quotidiens au détriment des cigarettes manufacturées. Ce transfert pourrait en effet contribuer en partie à la diminution des ventes totales de tabac : la quantité de tabac contenue dans une cigarette roulée est en effet inférieure à celle contenue dans une cigarette manufacturée (d’après le Centre international de recherche sur le cancer, les cigarettes roulées contiennent entre 0,4 et 0,75 grammes de tabac contre environ 1 gramme pour les cigarettes manufacturées (1)). D’autres résultats, non présentés ici, montrent par ailleurs que la part des achats transfrontaliers lors du dernier achat de tabac est de 16,3%, à un niveau relativement proche de celui observé en 2010 (15%) 12.

D’un point de vue international, la prévalence tabagique en France (34% de fumeurs) se situe bien au-dessus des niveaux enregistrés récemment au Royaume-Uni (20%), aux États-Unis (19%), en Australie (16%) 13 ou au Canada (17%), pays à la pointe de la lutte antitabac et pour lesquels la prévalence tabagique est en constante diminution depuis plusieurs années, voire décennies. Dans une moindre mesure, les prévalences observées dans d’autres pays voisins sont également inférieures : 26% en Allemagne, 25% aux Pays-Bas, 30% en Espagne 14. Dans une récente étude reprenant les leçons de différents rapports institutionnels, notamment un rapport de la Cour des comptes 15, les causes avancées pour expliquer la relative stabilité de la prévalence tabagique en France depuis 2005, en regard de la baisse continue observée en Angleterre, étaient : le manque de stratégie globale de contrôle du tabagisme en France, des hausses de prix insuffisantes, un financement inadéquat des politiques de lutte antitabac, l’influence de l’industrie du tabac et le rôle des buralistes 16.

En France, parmi l’ensemble des 15-75 ans, 6,0% déclarent utiliser la cigarette électronique (entre 2,6 et 3 millions d’individus), 2,9% de manière quotidienne (entre 1,2 et 1,5 millions d’individus), et 1,0% sont des vapoteurs exclusifs (c’est-à-dire qu’ils ne fument pas ou plus de tabac). Même si les méthodes d’enquête différentes ne permettent pas de comparer stricto sensu ces prévalences, ces chiffres sont très proches de ceux obtenus dans l’enquête Etincel réalisée par l’OFDT fin 2013 17. Il reste difficile à ce stade de se prononcer sur l’impact à long terme de la cigarette électronique sur le comportement tabagique : la hausse de la proportion d’ex-fumeurs, parmi lesquels environ 400 000 sont des vapoteurs, sera-t-elle durable ? Quelle part d’entre eux recommencera à fumer après avoir arrêté un temps avec la cigarette électronique ? L’analyse des enquêtes Escapad 2014 18 et Espad 2015, menées par l’OFDT auprès des jeunes de 15 à 17 ans, viendra compléter les résultats concernant le rôle de l’e-cigarette sur une éventuelle entrée dans le tabagisme, qui, d’après ces premiers éléments, semble marginal à l’échelle de la population.

Ces résultats donnent la mesure des progrès que la France doit accomplir dans le cadre de son Programme national de réduction du tabagisme, qui doit permettre de poser les bases d’une stratégie d’ensemble de lutte contre le tabac. Cette enquête permet également de repérer certaines populations qui demandent une attention particulière, comme les femmes de 55 à 64 ans, les personnes ayant un niveau de diplôme inférieur au bac, et surtout les chômeurs. L’enjeu est de conduire une politique de prévention du tabagisme qui puisse réduire les inégalités sociales qui se construisent dès l’entrée dans le tabagisme et se renforcent ensuite au cours de la vie 19,20. S’il faut aider chacun à sortir du tabagisme, il faut offrir une aide adaptée à chaque type de population selon ses besoins et ses difficultés. C’est ce que Michael Marmot a nommé l’universalisme proportionné 21.

Références

1 Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Programme national de réduction du tabagisme 2014-2019. http://www.sante.gouv.fr/tabac-accueil.html
2 Wilquin JL, Clément J, Lamboy B. Interventions validées ou prometteuses en prévention du tabagisme chez les jeunes: synthèse de la littérature. Santé Publique. 2013;(1) Suppl:65-74.
3 Durkin S, Brennan E, Wakefield M. Mass media campaigns to promote smoking cessation among adults: an integrative review. Tob Control. 2012;2:127-38.
4 Richardson S, Langley T, Szatkowski L, Sims M, Gilmore A, McNeill A, et al. How does the emotive content of televised anti-smoking mass media campaigns influence monthly calls to the NHS Stop Smoking helpline in England? Prev Med. 2014;69:43-8.
5 Guilbert P, Baudier F, Gautier A (dir.). Baromètre santé 2000, volume 2 : résultats. Vanves: Comité français d’éducation pour la santé; 2001. 473 p.
6 Beck F, Guilbert P, Gautier A (dir.) Baromètre santé 2005. Attitudes et comportements de santé. Saint-Denis: Institut national de prévention et d’éducation pour la santé; 2007. 608 p.
7 Beck F, Guignard R, Richard JB. Usages de drogues et pratiques addictives en France. Analyses du Baromètre santé Inpes. Paris: La Documentation française; 2014. 256 p.
8 Guignard R, Beck F, Richard JB, Peretti-Watel P. Le tabagisme en France. Analyse de l’enquête Baromètre santé 2010. Saint-Denis: Institut national de prévention et d’éducation pour la santé; 2013. 55 p. http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/pdf/1513.pdf
9 Richard JB, Gautier A, Guignard R, Léon C, Beck F. Méthode d’enquête du Baromètre santé 2014. Saint-Denis: Institut national de prévention et d’éducation pour la santé; 2014. 26 p. http://www.inpes.sante.fr/CFESbases/catalogue/pdf/1613.pdf
10 Guignard R, Beck F, Richard JB, Lermenier A, Wilquin JL, Nguyen-Thanh V. La consommation de tabac en France en 2014 : caractéristiques et évolutions récentes. Saint-Denis: Inpes, coll. Evolutions, décembre 2014,
n° 31. 6 p.
11 Janssen E, Lermenier-Jeannet A. Tabagisme et arrêt du tabac en 2014. Saint-Denis: OFDT;2015.10 p. http://www.ofdt.fr/ofdt/fr/tt_14bil.pdf
12 Ben Lakhdar C, Lermenier A, Vaillant NG. Estimation des achats transfrontaliers de cigarettes 2004-2007. Saint-Denis: Observatoire français de drogues et des toxicomanies. Tendances. 2011;75:1-6. http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eftxcbr3.pdf
13 Australian Institute of Health and Welfare. National Drug Strategy Household Survey detailed report 2013. Canberra: AIHW; 2014. 150 p. http://aihw.gov.au/WorkArea/DownloadAsset.aspx?id=60129549848
14 World Health Organization. WHO Report on the global tobacco epidemic, 2013. Enforcing bans on tobacco advertising, promotion and sponsorship. Geneva: WHO. 106 p. http://www.who.int/tobacco/global_report/2013/en/
15 Cour des comptes. Rapport d’évaluation. Les politiques de lutte contre le tabagisme. Paris: Cour des comptes; 2012. 332 p. http://www.ccomptes.fr/Actualites/Archives/Les-politiques-de-lutte-contre-le-tabagisme
16 McNeill A, Guignard R, Beck F, Marteau R, Marteau TM. Understanding increases in smoking prevalence: case study from France in comparison with England 2000-2010. Addiction. 2015;110(3):392-400.
17 Lermenier A, Palle C. Résultats de l’enquête ETINCEL-OFDT sur la cigarette électronique. Saint-Denis: Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 2014. 15 p. http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxalu2.pdf
18 Spilka S, Le Nézet O, Ngantcha M, Beck F. Consommation de tabac et usage d’e-cigarette à 17 ans. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(17-18):289-96. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/17-18/2015_17-18_2.html
19 Arwidson P. Quelles stratégies pour réduire les inégalités sociales de santé dans le domaine du tabagisme ? Santé en Action. 2014;(427):4-5.
20 Bricard D, Jusot F, Beck F, Khlat M, Legleye S. L’évolution des inégalités sociales de tabagisme au cours du cycle de vie : une analyse selon le sexe et la génération. Économie et Statistiques. 2015;(475-476):89-112. http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES475F.pdf.
21 Marmot M. Fair society, healthy lives: strategic review of inequalities in England post-2010. Londres: The Marmot Review, 2010. 238 p.

Citer cet article

Guignard R, Beck F, Wilquin JL, Andler R, Nguyen-Thanh V, Richard JB, et al. La consommation de tabac en France et son évolution : résultats du Baromètre santé 2014. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(17-18):281-8. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/17-18/2015_17-18_1.html