Efficacité des paquets de cigarettes neutres sur des fumeuses en France : une étude dans un contexte réel de consommation

// Effectiveness of plain cigarette packaging among female smokers in France: a study in real world consumption settings

Karine Gallopel-Morvan1 (karine.gallopel-morvan@ehesp.fr), Crawford Moodie2, Figen Eker3, Emmanuelle Béguinot3, Yves Martinet4
1 École des hautes études en santé publique (EHESP), EA 7348 MOS, Rennes, France
2 Centre for Tobacco Control Research, Université de Stirling, Écosse, Royaume-Uni
3 Comité national contre le tabagisme, Paris, France
4 Unité de coordination de tabacologie, Centre hospitalier universitaire, Université Henri Poincaré, Nancy ; Comité national contre le tabagisme, Paris, France
Soumis le 05.01.2015 // Date of submission: 01.05.2015
Mots-clés : Tabac | Tabagisme | Paquet neutre | Femme | Marketing
Keywords: Tobacco | Smoking | Plain packaging | Woman | Marketing

Résumé

Contexte –

Cette étude explore pour la première fois en France l’impact, sur des fumeuses, de paquets de cigarettes neutres combinés à des avertissements sanitaires visuels de grande taille, dans un contexte réel de consommation.

Méthode –

142 fumeuses occasionnelles et quotidiennes (25-40 ans) ont utilisé pendant 10 jours des paquets de cigarettes neutres qui affichaient le nom de leur marque de tabac habituelle. Avant et après l’utilisation des paquets neutres, il leur était demandé de remplir deux questionnaires afin d’évaluer leurs réactions par rapport au paquet de cigarettes « classique » et au paquet neutre. Les questions posées portaient sur la perception des paquets, des cigarettes, le sentiment lié à la tabagie, le fait de fumer devant les autres, les avertissements sanitaires, les comportements et les intentions comportementales.

Résultats –

En comparaison avec un paquet « classique », le paquet neutre est associé à des évaluations moins positives de l’emballage, de la marque et des cigarettes qu’il contient. Une moindre satisfaction à fumer et à fumer devant les autres a par ailleurs été constatée. Les participantes déclarent également avoir davantage envie d’arrêter de fumer, de réduire leur consommation et de chercher des informations sur l’arrêt. Aucun effet du paquet sur la crédibilité des messages sanitaires et du taux de goudrons perçu des cigarettes n’est en revanche remarqué.

Conclusion –

Cette étude montre que, conformément aux travaux antérieurs réalisés sur le paquet neutre, ce dernier influence les réactions des fumeuses dans un sens favorable à la politique de lutte contre le tabagisme.

Abstract

Background –

The present study explored, for the first time in France female smokers’ response to using plain packaging in real-world settings.

Methods –

Naturalistic research was employed, where 142 casual and regular female adult smokers (25-40 years) used plain packs for ten days; the plain packs contained their usual brand of cigarettes and displayed the name of their usual brand. Participants completed two questionnaires to measure their response to their own branded packs and the plain packs. Both questionnaires assessed pack perceptions, product perceptions, feelings about smoking, feelings when using the pack in front of others, warning response and smoking-related behavior.

Results –

Compared to their own fully branded packs, plain packs were associated with less positive pack, product and brand perceptions, and less positive feelings about smoking and using the pack in front of others. Participants were also more likely to report feeling like reducing consumption and quitting when using the plain packs, and more likely to feel like looking for information on quitting. No significant differences between the two pack types (plain and branded) were found in terms of credibility of warnings and perceptions of level of tar.

Conclusions –

This study confirms the results found in previous research on plain packaging and shows that it has potential public health benefits.

Introduction

En France, 34% de la population fume, dont 28,2% quotidiennement 1, et 73 000 personnes décèdent prématurément chaque année à cause du tabac 2. Face à ce problème majeur de santé publique, le ministère de la Santé a proposé en 2014 un Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) 3. Entre autres mesures, le PNRT propose l’adoption du paquet de cigarettes neutre. Ce dernier ne comporterait plus aucun signe publicitaire, le nom de la marque serait écrit de manière standardisée et sa couleur serait la moins attractive possible (figure 1). Cette mesure, associée à des messages sanitaires visuels de grande taille, est préconisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans le cadre de la Convention cadre pour la lutte anti-tabac 4. L’Australie est le seul pays à avoir adopté ce dispositif en décembre 2012. La France, l’Irlande et la Grande-Bretagne ont voté sa mise en place, alors que la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Finlande et la Suède y réfléchissent.

Plus de 60 études ont été réalisées afin de tester l’intérêt du paquet neutre dans une politique globale de lutte contre le tabagisme. Selon ces recherches, celui-ci permet d’améliorer la visibilité, la mémorisation et l’efficacité des avertissements sanitaires, d’éviter la désinformation des consommateurs quant à la réelle dangerosité du tabac, d’augmenter l’envie d’arrêter de fumer et de diminuer la consommation 5,6. Concernant les adolescents, le paquet neutre ne donne pas envie d’être acheté ni de commencer à fumer, annihile la fonction marketing de l’emballage et l’attractivité de la marque et rend moins séduisant l’acte de fumer 7. Depuis la mise en place de cet emballage en Australie, les fumeurs ont davantage arrêté de fumer, sont plus motivés à arrêter de fumer et les appels vers la ligne tabac-info-service ont augmenté de 78% 8,9,10.

L’objectif de la recherche présentée dans cet article est de tester l’efficacité des paquets de cigarettes neutres sur des femmes fumeuses françaises. Différentes raisons ont orienté ce choix. En premier lieu, la prévalence du tabagisme féminin est élevée en France (en 2014, 24,3% des femmes âgées de 15-75 ans fumaient régulièrement, 32,5% des 20-25 ans et 28,7% des 26-34 ans) 1. Il est donc important de se poser la question de l’efficacité des outils de prévention (dont le paquet neutre) sur cette population.

En deuxième lieu, l’industrie du tabac déploie un marketing intensif pour inciter les femmes à fumer 11,12,13 : publicités qui promettent l’indépendance, la modernité, l’émancipation, etc. ; marques « spéciales femmes » qui évoquent la minceur, la mode, etc. Aujourd’hui, c’est à travers le paquet de cigarettes que les compagnies de tabac diffusent ces valeurs positives (figure 1) : formes élégantes de l’emballage (étui à rouge à lèvres), couleurs attractives (rose, vert, violet, paquets brillants, etc.), noms de marque évocateurs de mode et de minceur (Vogue, Allure, Corset, Virginia Slims, Yves Saint-Laurent), cigarettes longues aux goûts floraux (lilas, menthe, jasmin, etc.), mentions positives sur les paquets (superslims, arôme, frisson, pink, etc.). Ainsi dans les pays comme la France où la publicité est interdite depuis 1991 (Loi Evin), le paquet de cigarettes est devenu un support de communication essentiel pour cibler les femmes. Il est donc important de se poser la question de l’intérêt du paquet neutre pour contrer ce marketing déployé autour de l’emballage.

En troisième lieu, les recherches menées sur l’efficacité des paquets neutres sur les femmes sont peu nombreuses (nous en avons recensé cinq). Quatre d’entre elles ont déployé une méthodologie, des stimuli et des mesures similaires : les participantes, interrogées sur Internet, devaient donner leur avis sur différents critères après avoir été exposées à des paquets de cigarettes féminins ou des paquets de la même marque mais neutres 14,15,16,17. Une étude a été menée dans un contexte réel de consommation : il était demandé à des fumeuses de consommer leur tabac dans des paquets neutres pendant une semaine 18. Les résultats de ces recherches montrent que, en comparaison avec un paquet féminin ou un paquet « classique », le paquet neutre réduit les attitudes, perceptions et valeurs positives associées au produit et à l’emballage (mode, minceur, attractivité, etc.), augmente les envies de ne pas fumer, de ne pas fumer devant les autres, d’arrêter de fumer et de réduire sa consommation de tabac.

Figure 1 : Paquets de cigarettes féminins vendus en France et paquet neutre vendu en Australie depuis 2012
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L’objectif de notre recherche est de compléter ces travaux sur l’impact des paquets neutres sur les femmes et, pour la première fois sur cette population en France, dans une situation réelle de consommation.

Méthode

En mars 2013, des femmes fumeuses quotidiennes et occasionnelles âgées de 25 à 40 ans ont été recrutées par une société d’étude de marché dans cinq villes françaises (Paris, Marseille, Metz, Nantes, Toulouse). Les recruteurs abordaient des femmes dans la rue et leur proposaient de participer à une étude sur le tabagisme. Des questions étaient posées sur leur disponibilité pendant les 10 prochains jours (durée de l’étude), le nombre de cigarettes fumées, leur âge, leur motivation à arrêter de fumer, la marque habituellement fumée, etc. Si elles étaient d’accord et disponibles sur la période de l’étude, il était précisé aux participantes qu’elles devaient acheter le nombre de paquets de cigarettes nécessaires pour une consommation de 10 jours, puis un rendez-vous à leur domicile était pris. Quelques jours plus tard, le recruteur se rendait chez ces femmes avec le nombre de paquets neutres nécessaires pour la consommation de 10 jours déclarée préalablement (paquets neutres vides et étiquetés au nom de la marque habituellement fumée par la répondante). Ce rendez-vous avait plusieurs objectifs : récupérer les paquets de cigarettes « classiques » achetés par les fumeuses pour leur consommation de 10 jours, les interroger sur ce paquet « classique », transférer les cigarettes de ces paquets dans les paquets neutres et préciser les instructions pour participer à l’étude (fumer seulement les cigarettes des paquets neutres, répondre à un questionnaire envoyé par Internet 10 jours après le début de l’étude, renvoyer ou détruire tous les paquets neutres à la fin de l’étude). À l’issue de ce rendez-vous, un consentement écrit à participer à l’enquête et à suivre les instructions était signé par les répondantes. À la fin de l’étude, les femmes qui avaient participé à l’intégralité de l’enquête recevaient un bon cadeau d’une valeur de 30 euros.

Les paquets neutres utilisés étaient identiques aux paquets australiens (couleur Pantone 448C, nom de la marque écrit en Lucida Sans et de couleur Pantone Cool Gray 2C). Deux avertissements visuels déjà existants en France couvraient 75% de la face avant et arrière des paquets neutres, conformément au projet de Directive européenne des produits du tabac de l’époque -2013- (figure 2).

Figure 2 : Paquets de cigarettes neutres utilisés par les fumeuses pendant 10 jours
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Les questions suivantes étaient posées aux répondantes sur leur paquet de cigarettes « classique » (interview à domicile, avant l’utilisation des paquets neutres) et sur les paquets neutres après les avoir utilisés pendant 10 jours (questions posées par Internet, envoi d’un courriel aux répondantes) :

  • perception et attitudes à l’égard des paquets de cigarettes et de la marque de tabac ;
  • perception des cigarettes contenues dans les paquets et des messages sanitaires ;
  • sentiments par rapport au fait de fumer et de fumer devant les autres ;
  • intentions de comportement (envie d’arrêter, de réduire, etc.).

Les réponses à ces questions étaient mesurées à l’aide d’une échelle de Likert à 5 points (1 : pas du tout d’accord ; 2 : plutôt pas d’accord ; 3 : pas d’avis ; 4 : plutôt d’accord ; 5 : tout à fait d’accord) ou d’une échelle d’Osgood (pas du tout attrayant=1 vs. très attrayant=5, etc.). Afin de comparer les moyennes obtenues sur les paquets « classiques » vs. les paquets neutres, un test T pour échantillons appariés a été utilisé.

Résultats

Échantillon

Parmi les 198 répondantes recrutées, 142 ont rempli totalement et correctement le questionnaire final (sur Internet) et déclaré avoir seulement utilisé les paquets neutres pendant 10 jours. Les personnes ayant déclaré avoir utilisé des paquets neutres et des paquets « classiques » ont été retirées de l’échantillon. L’âge moyen des fumeuses était de 32,87 ans (écart-type 5,18) et elles avaient toutes entre 25 et 40 ans. Cent femmes étaient des fumeuses quotidiennes (70,4%) et 42 occasionnelles (29,6%). La consommation moyenne des fumeuses occasionnelles dans les 10 jours précédant l’étude était de 15 cigarettes (écart-type 12,98) ; elle était de 10,95 par jour pour les fumeuses quotidiennes (écart-type 6,1), dont 39 fumaient moins de 10 cigarettes par jour. Concernant la motivation à arrêter de fumer, 10 fumeuses ont déclaré avoir envie d’arrêter dans les six prochains mois (7%), 17 après les six prochains mois (12%), alors que 115 ne souhaitaient pas arrêter (81%). L’ensemble des participantes fumaient habituellement des cigarettes manufacturées (et non des cigarettes à rouler ou d’autres formes de tabac). Cinquante-six femmes (39,4%) ont déclaré qu’elles achetaient parfois des paquets de cigarettes féminins (Virginia Slims, Vogue, etc.). Les marques habituellement consommées au moment de l’étude par les 142 fumeuses étaient les suivantes : Vogue (22), Lucky Strike (16), Marlboro (15), Philip Morris (15), Winston, Camel, Virginia Slims, etc. Concernant les marques non féminines, ce sont majoritairement des cigarettes « légères » (paquets blancs, version Marlboro « gold »), mentholées ou fines (paquet Camel en forme d’étui à rouge à lèvres) qui étaient consommées par les participantes.

Perceptions et attitude à l’égard des paquets de cigarettes et de la marque

Le paquet neutre est significativement moins bien évalué sur les items « attrayant, attirant, stylé, à la mode et élégant » comparativement au paquet de cigarettes « classique ». Les moyennes sur ces attributs vont de 1,86 à 2,13 pour le paquet neutre, contre 3,27 à 3,49 pour le paquet « classique » (tableau 1). L’appréciation par rapport au paquet de cigarettes et à la marque (la même sur les deux paquets) est également significativement plus faible sur le paquet neutre (respectivement 2,08 et 4,10) en comparaison avec le paquet « classique » (respectivement 3,73 et 4,55) (tableau 1).

Tableau 1 : Perceptions et attitude de 142 femmes vis-à-vis du paquet et de la marque (paquet « classique » vs. paquet neutre), France, 2013
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Perception des cigarettes et des avertissements sanitaires

La qualité perçue des cigarettes habituellement fumées est affectée par leur contenant (tableau 2). Ces cigarettes insérées dans un paquet neutre (vs. le paquet « classique » habituel) sont jugées de qualité moindre (moyenne de 3,79 pour le paquet neutre vs. 4,29 pour le « classique ») et de moins bon goût (3,87 vs. 4,32). Elles sont également perçues plus légères en goût dans le paquet « classique » (3,56) en comparaison avec le paquet neutre (3,11). En revanche, les cigarettes ne sont pas associées à des niveaux significativement différents de goudrons selon leur emballage (p=27%). Enfin, 30,3% des répondantes sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord pour dire qu’elles n’ont pas eu l’impression de fumer les mêmes cigarettes lorsqu’elles provenaient du paquet neutre.

Concernant les messages sanitaires apposés sur les paquets, leur crédibilité n’est ni affectée par leur taille (30 et 40% sur le paquet « classique » : format actuel en France, 75% sur le paquet neutre), ni par leur format (textuel / visuel pour le paquet « classique », visuels sur les deux faces pour le paquet neutre), ni par leur contexte d’insertion (paquet « classique » vs. neutre) (p=54%) (tableau 2). En revanche, les messages sanitaires font davantage prendre conscience des dangers du tabac quand leur taille est supérieure, quand leur format est visuel et qu’ils sont insérés sur un paquet neutre (3,93 pour le paquet neutre vs. 3,37 pour le paquet « classique »).

Tableau 2 : Perceptions de 142 femmes vis-à-vis des cigarettes et des avertissements sanitaires (paquet « classique » vs. paquet neutre), France, 2013
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Sentiments par rapport à la tabagie et au fait de fumer devant les autres

Les participantes ont déclaré ressentir significativement moins de satisfaction et de plaisir à fumer avec un paquet neutre en comparaison avec leur paquet habituel (respectivement 2,91 et 2,99 pour le paquet neutre contre 3,96 et 4,02 pour le paquet « classique ») (tableau 3). Elles se sentaient également plus embarrassées de sortir le paquet neutre devant leurs amis et leurs proches (3,19) que leur paquet habituel (4,68) et avaient le sentiment de donner une moins bonne image d’elles avec le paquet neutre (2,73 contre 3,45 pour le paquet « classique »).

Tableau 3 : Sentiments de 142 femmes par rapport à la tabagie et au fait de fumer devant les autres (paquet « classique » vs. paquet neutre), France, 2013
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Comportements et intentions de comportement

Les comportements et les intentions comportementales sont affectés par le paquet neutre (tableau 4). Ainsi le paquet neutre, en comparaison avec un paquet « classique », donne plus envie aux fumeuses de réduire leur consommation de tabac (2,9 pour le paquet neutre vs. 2,28 pour le paquet « classique »), d’arrêter (2,55 vs. 2,04), de chercher des informations sur l’arrêt (2,53 vs. 2,11), d’écraser une cigarette qu’elles avaient commencée à fumer (2,26 vs. 1,83), de cacher leur paquet devant les autres (2,8 vs 1,41) et de moins fumer devant leur entourage (2,67 vs. 1,84). Le paquet neutre donne également moins envie d’être acheté (2,58) qu’un paquet « classique » (4,03) ou de prendre une cigarette pour la fumer (2,67 vs. 4,05).

Tableau 4 : Comportements et intentions de comportement de 142 femmes (paquet « classique » vs. paquet neutre), France, 2013
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Discussion et conclusion

Alors que la prévalence tabagique des femmes reste élevée en France et que l’industrie du tabac les cible avec des paquets de cigarettes féminins très attractifs 19, notre étude avait pour objectif d’évaluer, sur cette population, l’intérêt du paquet neutre, combiné à des avertissements sanitaires de grande taille. Nos résultats corroborent les conclusions des recherches passées quant à l’efficacité de ce dispositif de prévention 5,6, celles des études réalisées dans un contexte réel de consommation 7,8,9,10,20,21 et sur des femmes 14,15,16,17,18. En effet, chez les fumeuses interrogées, la consommation de cigarettes emballées dans des paquets neutres pendant 10 jours s’est traduite par :

  • un impact sur les intentions de comportement, en accord avec une politique efficace de lutte contre le tabagisme : davantage d’envie d’arrêter de fumer, de réduire sa consommation, de rechercher des informations sur l’arrêt, etc. Ce résultat est important car la majorité des femmes interrogées n’était pas intéressée par l’arrêt du tabac avant d’utiliser les paquets neutres. Au final, ces femmes non motivées étaient plutôt d’accord (48,7%) ou tout à fait d’accord (45,2%) pour dire que le paquet neutre leur avait donné envie d’arrêter de fumer et de chercher des informations sur l’arrêt du tabac ;
  • une baisse de la satisfaction à fumer en général et une gêne à sortir le paquet neutre devant les amis et les proches. Cela laisse penser que le paquet neutre peut contribuer à « dénormaliser » les produits du tabac ;
  • une réduction de l’attractivité du paquet de cigarette et de la marque de tabac. Ce résultat est d’autant plus important qu’en France, le paquet de cigarettes est un outil marketing essentiel pour l’industrie du tabac ;
  • une amélioration de l’information sur la dangerosité du produit : alors que le goût léger des cigarettes est parfois associé par les consommateurs à une dangerosité moindre 22, le paquet neutre réduit cette perception de légèreté. Par ailleurs, la prise de conscience des dangers du produit s’est également accrue avec l’insertion des avertissements visuels de grande taille sur les paquets. Cela conforte l’intérêt de la Directive européenne qui obligera bientôt les États membres à augmenter la taille des messages (65% sur les deux faces du paquet (1)) et à adopter un format visuel 23.

En revanche, ni la crédibilité des avertissements sanitaires ni la perception du taux de goudrons des cigarettes n’ont été affectées par le paquet neutre. Ces constats ont déjà été faits dans des recherches antérieures relatives aux taux de goudrons 14,17 et à la crédibilité des messages 18. Ces résultats pourraient être liés à une mauvaise compréhension de la question sur les cigarettes « très chargées en goudrons » et au fait que les avertissements insérés sur les paquets neutres étaient déjà connus des répondantes (ces messages sanitaires ont pu augmenter la crédibilité des risques, mais peut-être seulement au moment de leur introduction sur les paquets en France, en 2011).

Si notre étude apporte des résultats importants, il convient toutefois d’en préciser les limites. Tout d’abord, les résultats portent sur une utilisation limitée dans le temps des paquets neutres (10 jours). Il serait intéressant de réaliser des études sur une période plus longue. Ensuite, les modes de collecte différents des réactions des fumeuses (en face à face pour le paquet « classique » et sur Internet pour le paquet neutre) ont pu affecter les résultats (même si les conclusions dégagées sont similaires à celles des recherches passées sur le paquet neutre). Par ailleurs, nous avons testé l’efficacité des paquets neutres combinés à des avertissements visuels de grande taille. Il est donc difficile de dire si c’est plutôt l’effet des avertissements, du paquet neutre ou des deux mesures combinées qui a influencé les réactions des participantes. Toutefois, étant donné que l’OMS recommande l’adoption de ces mesures combinées sur le paquet, il est moins nécessaire d’appréhender précisément l’effet individuel de chacun de ces deux outils de prévention. Enfin, les répondantes étant conscientes de participer à une étude, cela a pu introduire un biais dans les réponses qu’elles ont apportées.

En dépit de ces limites, notre recherche contribue à améliorer les connaissances sur l’efficacité des paquets neutres sur une cible de femmes et dans un contexte réel de consommation de tabac. Elle va dans le sens des données australiennes encourageantes observées depuis l’introduction du paquet neutre (2012) combiné à d’autres mesures (avertissements de grande taille, hausses de prix des produits du tabac). En effet, il a été constaté une baisse de la prévalence tabagique des Australiens de 3,4% en 2013 en comparaison avec 2012, et un recul du tabagisme des jeunes (entre 2010 et 2013 : recul de l’âge de la première cigarette – respectivement 15,9 ans et 15,4 ans – et augmentation de la proportion de jeunes de 18-24 ans qui n’ont jamais fumé – respectivement 72% et 77%) 24.

Remerciements

Les auteurs remercient la Direction générale de la santé pour le financement de cette recherche effectuée dans le cadre du projet « Impact des paquets de cigarettes neutres standardisés et des avertissements sanitaires sur les perceptions et les comportements des individus » (projet n° 12156*03).

Références

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24 Australian Government, Department of Health. Tobacco Control. http://www.health.gov.au/internet/main/publishing.nsf/Content/tobacco

Citer cet article

Gallopel-Morvan K, Moodie C, Eker F, Béguinot E, Martinet Y. Efficacité des paquets de cigarettes neutres sur des fumeuses en France : une étude dans un contexte réel de consommation. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(17-18):308-15. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/17-18/2015_17-18_5.html

1 En 2013, le projet de Directive européenne prévoyait une taille de 75%. C’est la taille de 65% qui a finalement été retenue dans la Directive 2014.