Tabac : des données essentielles à l’aune du premier programme français de réduction du tabagisme

// Smoking: essential data in relation to the first French smoking reduction programme

François Bourdillon
Directeur général de l’Institut de veille sanitaire et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, France

Chaque année, la Journée mondiale de lutte contre le tabagisme (31 mai) est l’occasion de faire un point de la situation. Cette année, le BEH présente, notamment, les données de consommation de tabac tant attendues – les dernières dataient de 2010. Il donne un éclairage sur l’usage de la cigarette électronique. Enfin, il présente des données sur ce que pourrait être l’impact de la mise en place du paquet neutre, une des mesures phares du programme national de réduction du tabagisme (PNRT). Que nous apprennent ces données ?

La prévalence du tabagisme parmi les 15-75 ans en France est de 34%, un niveau très élevé. Le tabagisme quotidien est à 29%, mais près d’un tiers des jeunes de 17 ans fument quotidiennement. Ces données sont désespérément stables. Les chiffres du tabagisme chez les femmes enceintes et chez les femmes allaitantes, respectivement de 16,1% et 13,4%, sont très et trop élevés au regard de la dangerosité du tabac sur le fœtus et la santé de l’enfant à naître.

Toutefois, il convient de noter deux embellies depuis 2010. La première est que la proportion des fumeurs quotidiens ayant fait une tentative d’arrêt dans l’année est en hausse : 29% en 2014 vs. 25% en 2010, et cette hausse est particulièrement marquée chez les 15-24 ans : 54% en 2014 vs. 41% en 2010. La seconde est que 1,1 million de personnes déclarent avoir cherché des conseils ou de l’aide sur Internet : un média de référence pour les fumeurs.

Les études présentées soulignent sans surprise de fortes inégalités sociales de santé : la prévalence du tabagisme chez les chômeurs est beaucoup plus importante que chez ceux qui travaillent (48% versus 30%) et, chez les jeunes de 17 ans, être en situation de déscolarisation ou en apprentissage sont des facteurs fortement liés à la consommation quotidienne de tabac. Ces résultats justifient toute l’attention que nous devons porter aux inégalités sociales de santé dans nos politiques : à les mesurer et à mener des actions pour les réduire.

Les données sur la cigarette électronique confirment son essor : 12 millions de personnes l’ont testée et 3% des 15-75 ans en sont des utilisateurs quotidiens. Elle est en très grande majorité utilisée par les fumeurs et 82% d’entre eux l’utilisent pour arrêter de fumer. Elle permet une réduction du nombre de cigarettes fumées : moins 9 en moyenne par jour, ce qui ouvre à nouveau le débat sur l’intérêt de la cigarette électronique comme outil de réduction des risques. Cette réduction du nombre de cigarettes fumées compense-t-elle le facteur durée du tabagisme, dont on sait qu’il est un facteur de risque beaucoup plus important que l’intensité de de la consommation ? Enfin, faudra encore attendre pour en savoir plus sur l’efficacité de la cigarette électronique dans le sevrage tabagique.

Enfin, une étude française sur des fumeuses explore l’impact des paquets neutres en comparaison aux paquets habituels. Elle montre, chez leurs utilisatrices, des évaluations moins positives de l’emballage et de la marque ainsi qu’une moindre satisfaction à fumer et à fumer devant les autres. Cette étude, qui corrobore nombre d’autres travaux, est donc en faveur de l’instauration du paquet neutre ; elle souligne que celui-ci influence les perceptions et les intentions comportementales dans un sens favorable à la santé publique.

Toutes ces données sont importantes car elles constituent, en quelque sorte, le T0 du PNRT voulu et commandé par le Président de la République et lancé par Marisol Touraine, ministre des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des femmes, en septembre 2014 1. C’est la première fois que la France se dote d’un tel programme, réclamé de longue date par de nombreux professionnels et acteurs de la lutte contre le tabagisme devant les mauvais chiffres de prévalence de la consommation de tabac observés en France (34%). Il faut souligner que de nombreux pays, aux premiers rangs desquels l’Australie, la Grande-Bretagne, le Canada et le Brésil, ont obtenu des résultats encourageants avec des taux de prévalence qui se situent aujourd’hui à moins de 25% (l’Australie est à 12,8%). Le PNRT a pour but de protéger les jeunes et d’éviter l’entrée dans le tabagisme, de renforcer l’aide au sevrage tabagique et d’agir sur l’économie du tabac. Il vise à donner de la cohérence aux actions et à mettre en place des mesures très attendues : imposer le paquet neutre et la mention du logo pour avertir les femmes enceintes de la dangerosité du tabagisme, mobiliser les soins de premier recours pour l’aide au sevrage tabagique, améliorer le remboursement des aides au sevrage tabagique, renforcer l’arsenal de dénormalisation du tabac (encadrement de la publicité de la cigarette électronique, interdiction du vapotage dans les écoles, les transports collectifs, les espaces clos de travail) et, enfin, faire financer par l’industrie du tabac un fonds dédié aux actions de lutte contre le tabagisme.

Incontestablement, ce qui apparaît aujourd’hui important est un engagement politique fort de s’appuyer sur un ensemble de mesures plurisectorielles convergeant vers un même objectif, en leur donnant toute la cohérence nécessaire et en les dotant des moyens utiles à leur mise en œuvre.

Référence

1 Programme national de réduction du tabagisme 2014-2019. Paris : Ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, 2014. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNRT2014-2019.pdf

Citer cet article

Bourdillon F. Éditorial. Tabac : des données essentielles à l’aune du premier programme français de réduction du tabagisme. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(17-18):280-1. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/17-18/2015_17-18_0.html