Évolution de l’incidence du cancer du poumon en France chez les jeunes adultes entre 1982 et 2012
// Incidence trends of lung cancer among young adults in France from 1982 to 2012
Résumé
Introduction –
Le tabac est le principal facteur de risque du cancer du poumon. L’évolution de l’incidence des cancers chez les jeunes adultes est rarement étudiée. Cet article en présente une analyse de la tendance en France durant les 30 dernières années chez les 20-44 ans.
Matériel et méthode –
L’incidence observée sur la période 1982-2010 pour les 20-44 ans était fournie par six registres de cancer couvrant environ 6% de la population française. Des modèles âge-période-cohorte ont été ajustés sur ces données et des prédictions à court terme ont été fournies pour l’année 2012.
Résultats –
Les cancers du poumon de l’adulte âgé de 20 à 44 ans représentent 3,8% de l’ensemble des cancers du poumon observés entre 1982 et 2010. Chez les femmes de 20-44 ans, une augmentation importante de l’incidence du cancer du poumon est observée sur l’ensemble de la période. Chez les hommes, une légère diminution est observée sur la période d’étude. Cette diminution est plus marquée sur la fin de la période.
Conclusion –
Bien que l’incidence de ce cancer soit rare chez les jeunes adultes, ces résultats montrent une forte augmentation de l’incidence chez les jeunes femmes en France. Ces résultats préoccupants suggèrent que cette population doit être la cible des campagnes de prévention, tout en poursuivant les efforts contre le tabagisme chez les hommes.
Abstract
Background –
Tobacco is currently the most important risk factor of lung cancer. Data on incidence of this cancer in young adults are scarce. This paper presents an analysis of trends in incidence in the 20-44 year-olds in France over the last 30 years.
Material and methods –
Observed incidence data over the 1982-2010 period for the 20-44 years old age-group were provided from six cancer registries covering approximately 6% of the French population. Age-period-cohort models were used and short-term predictions provided estimates of cancer incidence for France in 2012.
Results –
The 20-44 years old age group represents 3.8% of all observed lung cancer cases over the period 1982-2010. In young women, a large increase was observed for the whole period. In men, a slight decline was observed over time for lung cancer, which was more pronounced at end of the study period.
Conclusion –
Although lung cancer incidence is rare in young adults, these results show a large increase in incidence in young women in France. These worrying results suggest that this population should become a particular target of prevention campaigns, whereas effort against tobacco should be pursued in men.
Introduction
La consommation de tabac est responsable d’au moins 80% des cas du cancer du poumon 1. L’âge à la première cigarette étant en baisse, l’incidence de ce cancer chez les jeunes adultes est une préoccupation majeure de santé publique. Connaître son évolution permettrait d’adapter et d’améliorer les méthodes et outils de prévention ainsi que d’aider à l’évolution du système de soins. L’objectif de ce travail était d’analyser les tendances de l’incidence du cancer du poumon chez les adultes âgés de 20 à 44 ans.
Matériels et méthodes
Les données d’incidence pour le cancer du poumon des 20-44 ans ont été obtenues à partir de six registres généraux de cancers (Calvados, Doubs, Isère, Bas-Rhin, Somme et Tarn) couvrant la période 1982-2010. Les sites étudiés ont été définis selon l’ICD-O-3 (International Classification of Diseases for Oncology, 3rd edition), en sélectionnant les codes topographiques C33 et C34. Les données de population par registre, sexe, âge et année de diagnostic ont été fournies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les taux d’incidence chez les jeunes adultes ont été estimés en ajustant un modèle âge-période-cohorte (APC) sur les données observées, séparément pour chaque sexe. Le principe général des modèles APC est d’exprimer un taux (ici d’incidence) en fonction des caractéristiques individuelles d’âge, d’année de naissance (cohorte) et d’année de diagnostic (période), en supposant que le nombre de cas incidents observé suit une loi de Poisson. Afin de produire des estimations pour l’année 2012, des projections à très court terme ont été réalisées à partir de ce modèle, la dernière année d’observation étant 2010 au moment de l’étude. Les taux standardisés monde tronqués ont été utilisés, permettant ainsi de comparer des populations n’ayant pas la même structure d’âge. Le risque cumulé et le taux annuel moyen d’évolution sont également présentés. Des informations plus complètes sur la méthode ont été publiées par ailleurs 2,3.
Résultats
Le groupe d’âge 20-44 ans représente 3,8% des cas de cancer du poumon observés sur la zone d’étude et sur la période 1982-2010 (tableau). Une légère diminution, mais qui est statistiquement significative, est observée chez les jeunes hommes sur cette période (figure 1), avec un taux annuel moyen d’évolution de -2,3% (intervalle de confiance à 95%, IC95%:[-2,91;-1,68]) (tableau). À l’inverse, une forte augmentation de l’incidence de ce cancer est observée chez les jeunes femmes, avec un taux annuel moyen d’évolution de 4,3% (IC95%:[3,2;5,4]). Sur la fin de la période d’étude, les tendances indiquent cependant une diminution plus importante du taux d’incidence chez les hommes jeunes, et une augmentation moins marquée chez les femmes jeunes (figure 1). Le risque cumulé sur la tranche d’âge 20-44 ans a diminué en fonction de la cohorte de naissance chez les hommes jeunes, alors que chez les femmes jeunes, une augmentation du risque cumulé est observée. Plus précisément, le risque cumulé varie de 0,21% à 0,11% chez les hommes et de 0,01% à 0,11% chez les femmes, respectivement pour les cohortes 1940 et 1970 (figure 2). Les estimations restent toutefois plus favorables pour les 20-44 ans que pour les classes d’âges plus âgées. En effet, la diminution est plus forte chez les hommes de 20-44 ans que chez les plus âgés, et l’augmentation est moins marquée chez les femmes de 20-44 ans que chez les plus âgés (résultats non présentés). Enfin, les taux d’incidence estimés pour 2012 sont quasiment identiques pour les deux sexes : le taux brut d’incidence est de 4,7 pour les hommes et 4,5 pour les femmes ; le taux standardisé monde est de 1,4 pour les hommes et 1,3 pour les femmes.
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Discussion
Cette étude présente l’évolution de l’incidence du cancer du poumon chez les 20-44 ans durant ces 30 dernières années en France. Les données sont issues du réseau des registres de cancer français (Francim) et ont donc été recueillies de manière standardisée et homogène, quels que soient la période et le lieu de diagnostic. La qualité et l’exhaustivité des registres du réseau Francim sont certifiées suite à des évaluations organisées sous forme d’audits par les institutions nationales (Institut de veille sanitaire, Inserm, Institut national du cancer).
Les analyses d’incidence de cancer chez les jeunes adultes sont assez rares. En cas d’augmentation, elles peuvent cependant fournir des signaux d’alerte précoces sur un phénomène nouveau et donner des indications sur l’efficacité d’une politique de prévention.
L’incidence du cancer du poumon a augmenté de façon significative chez les jeunes femmes en France entre 1982 et 2012, tandis qu’une légère baisse a été observée chez les jeunes hommes. Ces résultats sont cohérents avec ceux observés dans d’autres pays européens 4,5,6. Une étude récente sur le cancer du poumon et sur d’autres cancers liés au tabac a comparé les évolutions d’incidence au sein de l’Europe pour le groupe d’âge des 35-74 ans 7. Alors que la prévalence du tabagisme baisse aussi bien chez les femmes que chez les hommes dans la plupart des pays européens, la France se caractérise par une hausse chez les femmes à la fois de la prévalence du tabagisme et de l’incidence du cancer du poumon 8. En France, pour l’année 2012, l’incidence du cancer du poumon chez les 20-44 ans est pratiquement égale chez les femmes et chez les hommes. Une observation similaire avait été faite en Ontario, au Canada, à la fin des années 1990, où le taux d’incidence du cancer du poumon chez les jeunes femmes âgées de 20 à 44 ans égalait, voire dépassait, celui des hommes 9. Malgré la baisse observée au cours de la dernière décennie, la France a toujours l’un des taux les plus élevés d’incidence de cancer du poumon chez les jeunes hommes, soit par exemple environ 2,5 fois plus élevé qu’au Royaume-Uni. Chez les femmes, le taux français se situe dans la moyenne européenne 5. Les tendances à la hausse chez les femmes de 20 à 44 ans sont cependant inquiétantes, ce cancer étant maintenant la deuxième cause de décès par cancer dans la population générale française 3. Une étude portant sur l’évolution de la mortalité due à ce cancer chez les 20-44 ans pourrait être menée afin de compléter ces observations sur l’incidence.
La durée d’exposition étant plus importante que la quantité fumée, il est probable que la majorité des cancers observés chez les moins de 35 ans ne soient pas liés au tabac mais plutôt à des mutations génétiques. Cependant, environ 90% des cas observés dans cette étude concernaient des personnes âgées de 35 à 44 ans.
Il existe d’autres facteurs de risque que le tabac pour le cancer du poumon. Ces autres facteurs établis sont le tabagisme passif, l’exposition au radon et à l’amiante, ainsi que la pollution de l’air extérieur. Il est cependant peu probable que ceux-ci aient une influence sur les tendances de l’incidence, la consommation tabagique pouvant expliquer à elle seule l’évolution de ce cancer.
En France, les femmes se sont mises à fumer de façon massive environ vingt ans plus tard que les hommes 8,10. Les femmes nées entre 1945 et 1965 appartiennent à la génération de l’« émancipation », et ont été également la cible « marketing » de l’industrie du tabac. Entre 1953 et 2001, une augmentation de la prévalence du tabagisme a été observée chez les femmes âgées de 18 à 64 ans, passant de 23% à 36% dans le groupe d’âge 25-34 ans et de 20% à 29% dans le groupe des 35-49 ans 10. Il faut noter d'autre part que, même si la prévalence du tabagisme a continué à diminuer chez les hommes depuis 1953, elle reste plus élevée chez ces derniers. Par ailleurs, le groupe des 15-30 ans a la prévalence de tabagisme la plus élevée et compte la plus forte proportion de personnes qui n’envisagent pas l’arrêt du tabagisme 11. La baisse de l’incidence du cancer du poumon chez les jeunes adultes masculins pourrait refléter en partie un impact positif des politiques de prévention mises en œuvre, mais qui serait valable uniquement chez les hommes. Le comportement tabagique des femmes françaises, ainsi que la hausse importante du cancer du poumon chez les jeunes adultes, semblent par ailleurs constituer l’amorce d’une épidémie tabagique féminine en France 12.
Conclusion
Bien que l’incidence du cancer du poumon chez les jeunes adultes reste faible comparée aux âges plus élevés, ce cancer constitue néanmoins un problème important de santé publique. Les tendances récentes chez les jeunes adultes sont un bon indicateur de l’incidence à venir, et sont très préoccupantes chez les jeunes femmes âgées de 20 à 44 ans. Ces résultats montrent que cette population doit être la cible des campagnes de prévention, tout en maintenant les efforts contre le tabagisme chez les hommes.