Violences familiales subies par les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes lors du premier confinement lié à l’épidémie de la Covid-19

// Domestic violence suffered by men who have sex with men during the first lockdown related to COVID-19 pandemic

Annie Velter1 (annie.velter@santepubliquefrance.fr), Daniela Rojas Castro2,3, Karen Champenois4, Nathalie Lydié1
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Laboratoire de recherche communautaire, Coalition PLUS, Pantin
3 Aix-Marseille Univ, Inserm, IRD, Sesstim (Sciences économiques & sociales de la santé & traitement de l’information médicale), Marseille
4 IAME, UMR1137, Inserm, Université Paris-Diderot, Sorbonne Paris-Cité, Paris
Soumis le 12.02.2021 // Date of submission: 02.12.2021
Mots-clés : Violence | Covid-19 | Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes | Confinement | Santé mentale
Keywords: Violence | COVID-19 | Men who have sex with men | Lockdown | Mental health

Résumé

Introduction –

Les mesures de confinement prises en mars 2020 pour enrayer la propagation du coronavirus se sont accompagnées d’une augmentation des violences domestiques touchant les femmes, les enfants mais aussi les personnes lesbiennes, gays et bisexuelles. L’objectif de cette étude est d’estimer les prévalences de violences familiales subies par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) résidant avec un des membres de leur famille durant le premier confinement de 2020, de décrire leurs caractéristiques et les répercussions sur la santé.

Méthodes –

L’Enquête Rapport au sexe (ERAS) est une enquête transversale, anonyme, auto-administrée en ligne et basée sur le volontariat. Son édition spéciale Covid-19 a été réalisée du 30 juin au 15 juillet 2020 par Santé publique France. Au total, 8 345 HSH résidant en France ont répondu à l’enquête.

Résultats –

Parmi les 8 345 HSH répondants, 2 467 ont rapporté vivre dans le même logement qu’un des membres de leur famille durant les huit semaines du premier confinement. Parmi ces derniers, 35,2% (868) ont déclaré avoir subi des violences familiales au cours de cette période, majoritairement des violences verbales d’ordre psychologique. Ces hommes se caractérisent par leur jeune âge et une situation socioéconomique précaire. Cet environnement familial hostile a eu des répercussions négatives sur la santé, un tiers d’entre eux présentant un score d’anxiété sévère.

Conclusion –

Un plan d’urgence a été lancé par le gouvernement afin de lutter contre les violences anti-LGBT, mais compte tenu de la prolongation de la crise sanitaire, des initiatives innovantes doivent être mises en œuvre pour leur apporter tout le soutien dont ils ont besoin.

Abstract

Introduction –

The containment measures taken in March 2020 to stop the spread of the Coronavirus strengthened social disparities in populations already vulnerable in terms of physical and mental health and living conditions. Thus, an increase in domestic violence has been observed affecting women and children but also lesbian, gay, bisexual (LGB) people.

The objective of this article is to estimate the levels of domestic violence suffered by men who have sex with men (MSM) residing during the eight weeks of the first lockdown of 2020 in a housing with one of their family members, to describe their characteristics and the impacts on health.

Methods –

ERAS is an anonymous, self-administered online cross-sectional survey based on voluntary. The COVID-19 special edition was conducted from 30 June to 15 July 2020 from Santé publique France. A total of 8,345 MSM residing in France responded to the survey.

Results –

Among the 8,345 MSM respondents, 2,467 reported living in the same housing as a family member during the eight weeks of the first lockdown. Among the latter, 35.2% (868) reported experiencing domestic violence during this period, mostly psychological verbal violence. The victims of domestic violence were young and in a precarious socio-economic situation. In this context of lockdown, this unfavorable family environment had negative impacts on the mental health of the victims.

Conclusion –

An action plan was launched by the government to combat anti-LGBT violence, but in light of the successive measures taken to contain the epidemic, innovative initiatives must be implemented to give them all the support they need.

Introduction

En mars 2020, devant l’aggravation de la crise sanitaire liée à la propagation du coronavirus SARS-CoV-2, des mesures d’exception ont été mises en œuvre avec l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et, dès le 17 mars 2020, le confinement total de l’ensemble de la population durant huit semaines (Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020). Ces mesures ont accentué des disparités sociales préexistantes dans des populations déjà vulnérables tant en termes de santé physique, mentale ou encore de condition de vie 1,2,3. Ainsi, une augmentation des violences conjugales et intrafamiliales a été relayée, dès les premières semaines du confinement, par le secrétariat d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, notamment chez les personnes lesbiennes, gays ou bisexuelles (LGB). Des données récentes antérieures à la crise sanitaire révélaient déjà que les personnes LGB rapportaient plus fréquemment que les personnes hétérosexuelles avoir subi des violences familiales au cours de leur vie 4 : c’était le cas de 30% des hommes s’identifiant homosexuels, 36% pour ceux s’identifiant bisexuels, contre 13% pour les hommes hétérosexuels. De nombreuses études américaines 5,6,7,8 ont montré que le fait de vivre dans un environnement familial hostile pouvait avoir des conséquences sur la santé des personnes LGB et plus spécifiquement sur leur santé mentale.

C’est dans ce contexte de distanciation sociale liée à la pandémie que Santé publique France a réalisé une édition spéciale Covid-19 de l’Enquête Rapport au sexe (ERAS), dont l’objectif principal était de déterminer l’impact perçu de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les conditions de vie et la santé des hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH). Plus particulièrement, l’objectif de cet article est d’estimer les prévalences de violences familiales subies par les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et résidant avec un des membres de leur famille durant le premier confinement de 2020, ainsi que de décrire leurs caractéristiques et les répercussions sur la santé.

Méthodes

Source de données

ERAS est une enquête transversale répétée anonyme, auto-administrée en ligne, basée sur le volontariat. Les participants ont été recrutés par le biais de différents supports numériques. Des bannières ont été postées directement sur des sites Internet de rencontres gays, des applications de rencontres géolocalisées gays et des sites d’information affinitaires gays. Par ailleurs, des bannières ont été diffusées via des plateformes programmatiques. Les critères de diffusion étaient : le ciblage des hommes de 18 ans et plus, naviguant sur des pages contenant des mots-clés en relation avec l’homosexualité et les rencontres entre hommes. De la même manière, sur les réseaux sociaux (Facebook), les hommes de 18 ans et plus ayant “liké” des contenus ou des pages en lien avec l’homosexualité ont été exposés aux bannières de la campagne. En cliquant sur ces dernières, les personnes étaient dirigées vers le site de l’enquête où des informations sur ses objectifs étaient présentées, ainsi que les conditions de participation et la confidentialité des données. Les participants étaient invités à valider leur consentement pour accéder au questionnaire en ligne. Aucune adresse IP n’a été collectée. Aucune incitation financière n’a été proposée. Les seuls critères d’inclusion pour participer étaient le fait d’être un homme et d’avoir 18 ans ou plus.

Le questionnaire, divisé en quatre parties, documentait les caractéristiques sociodémographiques, les conditions de vie durant les huit semaines du premier confinement et les éventuels changements, la santé et les comportements sexuels.

Variables

Les violences intrafamiliales étaient appréhendées à partir des questions suivantes : « Durant les huit semaines de confinement, vous est-il arrivé qu’une personne qui vivait avec vous ? (a) Vous dévalorise, (b) Vous fasse des remarques désagréables sur votre apparence physique, (c) Vous insulte ou vous injurie, (d) S’en prenne physiquement à vous, (e) Vous impose des gestes sexuels que vous refusiez ». Pour les répondants ayant répondu par l’affirmative à l’une de ces propositions, la question suivante leur était posée : « Pensez-vous que ces insultes ou ces actes étaient liés à votre orientation sexuelle ? »

Ces données ont été analysées en fonction de variables sociodémographiques d’une part et, d’autre part, de variables rendant compte des répercussions sur la santé et le bien-être :

1. Les variables sociodémographiques prenant en compte plusieurs déterminants sociaux de la santé 9 : l’âge, le niveau d’études, la situation professionnelle avant le premier confinement et son évolution liée à la période du confinement, l’évolution de la situation financière liée à la période du confinement, la résidence dans le logement habituel durant le confinement. Les variables liées à l’homosexualité ont également été analysées : l’affirmation de son orientation sexuelle, le fait d’avoir déjà eu des rapports sexuels avec un homme au cours de sa vie.

2. Les variables rendant compte des répercussions sur la santé durant le confinement, des expériences de violences en référence au modèle des voies de la stigmatisation 10 : le fait d’avoir souffert d’isolement, d’anxiété mesurée par le Generalized Anxiety Disorder Scale (GAD-7) 11 avec un score de 10 comme seuil d’anxiété sévère 12 ; le fait d’avoir pris des médicaments pour les nerfs ou pour dormir ; le fait d’avoir recherché un soutien psychologique.

La population d’étude était celle des hommes vivant en France et s’auto-définissant homosexuel ou bisexuel et ceux s’auto-définissant hétérosexuel ou refusant de se définir par rapport à leur sexualité, mais rapportant des relations sexuelles avec des hommes au cours de leur vie. Ils constituent la catégorie « HSH » telle que définie par l’ONUSIDA en 2011 13.

Analyses statistiques

Les pourcentages issus des analyses bivariées ont été comparés en utilisant le test d’indépendance du Chi2 de Pearson, avec un seuil maximal retenu à 5%. Des régressions logistiques ont été menées pour quantifier la force du lien entre la variable d’intérêt et les caractéristiques sociodémographiques de la population, mesurés à l’aide de l’odds ratio ajusté (ORa) et par le test de Wald avec un seuil maximal de significativité fixé à 5%. Des ajustements sur l’âge, le niveau d’études et la situation professionnelle avant le premier confinement ont été réalisés sur les variables rendant compte des répercussions sur la santé, des violences subies, mesurés à l’aide de l’ORa. Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel Stata® 14.1.

Résultats

Durant les 15 jours d’enquête, 9 488 hommes ont complété et validé le questionnaire. Parmi eux, 87 ont été exclus car ils résidaient à l’étranger et 1 056 car ils se définissaient comme hétérosexuels ou refusaient de se définir et n’avaient jamais eu de rapport sexuel avec un homme. Parmi les 8 345 HSH inclus, durant les huit semaines du premier confinement, 2 467 (30%) ont rapporté vivre dans le même logement que leurs parents (1 415, 57%) ou un autre membre de leur famille (623, 25%) ou leurs parents et un autre membre de leur famille (429, 17%).

Caractéristiques des répondants résidant avec leurs parents ou d’autres membres de leur famille

Le tableau 1 décrit les caractéristiques des HSH ayant résidé dans le même logement qu’un des membres de leur famille durant le premier confinement. Par rapport aux répondants n’ayant pas cohabité avec des membres de leur famille, ces répondants étaient plus jeunes : 65% d’entre eux étaient âgés de moins de 25 ans contre 14%. Bien que moins diplômés (32% n’avaient pas suivi d’études supérieures contre 23%), plus de la moitié étaient étudiants (54% vs 11%). Ils résidaient plus souvent dans une ville de moins de 2 000 habitants (19% vs 12%). Pour un tiers de ces répondants, le logement occupé durant cette période n’était pas leur logement habituel. Cette proportion était identique pour les répondants étudiants. Durant les huit semaines du premier confinement, leur situation professionnelle avait moins souvent changé (51% vs 42%) et leur situation financière s’était moins dégradée (18% vs 24%). Du point de vue de leur santé, ces répondants rapportaient plus souvent avoir souffert d’isolement durant la période de confinement (30% vs 19%) et enregistraient un score d’anxiété sévère pour 22% d’entre eux contre 15% pour les autres répondants. En termes d’orientation sexuelle et de pratique sexuelle, ils se définissaient moins souvent homosexuels (68% vs 83%) et plus souvent bisexuels (22% vs 11%) ; une large majorité (90%) avait déjà eu au moins un rapport sexuel avec un autre homme au cours de la vie.

Tableau 1 : Caractéristiques des HSH# selon qu’ils cohabitaient avec des membres de leur famille durant le premier confinement lié à la Covid-19 ou pas, ERAS Covid-19 (N=8 345), France, 2020
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Violences familiales subies au cours des huit semaines du premier confinement

Sur l’ensemble des répondants, 10,4% ont déclaré avoir subi des violences familiales au cours des huit semaines du premier confinement. Parmi les répondants vivant avec leurs parents ou d’autres membres de leur famille, cette proportion s’élevait à 35,2% (868) (tableau 2). La majorité des répondants rapportant ces violences habitait avec leurs parents (81%). Il s’agissait majoritairement de violences verbales psychologiques, mais les injures et agressions physiques concernaient 15% des répondants. Dans le détail, 24,4% des répondants rapportaient avoir subi des propos dévalorisants, 19,5% des remarques désagréables sur leur apparence physique, 14,2% des insultes ou injures, 2,6% des agressions physiques et 0,5% des gestes sexuels imposés que les répondants refusaient. La somme des différents types de violences n’est pas égale à l’indicateur global, un répondant pouvant déclarer des violences de plusieurs natures. Ainsi, si parmi les répondants ayant subi des propos dévalorisants, 31,4% avaient déclaré ce seul fait de violence, 19,6% avaient également mentionné avoir été l’objet de remarques désagréables sur leur apparence physique et d’insultes. Ceux ayant subi des agressions physiques étaient 36% à avoir aussi subi des propos dévalorisants, des remarques désagréables sur leur apparence et des insultes.

Tableau 2 : Fréquence et types de violences familiales subies par les HSH# cohabitant avec des membres de leur famille durant le premier confinement lié à la Covid-19 (N=867), ERAS Covid19, France, 2020
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Parmi les répondants ayant subi des violences familiales, 12% (106) pensaient qu’elles étaient liées à leur orientation. En outre, ils rapportaient pour 13% d’entre eux qu’il s’agissait d’agressions physiques ou sexuelles contre 7% pour ceux dont les violences n’étaient pas liées, selon eux, à leur orientation sexuelle. Ils n’étaient pas différents en termes de caractéristiques sociodémographiques des autres répondants ayant subi des violences familiales mais pour qui ces violences n’étaient pas liées à leur orientation sexuelle ou ne le savaient pas.

Prévalence des violences familiales selon les caractéristiques sociodémographiques des HSH cohabitant avec un des membres de leur famille durant le premier confinement lié à la Covid-19

La moitié des HSH âgés de moins de 20 ans rapportaient avoir été victimes de violences familiales (tableau 3) et cette proportion diminuait avec l’âge. Des différences socioéconomiques étaient observables : 42% des HSH n’ayant pas suivi d’études supérieures rapportaient des violences familiales, 41% parmi les HSH au chômage ou au RSA ou encore inactifs et 43% parmi les étudiants, contre 22% parmi ceux exerçant une activité professionnelle. De même, ceux dont la situation financière s’est dégradée en raison du Covid-19 rapportaient plus souvent des violences familiales (42%). Les HSH résidant habituellement avec l’un des membres de leur famille étaient 37% à avoir subi des violences familiales contre 32% pour ceux n’y logeant que depuis le confinement (p<0,036).

Tableau 3 : Prévalence des violences familiales selon les caractéristiques sociodémographiques des HSH# cohabitant avec un des membres de leur famille durant le premier confinement lié à la Covid-19, ERAS Covid-19 (N=2 467), France, 2020
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En analyse multivariée (tableau 3), le fait d’être jeune, au chômage ou étudiant, d’avoir une situation financière dégradée à cause du Covid-19 étaient associés au fait d’avoir été victime de violences familiales durant le premier confinement.

Caractéristiques liées à la santé des HSH cohabitant avec un des membres de leur famille selon le fait d’avoir subi des violences familiales durant le premier confinement lié à la Covid-19

Parmi les HSH ayant subi des violences familiales durant le premier confinement, 44% avaient rapporté avoir souffert d’isolement durant cette période contre 22% parmi les HSH n’ayant pas subi de violences familiales. Un tiers d’entre eux avaient un score d’anxiété sévère contre 15% pour ceux n’en n’ayant pas subi. Ils rapportaient plus que les autres avoir pris des médicaments pour les nerfs ou pour dormir durant le premier confinement, ou encore avoir recherché un soutien psychologique durant le premier confinement (tableau 4). Ces différences se maintiennent après ajustement sur les variables sociodémographiques avec des ORa proches ou supérieurs à 2.

Tableau 4 : Caractéristiques liées à la santé mentale des HSH# cohabitant avec un des membres de leur famille selon le fait d’avoir subi des violences familiales durant le premier confinement lié à la Covid-19, ERAS Covid-19 (N=2 467), France, 2020
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Discussion

Pour la première fois, cette étude permet de quantifier les violences intrafamiliales subies par les HSH durant les huit semaines du premier confinement. Elle confirme les témoignages de grande souffrance, publiés dans la presse, de jeunes LGB contraints de vivre dans des environnements familiaux parfois hostiles. C’est plus d’un tiers des HSH vivant au moment du confinement avec des membres de leur famille qui ont rapporté avoir subi des violences. Il s’agit majoritairement de violences psychiques.

Ces résultats sont cohérents avec ceux d’enquêtes réalisées antérieurement à la crise sanitaire du Covid-19 en population générale rapportant une situation de vulnérabilité spécifique aux minorités sexuelles. Bien que les violences intrafamiliales liées à l’orientation sexuelle ne puissent être isolées, les prévalences étaient plus élevées pour les hommes gays ou bisexuels que pour les hommes hétérosexuels, que ce soit au cours de la vie 4 ou de l’année précédant l’enquête 14. À l’instar de ces enquêtes en population générale, la nature des violences est majoritairement psychologique. Dans l’enquête Virage (1), 72% des violences familiales subies au cours de la vie par des hommes s’identifiant gay étaient d’ordre psychologique 4. Mais, en l’espace de huit semaines, 3% des répondants cohabitant avec leur famille ont rapporté avoir été agressés physiquement ou sexuellement par un membre de leur famille, traduisant des situations d’une grande détresse nécessitant des mesures d’urgence pour protéger ces personnes. Par ailleurs, il est difficile à partir de notre enquête de savoir si ces violences préexistaient avant le confinement et si elles ont augmenté durant cette période, l’enquête ne renseignant pas l’existence antérieure de ces violences familiales.

La part des répondants précisant que ces violences étaient liées à leur orientation sexuelle est faible (12% des répondants), moindre que celle des répondants d’ERAS-2019 15. Il se peut que les répondants, compte tenu de leur jeune âge, n’aient pas encore fait leur coming out auprès de leur famille et ne puissent incriminer ce motif 16, mais nous ne disposons pas de cette information pour confirmer cette hypothèse. Bien que la révélation de son orientation sexuelle ou la connaissance de celle-ci ait beaucoup évolué en France au cours de ces dernières décennies, il n’en reste pas moins que les jeunes HSH de moins de 20 ans sont encore nombreux à ne pas avoir annoncé leur orientation sexuelle à leur famille 17. Cette situation de « non-dévoilement » peut générer du stress par la mise en œuvre de stratégies pour conserver le secret dans la crainte d’être découvert et stigmatisé 6.

Le profil des répondants ayant subi des violences n’est pas différent des profils dans des études menées antérieurement à la crise sanitaire 18. Les jeunes HSH sont particulièrement concernés : les 18-19 ans rapportent trois fois plus que leurs ainés avoir subi des violences intrafamiliales. Les HSH avec des situations professionnelles ou financières précaires sont également plus susceptibles d’avoir subi ces violences. Au regard de leur très jeune âge et de leur situation socioéconomique, ils sont dépendants matériellement et financièrement de leur famille et n’ont pas la capacité de quitter ce milieu hostile sans risquer de tomber dans une très grande précarité 19. Les étudiants sont également particulièrement concernés. La majorité d’entre eux résidaient déjà avec leur famille avant le confinement. Moins d’un tiers seulement des répondants étudiants de notre étude étaient retournés chez leur parent durant le confinement, probablement en raison de la fermeture des universités et des écoles. Dans une étude réalisée auprès d’étudiants en population générale, c’était la moitié qui était dans ce cas 20. On peut faire l’hypothèse que les étudiants HSH ont préféré ne pas retourner dans leur famille plutôt que de se retrouver dans un milieu familial hostile avec un sur-risque de rejet et de victimisation familial 21. D’ailleurs, Il n’est pas constaté de différence significative quant au fait d’habiter avant le confinement avec un membre de sa famille ou pas et d’avoir subi des violences, après ajustement sur les variables sociodémographiques.

De nombreuses études ont documenté les répercussions des violences intrafamiliales sur la santé des personnes LGB avant la crise sanitaire du coronavirus 6,7,8,22,23,24,25,26 et durant la crise 16,27,28. Nos résultats vont dans ce sens : les HSH ayant subi des violences familiales durant le confinement rapportaient plus souvent souffrir d’isolement ou d’anxiété sévère que ceux n’en n’ayant pas subi. Si, de manière générale, les restrictions de sortie, mises en œuvre pour contenir la propagation de la Covid-19, ont entraîné une diminution des interactions sociales pour certains HSH, ces mesures de distanciation physique ont entraîné simultanément le confinement dans des environnements familiaux défavorables et l’isolement des liens sociaux identitaires. Il ne leur était plus possible de rencontrer leurs amis ou encore de fréquenter les lieux communautaires afin d’obtenir un soutien 21, accentuant ce sentiment d’isolement dans un climat familial anxiogène 6. Si notre étude ne nous permet pas de savoir si le niveau d’anxiété durant le confinement était plus élevé qu’antérieurement comme le rapportent plusieurs études 29,30, il n’en reste pas moins que les répondants ayant subi des violences intrafamiliales ont plus souvent pris des médicaments pour les nerfs ou pour dormir durant cette période et/ou recherché un soutien psychologique traduisant ce sentiment d’isolement déclaré.

Cette étude comporte des limites d’ordre méthodologique. L’usage d’enquêtes dites de convenance, basées sur le volontariat, comme ERAS, tend à surreprésenter les hommes les plus identitaires 31,32, nos résultats ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population des HSH vivant en France. Pour autant, le recrutement via les réseaux sociaux a permis de diversifier les profils sociodémographiques et affinitaires des répondants d’ERAS et d’inclure des hommes moins visibles comme ces jeunes hommes ne s’identifiant pas homosexuels, n’ayant pas forcément fait leur coming out auprès de leurs parents. Aussi est-il difficile de conclure à une sur-déclaration ou sous-estimation des prévalences de violences intrafamiliales.

Conclusion

Les résultats de cette étude révèlent un niveau élevé des violences subies durant le premier confinement de mars 2020 dû à l’épidémie de Covid-19 par les HSH vivant dans leur famille. Ils décrivent une population extrêmement vulnérable de par son très jeune âge, sa situation économique précaire et sa fragilité psychologique. Cet environnement familial hostile a des répercussions négatives sur la santé mentale, tout particulièrement dans ce contexte de confinement, et peut entrainer d’autres vulnérabilités de santé. À l’appel de plusieurs associations, et suite aux témoignages de victimes, un plan d’urgence a été lancé par le gouvernement afin de lutter contre les violences anti-LGBT. Il comprend, entre autres, la mise à disposition de nuitées d’hôtel pour les jeunes confrontés à ces violences homophobes afin de les protéger au plus vite, la réactivation de lignes téléphoniques ou encore le lancement d’une application visant à signaler des actes de violence. Cependant, l’épidémie perdure et les périodes de confinement et de couvre-feu se succèdent, pérennisant ces situations de vulnérabilité. La mise en place de ressources innovantes d’empowerment, comme les plateformes de Chat dédiées aux jeunes LGBT aux États-Unis 27, est impérative dans l’optique d’améliorer la sécurité des HSH et de leur apporter le soutien dont ils ont besoin.

Remerciements

Les auteurs remercient Nicolas Etien (Santé publique France), Bérangère Gall et Julien Vivant (BVA) pour la qualité de leur travail dans la mise en œuvre de l’enquête, nos partenaires associatifs pour leur soutien et relai de l’enquête dans leur réseau et l’ensemble des hommes gays et autres hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes d’avoir pris le temps de répondre à l’enquête.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

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Citer cet article

Velter A, Rojas Castro D, Champenois K, Lydié N. Violences familiales subies par les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes lors du premier confinement lié à l’épidémie de la Covid-19. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(6-7):120-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/6-7/2021_6-7_4.html

(1) Enquête « Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes », réalisée en 2015 par l’Institut national d’études démographiques (Ined).