Encore trop peu d’études françaises rendent compte de la transphobie et de ses conséquences en santé publique

// Too few studies report on transphobia and its impacts on public health

Annie Velter1 (annie.velter@santepubliquefrance.fr) et Morgan Dumond2
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 EHESS, Master Études sur le genre, École universitaire de recherche Gender and Sexuality Studies, Paris
Soumis le 12.04.2021 // Date of submission: 04.12.2021
Mots-clés : Transphobie | Santé | Études françaises
Keywords: Transphobia | Health | French surveys

Selon la définition produite dans le Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023, la transphobie « désigne le rejet, le mépris ou la haine des personnes ou comportements associés aux transidentités, c’est-à-dire associés à un genre perçu comme non conforme » 1. À ce jour, en France, les études rendant compte de ces discriminations et violences faites aux personnes transgenres sont encore rares. Pour autant, nombre de travaux anglo-saxons ont montré l’impact de ces violences sur la qualité de vie et la santé des personnes trans 2,3. Nous nous proposons dans cet article de faire une revue de la littérature, non exhaustive, des études françaises.

1. En 2007, une première enquête quantitative, basée sur un échantillon de convenance auto-administré et diffusée via Internet, explorait les conditions et style de vie, la santé perçue et les comportements sexuels des personnes « transsexuel(le)s » 4. Parmi les 179 participants, 29% rapportaient des discriminations du fait de leur identité de genre dans l’accès à l’emploi ou sur leur lieu de travail. Un sur quatre déclarait avoir renoncé à voir un médecin au cours des 12 derniers mois de crainte d’être discriminé du fait de sa « transsexualité ». Cette enquête exploratoire n’a cependant pas fourni de résultats concernant la survenue d’actes transphobes.

2. Pour la première fois, en 2010, une enquête qualitative et quantitative investiguait la survenue de discriminations et de stigmatisation des femmes trans migrantes, à partir d’un échantillon d’usagers de l’association Acceptess-T 5. Parmi les 63 répondants, 87% avaient rapporté la survenue répétée d’agressions verbales et 67% de multiples agressions physiques. Seules 57% des personnes agressées avaient porté plainte.

3. En 2014, Alessandrin et Espineira réalisent une étude quantitative de convenance auprès des personnes trans via les réseaux sociaux, dans l’objectif de décrire les discriminations transphobes perçues et vécues au cours des 12 derniers mois 6. Au total, 309 personnes y ont participé. Huit répondants sur 10 (85%) déclaraient avoir été victimes de transphobie au cours de leur vie. Parmi ces participants, 37% rapportaient avoir été victimes d’actes discriminants de manière répétée dans l’année. Un tiers déclarait avoir été injuriés du fait de leur trans-identité et 8% avoir reçu des coups. La moitié de ces actes transphobes avait eu lieu dans l’espace public, un tiers au travail et près de 30% dans la sphère familiale. Pour autant, seuls 3% des répondants ayant subi des actes transphobes indiquaient avoir porté plainte. Cette étude renseignait également les répercussions de ces actes sur la santé. Ainsi, plus de la moitié (56%) des répondants déclaraient avoir fait une dépression à la suite des actes transphobes et 18% une tentative de suicide.

4. En 2015, l’enquête Virage (Violences et rapports de genre), en complément de l’enquête représentative de la population générale, met en place un volet “LGBT” réalisé via Internet sur la base du volontariat. Ce volet permet de mesurer des actes de violence indifféremment du motif transphobe parmi les 253 réponses de personnes s’identifiant comme trans 7. Ainsi, 61% d’entre elles rapportaient avoir subi au cours de leur vie des violences intrafamiliales. Il s’agissait pour 53% de violences psychiques, 38% de violences physiques et 14% de violences sexuelles. Dans l’espace public, ce sont 8 répondants trans sur 10 qui rapportaient subir des violences. Si pour trois quarts d’entre eux il s’agissait d’insultes, 47% rapportaient des violences sexuelles.

5. Bien qu’il ne s’agisse pas d’études, les rapports annuels sur les violences et les discriminations LGBTIphobes de l’association SOS Homophobie nous renseignent sur les niveaux de ces actes en se basant sur les témoignages recueillis via sa plateforme d’écoute. Le rapport 2018 indiquait que 11% des appels concernaient des cas de transphobie avec une augmentation constante depuis plusieurs années 8. Ces actes de transphobie étaient majoritairement des violences psychologiques comme le rejet (79%), des discriminations (55%) ou des insultes (45%), 8% étaient des agressions physiques.

6. Aujourd’hui, deux études sur la santé sexuelle des personnes trans sont en cours : ANRS Trans & VIH et ANRS-FOREST. Une troisième, “Trans & PrEP”, est à venir.

Ces études mettent en lumière la difficulté d’enquêter auprès de la population des personnes trans, que ce soit dans les enquêtes représentatives en population générale ou par le biais d’enquêtes de convenance. La faiblesse des effectifs représente une difficulté majeure pour l’étude de phénomènes comme les violences. Il est d’autant plus difficile de rendre compte de la diversité de cette population et d’aborder les violences de manière intersectionnelle 9. Cette exploration de la question des violences envers les personnes trans et des conséquences sur leur état de santé fait le constat d’un manque de recherches, privant ainsi la communauté scientifique et les professionnels de santé de mesures et d’indicateurs fiables. Il est urgent d’y remédier.

Remerciements

Cette revue de la littérature a été réalisée à partir d’un premier travail rédigé par M. Dumond (EHESS, Master Études sur le genre, École universitaire de recherche Gender and Sexuality Studies), G. Rincón (Association ACCEPTESS-Transgenres), D. Leriche (Groupe interassociatif traitement & recherche thérapeutique TRT5), J. Zambrano (Association ACCEPTESS-Transgenres) et L. Gaissad (EVCAU/ENSA Paris Val-de-Seine). Nous les remercions vivement pour leur implication.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. Plan national d’actions pour l’égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023. Paris: Dilcrah; 2020. 54 p. https://www.gouver​nement.fr/plan-national-d-actions-pour-l-egalite-contre-la-haine-et-les-discriminations-anti-lgbt-2020-2023
2 Reisner SL, Poteat T, Keatley J, Cabral M, Mothopeng T, Dunham E, et al. Global health burden and needs of transgender populations: A review. Lancet. 2016;388(10042):412-36.
3 Testa RJ, Habarth J, Peta J, Balsam K, Bockting W. Development of the gender minority stress and resilience measure. Psychol Sex Orientat Gend Divers. 2015;2(1):65-77.
4 d’Almeida Wilson K, Lert F, Berdougo F, Hazera H. Transsexuel(le)s: conditions et style de vie, santé perçue et comportements sexuels. Résultats d’une enquête exploratoire par Internet, 2007. Bull Epidémiol Hebd. 2008;(27):
240-4. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/transsexuel-le-s-conditions-et-style-de-vie-sante-percue-et-comportements-sexuels.-re​sultats-d-une-enquete-exploratoire-par-internet-2007
5 Gil F, Hedjerassi N, Rullac S, Rincon G, Anjos Cruz C. Discriminations et stigmatisation d’une population. Le cas des femmes trans’ migrantes. Paris: Région Île-de-France. Programme de soutien en faveur de la lutte contre les discriminations; 2014. 110 p. https://www.buc-ressources.org/sites/default/files/assets/rapport_discriminations_
stigmatisation_trans_version_28fevrier.pdf
6 Alessandrin A, Espineira K. Les contours de la transphobie. Sociologie de la transphobie. Pessac: Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine; 2015. 182 p.
7 Trachman M, Lejbowicz T. Lesbiennes, gays, bisexuel.le.s et trans (LGBT) : une catégorie hétérogène, des violences spécifiques. In : Brown E, Debauche A, Hamel C, Mazuy M (éds). Enquête sur les violences de genre en France. Paris: Ined, Grandes enquêtes; 2020. p. 335-90.
8 SOS Homophobie. Rapport sur l’homophobie 2018. Paris: SOS Homophobie; 2018. 170 p. https://www.sos-homophobie.org/sites/default/files/rapport_annuel_2018.pdf.
9 Crenshaw K. Demarginalizing the intersection of race and sex: A black feminist critique of antidiscrimination doctrine, feminist theory and antiracist politics. University of Chicago Legal Forum. 1989;(1):139-67. http://chica
gounbound.uchicago.edu/uclf/vol1989/iss1/8

Citer cet article

Velter A, Dumond M. Focus. Encore trop peu d’études françaises rendent compte de la transphobie et de ses conséquences en santé publique. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(6-7):128-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/
2021/6-7/2021_6-7_5.html