Santé mentale des adultes selon l’orientation sexuelle et violences subies. Résultats du Baromètre de Santé publique France 2017

// Mental health according to sexual orientation and experience of violence
among French adults. Results from the 2017 Santé publique France Health Barometer survey

Fabienne El Khoury Lesueur1,2 (fabienne.khoury@inserm.fr), Christophe Léon3, Mégane Heron1, Audrey Sitbon3, Annie Velter3 et le groupe Baromètre de Santé publique France 2017*
1 Sorbonne université, Inserm UMR S 1136, Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de Santé Publique, Équipe de recherche en épidémiologie sociale (ERES), Paris
2 Cellule épidémiologie, GHU Paris psychiatrie & neurosciences, Paris
3 Santé publique France, Saint-Maurice

* Le groupe Baromètre de Santé publique France 2017 : Raphaël Andler, Chloé Cogordan, Romain Guignard, Christophe Léon, Viêt Nguyen-Thanh, Anne Pasquereau, Jean-Baptiste Richard, Maëlle Robert.

Soumis le 06.12.2019 // Date of submission: 12.06.2019
Mots-clés : Personnes lesbiennes | gays et bisexuelles | Santé mentale | Violence subie | Analyse de médiation
Keywords: Lesbian | gay | and bisexual individuals | Mental health | Experience of violence | Mediation analyses

Résumé

Introduction –

Les personnes lesbiennes, gays, et bisexuelles (LGB) sont souvent stigmatisées et exposées à diverses formes de discrimination et violences hétérosexistes. L’expérience de violences est associée à un risque accru de troubles mentaux et de comportements suicidaires.

Méthodes –

Le Baromètre de Santé publique France 2017 est une enquête téléphonique qui a permis d’interroger un échantillon représentatif de l’ensemble des personnes âgées de 18 à 75 ans vivant en France métropolitaine. Quatre indicateurs de santé mentale survenus dans l’année sont examinés : a) l’épisode dépressif caractérisé (EDC) ; b) les symptômes dépressifs actuels ; c) les idées suicidaires et d) les tentatives de suicide. Nous utilisons des modèles de régressions logistiques multivariés pour étudier l’association entre l’orientation sexuelle et chacun des indicateurs de santé mentale, ainsi que le lien entre orientation sexuelle et les violences physiques et/ou verbales subies l’année précédant l’étude. Dans un deuxième temps nous quantifions l’intensité de l’effet médiateur de l’exposition aux violences subies dans l’association entre l’orientation sexuelle et les symptômes dépressifs actuels.

Résultats –

Selon le Baromètre de Santé publique France 2017, les personnes LGB sont davantage concernées par les troubles de santé mentale : le risque d’EDC, de pensées suicidaires et de tentative de suicide est multiplié au moins par 2 par rapport à la population de personnes hétérosexuelles. Elles sont aussi plus à risque d’être victimes de violences physiques et/ou verbales l’année précédant l’enquête. Les analyses de médiation montrent que les violences vécues expliquent 25% d’avoir des symptômes dépressifs actuels chez les personnes LGB par rapport aux personnes hétérosexuelles.

Discussion –

Nos résultats soulignent l’importance des initiatives qui luttent d’une manière structurelle contre les violences et les discriminations envers les personnes LGB afin de prévenir des problèmes de santé mentale dans cette population.

Abstract

Introduction –

Lesbian, gay, and bisexual (LGB) individuals often suffer from stigma, and are exposed to various forms of discrimination and heterosexist violence. This experience of violence is associated with an increased risk of mental health disorders and suicidal behaviors.

Methods –

The 2017 Santé publique France Health Barometer is a telephone survey, which recruited a representative sample of all French-speaking residents in metropolitan France aged 18 to 75. Four mental health indicators occurring in the preceding year are examined: a) having experienced a major depressive episode (MDE), b) current depressive symptoms, c) suicidal ideation, and d) suicide attempts. Multivariate logistic regression models were used to investigate the association between sexual orientation and each of the mental health indicators, as well as the relationship between sexual orientation and physical and/or verbal abuse experienced in the year preceding the study. We also quantify the mediating effect of exposure to violence in the association between sexual orientation and current depressive symptoms.

Results –

In our study, LGB individuals are more likely to have experienced each of the mental health outcomes: their risk of experiencing MDE, suicidal ideations, and suicide attempts is at least twice as high as that of the heterosexual population. They are also more likely to be victims of physical and/or verbal violence in the year preceding the survey. Mediation analyses show that experience of violence explains 25% of the increased risk of current depressive symptoms in LGB people compared to heterosexuals.

Discussion –

Our results highlight the importance of structural initiatives, which combat violence and discrimination against LGB individual, in order to prevent mental health problems in this population.

Introduction

Malgré des avancées sociales et législatives, particulièrement dans les pays européens comme la France, les personnes lesbiennes, gays, et bisexuelles (LGB) sont toujours stigmatisées et exposées à diverses formes de discrimination et violences hétérosexistes 1,2. Ainsi les personnes LGB sont victimes d’un continuum de violences depuis leur enfance 3, notamment des violences verbales, se traduisant par des propos dévalorisants, humiliants et insultants, mais aussi des violences physiques 4,5.

Dans l’enquête sur la discrimination et les violences faites à l’égard des personnes LGBT en Europe réalisée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2012, près de la moitié des répondants (47%) ont déclaré avoir été victimes de discriminations ou de harcèlements liés à leur orientation sexuelle au cours de l’année précédant l’enquête 6. De plus, un quart des personnes interrogées ont rapporté avoir été victimes d’agressions ou de menaces de violences au cours des cinq dernières années.

Cette expérience de discriminations et de violences subies est associée à la présence de symptômes d’anxiété et/ou des symptômes dépressifs 7. En effet, plusieurs études ont montré que les personnes LGB souffrent de manière disproportionnée de troubles de santé mentale comme l’anxiété, la dépression et les comportements suicidaires 8,9.

À partir du modèle de stress minoritaire (minority stress model10, Meyer explique une plus grande prévalence des problèmes de santé mentale chez les LGB par rapport aux hétérosexuels par le stress supplémentaire vécu par cette population dite minoritaire. Ce stress excédentaire, ou stress minoritaire, comprend les préjugés, le rejet, la stigmatisation et la discrimination hétérosexiste subie, mais aussi perçus comme l’anticipation d’évènements stressants.

Quelques études ont déjà examiné l’effet des violences et discriminations subies sur le sur-risque d’avoir des troubles de santé mentale chez les personnes LGB, en revanche, les études basées sur un échantillon représentatif de la population générale sont peu nombreuses. De plus, malgré d’importantes différences observées entre les deux sexes concernant la prévalence des indicateurs de santé mentale 11, l’association entre l’orientation sexuelle et ces troubles est rarement étudiée en distinguant les sexes.

Dans cette analyse, nous estimons la prévalence des symptômes dépressifs et des conduites suicidaires selon l’orientation sexuelle parmi les adultes résidant en France métropolitaine en 2017. Nous regardons aussi l’effet des violences subies au cours des 12 derniers mois entre l’orientation sexuelle et les symptômes dépressifs actuels. Toutes les analyses sont stratifiées selon le sexe.

Méthodes

Sources de données

Le Baromètre de Santé publique France 2017 est une enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 25 319 personnes âgées de 18 à 75 ans, résidant en France métropolitaine et parlant le français. Cette enquête transversale répétée a pour objectif d’étudier les comportements, perceptions et opinions en matière de santé de la population adulte résidant en France métropolitaine. Le protocole détaillé de l’enquête et le questionnaire sont disponibles par ailleurs 12.

Les données du Baromètre de Santé publique France 2017 ont été pondérées en fonction du nombre d’individus éligibles et de lignes téléphoniques au sein du ménage, puis redressées sur la structure de la population issue de l’Enquête Emploi 2016 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Variables

Orientation sexuelle

La variable d’exposition de l’étude est l’orientation sexuelle des répondants. Cette variable a été définie à partir de deux questions :

1) le sexe des partenaires sexuels au cours de la vie (selon que la personne interrogée soit un homme ou une femme) : « Au cours de votre vie, avez-vous eu des rapports sexuels… uniquement avec des hommes/femmes ? ; avec des femmes et des hommes ? ; uniquement avec des hommes/femmes ? ; vous n’avez jamais eu de rapport sexuels » ;

2) l’auto-identification de son orientation sexuelle (selon que la personne interrogée soit un homme ou une femme) : « Aujourd’hui, vous vous définissez comme… hétérosexuel ? ; homosexuel, gay/homosexuelle lesbienne ? ; bisexuel(le) ? ; vous ne vous définissez pas par rapport à votre sexualité ». Cette seconde question (sur l’auto-identification) était posée aux personnes n’ayant pas eu de rapports sexuels exclusivement avec des personnes de sexe différent au cours de leur vie, ou à celles ayant déjà été attirées par le sexe opposé.

À partir de ces deux questions, trois catégories d’orientation sexuelle ont ainsi pu être distinguées :

a) les personnes hétérosexuelles : qui ont eu exclusivement des rapports sexuels avec des personnes du sexe opposé au cours de leur vie, et/ou se définissent comme hétérosexuelles ;

b) les personnes bisexuelles : qui ont eu des rapports sexuels avec des personnes des deux sexes au cours de leur vie, et/ou se définissent comme telles.

c) les personnes homosexuelles (lesbiennes/gays) : qui ont eu exclusivement des rapports sexuels avec des personnes du même sexe durant leur vie.

Violences subies

Les violences subies sont décrites par deux questions :

1) « Ces 12 derniers mois, avez-vous été victime de menaces verbales, d’humiliations ou d’intimidation ? » ;

2) « Ces 12 derniers mois, avez-vous été frappé ou blessé physiquement par une ou plusieurs personnes, en dehors d’une agression sexuelle ? ». L’indicateur sur les violences subies (variable médiatrice dans l’analyse de médiation) recoupe au moins un des deux critères émanant de ces deux questions.

Troubles mentaux

Quatre troubles mentaux sont examinés :

a) l’épisode dépressif caractérisé (EDC) survenu dans l’année, qui s’appuie sur la version courte du questionnaire Composite International Diagnostic Interview – Short Form (CIDI-SF) 13 ;

b) les symptômes dépressifs actuels qui correspondent aux personnes ayant rapportées s’être senties, pendant au moins deux semaines consécutives au cours des 12 derniers mois, tristes, déprimées, sans espoir, et/ou ayant perdu intérêt pour la plupart des choses comme les loisirs, le travail ou les activités qui leur donnent habituellement du plaisir, et ayant répondu positivement à la question : « Est-ce que ces problèmes durent encore aujourd’hui ? » ;

c) les pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois, à partir de la question : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous pensé à vous suicider ? » ;

d) les tentatives de suicide au cours de l’année à partir de deux questions : « Au cours de votre vie, avez-vous fait une tentative de suicide ? » et, si oui, « Cette tentative a-t-elle eu lieu au cours des 12 derniers mois ».

Covariables

Nous avons recueilli des données sur des facteurs de risque – liés à un risque plus important d’avoir des symptômes dépressifs et des conduite suicidaires – afin de les prendre en compte dans les analyses multivariées 14,15,16. Ces facteurs sont : le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, la nationalité (française de naissance, par acquisition ou étrangère), et la vie en couple. Néanmoins, nous avons essayé de limiter le biais dit de collision (collider bias17 en ne prenant pas en compte les variables susceptibles d’être influencées de manière causale par les violences subies ou par les problèmes de santé mentale, par exemple des variables comme le tabagisme ou la consommation d’alcool 18.

Analyses

Les prévalences de chaque indicateur de santé mentale, ainsi que la distribution des violences subies et des covariables sont présentées selon l’orientation sexuelle et le sexe. Nous avons utilisé des modèles de régression logistique multivariés prenant en compte comme facteur d’ajustement les covariables afin d’étudier les liens entre l’orientation sexuelle et les quatre troubles mentaux.

Nous avons également examiné l’effet médiateur des violences subies dans l’année dans l’association entre l’orientation sexuelle et les symptômes dépressifs actuels dans des modèles d’analyse de médiation dans le cadre contrefactuel 19,20. L’analyse de médiation permet de distinguer, dans l’association entre l’exposition (orientation sexuelle) et la variable d’intérêt (symptômes dépressifs actuels), ce qui est directement imputable à l’exposition (effet direct) et ce qui relève plutôt de l’intervention d’un facteur intermédiaire (effet indirect de la variable médiatrice) (figure 1).

Figure 1 : Analyse de médiation
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Pour cette analyse la variable orientation sexuelle a été codée en binaire. Cette analyse décompose alors l’effet total de l’orientation sexuelle sur le risque d’avoir des symptômes dépressifs actuels en effet direct et indirect. Trois autres conditions sont nécessaires pour les analyses de médiation :

a) que l’exposition (orientation sexuelle) soit significativement associée à l’indicateur de santé mentale (symptômes dépressifs actuels) ;

b) que l’exposition soit significativement associée au médiateur (violences subies) ;

c) et que le médiateur soit significativement associé à l’indicateur de santé mentale.

La première condition étant remplie dans la première partie des analyses, nous avons également utilisé des modèles logistiques ajustés sur les covariables (multivariés) pour vérifier les conditions b et c.

Toutes les analyses ont été menées à l’aide du logiciel SAS® 9.4. L’analyse de médiation, schématisée dans la figure 1, a été réalisée à l’aide de la macro SAS® « % médiation » développée par Valeri et VanderWeele 21. Cette macro nécessite que l’exposition (orientation sexuelle), la variable de médiation (violences subies) et la variable d’intérêt soient dichotomiques. Toutes les analyses ont été stratifiées selon le sexe.

Résultats

L’échantillon du Baromètre de santé publique France 2017 comprenait 25 319 personnes âgées de 18 à 75 ans. Au total, 25 094 personnes ont accepté de répondre aux questions concernant leur orientation sexuelle : 95,6% d’entre elles ont été classées dans la catégorie des personnes hétérosexuelles, 1,2% dans celle des personnes gays ou lesbiennes, et 3,2% en tant que personnes bisexuelles. Les caractéristiques de cette population sont décrites dans le tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques des personnes selon l’orientation sexuelle, analyses univariées, selon le sexe, chez les 18-75 ans, en 2017, en France métropolitaine (n=25 094, pourcentages pondérés)
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Par rapport aux hétérosexuels, les lesbiennes/gays et les bisexuels étaient plus à risque d’avoir des indicateurs de santé mentale dégradés, les lesbiennes étant les plus à risque d’avoir une santé mentale plus dégradée (tableau 1).

Chez les femmes, la prévalence des EDC dans l’année et des symptômes dépressifs actuels est deux fois plus importante chez les bisexuelles ou lesbiennes que chez les hétérosexuelles (respectivement 13,4% vs 7,8% et 24,0% vs 12,6%) tout comme la prévalence des pensées suicidaires (13,0% vs 5,0%). Enfin, la prévalence de tentative de suicide au cours de l’année dernière est plus de trois fois plus importante chez les lesbiennes ou bisexuelles que chez les hétérosexuelles (1,8% vs 0,4%).

Chez les hommes également, les prévalences des symptômes dépressifs actuels (8,3% vs 3,6%), de l’EDC (15,5% vs 6,0%), et des idées suicidaires (9,5% vs 3,7%) sont plus de deux fois plus importantes chez les gays ou bisexuels que chez les hétérosexuels. De même, 0,9% des gays et bisexuels rapportent avoir fait une tentative de suicide l’année dernière contre 0,3% des hétérosexuels.

Ces différences sont statiquement significatives même après ajustement sur l’âge, le niveau d’étude, la nationalité et le fait de vivre en couple (tableau 2).

Tableau 2 : Associations entre l’orientation sexuelle et l’état de santé mentale selon le sexe, chez les 18-75 ans, en 2017, France métropolitaine
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Association entre violences subies et orientation sexuelle et indicateurs de santé mentale

Après ajustement sur les covariables, par rapport aux personnes hétérosexuelles, les personnes LGB étaient plus à risque d’être victimes de violences verbales et/ou physiques dans l’année (Odds ratio ajusté, ORa=2,12 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,84-2,45]).

Les violences subies étaient aussi significativement associées à un risque accru d’avoir des troubles de santé mentale dans les analyses logistiques multivariées, spécifiquement concernant les symptômes dépressifs actuels (tableau 3). Ainsi les conditions étaient remplies pour réaliser l’analyse de médiation.

Tableau 3 : Association entre les violences subies (physique et/ou verbale) et l’état de santé mentale, selon le sexe, chez les 18-75 ans, en 2017, France métropolitaine
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Analyse de médiation

Après prise en compte des violences subies et des covariables, l’effet direct de l’orientation sexuelle sur les symptômes dépressifs actuels dans l’analyse de médiation apparaît significatif (OR=1,67 [1,36-2,05]). L’effet indirect de l’orientation sexuelle sur les symptômes dépressifs actuels via les violences subies au cours de l’année est également significatif (OR=1,14 [1,10-1,18]) indiquant que, par rapport aux hétérosexuels, un quart de sur-risque d’avoir des symptômes dépressifs actuels chez les individus LGB s’expliquerait par le fait d’avoir subi des violences au cours des 12 derniers mois (proportion médiée = 25,4%). L’effet indirect des violences subies est plus importante chez les hommes (proportion médiée = 33%) que chez les femmes (proportion médiée = 22%) (figure 2).

Figure 2 : Résultats des analyses de médiation. Baromètre de Santé publique France 2017
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Discussion

En France, les personnes LGB sont plus à risque d’être victimes de violences physiques et verbales par rapport aux personnes hétérosexuelles. Elles sont aussi plus à risque d’avoir des troubles dépressifs, et elles ont un risque suicidaire plus élevé, même après ajustement sur plusieurs facteurs potentiels de confusion, les lesbiennes étant les plus touchées. Nos résultats montrent aussi que les violences subies contribuent au sur-risque de symptômes dépressifs chez les personnes LGB par rapport aux personnes hétérosexuelles. Ces résultats soulignent l’importance des initiatives qui luttent contre les violences et la discrimination hétérosexistes.

Interprétation

Le risque accru de troubles dépressifs et de comportements suicidaires chez les personnes LGB est bien documenté dans la littérature internationale 8,9, mais très peu en France avec des données anciennes et parcellaires 22. Dans notre étude, la prévalence des troubles de santé mentale est plus élevée pour les personnes LGB que pour celles hétérosexuelles, confirmant les études antérieures 22. Et, plus particulièrement, on observe chez les lesbiennes des prévalences de troubles dépressifs et d’idéations suicidaires plus élevées que les autres femmes bisexuelles ou hétérosexuelles, à l’instar des résultats de l’enquête Contexte de la sexualité en France (CSF) de 2006 qui montraient un risque très augmenté d’état dépressif chronique pour les femmes ayant eu des partenaires de même sexe 23. Selon le type de troubles, le risque peut être multiplié de 2 à 4 pour les personnes LGB par rapport à celles hétérosexuelles. Ainsi, les hommes homosexuels ont un risque de tentative de suicide dans l’année 4 fois plus grand que les hommes hétérosexuels, et de même pour les femmes bisexuelles par rapport aux femmes hétérosexuelles. Cette sur-suicidalité marquée est conforme aux études françaises et étrangères antérieures 22.

Par ailleurs, bien que l’indicateur sur les violences physiques et/ou verbales dans l’année ne permette pas d’isoler les violences liées à l’orientation sexuelle, la prévalence de ces actes reste plus importante pour les personnes LGB que pour les personnes hétérosexuelles. Aussi, notre étude permet d’examiner l’effet potentiel des violences subies qui expliqueraient, au moins en partie, les sur-risques des troubles dépressifs et comportements suicidaires. Les comportements intimidants et les violences verbales ou physiques auraient des effets néfastes sur le bien-être, la santé mentale et la satisfaction de la vie des membres de minorités sexuelles 1,3. Selon le modèle de stress minoritaire 10, la violence subie, même lorsqu’elle n’est pas explicite ou ouvertement agressive, peut rappeler aux victimes leur appartenance à un groupe minoritaire stigmatisé, créant un climat anxiogène. De plus, en subissant une des violences et, dans la plupart des cas, des violences réitérées, les personnes LGB développent des sentiments négatifs et sont conditionnées à s’attendre à des discriminations et à un rejet pouvant entraîner une augmentation de la dépression et du risque suicidaire 24. Des auteurs stipulent aussi que l’effort nécessaire pour faire face à la stigmatisation au fil du temps épuiserait les ressources psychologiques des individus, entraînant un plus grand risque de dérégulation émotionnelle et des problèmes de santé mentale 25.

Nous avons choisi les symptômes dépressifs actuels pour l’analyse de médiation pour plus de certitude de la temporalité des évènements (violences subies avant l’indicateur de santé mentale). Ainsi, les violences subies l’année précédant l’enquête expliquent une proportion plus importante du lien entre l’orientation sexuelle et les symptômes dépressifs actuels chez les hommes que chez les femmes (proportion médiée de 33% chez les hommes contre 22% chez les femmes). Cela pourrait être expliqué par des violences plus explicites et/ou plus importantes envers les hommes homosexuels ou bisexuels par rapport aux violences subies par les lesbiennes ou les bisexuelles. La non-conformité aux stéréotypes de genre, très fréquentes chez les hommes homosexuels et bisexuels, et certaines représentations stéréotypées des homosexuels masculins, pourraient engendrer des discriminations plus violentes chez les hommes bisexuels et gays par rapport aux femmes bisexuelles et lesbiennes 26,27. Il est également possible que les femmes soient confrontées à d’autres facteurs de stress dans la vie quotidienne, tels que les discriminations et violences sexistes, indépendamment de l’orientation sexuelle, qui contribuent d’une manière plus substantielle à la détresse mentale 28.

Limites

L’étude comporte plusieurs limites. L’orientation sexuelle a été définie ici à partir des comportements sexuels et de l’auto-identification rapportés par les répondants. Or, l’orientation sexuelle est complexe à mesurer, recoupant de multiples dimensions. L’identité sexuelle ne se recoupe pas forcément avec les pratiques sexuelles ni avec l’attirance sexuelle 29 ; la définition de l’orientation sexuelle aurait un impact sur le risque suicidaire puisque l’auto-identification serait davantage liée à la présence d’idées suicidaires que le comportement sexuel 30. De plus, nous n’avons pas collecté d’informations sur les expériences antérieures de violences, en particulier à l’adolescence. Ces violences au jeune âge, qui sont souvent récurrentes, pourraient affecter la santé mentale tout au long de la vie 31. D’ailleurs, la variable médiatrice proposée (les violences verbales et/ou physiques) n’est pas spécifique aux violences liées à l’orientation sexuelle des personnes, et nous n’avons pas de données sur le contexte des violences rapportées. Cependant, il est très probable que le taux élevé de violences à l’égard des personnes LGB par rapport aux hétérosexuels (même après ajustement sur plusieurs covariables) soit directement lié à l’orientation sexuelle. En outre, quel que soit le type de violence subie, même non hétérosexiste, elle pourrait être ressentie différemment par les membres de la minorité sexuelle par rapport aux hétérosexuels, en raison notamment de l’accumulation d’expériences négatives au cours de la vie. De plus, nous ne pouvons pas exclure les biais de mémorisation, qui auraient particulièrement résulté en une sous-déclaration des violences subies. Nos données n’ont pas permis d’identifier les personnes intersexuées ou transsexuelles qui sont également victimes de stigmatisation et de violences, et risquent donc de souffrir de problèmes de santé mentale. D’autres études sur ce sujet sont donc nécessaires. Enfin, nous n’avons pas pu inclure d’autres covariables comme par exemple la zone de résidence (urbain vs rural notamment), ainsi que d’autres facteurs de médiation potentielle comme l’usage de substances ou les violences sexuelles qui nécessiteront des analyses plus complexes répondant à d’autres questions de recherche.

Implication

Notre étude s’ajoute au nombre important d’études qui soulignent l’importance d’intensifier les efforts pour lutter contre les violences hétérosexistes, d’offrir un meilleur accompagnement et d’améliorer la prise en charge psychologique des personnes LGB. Nos résultats encouragent également les professionnels de santé, en particulier dans le domaine de la santé mentale, à prendre en compte l’effet des violences subies par des personnes LGB. Les politiques publiques visant à réduire structurellement la stigmatisation et la discrimination à l’encontre des personnes LGBT pourraient avoir un impact significatif sur la santé mentale et le bien-être de cette population.

Notre étude souligne aussi le besoin de mieux étudier l’effet des violences hétérosexistes, l’intersection des différents types de discriminations (hétérosexistes, racistes, sexistes, etc.) au cours de la vie sur la santé mentale, ainsi que la nécessité de mettre en place des interventions qui prennent en compte les psychotraumatismes résultant de ces violences.

Liens d’intérêt

Les auteurs et autrices déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

El Khoury Lesueur F, Léon C, Heron M, Sitbon A, Velter A ; le groupe Baromètre de Santé publique France 2017. Santé mentale des adultes selon l’orientation sexuelle et violences subies. Résultats du Baromètre de Santé publique France 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(6-7):97-104. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/6-7/
2021_6-7_1.html