Activité physique et santé : le paradoxe « progrès des connaissances » et « faible pratique d’activité physique » en France
// Physical activity and health: the paradox “progress of knowledge” and “low level of physical activity” in France
Les bénéfices de la pratique d’une activité physique (AP) – adaptée si nécessaire – l’emportent sans conteste sur les risques encourus, quels que soient l’âge et l’état de santé. L’AP est un comportement et un mode de vie d’autant plus facile à maintenir qu’elle aura été démarrée dès l’enfance. Néanmoins, de nombreux facteurs (individuels, interpersonnels, environnementaux, politiques, contextuels) influencent sa pratique et son maintien. Dans tous les cas, il n’est jamais trop tard pour bénéficier des effets d’une pratique régulière, en prévention primaire, secondaire et tertiaire.
En France, les résultats de l’étude Inca3 rendent compte de niveaux d’AP en population générale faibles (45% des hommes et 55% des femmes inactifs) et d’une sédentarité élevée, ainsi que d’une dégradation quasi-générale de ces indicateurs depuis 2006 1. Chez les patients ayant une maladie chronique, le niveau d’AP est encore inférieur avec en moyenne 61 minutes/semaine en moins d’AP d’intensité modérée par rapport aux sujets en bonne santé (cohorte de l’UK Biobank ; AP mesurée par accéléromètrie) 2. Inactivité physique et sédentarité sont des facteurs de risques de morbidité et de mortalité prématurée et d’aggravation de ces pathologies chez les malades. À cela, il faut rajouter le coût économique de ces maladies chroniques, estimé à 1% du PIB 3.
En 2008, une première expertise Inserm concluait que « l’AP est un traitement à part entière au cours d’affections chroniques invalidantes pour trois pathologies : BPCO, maladies cardiovasculaires ischémiques et diabète de type 2 et qu’elle contribue au traitement (comme adjuvant) de nombreuses autres pathologies ». Elle établissait des recommandations d’AP, celles-ci devant s’inscrire dans l’affirmation d’une volonté politique clairement affichée pour engager un véritable programme national « Activité physique et santé ». Cependant, un grand fossé séparait encore les recommandations de l’expertise 2008 de l’utilisation de l’activité physique adaptée (APA) comme prise en charge à part entière des pathologies chroniques.
Onze ans plus tard, et après plusieurs autres expertises (Anses 2016, Inca 2018) et recommandations (Académie de médecine, Haute Autorité de santé), les preuves scientifiques de l’efficacité de l’APA et la compréhension des mécanismes qu’elle met en jeu permettent de positionner l’APA comme une intervention non médicamenteuse dans les pathologies chroniques et d’affirmer qu’ « il n’y a plus de place pour le doute sur les effets de l’AP » en prévention primaire et en prévention secondaire et tertiaire (Inserm 2019). En 2019, ce ne sont plus trois, mais dix pathologies chroniques pour lesquelles l’AP est reconnue comme étant un traitement à part entière : le diabète de type 2, l’obésité, la bronchopneumopathie chronique obstructive, l’asthme, les cancers, les syndromes coronaires aigus, l’insuffisance cardiaque, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies ostéo-articulaires, la dépression et la schizophrénie. De ce fait, « l’enjeu principal de l’expertise Inserm 2019 n’était pas de savoir s’il faut recommander ou prescrire une pratique régulière d’APA aux personnes atteintes d’une maladie chronique – il n’y a plus aucun doute sur cette nécessité. L’enjeu actuel est l’amélioration de son observance au long cours par le patient, pour pouvoir prescrire de manière optimale cette « polypill » que représente l’APA ».
Comment expliquer ce bond en avant des évidences en 11 ans ? Par le nombre croissant des publications dans des revues scientifiques de bon facteur d’impact, la prise de conscience du coût croissant économique de ces maladies chroniques et du fardeau pour les patients et leur entourage, par le développement des politiques publiques et le début de leur évaluation. Ce qui sous-entend une prise en charge multidisciplinaire de l’AP et de la sédentarité qui sont des comportements multifactoriels. Cette prise en charge, voire prescription, doit rentrer dans un véritable parcours de soin et parcours de vie, discuté avec le patient.
Les cinq articles de ce hors-série du BEH résument les différents points de cette expertise.
Le premier article rappelle le lourd fardeau des maladies chroniques en Europe, responsables de mortalité précoce, d’incapacité et de dépendance, alors que l’AP régulière est un facteur de prévention des maladies chroniques. Il expose l’enjeu principal de l’expertise qui est de déterminer les caractéristiques des programmes d’AP les plus efficaces selon les aptitudes physiques, la ou les pathologies dont souffrent les patients, leurs ressources psychosociales, dans la perspective d’obtenir un maximum de bénéfices avec un minimum de risques. Mais, aussi « parce que les effets bénéfiques de l’AP s’estompent rapidement à l’arrêt de la pratique, d’identifier les déterminants de l’adoption d’un comportement actif, pérenne et inséré dans les habitudes de vie et de créer les conditions politiques, environnementales, sociales et organisationnelles qui favorisent ces comportements actifs pérennes, et cela sans aggraver les inégalités sociales de santé ».
C’est un des enjeux majeurs de l’APA : maintenir l’AP sur le long terme, à l’épreuve des événements de la maladie et de la vie. Cela implique une évaluation de la condition physique des patients pour permettre une adaptation de la prescription, une progressivité des programmes proposés et un suivi des patients, ainsi qu’une formation des médecins et des professionnels intervenants dans le domaine de l’APA.
Les mots-clés : « évaluation, personnalisation de l’AP, formation des professionnels, suivi » existaient déjà sous forme de recommandations dans l’expertise de 2008. Aujourd’hui, ce sont les bases indispensables/incontournables de l’APA.
Le deuxième article rappelle l’évolution des politiques publiques en faveur de l’AP : premier pas en 2000 avec le Programme national nutrition santé (PNNS). Un long processus, mais qui a conduit à l’émergence de nouvelles professions et organisations. Et surtout une prescription d’APA pour les malades chroniques qui est inscrite dans le socle de la loi.
Les articles 3 et 4 synthétisent les données de la littérature sur les effets de la pratique de l’APA en prévention secondaire et tertiaire des pathologies, l’APA étant un élément incontournable de la prise en charge de la maladie et de ses séquelles, de la prévention et de l’amélioration de la qualité de vie, voire un élément pronostique. Un chapitre à intégrer dans tous les manuels des étudiants en médecine et professionnels de la santé.
Le cinquième article résume les limites des études réalisées lors de cette expertise et les problématiques à explorer : non observance au long cours de la réalisation d’une AP régulière, optimisation des protocoles d’AP à recommander par pathologie, étude des patients non répondeurs à l’AP...
Le dernier article porte sur les barrières et leviers à l’AP, indispensables à connaître dans le diagnostic éducatif.
Au total, cette expertise démontre que l’AP régulière est une intervention non médicamenteuse dont les effets sont démontrés scientifiquement en prévention primaire, secondaire et tertiaire. Néanmoins pour que tous les effets de cette « polypill » soient optimisés, il faut une formation de tous les intervenants, une évaluation préalable et un suivi prolongé des malades qui en bénéficient, ainsi qu’un accès aux infrastructures adaptées. C’est l’équation minimale pour obtenir un « bien-bouger » durable. L’équation s’enrichira au fur et à mesure de l’avancée des connaissances.
Références
france.fr/beh/2020/15/2020_15_1.html
Citer cet article
HS/2020_HS_0.html