Accompagnement par l’Établissement français du sang de la modification des critères de sélection des donneurs de sang

// Support from the French Blood Agency for the modification of the selection criteria for blood donors

François Charpentier (francois.charpentier@efs.sante.fr)
Direction Collecte et Production, Établissement français du sang, La Plaine-Saint-Denis, France
Soumis le 13.11.2019 // Date of submission: 11.13.2019
Mots-clés : Don du sang | critères de sélection | Établissement français du sang | Centre de transfusion sanguine des armées
Keywords : Blood donation | Selection criteria | French Blood Agency | Armed Blood Transfusion Center

La décision, prise en juillet 2019 par la ministre de la Santé, d’autoriser le don de sang aux hommes ayant eu des rapports sexuels entre hommes (RSH) à la condition que le dernier rapport date de plus de quatre mois, s’inscrit dans le cadre d’une évolution initiée en 2016. Cette année-là, en effet, la contre-indication permanente qui prévalait en cas de RSH, même unique et ancien, a été abrogée et remplacée par une contre-indication temporaire de 12 mois. Le passage de 12 à 4 mois en est une suite logique découlant de plusieurs constats : la stabilité du risque transfusionnel résiduel observé entre 2016 et 2019, les modélisations – que l’on sait désormais robustes – de l’évolution de ce risque en fonction des différentes hypothèses (voir l’article de Josiane Pillonel et coll. dans ce numéro), et le retour d’expérience de certains pays ayant déjà adopté cette mesure.

L’Établissement français du sang (EFS) et le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) doivent désormais traduire dans les faits cette décision, dont la prise d’effet a été finalement fixée au 2 avril 2020. Ce délai de mise en œuvre a été rendu nécessaire par, d’une part, la finalisation de la phase de concertation avec les parties prenantes (les associations de donneurs, de patients, de défense des droits des lesbiennes, gays, bi- et transsexuels [LGBT], les experts, les agences sanitaires, la Direction générale de la Santé [DGS]…) et, d’autre part, les impacts organisationnels touchant l’ensemble de la chaîne de production des produits sanguins, du prélèvement jusqu’à leur libération. C’est de ces impacts dont il est question dans cet article, regroupés en quelques chantiers : informatique de production, formation des personnels, mises à jour documentaires, communication, etc. Signalons que la plupart de ces chantiers ne peuvent être enclenchés qu’après publication des textes réglementaires traduisant officiellement la décision des autorités sanitaires (notamment au Journal officiel de la République française).

Informatique de production

L’élément structurant et central du processus de production des produits sanguins est constitué d’un système informatique (LMT, pour Logiciel médico-technique) qui gère la chaîne transfusionnelle de bout en bout et assure la traçabilité de toutes les opérations et transformations qui interviennent depuis l’acte de candidature au don jusqu’à l’étiquetage final du produit, sa délivrance et l’identification du receveur.

À cet égard, les informations recueillies au moment de l’entretien pré-don sont capitales, car elles vont peser sur le devenir du don et des produits qui en seront issus. Elles doivent permettre d’assurer, de façon infaillible et confidentielle grâce à un codage adapté, l’orientation du produit vers ses destinations possibles et uniquement vers elles (produits sanguins labiles thérapeutiques ou non, production de médicaments dérivés du sang, mise en quarantaine, destruction). L’ensemble des situations rencontrées au cours d’un entretien de sélection pré-don peut donner lieu à environ 80 codifications, cumulables entre elles, dont une douzaine pour la seule sphère « risque d’exposition par voie sanguine ou sexuelle ». En aval, le « portefeuille » de produits possiblement impactés par cette codification de l’entretien pré-don est de plusieurs centaines de références, chacune déclinée en plusieurs centaines voire millions de produits différents chaque année. Cette complexité engendre, outre un besoin de formation des opérateurs, un besoin de paramétrage du LMT, complexe et lourd d’enjeux sécuritaires. Cette phase, qui se décompose en trois parties (spécifications – paramétrage proprement dit – et validation de ses effets, avant qualification finale grâce à une batterie de tests appropriés), prend entre 2 et 4 mois selon la complexité et l’étendue des modifications. Il est chargé d’enjeux sécuritaires et il n’est pas envisageable de le compresser au-delà d’une certaine limite : en la matière la prouesse est dans le maintien de l’infaillibilité du système et pas dans les délais.

Formation des personnels

Deux populations sont, en premier lieu, concernées par un besoin de formation :

les personnels au contact des donneurs, soit en face à face (agents d’accueil, infirmiers, agents de collation), soit à distance (personnels en charge de la relation téléphonique, des invitations, des prises de rendez-vous, community managers sur les réseaux sociaux), qui doivent acquérir les éléments de langage nécessaires pour répondre aux interrogations des donneurs de sang, notamment lors de la modification d’un ou plusieurs critères de sélection ;

les personnels, médecins et infirmiers habilités, en charge de l’entretien pré-don et de la sélection des donneurs. L’enjeu est d’obtenir l’appropriation des nouvelles règles au travers de séances de formation. Ces formations doivent insister sur la codification retenue, ses logiques, ses associations possibles et leurs conséquences, son bon usage, avec les enjeux de sécurité déjà évoqués. Par exemple, en 2016, 800 médecins et 100 infirmiers habilités à l’entretien pré-don avaient été formés dans les 6-8 semaines précédant la date de mise en œuvre de la modification (environ 3 000 heures de formation dédiée).

Mises à jour documentaires

Les documents dits « réglementaires », destinés aux donneurs de sang (document d’information pré-don, formulaire de consentement au don, document d’information post-don et document de préparation à l’entretien pré-don, appelé « questionnaire pré-don »), doivent décliner les nouvelles mesures. La mise à jour du « questionnaire pré-don » fait, notamment, l’objet d’un travail collégial, encadré par le Comité de suivi piloté par la Direction générale de la santé, entre les différentes entités concernées (autorités sanitaires, opérateurs, experts), puis est soumis aux parties prenantes représentant les usagers (associations de donneurs, de patients et de défense des droits LGBT). Une fois le document validé dans le fond, et publié par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) en tant que décision de son Directeur général, peut commencer le travail de maquettage puis d’impression à plusieurs millions d’exemplaires.

En interne, un certain nombre de documents de travail doivent également être mis à jour, en premier lieu le « Référentiel pour la sélection des donneurs », outil de travail – et pièce maîtresse de leur formation – des opérateurs chargés des entretiens pré-don, qui garantit la bonne compréhension et l’uniformisation des conduites à tenir sur tout le territoire.

Enfin, à destination des donneurs, mais plus largement du grand public, d’autres documents d’information peuvent devoir être mis à jour : outils promotionnels tels que dépliants, flyers, documentations pédagogiques (par exemple le fascicule sur les contre-indications au don, impacté par une modification de durée de contre-indication). C’est donc un travail de recensement qui est enclenché, avant de passer à la phase rédactionnelle sur les documents impactés, puis d’en assurer le maquettage et la matérialisation (impression, diffusion).

Communication

En matière de communication vers les médias, l’EFS s’inscrit dans le sillage de la communication émanant des autorités sanitaires elles-mêmes (communiqué et conférence de presse ministériels) et ne développe pas de communication « promotionnelle » ou « proactive » des nouvelles mesures, quelles qu’elles soient.

En revanche, à l’instar des supports documentaires traditionnels, les supports dématérialisés doivent subir la même opération de mise à jour. C’est notamment le cas pour l’écosystème numérique de l’EFS : site internet (sans oublier l’intranet pour la communication interne), application numérique, espace donneur.

Vis-à-vis de ses partenaires (associations de donneurs, Laboratoire français du fractionnement, etc.) l’ETS s’assure que l’information est bien connue et en facilite l’appropriation et l’analyse d’impact éventuelle. Concernant les associations de donneurs, cette communication se fait à différents échelons : vers la présidence de la Fédération française des donneurs de sang bénévoles (FFDSB) qui, rappelons-le, est partie prenante au Comité de suivi piloté par la DGS, mais aussi sur le terrain, en régions, où existent des instances de concertation régionales entre EFS et associations de donneurs de sang. Enfin, elle se fait également au plus proche du terrain, sur les sites, sur les collectes elles-mêmes, entre acteurs de terrain.

De façon plus générale, l’EFS s’attache à répondre aux demandes d’explications ou d’informations qui proviennent des médias ou de toute entité constituée émanant de la société civile (mouvements associatifs).

Conduite du changement

L’ensemble de ces chantiers fait l’objet d’un pilotage assurant leur bonne coordination, dans le cadre d’une procédure de gestion du changement.

Le jour venu, l’application concrète des nouveaux critères se doit d’être effective sur tout le territoire national. Dans la nuit qui le précède, la nouvelle version du paramétrage est basculée « en production », c’est-à-dire devient opérationnelle et, simultanément, est lancée une mise à jour automatisée des dossiers individuels concernés par le changement : tous les candidats au don auxquels était associé un ajournement de 12 mois à ce motif verront la durée de cet ajournement recalculée sur 4 mois et, selon les cas, se verront donc devenir éligibles au don immédiatement ou au plus tard dans les 4 mois à venir. Les premiers pourront donc se présenter dès le lendemain, sur n’importe quel point de collecte, où ils trouveront le questionnaire pré-don nouvelle version, et s’ils remplissent ce jour-là l’ensemble des critères en vigueur,
ils pourront effectuer un don dans le cadre des nouvelles règles.

Citer cet article

Charpentier F. Focus. Accompagnement par l’Établissement français du sang de la modification des critères de sélection des donneurs de sang. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(8-9):189-91. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/8-9/2020_8-9_5.html