Non-compliance aux critères de sélection du don de sang – Complidon 2017, France*

// Noncompliance with blood donor selection criteria – Complidon 2017, France

Claire Sauvage1 (claire.sauvage@santepubliquefrance.fr), Roxane Spinardi2, Camille Pelat1, Thomas Pouget3, Bruno Danic2, Geneviève Woimant2, Florence Lot1, Sylvie Gross2, Syria Laperche4, Josiane Pillonel1 et le Comité de pilotage de l’enquête Complidon**
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Établissement français du sang, La Plaine Saint-Denis, France
3 Centre de transfusion sanguine des armées, Clamart, France
4 Centre national de référence Risque infectieux transfusionnel, Institut national de la transfusion sanguine, Paris, France

* Ce texte est une adaptation de l’article suivant : Sauvage C, Spinardi R, Pelat C, Pouget T, Danic B, Woimant G, et al. Noncompliance with blood donor selection criteria – Complidon 2017, France. Transfusion. 2020;60(1):73-83.

** Comité de pilotage de l’enquête Complidon : Christophe Bésiers, Frédéric Bigey, Claire Boulat, François Charpentier, Muriel Cohen, Bruno Danic, Eliane Garrabé, Sylvie Gross, Lisette Hauser, Marie Jauffret-Roustide, Syria Laperche, Florence Lot, Nadra Ounnoughene, Camille Pelat, Josiane Pillonel, Elodie Pouchol, Thomas Pouget, Céline Roche, Isabelle Sainte-Marie, Claire Sauvage, Roxane Spinardi, Annie Velter, Geneviève Woimant

Soumis le 22.10.2019 // Date of submission: 10.22.2019
Mots-clés : Donneur de sang | Non-compliance | Critères de sélection | Enquête sur Internet
Keywords: Blood donor | Noncompliance | Selection criteria | Online survey

Résumé

La sélection des donneurs de sang, qui consiste en un questionnaire et un entretien pré-don, permet d’exclure les donneurs susceptibles de présenter un risque d’infection transmissible par transfusion. Comprendre les raisons de la non-compliance, c’est-à-dire du non-respect des critères de sélection, est primordial pour maintenir un niveau élevé de sécurité virale des produits sanguins.

Une enquête anonyme nommée Complidon a été menée de septembre à décembre 2017, sur Internet, auprès d’un échantillon de donneurs de sang. Les données recueillies ont été redressées pour être représentatives de l’ensemble des personnes ayant donné leur sang entre juillet 2016 et décembre 2017.

Parmi les 420 190 donneurs sollicités, 108 386 ont répondu au questionnaire (26%). La non-compliance globale a été estimée à 5,6%. Les critères les moins respectés concernaient le fait d’avoir eu plus d’un partenaire sexuel au cours des quatre derniers mois, pour le donneur (1,9%) ou pour son(sa) partenaire (1%), les critères liés aux voyages (1,2%) et les rapports sexuels entre hommes au cours des 12 derniers mois (0,73% des hommes). Les raisons de la non-compliance différaient selon le type de contre-indication. Les donneurs non-compliants aux critères liés à la sexualité déclaraient davantage ne pas vouloir être exclus ou trouvaient les questions trop personnelles. Les donneurs non-compliants aux critères concernant les voyages ou la santé ont plus souvent déclaré en avoir parlé lors de l’entretien pré-don et avoir été autorisés à donner.

Bien que la non-compliance aux critères de sélection du don de sang soit relativement faible en France, elle représente toujours un risque pour la sécurité transfusionnelle. C’est pourquoi il est essentiel d’assurer une bonne communication auprès des donneurs, afin qu’ils comprennent l’intérêt de chaque contre-indication et la nécessaire sincérité de leurs réponses, et d’insister auprès des professionnels de santé assurant les entretiens pré-don sur l’importance d’une écoute attentive et bienveillante.

Abstract

Blood donor selection, consisting of a pre-donation questionnaire and interview, excludes potential donors who may be at risk for transfusion-transmissible infections. Assessing the reasons for noncompliance with blood donor selection criteria is important to maintain a high level of viral safety of blood products.

An anonymous French online survey of a sample of blood donors (Complidon) was conducted from September to December 2017. Data were poststratified to be representative of all donors who donated blood between July 2016 and December 2017.

Of 420,190 solicited donors, 108,386 completed the survey (26%). Overall, noncompliance was estimated at 5.6%. The least respected criteria regarded sex with more than one partner during the previous 4 months for donors (1.9%) and for donors’ partners (1%), travel-related criteria (1.2%) and sex between men during the previous 12 months (0.73% of men). Reasons for noncompliance differed according to criteria. Donors who were noncompliant to sexuality-based criteria mainly said they did not want to be excluded or that the questions were too personal. Donors who were noncompliant to travel or health-related criteria more often mentioned their noncompliance during the pre-donation interview but were nevertheless allowed to donate blood.

Despite noncompliance to blood donor criteria being relatively low in France, it still represents a threat to the safety of blood transfusion. Accordingly, improved communication is important to ensure that donors fully understand each selection criterion and the necessary sincerity of their answers, as well as to emphasize to health professionals the importance of listening carefully without judging during pre-donation interviews.

Introduction

La sécurité transfusionnelle repose principalement sur le dépistage systématique de chaque don de sang vis-à-vis des infections aux virus de l’immunodéficience humaine (VIH), des hépatites B et C (VHB, VHC) et de la syphilis. Cependant, il existe un délai, appelé « fenêtre silencieuse », entre la contamination et le moment où les marqueurs de l’infection deviennent détectables par les tests biologiques disponibles 1. Aussi, avant d’autoriser un candidat à faire un don de sang, celui-ci est sélectionné, sur des critères fixés par arrêté ministériel, grâce à un questionnaire auto-administré puis un entretien pré-don avec un professionnel de santé. Un critère très controversé, depuis plusieurs années et dans la plupart des pays occidentaux, concerne l’exclusion des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), principalement au regard du risque VIH.

En France, tout homme ayant eu au moins un rapport sexuel avec un homme au cours de la vie était exclu du don de sang de façon permanente depuis 1983. Depuis, les progrès réalisés dans le développement de tests de dépistage de plus en plus performants et l’amélioration de la sélection des donneurs de sang ont permis de considérablement faire diminuer le risque de transmission d’une infection par transfusion, aujourd’hui extrêmement faible. Dans ce contexte, la Direction générale de la santé (DGS) a organisé, en 2015, une large concertation rassemblant les parties prenantes, dans le but de modifier le critère d’exclusion des HSH, perçu comme discriminatoire 2. Cette concertation a donné lieu à un arrêté en date du 5 avril 2016 3, mis en œuvre le 10 juillet 2016, stipulant notamment que les hommes n’ayant pas eu de relations sexuelles entre hommes au cours des 12 derniers mois pouvaient désormais faire un don de sang total, de plaquettes ou de plasma. Pour suivre cette mesure, la DGS a souhaité, en complément de la surveillance épidémiologique des donneurs de sang 4, qu’une enquête soit réalisée afin d’estimer les taux de non-compliance des donneurs aux principaux critères de sélection, c’est-à-dire la proportion de donneurs ayant fait un don de sang alors qu’ils présentaient une contre-indication. Cette enquête, appelée Complidon, a été mise en place par Santé publique France, en partenariat avec l’Établissement français du sang (EFS) et le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA).

Cet article a pour objectif de présenter les taux de non-compliance lors du dernier don, déclarés dans le cadre de Complidon, puis d’analyser les raisons ayant conduit les donneurs de sang à ne pas révéler une contre-indication.

Matériel et méthode

Les donneurs éligibles étaient ceux ayant fait un don thérapeutique (1) et dont le sang avait été testé négatif pour tous les marqueurs infectieux.

L’EFS et le CTSA ont adressé un mail d’invitation, suivi d’une relance un mois plus tard, à tous les donneurs éligibles ayant fait un don entre le 4 septembre et le 3 décembre 2017. Les mails contenaient un lien permettant d’accéder à un questionnaire en ligne. Afin de respecter l’anonymat des donneurs, l’accès au questionnaire ne nécessitait ni identifiant, ni mot de passe.

Le questionnaire de l’enquête comprenait une cinquantaine de questions portant notamment sur le profil sociodémographique des répondants, leur état de santé, l’usage de drogues, leur sexualité et leurs voyages. La non-compliance aux critères de sélection était évaluée à l’aide de questions fermées à choix unique du type « Oui/Non ». Tout donneur ayant répondu « Oui » à une question concernant un critère de sélection était considéré comme non-compliant à ce critère. Les taux de non-compliance, quel que soit le critère, ont toujours été calculés en rapportant le nombre de donneurs ayant une contre-indication à l’ensemble des donneurs. Seuls deux taux n’ont pas été rapportés à la totalité des donneurs car ils ne les concernaient pas tous : les HSH, rapportés aux seuls hommes, et les femmes dont le partenaire était HSH, rapportées aux seules femmes.

Afin de comprendre les raisons de la non-compliance pour chacun des critères de sélection, une question à choix multiples proposant différents motifs de non-compliance était posée aux donneurs déclarant ne pas avoir respecté un critère. Afin que les réponses ne se concentrent pas sur les premiers items cités, l’ordre des propositions était généré de façon aléatoire pour chaque critère.

Analyses statistiques

Afin de produire des résultats représentatifs de l’ensemble des donneurs ayant réalisé un don entre le 10 juillet 2016 et le 3 décembre 2017, les données recueillies ont été redressées sur le sexe, la classe d’âge, la région de résidence, le type de donneur (nouveau/connu) et le type de collecte (fixe/mobile) des donneurs ayant fait un don sur cette période.

Le questionnaire a été réalisé avec le logiciel Voozanoo, le redressement des données avec le logiciel R et les analyses statistiques avec le logiciel Stata® 14. Des comparaisons de proportions ont été réalisées en utilisant le test du Chi2.

Résultats

Parmi les 420 190 donneurs de sang éligibles, 108 386 (25,8%) ont répondu de manière complète à l’enquête.

Un peu moins de 3% (n=11 403) des donneurs sollicités n’ont pas répondu à la totalité du questionnaire, mais l’abandon ayant eu lieu en majorité dès les premières questions, ils n’ont pas été inclus dans l’analyse (figure 1).

Figure 1 : Diagramme de flux de Complidon. Données brutes, septembre-décembre 2017, France
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La comparaison des non-participants à l’enquête (n=311 804) et des participants (n=108 386) montre que ces derniers étaient plus souvent des femmes, des individus de plus de 40 ans, des donneurs connus (ayant donné au moins 2 fois au cours de leur vie) et des donneurs ayant donné en site fixe.

La majorité des donneurs de sang avait fait un don de sang total, le plus souvent dans une salle publique où ils s’étaient rendus seuls. Près d’un quart des donneurs ont déclaré avoir répondu au questionnaire pré-don de manière automatique, sans vraiment le lire, tandis que 3% déclaraient avoir rencontré des difficultés de compréhension et 1,2%, ne pas avoir répondu à l’intégralité des questions. Le lieu consacré au remplissage du questionnaire pré-don et/ou à l’entretien pré-don a été jugé insuffisamment confidentiel par 11,7% des donneurs de sang (tableau).

Tableau : Caractéristiques des donneurs de sang, selon la déclaration d’une contre-indication (CI).
Enquête Complidon, données redressées. France, juillet 2016-décembre 2017
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Non-compliance aux critères de sélection

L’enquête Complidon a permis d’estimer que 5,6% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [5,4-5,7]) des donneurs de sang auraient dû être ajournés, c’est-à-dire refusés temporairement ou définitivement lors de leur dernier don, car ils présentaient au moins une contre-indication parmi celles interrogées dans Complidon. Près de 16% d’entre eux cumulaient plusieurs contre-indications.

Parmi l’ensemble des donneurs, 3,6% [3,4-3,7] ont déclaré au moins une contre-indication liée à un risque de transmission d’un agent infectieux par voie sexuelle, usage de drogues ou tatouage/piercing et 1,2% [1,1-1,3] ont déclaré une des contre-indications liées aux voyages.

Par rapport aux donneurs n’ayant rapporté aucune contre-indication, ceux en ayant déclaré au moins une étaient plus souvent jeunes, travaillaient dans le domaine de la santé, étaient nouveaux donneurs, venus donner leur sang à l’université et accompagnés d’amis. En outre, ils déclaraient plus fréquemment avoir eu des difficultés de compréhension du questionnaire pré-don, avoir répondu au questionnaire sans vraiment l’avoir lu et avoir trouvé le niveau de confidentialité insuffisant. Par ailleurs, ils déclaraient davantage penser que leur sang pouvait faire courir un risque aux receveurs et avoir oublié ou avoir dissimulé des informations lors de l’entretien pré-don (tableau).

Les contre-indications les moins respectées lors du dernier don étaient le fait d’avoir :

eu plusieurs partenaires sexuels au cours des 4 derniers mois : 1,9% [1,8-2,0] des donneurs et 1,0% [0,94-1,1] de leur partenaire ;

bénéficié d’une transfusion sanguine au cours de la vie (0,69% [0,64-0,75]) ;

voyagé au cours des 4 derniers mois, dans un pays nécessitant la prise d’un traitement antipaludique préventif (0,64% [0,58-0,70]) ou en Amérique centrale ou du Sud (0,57% [0,52-0,63]) ;

réalisé un tatouage/piercing au cours des 4 derniers mois (0,44% [0,40-0,49]) ;

utilisé au moins une fois au cours de la vie des drogues par voie intraveineuse (0,29% [0,25-0,34]) ;

guéri d’un cancer (0,26% [0,24-0,34]) ;

eu une infection sexuellement transmissible (IST) au cours des 4 derniers mois (0,15% [0,12-0,18]).

Les autres contre-indications explorées dans Complidon concernaient moins de 0,15% des donneurs de sang. Enfin, 0,73% [0,63-0,83] des hommes avaient eu des relations sexuelles avec d’autres hommes au cours des 12 derniers mois (figure 2).

Figure 2 : Proportion de donneurs de sang présentant une contre-indication lors du dernier don, selon le sexe. Enquête Complidon, données redressées. France, juillet 2016-décembre 2017
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Les donneurs qui donnaient leur sang pour la première fois et les femmes présentaient plus souvent au moins une contre-indication : 8,0% des nouveaux donneurs versus 5,2% des donneurs connus (p<10-4) et 5,7% des femmes versus 5,0% des hommes, (p<10-4) (figure 2).

Motifs de non-compliance aux critères de sélection

Les raisons les plus fréquemment déclarées par les donneurs ayant eu au moins une contre-indication lors de leur dernier don étaient le fait de l’avoir mentionné dans le questionnaire pré-don ou lors de l’entretien et d’avoir toutefois été autorisé à donner (60,1%), de ne pas avoir voulu être exclu du don (11,2%), puis une méconnaissance des critères (9,9%). Les autres raisons évoquées ont été mentionnées par moins de 10% des donneurs ayant au moins une contre-indication (figure 3).

Figure 3 : Motifs de non-compliance parmi les donneurs ayant au moins une contre-indication, selon le type de contre-indication. Enquête Complidon, données redressées. France, juillet 2016-décembre 2017
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Si les hommes et les femmes déclaraient les mêmes raisons pour justifier leur non-respect d’un critère de sélection, les motifs étaient en revanche très différents selon le type de contre-indication. Les donneurs ayant une contre-indication liée à leur sexualité déclaraient davantage ne pas l’avoir mentionné lors de l’entretien pré-don pour ne pas être exclus, car les questions étaient jugées trop personnelles ou parce qu’ils ne savaient pas qu’il s’agissait d’une contre-indication. À l’inverse, les donneurs en ayant une liée à leur santé ou aux voyages déclaraient plus souvent l’avoir signalé dans le questionnaire ou lors de l’entretien pré-don et avoir été autorisés à donner (figure 3).

Certains motifs de non-compliance n’ont été proposés que pour des critères spécifiques. Ainsi, l’utilisation systématique du préservatif était déclarée par 34,1% des donneurs de sang ayant une contre-indication concernant leur sexualité. Parmi les HSH ayant eu des relations sexuelles au cours des 12 derniers mois, 57,6% estimaient qu’il ne devait pas y avoir de différences selon l’orientation sexuelle des donneurs tandis que 21,8% déclaraient avoir le même partenaire depuis au moins 12 mois.

Discussion

L’enquête Complidon est la première étude française permettant de mesurer la non-compliance aux critères de sélection des donneurs de sang. Alors que la participation attendue était d’environ 15%, d’après les taux de réponses d’enquêtes réalisées par l’EFS, 26% des donneurs sollicités ont répondu de manière complète au questionnaire. Cette participation importante à Complidon a permis d’obtenir un échantillon plus important qu’initialement prévu et de ce fait une meilleure précision des taux de non-compliance. Les enquêtes de compliance réalisées à l’étranger via Internet, avaient obtenu des taux de participation compris entre 11,5% 5 et 49,7% 6, la plupart se situant autour de 30% 6,7,8.

Le taux global de non-compliance estimé dans Complidon était de 5,6%, plus élevé chez les femmes (5,7%) et parmi les nouveaux donneurs (8%). Ce pourcentage est difficilement comparable aux données des autres pays, dans la mesure où les critères de sélection peuvent varier. Le taux de non-compliance vis-à-vis des critères de comportement sexuel, d’usage de drogue ou des pratiques de tatouage/piercing, estimé dans Complidon à 3,6%, se situe entre le taux rapporté en Australie en 2014 (1,65%) 7 et celui estimé à Hong-Kong en 2016 (5%) 9. Le taux de 0,73% de non-compliance des hommes ayant déclaré avoir eu des relations sexuelles avec des hommes dans les 12 derniers mois observé dans Complidon est plus élevé que ceux obtenus en Australie, au Canada, ou en Angleterre, où il concernait respectivement 0,23%, 0,26% et 0,4% des donneurs de sang de sexe masculin 6,10,11. Ces différences peuvent probablement en partie s’expliquer par la méthodologie mise en œuvre dans chaque enquête. En effet, contrairement à la plupart des études étrangères, les données de Complidon ont été redressées sur les principales variables liées à la non-compliance, faisant passer le taux de non-compliance au critère HSH de 0,48% (donnée brute) à 0,73% (donnée redressée). Par ailleurs, dans Complidon, comme dans l’enquête de B. Romeijn et coll. 8, deux questions spécifiques permettaient d’identifier les HSH : une première, très générale, suivie d’une seconde, plus précise quant à la définition des rapports sexuels entre hommes. Cette seconde question a permis d’identifier 6% d’HSH non-compliants supplémentaires, qui n’avaient pas initialement qualifié leurs relations entre hommes de « sexuelles ». Enfin, comme l’ont exprimé certains donneurs de sang dépistés positifs pour le VIH dans une enquête sociologique réalisée en France en 2015, la manière dont sont abordées les questions sur la sexualité lors de l’entretien pré-don a un impact sur la sincérité des réponses et donc in fine sur la compliance des candidats au don de sang 12. Or, la formation des personnels de santé, notamment concernant l’écoute sans jugement, est probablement différente d’un pays à l’autre.

Le fait d’avoir mentionné une contre-indication lors de l’entretien pré-don et d’avoir néanmoins été autorisé à donner était le motif le plus souvent évoqué dans Complidon pour justifier une contre-indication. Ceci suggère que les donneurs n’avaient pas pour intention de dissimuler des comportements à risque. Toutefois, ce motif, plus souvent cité par les répondants n’ayant pas de contre-indication liée à leur sexualité, montre que les critères de sélection ne sont pas tous abordés de la même manière par les donneurs ou par les professionnels de santé lors de l’entretien pré-don. Le manque de confidentialité ou le fait d’être mal à l’aise avec la personne chargée de l’entretien sont d’ailleurs des motifs plus souvent cités lorsqu’il s’agit de contre-indications liées à la sexualité. Une enquête réalisée aux Pays-Bas en 2014 corrobore cette hypothèse puisque, dans cette étude, 43% des HSH avaient indiqué ne pas avoir déclaré leurs relations entre hommes car ils n’étaient pas à l’aise pour parler de leur vie sexuelle lors de l’entretien pré-don 8.

Les motifs évoqués par les HSH semblent plus « revendicatifs », puisque plus de la moitié ont indiqué ne pas vouloir qu’il soit fait de différences selon l’orientation sexuelle des donneurs ou ne pas vouloir être exclus du don. Ces arguments, également retrouvés dans l’enquête sociologique de 2015 12, sont partagés par les hommes donneurs de sang dans d’autres pays où l’une des raisons principales de la non-compliance à ce critère est la non-acceptation de la politique d’ajournement des HSH 8,9,13. L’utilisation systématique du préservatif ou le fait d’avoir le même partenaire depuis au moins 12 mois étaient également des raisons mises en exergue par les HSH dans Complidon. Ces éléments laissent penser que les HSH qui viennent donner leur sang se considèrent à faible risque d’être infectés par le VIH.

Certains donneurs semblent auto-évaluer leurs risques puisque 30% des donneurs ayant au moins une contre-indication, principalement des donneurs réguliers, ont répondu au questionnaire pré-don de manière systématique, sans le lire attentivement. Par ailleurs, la part des donneurs travaillant dans le domaine de la santé est plus importante parmi ceux présentant au moins une contre-indication, ce qui pourrait également s’interpréter par le fait que certains donneurs évaluent eux-mêmes leurs risques à l’aune de leurs connaissances médicales. Cette auto-évaluation des risques montre le besoin d’informer les donneurs sur la nature des contre-indications existantes, mais surtout sur la nécessité d’expliquer pourquoi chacune des contre-indications est importante, afin de s’assurer de leur respect 5,14.

Les résultats obtenus dans Complidon doivent néanmoins être interprétés avec une certaine prudence dans la mesure où cette enquête est fondée sur des éléments déclaratifs induisant inévitablement un biais de désirabilité sociale 15. Ce biais, ici difficilement quantifiable, est toutefois minimisé du fait du mode de recueil. Les répondants sont en effet généralement moins sensibles au caractère intrusif de certaines questions lorsque l’enquête est électronique et non en entretien face à face 15. De plus, afin d’inciter à la sincérité des réponses, Complidon garantissait l’anonymat des répondants, les réponses au questionnaire ne pouvant en aucun cas avoir pour conséquence un ajournement lors d’un futur don.

En contrepartie, le maintien de l’anonymat, basé essentiellement sur l’absence de codes d’accès au questionnaire, ne permettait pas de garantir qu’un individu n’ayant pas réalisé de don sur la période de l’étude ait pu tout de même répondre, ou qu’un donneur n’ait pu remplir plusieurs questionnaires. Cette méthodologie a été critiquée par une association de donneurs de sang, qui a publié, le 5 novembre 2017, le lien Internet du questionnaire dans un communiqué de presse. L’éventuelle répercussion de cette initiative isolée a été analysée, montrant qu’aucun indicateur n’avait varié avant et après ce communiqué de presse. Au regard de ces vérifications et du nombre de questionnaires inclus dans l’analyse (près de 110 000), l’effet d’un éventuel biais de sélection ou de mesure semble très limité.

Une dernière limite concerne le mode de calcul des taux de non-compliance : tout donneur ayant déclaré une contre-indication dans le questionnaire Complidon a été considéré comme non-compliant, quelle que soit la raison de la non-déclaration. Certains donneurs ayant déclaré avoir indiqué leur contre-indication lors de l’entretien pré-don et avoir été autorisé à donner, ont pu être comptabilisés à tort comme étant non-compliants (par exemple, si la contre-indication discutée lors de l’entretien pré-don n’en était pas réellement une). Ce mode de calcul a toutefois permis de mettre en évidence le fait que les donneurs invoquent des motifs différents selon le type de contre-indication.

Conclusion

Les taux de non-compliance aux critères de sélection du don de sang estimés dans Complidon sont faibles, et de ce fait rassurants quant au risque de transmission d’infections par transfusion en France. Néanmoins, la non-compliance vis-à-vis des critères visant le risque infectieux a un impact sécuritaire non négligeable. Les efforts de communication sur la nature et l’intérêt des contre-indications au don doivent donc se poursuivre afin de responsabiliser davantage les donneurs de sang. À cet effet, le programme Innovadon 2020, mis en place par l’EFS, qui prévoit notamment un espace en ligne pour chaque donneur de sang, permettra d’améliorer cette communication de façon plus personnalisée. Chaque donneur, mieux informé sur les contre-indications au don, pourra évaluer sa situation et s’auto-exclure si nécessaire. Par ailleurs, une sensibilisation toute particulière des personnels de santé en charge des entretiens pré-don doit permettre d’insister sur l’importance du respect de la confidentialité lors de la passation du questionnaire et de l’entretien pré-don, ainsi que sur l’importance de l’écoute bienveillante et sans jugement, notamment concernant la sexualité des donneurs, afin que chacun puisse s’exprimer en toute sincérité.

Remerciements

Les auteurs remercient tous les donneurs de sang qui ont accepté de participer à l’enquête Complidon.
Le système de collecte Web a été réalisé par EpiConcept.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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3 Ministère des Affaires sociales et de la Santé. Arrêté du 5 avril 2016 fixant les critères de sélection des donneurs de sang. JO n° 0085 du 10/04/2016. [Internet] https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2016/4/5/AFSP1608360A/
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4 Santé publique France. Analyses de risque des agents transmissibles par le sang. Saint-Maurice: Santé publique France. [Internet]. https://www.santepubliquefrance.fr/don-de-sang/donnees/#tabs
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15 Frippiat D, Marquis N. Les enquêtes par Internet en sciences sociales : un état des lieux. Population. 2010;65:309-38.

Citer cet article

Sauvage C, Spinardi R, Pelat C, Pouget T, Danic B, Woimant G, et al. Comité de pilotage de l’enquête Complidon. Non-compliance aux critères de sélection du don de sang – Complidon 2017, France. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(8-9):160-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/8-9/2020_8-9_1.htm

(1) Don utilisé pour la préparation de produits sanguins en vue d’une transfusion, différent du don non thérapeutique utilisé pour la fabrication de réactifs pour les analyses biologiques, la recherche scientifique, la formation aux métiers de la santé, dans les lycées et universités…