Évolution de la politique du don de sang en France pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes

// Evolution of blood donation policy for men who have sex with men in France

Pr Benoit Vallet1 & Pr Jérôme Salomon2
1 Ancien Directeur général de la santé 2013-2018, Paris, France
2 Directeur général de la santé, Ministère des Solidarités et de la Santé, Paris, France

La prévention des infections transmissibles est d’une importance primordiale en médecine transfusionnelle pour garantir la qualité et la sécurité des produits sanguins. Une telle prévention des risques connus, ou moins connus et émergents, repose à la fois sur des politiques d’exclusion des donneurs de sang potentiellement exposés à ces risques et sur le dépistage rigoureux des agents pathogènes transmissibles par le sang.

Depuis la crise majeure liée au sida, au milieu des années 1980, les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes (HSH) étaient exclus du don de sang, en raison du risque d’infection plus élevé par des virus à diffusion hématogène tels que le VIH dans cette population. À l’identique d’un grand nombre de pays, cette exclusion permanente des HSH a été instaurée en France dès 1983 par une circulaire ministérielle, renforcée par des textes successifs en 1993 et 1997 et formalisée par l’arrêté de 2009 fixant les critères de sélection des donneurs de sang.

Au fil du temps, le dépistage des donneurs de sang est devenu très performant grâce à la mise en place de tests extrêmement sensibles, à la fois sur les anticorps et sur la recherche du génome viral, réduisant ainsi la « fenêtre silencieuse » où ces marqueurs sont encore négatifs, période se situant juste après la contamination. Une telle exclusion permanente était considérée par les HSH comme discriminatoire, non fondée sur des preuves et globalement incomprise (donc potentiellement contournée). Elle était en effet plus stricte que les reports temporaires imposés pour d’autres comportements exposant au VIH par l’arrêté de 2009 (par exemple un ajournement de quatre mois seulement pour le donneur hétérosexuel dont le partenaire est positif pour le VIH).

De mars à novembre 2015, le ministère de la Santé a donc engagé des travaux avec l’ensemble des parties prenantes (opérateurs de transfusion, autorités compétentes, associations de patients et de donneurs de sang et des organisations de défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres [LGBT]) afin de faire évoluer l’arrêté de 2009, en particulier en ce qui concerne l’exclusion permanente des HSH. À l’issue de cette concertation, où chaque partie prenante a pu contribuer et faire valoir son point de vue, une première étape a pu être franchie : la fin de l’exclusion définitive des HSH du don de sang (1). Cette décision a été prise sur la base :

de travaux scientifiques montrant qu’un ajournement de 12 mois sans relation sexuelle entre hommes garantirait le même niveau de sécurité transfusionnelle qu’une exclusion permanente ;

de l’expérience de pays ayant déjà adopté cette durée d’ajournement, comme l’Australie, le Canada, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas ou le Japon.

L’arrêté du 5 avril 2016, entré en vigueur le 10 juillet de la même année, a entériné cette décision permettant aux HSH :

de faire un don de sang total, à condition de ne pas avoir eu de rapports sexuels entre hommes dans les 12 derniers mois ;

de faire un don de plasma sécurisé par quarantaine (2), à condition de ne pas avoir eu plus d’un partenaire sexuel dans les quatre derniers mois (critère identique à celui de l’ensemble des autres donneurs pour ce type de don).

Cette première évolution a fait l’objet d’une étude, nommée « Complidon », qui a permis d’évaluer l’acceptation et le respect des critères de sélection par les donneurs de sang, notamment le nouveau critère concernant les HSH. L’article de C. Sauvage et coll., au travers de l’exploitation de près de 110 000 questionnaires, montre que les critères de sélection ne sont pas systématiquement respectés. Complidon a notamment permis d’estimer que 0,73% des hommes ayant donné leur sang entre le 10 juillet 2016 et le 03 décembre 2017 avaient eu des rapports sexuels entre hommes au cours des 12 mois précédant le don. Et plus de la moitié d’entre eux n’avaient pas déclaré leurs rapports entre hommes lors de leur dernier don, exprimant, dans le cadre de cette enquête, leur refus d’une discrimination selon l’orientation sexuelle des donneurs, ou leur souhait de ne pas être exclus du don.

En dépit de ces résultats, le bilan de l’ouverture du don de sang aux HSH le 10 juillet 2016 est très encourageant, puisqu’aucune majoration du risque résiduel de transmission transfusionnelle du VIH n’a été observée après cette date (voir l’article de J. Pillonel et coll. dans ce numéro).

Sur la base de ce constat, et pour faire suite à son engagement devant l’Assemblée nationale lors de l’examen de la proposition de loi portant sur la consolidation du modèle éthique du don de sang en octobre 2018, la ministre de la Santé a souhaité engager des travaux pour étudier une ouverture plus large du don de sang aux HSH. Afin de guider sa décision, elle s’est appuyée sur des estimations du risque résiduel lié au VIH pour les deux scénarios suivants :

ajournement des hommes qui ont eu des rapports sexuels entre hommes au cours des quatre mois précédant le don ;

ajournement des HSH qui ont eu plus d’un partenaire sexuel au cours des quatre mois précédant le don.

Quel que soit le scénario étudié, le risque résiduel lié au VIH reste très faible (voir l’article de J. Pillonel et coll. dans ce numéro). Dans le premier scénario, il est identique à celui observé pour un ajournement de 12 mois des HSH et dans le second, il est sensiblement plus élevé et moins robuste aux variations des paramètres du modèle.

Ce risque lié à la fenêtre biologiquement silencieuse, évalué actuellement à environ 1 don de sang contaminé par le VIH et non dépisté positif tous les deux ans en France, est une estimation et non une observation. En effet, depuis 2002, aucune contamination transfusionnelle par le VIH n’ayant été rapportée, le risque réel est donc probablement plus faible. Il n’est cependant pas nul, et l’étude présentée par P. Cappy et coll. dans ce numéro montre que, même si cette situation est très rare, un don infecté par le VIH peut ne pas être détecté par les techniques de dépistage ultra-sensibles utilisées à ce jour sur les dons de sang. Cet article décrit en effet la découverte en 2018 d’un donneur en phase très précoce d’infection par le VIH, trouvé négatif par le dépistage génomique viral, du fait d’une charge virale extrêmement faible. Toutefois, la transmission du VIH par la transfusion des produits sanguins issus de ce don n’a pas été mise en évidence.

En 2019, dans la lignée de ce qui avait été entrepris en 2015, le comité de suivi de l’arrêté de la sélection des donneurs de sang a travaillé avec l’ensemble des parties prenantes sur les deux scénarios à l’étude, à partir notamment des données épidémiologiques et des analyses de risque.

Au vu des données disponibles et des avis exprimés par les parties prenantes, la ministre de la Santé a décidé de procéder par étape. La première, entérinée dans l’arrêté du 17 décembre 2019 et mise en œuvre le 2 avril 2020, autorise les HSH à donner leur sang, à condition de ne pas avoir eu de rapports sexuels entre hommes au cours des quatre derniers mois. L’article de F. Charpentier et coll. présente les adaptations nécessaires à la mise en œuvre de ce nouveau critère par l’Établissement français du sang et le Centre de transfusion sanguine des armées : paramétrage informatique, formation des personnels, supports matériels dont le questionnaire préalable au don, communication…

Cette ouverture plus large du don de sang aux HSH sera évaluée en toute transparence pour permettre d’envisager, à l’horizon 2022, l’adoption de critères de sélection indépendants de l’orientation sexuelle et identiques pour tous les donneurs, à savoir un seul partenaire sur les quatre derniers mois. Cette dernière étape ne pourra se faire qu’à la condition du maintien d’une sécurité transfusionnelle optimale.

Citer cet article

Vallet B, Salomon J. Évolution de la politique du don de sang en France pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(8-9):158-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/8-9/
2020_8-9_0.html

(1) Voir l’article : Tiberghien P, Pillonel J, Toujas F, Vallet B. Changes in France’s deferral of blood donation by men who have sex with men. N Engl J Med. 2017;376(15):1485-6.
(2) Le plasma sécurisé par quarantaine consiste à conserver le plasma pendant un délai minimal de 60 jours. Passé ce terme, sa libération est subordonnée à une nouvelle vérification de la conformité des examens biologiques règlementaires chez le donneur lors d’un don ultérieur.