Future extension de l’ouverture du don de sang aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes en France : quel impact sur le risque de transmission du VIH par transfusion ?*
// Future increased access to blood donation for men who have sex with men in France: What impact on the risk of HIV transmission by transfusion?
Résumé
Avant le 10 juillet 2016, les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes (HSH) étaient exclus de façon permanente du don du sang. Depuis cette date, ils peuvent donner leur sang s’ils n’ont pas eu de rapports sexuels entre hommes dans les 12 derniers mois précédant le don. Afin d’envisager une nouvelle réduction de la période d’ajournement, une évaluation du risque résiduel (RR) VIH a été effectuée pour deux scénarios, S1 : ajournement si rapports sexuels entre hommes dans les quatre derniers mois, S2 : ajournement si multipartenariat dans les quatre derniers mois (comme pour les autres donneurs).
Le RR VIH de référence a été estimé sur la période juillet 2016-décembre 2017. L’impact des deux scénarios sur ce RR a été évalué à partir de trois enquêtes de Santé publique France (Baromètre Santé 2016, Enquête Rapport au sexe 2017 et Complidon) afin d’estimer (i) le nombre d’HSH supplémentaires susceptibles de donner leur sang dans chaque scénario et (ii) l’incidence du VIH parmi ces donneurs.
Le RR de référence a été estimé à 1 pour 6 380 000 dons. Pour S1, sur 18 mois, le nombre de donneurs HSH supplémentaires a été estimé à 733 et le nombre de dons VIH positif supplémentaires à 0,09, conduisant à un RR de 1 pour 6 300 000. Pour S2, ces nombres ont été estimés à 3 102 et à 3,92 respectivement, et le RR à 1 pour 4 300 000 dons. L’analyse de sensibilité a montré que le RR serait au maximum de 1 sur 6 225 000 dons pour S1 et de 1 sur 3 000 000 pour S2.
Dans les deux scénarios, le RR VIH reste très faible. Pour S1, il est identique au RR de référence. Pour S2, il est 1,5 fois plus élevé et l’analyse de sensibilité montre que cette estimation est moins robuste que pour S1. En juillet 2019, la ministre de la Santé a opté pour le premier scénario, qui sera mis en application le 02 avril 2020.
Abstract
Prior to 10 July 2016, men who have had sex with men (MSM) were permanently deferred from donating blood. Since then, they can donate blood if they have not had sex with other men in the last 12 months prior to donation. To inform a further reduction of the deferral period, an HIV residual risk (RR) assessment was conducted with two scenarios: S1: 4-month deferral; S2: 4-month deferral only in the case of more than one sexual partner (i.e., similar to other blood donors).
Baseline HIV-RR was calculated from July 2016 to December 2017. The impact of both scenarios on this RR was assessed using data from 3 surveys from Santé publique France (Health Barometer 2016, “Rapport au sexe” 2017 survey and “Complidon”), to estimate (i) the number of additional MSM expected to donate blood in each scenario, and (ii) HIV incidence among these donors.
Baseline HIV-RR was estimated at 1 in 6,380,000 donations. For S1, an additional 733 MSM donors, and an additional 0.09 HIV positive donations were estimated over a 18-month period, yielding an unchanged RR of 1 in 6,300,000. For S2, these numbers were estimated at 3,102 and 3.92, respectively, yielding an RR of 1 in 4,300,000. Sensitivity analyses showed that the RR would equal 1 in 6,225,000 donations for S1, and 1 in 3,000,000 for S2.
For both scenarios, the HIV-RR remains very low. For S1, it is identical to the baseline RR. For S2, it is 1.5 times higher and sensitivity analysis shows that this estimate is less robust than for S1. In July 2019, the French Minister of Health opted for the first scenario, which will be implemented on April 2, 2020.
Introduction
Comme dans de nombreux pays occidentaux, la France a récemment modifié les critères de sélection des donneurs de sang en permettant, depuis le 10 juillet 2016, aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) de donner leur sang sous certaines conditions : pour le don de sang total, de plaquettes ou de plasma pour fractionnement, ne pas avoir eu de rapports sexuels entre hommes dans les 12 derniers mois ; pour le don de plasma sécurisé par quarantaine, ne pas avoir eu plus d’un partenaire sexuel dans les quatre derniers mois 1.
Le ministère de la Santé a souhaité que la modification des critères de sélection s’accompagne d’un suivi renforcé. En complément de la surveillance épidémiologique des donneurs de sang mise en place en 1992, il a été demandé à Santé publique France de réaliser une enquête auprès des donneurs de sang, appelée Complidon, afin de mesurer leur compréhension et leur adhésion à ces critères (Enquête Complidon 2 et article de C. Sauvage et coll. dans ce numéro).
L’enquête Complidon, représentative de l’ensemble des personnes ayant donné leur sang entre le 10 juillet 2016 et le 31 décembre 2017 a montré que les contre-indications au don de sang ne sont pas toujours strictement respectées. Ainsi, 0,73% (Intervalle de confiance à 95%, IC95%: [0,63-0,83]) des hommes ont déclaré avoir eu des rapports sexuels entre hommes au cours des 12 mois précédant leur dernier don, sans l’avoir indiqué au moment du don. Malgré ce taux de non-respect du critère de sélection concernant les HSH, les données de la surveillance épidémiologique ont montré que l’ouverture du don de sang aux HSH n’a pas eu d’impact sur les indicateurs de suivi, que ce soit en termes de prévalence et d’incidence du VIH ou de risque résiduel (RR) lié au VIH. Ce risque est resté stable, à un niveau très faible, entre les périodes de 30 mois pré et post ouverture du don de sang aux HSH. Il a été estimé, sur la période 2016-2018, à un don VIH non détecté tous les deux ans en France (voir article de J. Pillonel et coll. dans ce numéro).
Sur la base de ces données, le ministère de la Santé a envisagé, dès octobre 2018, une ouverture plus large du don de sang aux HSH. Afin de guider sa décision, il a souhaité disposer, au préalable, d’estimations du RR VIH pour les deux scénarios suivants :
–S1 : ajournement des hommes ayant eu des rapports sexuels entre hommes au cours des quatre mois précédant le don ;
–S2 : ajournement des HSH ayant eu plus d’un partenaire sexuel au cours des quatre mois précédant le don (multipartenaires).
Cet article présente les estimations du risque résiduel lié au VIH, réalisées par Santé publique France, pour ces deux scénarios.
Méthodes
La démarche utilisée pour l’évaluation des deux scénarios S1 et S2 est basée sur les étapes suivantes :
1- Estimation de l’incidence du VIH et du RR sur la période de 18 mois entre le 10 juillet 2016 et le 31 décembre 2017, période de référence de l’analyse de risque ;
2- Estimation de l’incidence du VIH chez les donneurs HSH et les donneurs non HSH sur la même période de 18 mois ;
3- Estimation du RR VIH pour chacun des deux scénarios et comparaison avec le RR de référence.
Estimation de l’incidence du VIH et du RR de référence
L’estimation du RR qu’un don de sang soit contaminé par le VIH repose sur l’équation suivante 3 :
RR=I×(FS/365), où I est le taux d’incidence du VIH pour 100 000 donneurs-années (D-A) et FS la fenêtre silencieuse, estimée 9 jours.
La méthode utilisée pour estimer l’incidence du VIH est basée sur l’utilisation du test d’infection récente (TIR), permettant de définir l’ancienneté de l’infection (inférieure ou supérieure à 180 jours) et mis en œuvre sur tous les dons de sang confirmés anticorps (Ac) anti-VIH-1 positifs 4,5. Les infections récentes (<180 jours) ainsi identifiées ont permis d’estimer l’incidence à partir de la formule suivante :
I=Nir/[(Nnég+Nir)×(T/365)]×105=Nir/D-A×105, où Nir est le nombre de donneurs détectés en infection récente grâce au TIR, Nnég est le nombre de dons VIH négatifs et T le nombre de jours définissant une infection récente (T=180).
Estimation de l’incidence du VIH chez les donneurs HSH et chez les autres donneurs
L’incidence du VIH a été estimée chez les donneurs de sang HSH (IHSH) et chez les autres donneurs, c’est-à-dire les hommes non HSH et les femmes (Iautres) selon les deux équations suivantes :
IHSH=Nir-HSH/D-AHSH×105, où Nir-HSH est le nombre de donneurs HSH (information obtenue lors de la consultation post-don) en infection récente selon le TIR et D-AHSH, le nombre de D-A estimé pour les HSH ;
Iautres=Nir-autres/D-Aautres×105, où Nir-autres est le nombre de donneurs non HSH (hommes et femmes) en infection récente avec le TIR et D-Aautres, le nombre de D-A estimé pour les donneurs non HSH.
Évaluation de l’impact des deux scénarios d’ajournement des HSH sur le RR VIH
Cette évaluation est basée, d’une part, sur des données issues de trois enquêtes de Santé publique France – Baromètre de Santé 2016 (BS 2016) 6, Enquête Rapport au sexe 2017 (ERAS 2017) 7,8 et Complidon 2 (et article de C. Sauvage et coll. dans ce numéro) – pour estimer le nombre de donneurs qui pourraient, en fonction du scénario retenu, entrer dans le processus du don de sang. D’autre part, elle est basée sur des estimations d’incidence du VIH parmi ces donneurs.
BS 2016 est une enquête représentative de la population générale française qui a permis d’estimer à 2,26% (IC95%: [1,86-2,72]) la proportion d’hommes entre 15 et 75 ans qui ont eu des rapports sexuels entre hommes au cours des 12 derniers mois.
ERAS 2017 est une enquête anonyme, auto-administrée, basée sur le volontariat et réalisée via Internet auprès de 18 069 hommes gays et bisexuels âgés de 18 ans et plus, les interrogeant sur leur activité sexuelle au
cours des six derniers mois. Elle a permis d’obtenir un proxy pour chacun des indicateurs suivants : la proportion d’HSH n’ayant
pas eu de rapports sexuels au cours des quatre derniers mois (11,3% [5%-15%], S1), la proportion d’HSH monopartenaires au
cours des quatre derniers mois (30,4% [20%-40%], S2) et la proportion d’HSH qui déclarent être séropositifs pour le VIH
(7,1% [5,3%-12,8%],
S1 et S2).
Les données de Complidon ont été utilisées pour estimer le nombre de donneurs HSH non-compliants à partir de la proportion d’hommes ayant déclaré des rapports sexuels entre hommes au cours des quatre mois précédant leur dernier don (0,56% [0,48-0,66]) pour S1 et de la proportion d’hommes ayant déclaré plusieurs partenaires masculins au cours des quatre mois précédant leur dernier don (0,23% [0,19-0,29] pour S2.
Toutes les étapes des estimations sont présentées dans les tableaux de la partie résultats pour les deux scénarios.
Principales hypothèses utilisées dans les deux scénarios
1. Les données estimées dans les enquêtes BS 2016 et ERAS 2017 sont extrapolables à la population des HSH susceptibles de donner leur sang.
2. L’incidence du VIH chez les donneurs HSH susceptibles de donner leur sang dans l’optique d’un passage d’un ajournement de 12 à 4 mois sans rapports sexuels entre hommes (S1) est identique à celle estimée actuellement chez les donneurs HSH.
3. Le ratio entre le taux d’incidence du VIH parmi l’ensemble des HSH et le taux d’incidence chez les HSH monopartenaires est identique à celui observé dans l’enquête Prevagay 2015 (enquête réalisée auprès d’HSH fréquentant les lieux de convivialité gay) 9.
4. Les paramètres non liés à la modification du critère de sélection sont stables, c’est-à-dire que ceux de la période de référence (10 juillet 2016-31 décembre 2017) utilisés dans les scénarios 1 et 2, ne sont pas modifiés par une ouverture plus large aux HSH (ex. : incidence du VIH chez les donneurs non HSH).
Analyses d’incertitude et de sensibilité
Afin de déterminer l’incertitude associée à l’estimation du RR VIH dans les deux scénarios, nous avons utilisé un modèle de réseau bayésien qui permet de combiner les incertitudes associées à chaque paramètre d’entrée 10,11. Les intervalles de crédibilité (ICr) à 95% de l’incidence du VIH et du RR ont été estimés par simulations de Monte-Carlo (90 000 itérations).
Une analyse de sensibilité a été réalisée, pour chaque scénario, afin d’évaluer l’impact sur l’estimation du RR des hypothèses faites sur les deux paramètres principaux : le nombre d’HSH supplémentaires susceptibles de donner leur sang et l’incidence du VIH parmi ces donneurs. Pour cela, ces paramètres ont été augmentés de 50% séparément, puis simultanément.
Résultats
Estimation de l’incidence du VIH et du RR de référence
Entre le 10 juillet 2016 et le 31 décembre 2017, 30 donneurs de sang ont été dépistés positifs pour le VIH. Tous étaient VIH-1. Parmi ces donneurs, 2 étaient ARN+/Ac- et n’ont pas pu être testés avec le TIR. Sur les 28 donneurs Ac anti-VIH-1 positifs, testés avec le TIR, 8 (29%) ont été identifiés comme récemment infectés.
Le taux d’incidence du VIH a été estimé à 8/1 258 635 D-A, soit 0,64/100 000 D-A (IC95%: [0,27-1,15]) et le RR à 0,16/1 000 000 de dons (IC95%: [0,04-0,34]), soit 1 don pour 6 380 000 dons (ICr95%: [1/24 260 000-1/2 920 000]).
Estimation de l’incidence du VIH chez les donneurs HSH et chez les autres donneurs
Parmi les 8 infections VIH récentes détectées par le TIR entre le 10 juillet 2016 et le 31 décembre 2017, 6 concernaient des hommes et 2 des femmes. Parmi les hommes, 3 ont déclaré, lors de la consultation post-don, avoir eu des rapports sexuels avec des hommes (50%) et 1 avoir été contaminé par des rapports sexuels avec des femmes. Pour 2 hommes, le mode probable de contamination n’a pas pu être déterminé : 1 a été classé en HSH et 1 en hétérosexuel. Au total, le nombre estimé d’hommes contaminés par rapports sexuels entre hommes était de 4 et le nombre de donneurs contaminés par rapports hétérosexuels était également de 4 (2 hommes et 2 femmes).
L’incidence du VIH a été estimée à 20,5/100 000 D-A chez les HSH, incidence qui est 64 fois plus élevée que chez les autres donneurs (tableau 1).
Évaluation de l’impact des deux scénarios d’ajournement des HSH sur le RR VIH
Pour S1, le nombre d’HSH supplémentaires a été estimé à 733 et le nombre de dons VIH positifs supplémentaires à 0,09.
Le RR VIH a été estimé à 0,16/1 000 000 de dons (ICr95%: [0,04-0,35]) soit 1 don pour 6 300 000 dons (ICr95%: [1/23 700 000-1/2 900 000]). Ce risque n’est pas différent du RR de référence estimé à 1/6 380 000 (tableau 2).
Pour S2, le nombre d’HSH supplémentaires a été estimé à 3 122 et le nombre de dons VIH positifs supplémentaires à 3,9.
Le RR VIH a été estimé à 0,23/1 000 000 de dons (ICr95%: [0,05-0,56]) soit 1 don pour 4 300 000 dons (ICr95%: [1/18 900 000-1/1 800 000]). La valeur centrale du risque lié au VIH est donc 1,5 fois supérieure au RR de référence (tableau 3).
ayant eu plus d’un partenaire sexuel au cours des 4 mois précédant le don, France
Analyse de sensibilité
Pour S1, lorsque le nombre de donneurs HSH supplémentaires est augmenté de 50%, ou lorsque l’incidence du VIH est augmentée de 50% chez ces donneurs supplémentaires, le RR augmente d’environ 0,5% par rapport au scénario de base. Lorsque ces deux quantités augmentent de 50% simultanément, le RR est estimé à 1/6 225 000 dons, soit une augmentation de 1,5% par rapport au RR du scénario de base (1/6 300 000) (figure).
Pour S2, augmenter le nombre de donneurs HSH supplémentaires de 50% ou augmenter séparément l’incidence du VIH de 50% fait passer le RR de 1/4 300 000 dons (scénario de base) à 1 don contaminé par le VIH pour 3 680 000, soit une augmentation de 16%. Augmenter simultanément ces deux paramètres de 50% fait passer le RR à 1 don contaminé pour 3 000 000 dons, soit une augmentation 41% par rapport au RR du scénario de base (1/4 300 000) (figure).
Discussion
Cette étude a permis d’évaluer, avec la même méthodologie, deux scénarios d’évolution du critère de sélection des donneurs de sang pour les HSH en France. Notre modélisation montre que le passage d’un ajournement de 12 mois des HSH (critère actuel) à 4 mois (scénario 1) n’augmenterait pas le risque lié au VIH. En effet, dans ce scénario, le RR VIH a été estimé à 1 pour 6 300 000 dons, risque qui ne diffère pas du RR de référence 1 pour 6 380 000 observé entre le 10 juillet 2016 et le 31 juillet 2017. Ce risque représente environ 1 don potentiellement contaminant tous les 2 ans. Dans le deuxième scénario (S2), qui permettrait aux HSH de donner leur sang à la condition de n’avoir eu qu’un seul partenaire au cours des 4 derniers mois (critère identique à celui des autres donneurs), le RR VIH a été estimé à 1 pour 4 300 000 dons, soit un risque environ 1,5 fois supérieur à la valeur centrale du RR de référence. Ce risque représente environ 1 don potentiellement contaminant tous les 1,5 ans. L’impact des deux scénarios alternatifs sur le RR VIH reste donc faible par rapport au critère de sélection actuel des HSH.
Des analyses de risque similaires ont récemment été réalisées dans certains pays. En 2016 en Grande-Bretagne, le comité consultatif SaBTO (Safety of Blood, Tissues and Organs) a évalué le risque de transmission du VIH par transfusion dans l’éventualité d’une réduction de la période d’ajournement de 12 à 3 mois pour les HSH. Comme en France, aucune augmentation de risque n’a été mise en évidence avec ce nouveau critère qui a donc été mis en œuvre dès novembre 2017 dans ce pays 12. De même au Canada, un ajournement de 3 mois des HSH a été introduit le 3 juin 2019, après une analyse similaire ne montrant pas de risque accru pour la sécurité des produits sanguins 13. En revanche, aucune évaluation de risque pour un alignement du critère HSH sur celui des autres donneurs (scénario 2) n’a pour le moment été publiée.
Pour chacun des deux scénarios, le nombre estimé d’HSH supplémentaires qui donneraient leur sang est faible : 733 pour S1 et 3 102 pour S2 sur une période de 18 mois, ce qui représente respectivement 0,07% et 0,31% des donneurs de sang de sexe masculin. Ces chiffres ont été obtenus à partir de deux enquêtes : l’une menée auprès d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 15 à 75 ans (BS 2016), qui a permis de fournir une estimation récente de la proportion d’HSH 12 mois (2,3%) 6, et l’autre chez des HSH utilisant les réseaux sociaux et les sites de rencontre (ERAS 2017) 7,8. Cette dernière enquête, menée auprès d’un large échantillon d’HSH, a été choisie ici car elle reflète la diversité sexuelle des HSH dans une population jeune à faible risque d’infection par le VIH. Ainsi, les participants à ERAS 2017 sont proches des HSH de la population générale et, par conséquent, de ceux susceptibles de donner leur sang.
Une limite de l’utilisation de cette enquête est qu’elle interroge sur le nombre de partenaires sexuels masculins au cours des 6 derniers mois et non au cours des 4 derniers mois. La proportion d’hommes n’ayant pas eu de rapports sexuels avec des hommes dans les 4 derniers mois (S1) et celle des HSH n’ayant eu qu’un seul partenaire au cours des 4 derniers mois (S2) sont donc possiblement sous-estimées, entrainant une sous-estimation du nombre de donneurs HSH supplémentaires susceptibles de donner dans les deux scénarios. Cependant, pour S1, l’analyse de sensibilité a montré que si on multipliait par 1,5 le nombre total de donneurs d’HSH supplémentaires (N=1 100), le RR VIH serait de 1 sur 6 277 000 dons, donc semblable au RR de référence. Pour S2, la même simulation a davantage d’impact que pour S1 puisque le risque serait alors de 1 pour 3 680 000 dons, soit un risque 1,7 fois supérieur au RR de référence (1 pour 6 380 000 dons). Cependant, il est peu probable que ce deuxième scénario génère 4 653 (3 102×1,5) donneurs HSH supplémentaires sur 18 mois, dans la mesure où le passage de l’exclusion permanente à un ajournement de 12 mois n’a fait augmenter ce nombre que d’environ 3 000 donneurs de sang HSH 2 (et article de C. Sauvage et coll. dans ce numéro).
L’évaluation du risque repose sur un deuxième paramètre important, l’incidence du VIH, incidence qui est appliquée aux donneurs HSH supplémentaires. Pour S1, dans la mesure où la période de 4 mois, comme celle de 12 mois, couvre largement la fenêtre silencieuse, estimée à 9 jours, nous avons utilisé l’incidence estimée chez les HSH donnant actuellement leur sang, soit 20,5 pour 100 000 donneurs-années. L’analyse de sensibilité a montré que même en multipliant par 1,5 cette incidence, le RR VIH serait de 1 pour 6 275 000 dons, soit un risque similaire au RR de référence. Pour S2, nous avons fait l’hypothèse que le ratio entre le taux d’incidence du VIH parmi l’ensemble des HSH et le taux d’incidence chez les HSH monopartenaires était identique à celui observé dans l’enquête Prevagay 2015 9. Grâce à ce ratio, nous avons estimé une incidence de 0,2% chez les HSH monopartenaires de la population générale, incidence 5 fois plus faible que l’incidence estimée chez les HSH monopartenaires de Prevagay 2015. Pour S2, l’analyse de sensibilité a montré qu’en multipliant par 1,5 l’incidence du VIH chez les donneurs HSH monopartenaires au cours des 4 derniers mois (0,3%), le risque serait alors de 1 pour 3 680 000 dons, soit 1,7 fois plus élevé que le RR de référence.
D’autres facteurs que ceux déjà cités (nombre d’HSH supplémentaires et incidence du VIH chez ces donneurs), peuvent également avoir un impact sur les estimations du RR. Le premier est celui de l’impact d’une modification de la compliance des donneurs suite à une ouverture plus large du don de sang aux HSH. Nous avons utilisé les taux de non-compliance de Complidon qui sont des taux « théoriques », estimés à un moment où le critère de sélection pour les HSH était un ajournement de 12 mois 2 (voir article de C. Sauvage et coll. dans ce numéro). Un deuxième facteur est la méthode d’estimation de l’incidence du VIH, qui repose ici sur le test d’infection récente, alors que la méthode généralement utilisée est la méthode de cohorte, non applicable à notre étude dans la mesure où la période d’observation était inférieure à trois ans. Néanmoins, les deux méthodes donnent des résultats tout à fait comparables 5. Enfin, tout changement non lié à la modification des critères de sélection, telle qu’une évolution de l’incidence du VIH chez les donneurs non HSH, n’a pas été pris en compte dans nos estimations. Par conséquent, il est possible que le RR VIH observé, après la modification du critère de sélection des HSH, ne corresponde pas aux estimations du modèle, sans pour autant remettre en cause sa validité.
Dans la mesure où en France les HSH sont très touchés par l’infection VIH 14, l’analyse de risque, objet de cette étude, n’a été réalisée que pour le risque de transmission du VIH par transfusion. Il est toutefois important de garder à l’esprit qu’une sélection moins stricte des donneurs de sang pourrait avoir un impact sur d’autres risques infectieux connus ou inconnus. Concernant les agents infectieux dépistés sur chaque don de sang (syphilis, virus des hépatites B et C), les données de la surveillance épidémiologique montrent que la modification des critères de sélection en juillet 2016 n’a pas eu d’impact sur les indicateurs de suivi de ces infections, que ce soit en termes de prévalence, d’incidence ou de RR (voir l’article de J. Pillonel et coll. dans ce numéro).
Conclusion
Pour les deux scénarios, le RR VIH reste très faible. Le passage d’un critère de 12 mois à 4 mois sans rapports sexuels entre hommes avant le don (scénario 1) n’augmente pas le risque, puisqu’estimé à 1 pour 6 300 000 dons, soit un don tous les deux ans. De plus, l’analyse de sensibilité indique que cette estimation est très robuste aux variations des paramètres du modèle. Le scénario 2, qui permettrait aux HSH de donner leur sang à la condition de n’avoir eu qu’un seul partenaire au cours des 4 derniers mois multiplierait par 1,5 la valeur centrale du risque résiduel de référence : 1 pour 4 300 000 dons, soit 1 don tous les 1,5 ans. L’analyse de sensibilité indique toutefois que cette estimation est moins robuste, avec un risque environ deux fois plus élevé que le RR de référence.
En juillet 2019, sur la base de ces résultats, la ministre de la Santé a opté pour le scénario 1. Cette réduction de 12 à 4 mois de la durée d’ajournement des HSH, mise en œuvre le 2 avril 2020, sera évaluée très attentivement et en toute transparence pour permettre à l’horizon 2022, d’envisager l’alignement des critères de sélection pour tous les donneurs.
Remerciements
Les auteurs remercient toutes les personnes qui ont contribué à ce travail par l’apport de données issues des enquêtes Prevagay 2015, Baromètre de Santé publique France 2016 et Enquête Rapport au sexe 2017 : L. Saboni, C. Sommen, S. Vaux, A. Velter.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
donor_selection_criteria_report.pdf