L’élimination des hépatites chroniques virales est-elle un objectif raisonnable à l’horizon 2030 ?

// Is the elimination of chronic viral hepatitis a reasonable objective by 2030?

Nathalie Ganne-Carrié1,2,3 & Marc Bourlière4,5
Secrétaire générale & Président de l’Association française pour l’étude du foie (AFEF)
1 Hôpitaux Universitaires Paris Seine-Saint-Denis, APHP, Service hépatologie, Hôpital Avicenne, Bobigny
2 Université Sorbonne Paris Nord, Paris
3 Inserm UMR 1138, équipe FunGeST, Centre de recherche des Cordeliers, Sorbonne Université, Paris
4 Service hépato-gastroentérologie Hôpital Saint-Joseph, Marseille
5 Université Aix-Marseille, Inserm 1252, IRD, SESSTIM (Sciences économiques & sociales de la santé
& traitement de l’information médicale), Marseille

Les hépatites virales chroniques C, B et Delta sont des maladies le plus souvent silencieuses, asymptomatiques, responsables d’une morbidité et d’une mortalité importante dans le monde, pour lesquelles l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a fixé l’objectif d’élimination à l’horizon 2030
(90% de patients diagnostiqués et 80% de patients traités).

Plus de 290 millions de personnes dans le monde vivent avec le virus de l’hépatite B (VHB) et 90% d’entre elles ignorent leur statut. On estime qu’environ 20% des personnes vivant avec le VHB sont éligibles à un traitement dans le monde. En 2016, seulement 4,5 millions de porteurs du VHB étaient traités et virosupprimés (i.e. avec charge virale sérique indétectable par PCR) pour trois quarts d’entre eux. Il existe une vaccination contre le VHB efficace et sûre, et si celle-ci était universellement pratiquée à la naissance, il faudrait près de 90 ans pour arriver à l’élimination du VHB. Pendant cette période, 80 millions de personnes décéderont de carcinome hépatocellulaire (CHC) 1. Le traitement des hépatites chroniques B repose actuellement sur l’utilisation des antiviraux directs (les analogues nucléos(t)idiques) qui permettent d’obtenir une virosuppression, mais nécessitent un traitement prolongé sur plusieurs dizaines d’années pour obtenir une guérison fonctionnelle définie par une perte durable de l’Ag HBs sans traitement 2. Le développement de nouvelles molécules antivirales avec des mécanismes d’action différents (modulateurs oraux allostériques de la capside (CAMs), ARN interférents, polymères d’acide nucléique), associé au développement de nouveaux immunomodulateurs (agonistes TLR 7 ou 8, vaccins thérapeutiques, inhibiteurs de PD1 ou de Treg (1)) constitue un nouvel espoir d’aboutir, par la combinaison de ces différentes molécules, à une guérison fonctionnelle avec un traitement de durée plus courte 3.

Toutes ces données montrent que la route menant à l’élimination de l’hépatite B dans le monde est encore longue et l’objectif d’élimination du VHB ne sera pas atteint universellement. Dans cette stratégie la sécurité transfusionnelle et la prévention de la transmission materno-fœtale du VHB sont des éléments importants pour aboutir à l’élimination. Dans ce numéro du BEH, J. Pillonel et coll. démontrent que la sécurité virale des produits sanguins est aujourd’hui optimale en France. Sur la période 2016-2018, les risques résiduels de contamination transfusionnelle ont été estimés à 1/2 850 000 dons pour le VHB et 1/34 000 000 pour le VHC. Depuis la période 1992-1994, ils ont été divisés par 30 et 170 respectivement. Une des armes importante dans le dépistage et la prévention de la transmission materno-fœtale du virus B repose sur la recherche de l’Ag HBs pendant la grossesse, obligatoire en France depuis 1992. L’étude de C. Brouard et coll. a évalué ce dépistage et la prévalence du VHB, ainsi que les facteurs associés au portage du VHB. Cette enquête nationale réalisée en 2016 pendant une semaine sur l’ensemble des maternités françaises montre un taux très élevé de réalisation du dépistage du VHB (97,1%), mais une mise en œuvre très insuffisante de la sérovaccination puisque moins des deux tiers des enfants sont correctement sérovaccinés (70/110). Par ailleurs, l’étude de Y. Kudjawu et coll. à partir des données du Système national de santé nous rappelle que, même en France, pays de faible incidence, le VHB joue un rôle important dans la survenue du CHC, puisqu’il représente un facteur de risque dans 10% des cas.

L’hépatite chronique C, en 2016, atteignait près de 71 millions d’individus. Cette maladie silencieuse, responsable de cirrhose et de CHC, constituait la deuxième cause d’indication à la transplantation hépatique en Europe, derrière les maladies du foie liées à l’usage excessif de l’alcool 4. L’étude de Y. Kudjawu et coll. nous rappelle dans ce numéro du BEH que le VHC est le facteur de risque du CHC chez près de 17% des cas en France. Moins de 30 ans après la découverte du virus en 1989, le traitement actuel des hépatites chroniques C qui repose sur la combinaison d’antiviraux à action directe (AAD) permet en 8 à 12 semaines de guérir, sans effet secondaire, plus de 99,8% des patients entre les traitements de première et de deuxième ligne 5. Le travail présenté par F. Carrat et coll., à partir de la cohorte française prospective Hepather, montre que le traitement par les AAD est associé à une réduction du CHC et de la mortalité à court et moyen terme 6. Ces progrès thérapeutiques spectaculaires permettent d’envisager l’élimination du virus C à l’horizon 2030 proposé par l’OMS. Cette élimination nécessite la mise en place de trois volets successifs : la prévention, le dépistage et le traitement. Deux mesures indispensables au traitement ont déjà été prises par le ministère de la Santé : l’accès au traitement pour tous les patients ayant une hépatite chronique C en 2017, et la prescription des AAD qui a été élargie à tous les praticiens en 2019. En plein accord avec ces mesures, au cours des recommandations émises en 2018, l’Association française d’étude du foie (AFEF) avait élaboré un parcours de soins simplifié, pour les patients sans fibrose sévère et sans comorbidité, accessible à tous les médecins, quelle que soit leur spécialité, ainsi qu’aux généralistes investis d’un rôle pivot dans la prescription des AAD contre le VHC. Grâce à ces mesures, le nombre de patients traités entre 2014 et 2018 a été évalué par la Caisse d’assurance maladie à 73 000, mais il ne cesse de diminuer depuis, parce que la plupart des patients, déjà suivis par les hépatogastroentérologues, les infectiologues et les internistes, ont été traités et guéris. D’après les études récentes, il reste environ 90 000 personnes porteuses du VHC à dépister et à traiter en 2020 7.

En matière de dépistage, la Haute Autorité de santé recommandait en novembre 2019 l’intensification du dépistage des populations à risque, mais non un dépistage universel. L’AFEF et le dernier rapport Dhumeaux recommandent un dépistage universel sur la base de la modélisation réalisée par S. Deuffic-Burban et coll. qui montrait que la meilleure stratégie en terme de coût-efficacité est le dépistage
généralisé 8. Ce dépistage n’a de sens que s’il s’accompagne d’une part d’une sensibilisation de l’ensemble des professionnels de santé, afin de réaliser un parcours de soins simplifié vers la guérison du VHC, et, d’autre part, de campagnes d’information du grand public sur les modes de transmissions de l’hépatite C et la simplicité de sa guérison. La campagne de dépistage universel réalisée sur trois mois à Montpellier, rapportée dans ce numéro du BEH par A. Guinard et coll., est d’un grand intérêt. Les résultats peuvent sembler décevants avec un taux de séropositivité de 0,89%. Dans les résultats des questionnaires, les deux tiers des patients avec sérologie positive étaient âgés de 40 à 90 ans et la plupart déclaraient ignorer leurs facteurs de risque. Cette stratégie d’aller-vers et la coordination de toutes les chaînes, du dépistage au traitement, sont un gage d’efficacité qui répond à l’objectif d’élimination du VHC. Cette campagne de dépistage innovante mérite d’être reproduite dans le temps et dans d’autres villes si l’on veut atteindre l’objectif de l’OMS à l’horizon 2030.

En conclusion, ce numéro du BEH, consacré aux hépatites virales chroniques nous montre les forces et les faiblesses de nos prises en charge du dépistage au traitement. La collaboration de tous et la multiplication de toutes les initiatives locales sont importantes, mais il serait aussi important d’avoir un programme national de prise en charge des hépatites coordonné par le ministère de la Santé avec des financements, des moyens humains adéquats et des objectifs évaluables pour atteindre, aussi rapidement que possible, les objectifs de santé publique définis par l’OMS.

Références

1 Nayagam S, Thursz M, Sicuri E, Conteh L, Wiktor S, Low-Beer D, et al. Requirements for global elimination of hepatitis B: A modelling study. Lancet Infect Dis. 2016;16:1399-408.
2 Chevaliez S, Hezode C, Bahrami S, Grare M, Pawlotsky JM. Long-term hepatitis B surface antigen (HBsAg) kinetics during nucleoside/nucleotide analogue therapy: Finite treatment duration unlikely. J Hepatol 2013;58(4):
676-83.
3 Fanning GC, Zoulim F, Hou J, Bertoletti A. Therapeutic strategies for hepatitis B virus infection: Towards a cure. Nat Rev Drug Discov. 2019;18(11):827-44.
4 Belli LS, Perricone G, Adam R, Cortesi PA, Strazzabosco M, Facchetti R, et al. Impact of DAAs on liver transplantation: Major effects on the evolution of indications and results. An ELITA study based on the ELTR registry. J Hepatol. 2018;69(4):810-7.
5 Bourliere M, Pietri O. Hepatitis C virus therapy: No one will be left behind. Int J Antimicrob Agents. 2019;53(6):755-60.
6 Carrat F, Fontaine H, Dorival C, Simony M, Diallo A, Hezode C, et al. Clinical outcomes in patients with chronic hepatitis C after direct-acting antiviral treatment: A prospective cohort study. Lancet. 2019;393(10179):1453-64.
7 Brouard C, Saboni L, Gautier A, Chevaliez S, Rahib D, Richard JB, et al. HCV and HBV prevalence based on home blood self-sampling and screening history in the general population in 2016: Contribution to the new French screening strategy. BMC Infect Dis. 2019;19(1):896.
8 Deuffic-Burban S, Huneau A, Verleene A, Brouard C, Pillonel J, Le Strat Y, et al. Assessing the cost-effectiveness of hepatitis C screening strategies in France. J Hepatol. 2018;69(4):785-792.

Citer cet article

Ganne-Carrié N, Bourlière M. L’élimination des hépatites chroniques virales est-elle un objectif raisonnable à l’horizon 2030 ? 2020;(31-32):602-3. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/31-32/2020_31-32_0.html

(1) PD1 et Treg sont des éléments du système immunitaire. Treg sont des lymphocytes T régulateurs naturels. PD1 est un récepteur présent à la surface des lymphocytes T.