La prévention combinée : une stratégie pour le succès !

// Combination prevention: A strategy for success!

Valérie Delpech
Head of HIV surveillance and monitoring, Public Health England, Londres, Royaume-Uni

Des villes comme Paris 1, Londres 2, San Francisco 3 et Sydney 4 apportent la « preuve de concept » que la prévention combinée fonctionne et pourrait éliminer le VIH. Il y a donc lieu de se réjouir. Une diminution du nombre de nouveaux diagnostics parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) – le groupe le plus touché par le VIH – a été observée dans ces villes ces dernières années. Dans un contexte de forte augmentation de l’activité de dépistage du VIH, la diminution des nouveaux diagnostics reflète une baisse réelle de la transmission, comme le montrent les modélisations qui indiquent une réduction de l’incidence du VIH.

Il n’existe pas un modèle unique de prévention combinée, cette dernière devant être adaptée au contexte. Le dépistage du VIH est un élément essentiel de la prévention combinée et le premier pilier des 3 x 90 de l’Onusida, qui vise à diagnostiquer et à traiter rapidement pour réduire la morbidité et la transmission 5. Selon l’Onusida, la prévention combinée vise à obtenir une influence maximale sur la prévention du VIH, en associant des stratégies structurelles, biomédicales et comportementales dans le cadre d’une épidémie locale qui a été étudiée et comprise (1). Dans ce numéro thématique du BEH, Santé publique France et ses partenaires présentent des résultats issus de systèmes de surveillance et d’enquêtes comportementales, qui apportent des données probantes permettant de piloter les politiques de dépistage et les stratégies de prévention. Concernant l’activité de dépistage, F. Cazein et coll. rapportent que plus de 5,8 millions de tests VIH ont été réalisés en laboratoires en 2018. Le très grand nombre de tests effectués est en partie imputable à la stratégie selon laquelle toute personne doit être testée au moins une fois dans sa vie, et de façon plus fréquente dans les populations les plus exposées. F. Cazein et coll. indiquent que l’activité de dépistage a augmenté régulièrement entre 2013 et 2018 (+11%). Cette augmentation est encourageante et est accompagnée d’une baisse du taux de positivité.

Au Royaume-Uni, pays ayant une population et une épidémie d’infection à VIH similaires à la France, environ 4 millions de tests VIH ont été effectués en 2018 6. Bien qu’il n’y ait pas de recommandation de dépistage en population générale, toute personne ayant un recours au système de soins public peut se voir proposer un test si elle vit dans une zone à haute prévalence du VIH. Cette stratégie est toutefois peu appliquée 6. La grande majorité des tests de dépistage du VIH et des IST sont réalisés à l’occasion d’une grossesse ou dans les services de santé sexuelle (sexual health services). Comme en France, l’augmentation des volumes de tests réalisés s’est accompagnée d’une baisse simultanée du taux de positivité VIH, en particulier dans les services de santé sexuelle. Cette diminution a été attribuée à la baisse constante du nombre de personnes vivant avec une infection non diagnostiquée. En 2018, environ 7 500 [ICr : 5 400 à 11 500] personnes vivant au Royaume-Uni ignoraient leur infection par le VIH. Ce chiffre continuant à diminuer, il faudra poursuivre et intensifier les efforts de dépistage pour détecter l’ensemble des personnes non encore diagnostiquées 7.

Malgré une forte augmentation du nombre de tests réalisés en France, l’article de F. Cazein et coll. révèle que près du tiers des HSH et la moitié des hétérosexuels diagnostiqués pour une infection à VIH en 2018 n’avaient jamais été testés auparavant. Cette proportion est plus élevée (>75%) chez les HSH et les hétérosexuels diagnostiqués dans les services de santé sexuelle au Royaume-Uni 6, pour des raisons différentes pour ces deux groupes. Tandis qu’un manque de sensibilisation et un défaut de proposition du test lors d’un recours au système de soins peuvent être la principale explication à l’absence de test pour les hétérosexuels et certains HSH, le grand nombre d’utilisateurs de la prophylaxie pré-exposition (PrEP) parmi les personnes réalisant fréquemment des tests de dépistage du VIH explique un nombre de diagnostics moindre dans ce groupe. Ainsi, les nouveaux diagnostics sont principalement observés parmi ceux qui réalisent le test pour la première fois ou ceux qui y ont peu recours. Encourager ces derniers à se faire tester est un vrai défi, dans la mesure où nombreux sont ceux qui peuvent penser ne pas être à risque de contracter le VIH.

Les écarts entre les opinions et les pratiques du dépistage du VIH en population générale sont décrites par M. Bruyand et coll. Alors que 9 répondants sur 10 du Baromètre de Santé publique France 2016 estiment que toute personne devrait être testée pour le VIH au moins une fois dans sa vie, plus de la moitié des hommes et près d’un tiers des femmes n’ont jamais réalisé de test. Bien que les populations faisant l’objet d’une recommandation de dépistage sont globalement mieux dépistées que les autres, environ une personne née en Afrique subsaharienne sur 5 et un HSH sur 5 n’ont jamais été testés pour le VIH au cours de la vie. Un constat préoccupant, compte-tenu des actions de promotion de la santé ciblées sur ces groupes au cours des dernières décennies. Cependant, une augmentation du nombre de personnes ayant réalisé le test pour la première fois ou ayant fréquemment recours au test a été observée, notamment chez certains HSH (article de A. Velter et coll.). Ceci est conforme à l’évolution d’une culture du dépistage du VIH et des autres IST chez les HSH dans les pays occidentaux 8. La proportion stable de personnes n’ayant jamais été testées peut refléter la grande hétérogénéité des populations dites « les plus exposées au risque ». Cela ne doit pas être interprété comme un échec des efforts réalisés en termes de prévention et de dépistage, mais comme un appel à un engagement plus important et plus large, afin de mieux comprendre les besoins des diverses communautés les plus touchées par le VIH. C’est également un appel des auteurs à une plus grande sensibilisation des professionnels de santé pour proposer le dépistage du VIH. Des opportunités manquées de dépistage ont été documentées au Royaume-Uni. Par exemple, on estime que 500 000 personnes ayant consulté dans un service de santé sexuelle en 2018 n’ont pas bénéficié d’un test de dépistage du VIH, le test n’ayant pas été proposé à la moitié d’entre elles et les autres l’ayant refusé 7.

Des données de suivi et d’évaluation de bonne qualité, collectées dans des contextes divers et à partir de sources d’informations multiples, sont nécessaires pour évaluer la mise en œuvre et l’impact des stratégies de dépistage. À l’aide des données de l’Assurance maladie, D. Viriot et coll. ont analysé l’activité de dépistage des IST du secteur privé (concentrant la plus grande part de cette activité en France) et ses tendances. C. Pioche et ses collègues soulignent l’importance des centres de dépistage gratuits (CeGIDD) concernant l’accueil des populations plus particulièrement exposées. Sans l’existence de ces structures, compte-tenu de taux de positivité élevés dans les populations qui les fréquentent, de nombreux cas d’infections par le VIH, d’IST bactériennes et d’hépatites B et C ne seraient pas diagnostiqués. D. Rahib et coll. ont montré qu’un quart des HSH exposés à ces infections acceptaient l’offre d’un kit d’auto-prélèvement pour le dépistage du VIH et des IST. Le dispositif a permis la réalisation plus fréquente de tests chez les hommes vivant dans les grandes villes et fréquentant les lieux de convivialité gays. Les auteurs suggèrent également que d’autres populations pourraient être incitées à se tester via un tel dispositif. L’auto-prélèvement pour le dépistage du VIH et des autres IST gagne en popularité à Londres et dans d’autres lieux du Royaume-Uni : 160 000 personnes y ont eu recours en 2018, parmi lesquelles 55 000 ont réalisé un autotest 6.

La PrEP est un pilier relativement récent et désormais crucial de la prévention. La France est un leader mondial concernant l’utilisation de la PrEP parmi la communauté LGBTI. Ce traitement préventif offre non seulement une protection très efficace contre le VIH, mais garantit également la réalisation de dépistages réguliers et un diagnostic éventuel suivi d’un traitement précoce du VIH et des autres IST parmi les personnes les plus exposées, interrompant ainsi les chaînes de transmission. L’Enquête Rapport au Sexe (ERAS) 2019 publiée par A. Velter et coll. met en évidence une augmentation de la proportion de personnes réalisant fréquemment des tests de dépistage parmi les HSH, largement expliquée par les utilisateurs de PrEP résidant en Île-de-France, ce qui contribue à la diminution du nombre de nouveaux diagnostics. Il est également encourageant de constater une augmentation de la fréquence des tests chez les HSH non utilisateurs de PrEP, à haut risque, ce qui peut résulter d’un changement de culture par rapport au dépistage.

La France observe en 2018 une baisse des nouveaux diagnostics au niveau national, une telle baisse est observée dans d’autres pays européens depuis plusieurs années 9, notamment en Autriche, Belgique, Finlande, Allemagne, Grèce, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni 6. L’approche de prévention combinée incluant des programmes « Test and Treat » et PrEP est la stratégie du succès. Nos efforts seront-ils assez soutenus pour éliminer le VIH ? Notre défi est de n’oublier personne, quels que soient son sexe, sa sexualité, son pays de naissance et son lieu de vie.

Références

1 Santé publique France. Dépistage et découvertes de séropositivité VIH à Paris. Point épidémiologique 2018. Saint-Maurice: Santé publique France ; 10/09/2019. 2 p. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/vih-sida/documents/bulletin-national/depistage-et-decouvertes-de-seropositivite-vih-a-paris.-point-epidemiologique-2018
2 Brown AE, Mohammed H, Ogaz D, Kirwan PD, Yung M, Nash SG, Furegato M, Hughes G, Connor N, Delpech VC, Gill ON. Fall in new HIV diagnoses among men who have sex with men (MSM) at selected London sexual health clinics since early 2015: testing or treatment or pre-exposure prophylaxis (PrEP)? Euro Surveill. 2017;22(25).
3 Buchbinder S. Getting to Zero San Francisco: The Power of Collective Impact. IAS2017;2017 July 23-26, Paris, France. http://www.gettingtozerosf.org/wp-content/uploads/2017/08/Buchbinder-IAS-2017-90-90-90-final.pdf
4 Grulich AE, Guy R, Amin J, Jin F, Selvey C, Holden J, et al; Expanded PrEP Implementation in Communities New South Wales (EPIC-NSW) research group. Population-level effectiveness of rapid, targeted, high-coverage roll-out of HIV pre-exposure prophylaxis in men who have sex with men: the EPIC-NSW study. Lancet HIV. 2018;5(11):
e629-37.
5 UNAIDS. Fast-Track – Ending the AIDS epidemic by 2030. Geneva: UNAIDS; 2014. 8 p. http://www.unaids.org/en/resources/documents/2014/fast_track
6 O’Halloran C, Sun S, Nash S, Connor N, Brown A, Croxford S, et al. HIV in the United Kingdom: Towards Zero 2030. 2019 report. London: Public Health England, 2019 ; à paraître en janvier 2020.
7 Public Health England. Prevalence of HIV infection in the UK in 2018. Health Protection Report, Volume 13 Number 39. London: Public Health England; 2019. 6 p. https://assets.publishing.service.gov.uk/government/
uploads/system/uploads/attachment_data/file/843766/hpr3919_hiv18.pdf
8 The EMIS Network. EMIS-2017 – The European Men-Who-Have-Sex-With-Men Internet Survey. Key findings from 50 countries. Stockholm: European Centre for Disease Prevention and Control; 2019. 179 p. http://www.esticom.eu/Webs/ESTICOM/EN/emis-2017/survey-report/EMIS_2017_REPORT_ECDC.html
9 European Centre for Disease Prevention and Control. Surveillance Report, HIV/AIDS surveillance 2019, 2018 data. Stockholm: European Centre for Disease Prevention and Control; à paraître le 1er décembre 2019.

Citer cet article

Delpech V. Éditorial. La prévention combinée : une stratégie pour le succès ! Bull Epidémiol Hebd. 2019;(31-32):612-4. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/31-32/2019_31-32_0.html

(1) Source Onusida. Guide de terminologie, octobre 2011.