Pratiques de rattrapage vaccinal des médecins exerçant en France pour les personnes migrantes arrivant sur le territoire français

// Catch-up vaccination practices of French physicians for migrants arriving in France

Nicolas Vignier1,2,3 (dr.vignier@gmail.com), Sohela Moussaoui1, Anne Marie Aurousseau4, Sylvain Nappez5, Julian Cornaglia6, Gaylord Delobre7, Sophie Blanchi8, Louise Luan2, Stéphanie Vandentorren1, Olivier Bouchaud9,10, Odile Launay11, Matthieu Mechain4 ; et le groupe Vaccination & prévention de la Spilf*
1 Sorbonne université, Inserm, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique, Équipe de recherche en épidémiologie sociale, Paris, France
2 Groupe hospitalier Sud Île-de-France, Service des maladies infectieuses et tropicales, Melun, France
3 Institut Convergences et migration, Paris, France
4 CHU de Bordeaux, Université de Bordeaux, Bordeaux, France
5 CHU Amiens, Amiens, France
6 CH de Perpignan, Perpignan, France
7 Réseau Louis Guilloux, Rennes, France
8 CH Le Mans, Le Mans, France
9 CHU Avicenne, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), Bobigny, France
10 Société de Médecine des voyages, Paris, France
11 CHU Cochin, Paris, France

* Société de Pathologie infectieuse de langue française (association loi 1901 regroupant les professionnels de santé intéressés par les maladies infectieuses et tropicales).

Soumis le 26.12.2018 // Date of submission: 12.26.2018
Mots-clés : Migrants | Vaccins | Rattrapage vaccinal | Pratiques | Sérologies
Keywords: Migrants | Catch up vaccination | Serologies and immunization

Résumé

Introduction –

Au regard des recommandations françaises, les personnes migrantes sont souvent incomplètement vaccinées. L’objectif de l’étude est d’évaluer les pratiques des médecins exerçant en France en termes de rattrapage vaccinal des personnes migrantes.

Méthodes –

Par l’intermédiaire de plusieurs sociétés savantes, une enquête sur les pratiques de prévention des maladies infectieuses a été réalisée par auto-questionnaire en 2016-2018 auprès de médecins, exerçant en France, impliqués dans la prise en charge de migrants primo-arrivants, quelle que soit leur spécialité.

Résultats –

Au total, 372 médecins ont répondu à l’enquête. Les répondants étaient âgés de 42 ans en médiane, 64,5% étaient des femmes et 43,8% exerçaient en Île-de-France. En l’absence d’informations sur le statut vaccinal d’une personne migrante, les pratiques des médecins en terme de rattrapage vaccinal apparaissent très diverses : renouvellement de la primo-vaccination complète (33,1%), utilisation des sérologies pré- (32,8%) ou post-vaccinales (16,9%), reprise du calendrier vaccinal en fonction de l’âge en faisant l’hypothèse que la personne a été correctement primo-vaccinée (26,6%), ou collecte d’informations sur les pratiques vaccinales dans les pays d’origine des patients (23,4%). Les femmes et les hommes médecins développent des pratiques vaccinales différenciées, les premières s’aidant plus volontiers de sites spécialisés ou de sérologies post-vaccinales, les seconds refaisant plus souvent une primo-vaccination complète. La majorité (55,4%) des répondants ne font pas plus de 2 injections vaccinales le même jour.

Conclusion –

Les pratiques des médecins exerçant en France concernant le rattrapage vaccinal chez les personnes migrantes sont hétérogènes. L’élaboration qui est en cours de recommandations portées par la HAS et la SPILF devrait contribuer à uniformiser les pratiques.

Abstract

Background –

Migrants often undergo an incomplete vaccination scheme in view of the French recommendations. The aim of this study is to evaluate the practices of French doctors in terms of catch-up vaccination in migrant people.

Methods –

A study of French physicians’ practices about infectious diseases prevention among migrants was conducted in 2016-2018 using an auto-administered questionnaire. Physicians were asked to participate via a widely broadcasted email, in partnership with several learning societies.

Results –

A total of 372 practitioners answered the survey. The respondents were 42 years old in the median, 64.5% were female, 43.8% worked in the greater Paris area.

They were questioned on the modalities of the catch-up vaccination in case of management of a migrant with an unknown vaccination status: 33.1% of them perform a complete immunisation catch up, 26.6% consider that the childhood primo-immunisations have been administered, and continue the immunisation schedule, 23.4% use a specialised website to learn more about the homeland country vaccination schedule, 32.8% use pre-vaccination serologies and 16.9% use post-vaccination serologies.

Women and men doctors developed differentiated vaccine practices, the former more relying on specialized sites or post-vaccination serologies and the latter more often re-doing a complete vaccination scheme. The majority of respondents (55.4%) do not administer more than 2 injections on the same day, most often among general practitioners.

Conclusions –

Practices among French doctors regarding the catch-up immunisation are heterogeneous. The drafting of practical recommendations on the basis of available data is being developed by the French high authority in health and the French Infectious Disease Society.

Introduction

La France est un pays d’immigration ancienne. En complément de l’immigration familiale, économique et étudiante, qui est relativement stable dans le temps, elle fait également face à une augmentation du nombre de demandeurs d’asile (122 743 personnes en 2018) 1,2. Les principales zones géographiques d’origine pour l’immigration régulière sont l’Europe et l’Afrique et, pour les demandeurs d’asile, l’Europe, l’Afrique, le Moyen Orient et l’Asie centrale. Les migrants primo-arrivants (entendus comme les personnes nées étrangères à l’étranger et arrivées depuis peu en France pour s’y installer indépendamment du motif de leur migration) peuvent être exposés à un ensemble de vulnérabilités sociales, juridiques et sanitaires. Parmi elles, il existe un risque d’exposition à certaines maladies infectieuses dont certaines pourraient être prévenues par la vaccination. Ce risque semble plus lié à la précarité des conditions d’accueil en France qu’à la prévalence des maladies infectieuses dans les pays d’origine, telles que les récentes épidémies observées dans les campements de Calais ont pu le mettre en exergue 3. Par ailleurs, les couvertures vaccinales des enfants et adultes issus de l’immigration sont basses, en particulier parmi ceux en situation de précarité, ce qui pourrait accroître ces risques 4,5,6. Plusieurs organisations dont l’Organisation mondiale de la santé (OMS) rappellent pourtant l’importance de la vaccination et de son accès pour les personnes migrantes 7.

Ainsi, le rattrapage vaccinal des personnes migrantes arrivant de pays où les calendriers vaccinaux diffèrent de celui qui est en vigueur en France figure parmi les enjeux de santé publique liés aux migrations. Les couvertures vaccinales attendues par le programme élargi de vaccination créé par l’OMS en 1974 à destination des pays à faible niveau de ressources sont plus restreintes que celles ambitionnées par le programme vaccinal français. Mis à part ces différences et les obstacles dans l’accès aux soins, les migrants (enfants ou adultes) disposent rarement d’un carnet de vaccination, si bien que se pose également la question, en cas de statut vaccinal inconnu, de savoir comment mettre en œuvre un rattrapage vaccinal.

Peu de travaux se sont intéressés à cette question et il n’existe pas à ce jour de recommandations nationales proposant une conduite à tenir. Le calendrier vaccinal français dispose seulement d’un tableau pour le rattrapage vaccinal des personnes n’ayant jamais été vaccinées. Plusieurs recommandations internationales se sont penchées sur ce sujet et proposent le plus souvent la reprise d’une primo-vaccination complète 8,9,10,11,12,13. En France, le groupe d’experts indépendants Infovac® a, quant à lui, préconisé l’utilisation des anticorps antitétaniques et des anticorps antiHBs en post-vaccinal 14. Ces divergences reposent notamment sur la crainte de réactions hyperimmunes principalement liées aux vaccins contenant l’anatoxine diphtérique et coquelucheuse fortement dosés. Dans ce contexte normatif discordant, les pratiques des médecins exerçant en France semblent très variables et les médecins engagés dans l’accueil sanitaire des migrants primo-arrivants expriment souvent des besoins de recommandations claires et de moyens dédiés à leur application.

En vue d’élaborer des recommandations pratiques nationales avec toutes les parties concernées, sous la responsabilité de la Haute autorité en santé (HAS) et de la Société de pathologie infectieuse de langue française (Spilf), il est important de mieux connaître les pratiques des médecins exerçant en France amenés à accompagner les personnes migrantes primo-arrivantes en terme de rattrapage vaccinal. Plus largement, ce travail vise aussi à explorer la différenciation éventuelle des pratiques en fonction du sexe, de l’âge, de la spécialité et du mode d’exercice des médecins.

Méthodes

Une enquête sur les pratiques des médecins français (tous modes d’exercice et spécialités confondus) a été mise en place par le groupe Vaccination prévention de la Spilf en partenariat avec plusieurs sociétés savantes, réseaux et groupes de médecins. L’enquête s’est déroulée d’avril 2017 à mai 2018. Elle repose sur un auto-questionnaire en ligne réalisé sur le site www.wepi.org. Le remplissage du questionnaire durait 20 minutes et comportait 15 questions sur le rattrapage vaccinal, dont 14 questions à choix multiples. L’invitation à participer à l’enquête a été diffusée par plusieurs mailings utilisant les canaux des partenaires de l’enquête comme notamment le groupe de travail Migration et prévention, la Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTG Recherche), le réseau Sentinelles, le collectif national des Permanences d’accès aux soins de santé (Pass), Médecins du monde et les mailing-listes de la Spilf, de la Société de médecine des voyages et de la Société française de lutte contre le sida.

Les résultats présentés sont issus de l’analyse des trois questions sur les pratiques de rattrapage vaccinal, et des trois mises en situation concrètes, qui sont représentatives de situations fréquemment rencontrées et posent des questions pratiques, différentes en raison des indications vaccinales variables selon l’âge, le sexe et la région géographique d’origine. L’analyse des données a été réalisée à l’aide du logiciel Stata 15.1. La description des variables qualitatives a été effectuée à l’aide de pourcentages et celle des variables quantitatives sous forme de médiane. Les données ont été comparées en fonction du sexe des médecins participants et de leur mode d’exercice. Un regroupement des modes d’exercice a été effectué à cette fin en deux sous-ensembles : un groupe de médecins dits de « soins primaires » rassemblant les médecins généralistes libéraux, les médecins salariés en centres de santé, les médecins exerçant en Pass et les médecins exerçant dans des structures associatives ; un groupe de médecins dits « hospitaliers/santé publique » regroupant les médecins exerçant en Centre gratuit d’information de dépistage et de diagnostic du VIH, des hépatites et des IST (Cegidd), en centre de vaccination polyvalent ou international, en Centre de lutte anti-tuberculose (Clat), en pédiatrie, dans un service hospitalier de santé publique, dans un Réseau ville-hôpital, dans un Service de maladies infectieuses et tropicales (Smit), en médecine interne ou ayant un autre mode d’exercice. Pour les médecins ayant des modes d’exercice multiples et appartenant aux deux groupes, ils ont été classés dans le groupe hospitalier/santé publique.

Pour la comparaison des variables catégorielles et quantitatives, le test du chi2 et un test non paramétrique de comparaison des médianes ont été utilisés. Les analyses univariées et multivariées ont été réalisées à l’aide de modèles de régression logistique. Les variables incluses dans les analyses multivariées étaient celles pour lesquelles le degré de significativité était inférieur à 20% en analyse univariée (p<0,20) ainsi que le sexe et l’âge qui ont été considérées comme des variables d’ajustement nécessaires. Les données manquantes ont été exclues des modèles d’analyse et n’ont pas été imputées. Le détail du nombre de données manquantes et des effectifs pris en compte est présenté pour chaque analyse dans la partie résultats. Pour limiter le nombre de tableaux, seule une partie des analyses sont présentées.

Résultats

Au total, 372 médecins ont répondu à l’enquête. Le nombre de médecins invités à participer à l’enquête a été estimé à 3 014 sur la base du nombre de médecins inscrits sur les différentes listes de diffusion, sans qu’il soit possible de différencier les doublons et les médecins impliqués dans la prise en charge des migrants. Le taux de réponse estimé sur cette base est donc de 12,3%.

L’âge médian des répondants est de 42 ans ; 64,5% sont des femmes, 43,8% exercent en Île-de-France et 16,0% en Auvergne-Rhône-Alpes. Les participants exercent principalement en médecine générale libérale (30,7%), en centre de santé (13,4%) ou en Pass (20,4%), en Cegidd (21,0%), dans un centre de vaccination polyvalent (16,9%) ou international (14,3%), en pédiatrie ou dans une PMI (protection maternelle et infantile, 4,8%), ou dans un Smit (23,4%). Ainsi 61,0% des médecins exercent à l’hôpital ou dans une structure de santé publique et 62,1% en soins primaires (39,0% en exercice exclusif). La majorité (85,7%) des participants déclarent que la prise en charge des migrants fait partie de leur pratique quotidienne. Ils sont également nombreux à se dire expérimentés (31,3%) ou « dans la moyenne » (54,2%) sur cette thématique.

Les pratiques de rattrapage vaccinal mis en œuvre lors de la prise en charge d’une personne migrante âgée de 2 ans et plus, en l’absence d’informations sur ses vaccinations antérieures, sont présentées en fonction du sexe et du mode d’exercice des répondants (figure). Elles sont hétérogènes, avec un tiers des médecins (33,1%) qui déclarent refaire une primo-vaccination complète indépendamment de l’interrogatoire, plus souvent les hommes que les femmes (p<0,01). Cette différence entre les sexes est confirmée en analyse multivariée (tableau 1). Aucune différence n’est observée en fonction de l’âge, du département, du mode d’exercice, de l’expérience, ni de la pratique quotidienne.

Figure : Pratiques de rattrapage vaccinal appliqué par les médecins interrogés pour les patients de 2 ans et plus en l’absence d’information sur le statut vaccinal antérieur en fonction du sexe et du mode d’exercice (%), N=372
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Tableau 1 : Pratiques de rattrapage vaccinal appliqué par les médecins interrogés. Primo-vaccination complète chez un migrant primo-arrivant, analyse univariée et multivariée par régression logistique
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À l’inverse, 26,6% des médecins interrogés reprennent le calendrier vaccinal français en fonction de l’âge, en considérant que la primo-vaccination a bien eu lieu. Cette pratique semble un peu plus fréquente parmi les médecins exerçant en soins primaires, sans que cette différence ne soit significative (figure).

Une partie des répondants (23,4%) consulte un site spécialisé informant sur le calendrier vaccinal du pays d’origine et adaptent leurs prescriptions à ce calendrier. Ces pratiques sont significativement plus fréquentes parmi les femmes que parmi les hommes mais aussi parmi les médecins exerçant en structures hospitalières ou de santé publique que parmi ceux exerçant en soins primaires (figure).

Une autre stratégie à laquelle près d’un tiers des médecins (32,8%) ont recours est l’utilisation de sérologies pré-vaccinales afin de connaître le statut immunitaire vis-à-vis de la maladie et d’adapter les prescriptions aux résultats. Cette pratique est plus fréquente parmi les praticiens les plus jeunes (39,9% pour les moins de 55 ans vs 15,0% pour les 55 ans et plus, p<0,001). Cette différence reste significative en analyse multivariée (tableau 2).

Tableau 2 : Réalisation de sérologie(s) préalable(s) en contexte de rattrapage vaccinal, par les médecins interrogés. Analyse univariée et multivariée par régression logistique
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Enfin, une proportion plus faible de participants (16,9%) déclarent pratiquer des sérologies un mois après une dose de rappel (anticorps antitétaniques) et adaptent leur prescription au résultat. Cette pratique est significativement beaucoup moins fréquente parmi les médecins exerçant en soins primaires (figure).

Quand les médecins sont interrogés sur le crédit qu’ils accordent au statut vaccinal déclaré par l’individu, seuls 53,4% d’entre eux considèrent l’information délivrée comme recevable quand le consultant déclare avoir déjà été vacciné, là où 81,3% sont plus disposés à croire un patient qui déclare n’avoir jamais été vacciné. Ces attitudes ne diffèrent pas en fonction du sexe et du mode d’exercice des médecins, à l’exception de ceux qui se déclarent débutants en santé des migrants. Ces derniers accordent plus de crédit aux consultants disant ne jamais avoir été vaccinés.

Parmi les répondants (n=318), 55,4% déclarent effectuer un maximum de deux injections à l’occasion d’une même consultation pour un même patient. Les femmes sont 58,3% à déclarer en administrer un maximum de 2 (50,0% chez les hommes, p=0,16). Cette limitation à deux injections semble être la norme parmi les médecins ayant un mode d’exercice en soins primaires exclusifs (73,0%), là où les médecins exerçant dans des structures hospitalières ou de santé publique réalisent plus souvent trois injections ou plus à la même consultation (56,3% vs 27,0% en soins primaires, p<0,001).

Parmi les 314 médecins répondants, 29,3% estiment qu’il existe un risque de sur-vaccination/hyper-immunisation des migrants en France, sans différence significative selon les caractéristiques des médecins.

Enfin, à la question « Pensez-vous qu’il existe une place pour la vaccination contre l’hépatite A chez les migrants vivant en France (en dehors du contexte d’un retour au pays) ? » (n=330), seuls 14,2% des médecins répondent positivement. C’est moins souvent le cas chez les médecins dont la pratique est orientée vers les soins primaires que chez ceux qui exercent dans des structures hospitalières ou de santé publique (7,9% vs 18,1%, p<0,001).

Le tableau 3 synthétise les prescriptions de sérologies pré- et post-vaccinales faites par les participants soumis à trois mises en situation de rattrapage vaccinal. Les trois situations étaient présentées de la manière suivante :

« Vous devez effectuer le rattrapage vaccinal :

chez un enfant de 4 ans érythréen en l’absence de carnet de vaccination. Sa mère dit avoir fait des vaccins après la naissance mais ne se rappelle plus lesquels. Il ne présente pas de cicatrice vaccinale.

chez une jeune Rom âgée de 14 ans en l’absence de carnet de vaccination. Sa mère dit qu’elle est à jour de ses vaccinations en Roumanie. Elle n’aurait pas eu de vaccin depuis l’âge de 2 ans. Elle ne présente pas de cicatrice vaccinale.

chez un homme syrien âgé de 35 ans en l’absence de carnet de vaccination. Il dit ne pas avoir fait de vaccination depuis l’enfance. Il ne présente pas de cicatrice vaccinale. »

Tableau 3 : Sérologies pré- ou post-vaccinales proposées par les médecins participants dans trois situations cliniques
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Le dépistage de l’hépatite B par les trois marqueurs est très largement pratiqué conformément aux recommandations de dépistage des personnes originaires des pays de forte endémie. Le recours aux sérologies tétanos pré- et post-vaccinales pour le tétanos concerne moins d’un quart des répondants (tableau 3).

Selon la situation, entre 7% et 13% des médecins répondent ne pas faire de sérologies. Les médecins âgés de plus de 55 ans étaient significativement plus nombreux à ne réaliser aucun examen biologique autour du rattrapage vaccinal en comparaison avec les plus jeunes (22,0% vs 9,5% pour l’enfant érythréen, 20,4% vs 8,94% pour la fille rom et 17,8% vs 2,8% pour l’homme syrien). De même pour les médecins exerçant en soins primaires comparés à ceux exerçant à l’hôpital ou dans une structure de santé publique (20,4% vs 7,7% pour l’enfant érythréen, 21,2% vs 5,9%, pour la fille rom et 11,3% vs 3,9%, pour l’homme syrien).

La sérologie rougeole et le dépistage d’un contact avec le bacille de la tuberculose sont fréquemment proposés (>40%) chez l’enfant érythréen et la fille rom (tableau 3). La sérologie rougeole est plus souvent proposée par les médecins âgés de moins de 55 ans chez la fille rom et l’homme syrien (48,0% vs 18,4%, p=0,001 et 31,6% vs 13,3%, p=0,001 respectivement).

Un dépistage préalable du VIH est largement proposé pour l’adulte originaire de Syrie (76,8%) et par un médecin sur deux pour le garçon érythréen et la jeune fille rom (tableau 3). La sérologie VIH est également plus souvent prescrite par les médecins de moins de 55 ans dans les trois situations cliniques (60,5% vs 47,3%, p=0,029, 61,0% vs 37,5%, p<0,001, 82,1% vs 61,11%, p<0,001 respectivement).

Dans la situation concernant la fille rom de 14 ans, les hommes déclarent plus souvent que les femmes effectuer une sérologie tétanos tout de suite (tableau 4). Les médecins qui prennent quotidiennement en charge des migrants, à l’inverse, ont tendance à moins souvent effectuer une sérologie tétanos tout de suite. Ces différences ne sont plus significatives en analyse multivariée (tableau 4).

Tableau 4 : Dosage des anticorps antitétaniques en pré-vaccinal lors du rattrapage vaccinal par les médecins participants, d’une fille rom âgée de 14 ans dont le statut est inconnu. Analyse univariée et multivariée par régression logistique
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Concernant le dosage des anticorps antitétaniques un mois après une dose de vaccin dans la situation de l’enfant érythréen âgé de 4 ans, il est plus souvent réalisé en dehors de l’Île-de-France et par les médecins exerçant à l’hôpital ou dans les structures de santé publique (tableau 5). En analyse multivariée, seul le mode d’exercice reste associé à l’utilisation de ce dosage, les médecins ayant un mode d’exercice exclusif en soins primaires étant moins à même de recourir à cette sérologie (p<0,01). Des résultats identiques sont retrouvés dans la situation de la jeune fille rom (résultats non présentés).

Tableau 5 : Dosage des anticorps antitétaniques un mois après un rappel, lors du rattrapage vaccinal, par les médecins interrogés, d’un garçon érythréen âgé de 4 ans dont le statut est inconnu. Analyse univariée et multivariée par régression logistique
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Discussion

Les pratiques de rattrapage vaccinal des médecins exerçant en France auprès des personnes migrantes dont le statut vaccinal n’est pas connu sont hétérogènes. Près d’un tiers des médecins reprennent une primo-vaccination complète, là où un sur quatre se contente de reprendre le calendrier vaccinal français en considérant qu’une primo-vaccination a bien eu lieu. L’utilisation du dosage des anticorps antitétaniques en pré- ou post-vaccinal concerne un répondant sur cinq, en cohérence, pour la stratégie post vaccinale avec les recommandations existantes du groupe d’expert Infovac® 14,19. Le dépistage de l’hépatite B avec les trois marqueurs, qui fait partie des bonnes pratiques recommandées par la HAS, est effectué par la majorité des répondants lors des mise en situation même si une faible proportion ne le réalise toujours pas, en particulier chez l’enfant de 4 ans originaire d’Érythrée. La consultation de sites spécialisés pour tenir compte des calendriers des pays d’origine est également utilisée par un médecin sur cinq. Les pratiques observées semblent liées au sexe, au mode d’exercice et à l’âge des répondants. En effet, les hommes reprennent plus volontiers une primo-vaccination complète ou utilisent une sérologie pré-vaccinale, là où les femmes ont plus souvent recours à une approche plus analytique du rattrapage vaccinal telle que la consultation de sites des calendriers vaccinaux des pays d’origine. La réalisation de sérologies pré-vaccinales est plus fréquente chez les plus jeunes médecins. Plusieurs travaux sur les pratiques de prévention ont décrit des différences de genre, les femmes étant plus disposées à prendre le temps d’aborder les questions de prévention en consultation 15,16. Cette disposition à prendre le temps pourrait expliquer certaines différences observées entre les hommes et femmes médecins.

Le fait de reprendre une primo-vaccination complète pourrait exposer à un risque d’hyper-immunisation et à ses formes cliniques telles que l’œdème étendu du bras et le phénomène d’Arthus (vascularite rare et dont la physiopathologie est discutée) 17,18. Ces réactions hyperimmunes sont rarement rapportées et justifient l’administration de doses réduites d’anatoxine diphtérique et anticoquelucheuse chez l’adulte. La majorité des recommandations internationales considère que ces réactions ne remettent pas en question le bénéfice-risque du rattrapage vaccinal et proposent la reprise d’une primo-​vaccination complète en l’absence de preuve vaccinales 10,12. C’est en particulier le cas des dernières recommandations de l’ECDC rendues publiques fin 2018 12. Quand les médecins sont interrogés sur ce risque, moins d’un tiers déclarent craindre ses réactions.

L’utilisation de sérologies 4 à 6 semaines après un rattrapage vaccinal contre le tétanos et l’hépatite B sont, quant à elles, recommandées par Infovac® et, en deuxième intention, par les Centers for diseases control américains dans le cadre du rattrapage vaccinal à statut inconnu 10,14,19. Deux études ont démontré leur intérêt pour identifier une réponse anamnestique 20,21. L’exercice hospitalier ou dans des structures de santé publique (et en particulier dans les centres de vaccination) semble favoriser le recours aux sérologies post-vaccinales, bien que leur prescription reste minoritaire dans notre échantillon. Cette différence pourrait être liée à un accès facilité à la biologie à l’hôpital en comparaison avec la ville. D’autres freins à l’utilisation de sérologies post-vaccinales peuvent exister en ville : notamment la complexification des parcours que leur usage implique en multipliant les consultations, le coût des sérologies chez des patients ayant une couverture maladie insuffisante et les difficultés de coordination, mais aussi le temps que les médecins ont à consacrer à ces stratégies.

Une majorité des répondants se limitent à 2 injections lors d’une même consultation, là où la plupart des experts considèrent qu’il n’y a pas de risque à injecter plus de 2 vaccins lors d’une même consultation 14,22. Malgré l’existence de ces recommandations, les médecins exerçant en France continuent à majoritairement se limiter à 2 injections à l’occasion d’une même consultation, en particulier en soins primaires (médecine générale libérale, en centre de santé ou en Pass).

Peu de médecins font une place à la vaccination contre l’hépatite A, bien que cette dernière soit maintenant recommandée pour les enfants nés de familles dont au moins l’un des membres est originaire d’un pays de haute endémicité et qui sont susceptibles d’y séjourner 23. Cependant, la communication sur ce vaccin est limitée, il n’est toujours pas remboursé dans cette indication et il implique des injections supplémentaires, le tout dans une stratégie vaccinale déjà chargée et complexe. Son intérêt est plus discutable pour les adultes qui ont souvent acquis une immunité naturelle.

La discordance entre le nombre de médecins déclarant être engagés au quotidien dans la prise en charge des personnes migrantes et leur niveau expérience déclarée souvent moyenne ou de niveau débutant traduit les besoins d’accompagnement et de formation dans ce domaine.

Le mode de recrutement des médecins ayant participé à l’enquête était ciblé sur plusieurs organisations et sociétés savantes susceptibles de pouvoir toucher des médecins impliqués dans l’accueil des migrants primo-arrivants. Le taux de participation n’a pu qu’être estimé et il n’est pas possible d’évaluer la représentativité de l’échantillon des participants. On note cependant une faible représentation des pédiatres, spécialité pourtant très concernée, et un déséquilibre de participation des régions avec une surreprésentation de l’Île-de-France. Il est donc important de tenir compte de ces probables effets de sélection dans l’extrapolation qui peut être faite des données. L’enquête permet néanmoins d’éclairer les pratiques actuellement mal documentées des médecins les plus concernés par la thématique. La diversité des répondants en termes de spécialité, de mode d’exercice, de sexe et d’expérience déclarée, ainsi que le nombre important de participants permettent de mettre au jour la variabilité des pratiques. Les autres limites de cette enquête sont la longueur du questionnaire, qui a pu jouer sur l’effet de sélection des participants.

La variabilité des pratiques observées ici doit être mise en perspective en rappelant la variabilité des pratiques et des dispositifs à l’échelle européenne, où les migrants n’ont pas toujours accès aux dispositifs de rattrapage vaccinal, en particulier quand ils sont adultes. L’accès gratuit aux vaccins est limité, et la mise en place de programmes facilitateurs impliquant les communautés et allant vers les personnes les plus éloignées des soins encore trop rares 6,24,25,26.

En conclusion, les pratiques des médecins exerçant en France, en termes de rattrapage vaccinal auprès des personnes migrantes à statut vaccinal inconnu, sont très hétérogènes : elles sont partagées entre une approche simple de rappel unique ou reprise d’une primo-vaccination complète et une approche plus complexe, avec recours à des sérologies ou aux calendriers vaccinaux des pays d’origine pour estimer les vaccinations antérieurement reçues. Les différences observées en fonction du sexe et âge des médecins invitent à approfondir plus avant les rapports entre le genre et la génération d’une part, et les pratiques médicales d’autre part, à l’aide de futurs travaux qui utiliseraient notamment des méthodes qualitatives. L’élaboration de recommandations pratiques fondées sur la science et tenant compte des contraintes et des habitus des médecins exerçant en France est souhaitable et a été entreprise par la HAS en partenariat avec la Spilf et devraient être disponibles en 2019. Les principaux points qui devront être tranchés, sont la place des sérologies pré- et post-vaccinales en particulier pour le tétanos et la rougeole, le crédit à apporter à l’interrogatoire et le nombre d’injections qui peuvent être réalisées à l’occasion d’une seule consultation.

Remerciements

Les auteurs remercient tous les médecins qui ont accepté et qui ont pris de leur temps pour participer à cette enquête. Nous remercions également les sociétés savantes et associations qui ont apporté leur soutien à l’étude en facilitant la diffusion du questionnaire : la Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTG/SFTGrecherche), le réseau Sentinelles, la Fédération nationale des centres de santé, l’Union syndicale des médecins de centre de santé, la Fédération française des maisons et des pôles de santé, le Collectif national des Permanences d’accès aux soins de santé (Pass), le réseau des missions France de Médecins du Monde, la Société de médecine des voyages, les Corevih, la Société française de lutte contre le sida, le Gervih et le réseau des Clat.
Ce travail a bénéficié de la bourse recherche du groupe Vaccination prévention de la Spilf*.
* Groupe Vaccination Prévention de la Spilf : Odile Launay (coord.), Olivier Epaulard (coord.), Nicolas Vignier (coord.), Sophie Abgrall, Sophie Blanchi, Julian Cornaglia, Elisabeth Botelho-Nevers, Julie Bottero, Valérie Delbos, Emmanuel Faure, Cécile Janssen, Sylvie Quelet, Caroline Lascoux-Combe, Daniel Levy-Bruhl, Maeva Lefebvre, François Lhériteau, Zoha Maakaroun Vermesse, Elisabeth Rouveix, Dominique Salmon, Benjamin Wyplosz.

Références

1 Institut national de la statistique et des études économiques. Immigrés, étrangers. 2018. [Internet]. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212
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Citer cet article

Vignier N, Moussaoui S, Aurousseau A, Nappez S, Cornaglia J, Delobre G, Blanchi S, Luan L, Vandentorren S, Bouchaud O, Launay O, Mechain M ; et le groupe Vaccination & prévention de la Spilf. Pratiques de rattrapage vaccinal des médecins exerçant en France pour les personnes migrantes arrivant sur le territoire français. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(17-18):351-60. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/17-18/2019_17-18_5.html