Parcours migratoire, violences déclarées et santé perçue des femmes migrantes hébergées en hôtel en Île-de-France. Enquête Dsafhir

// Migration path, REPORTED violence and self-perceived health status among migrant women accommodated in emergency hotels in Île-de-France. Dsafhir studie

Armelle Andro1 (armelle.andro@univ-paris1.fr) Claire Scodellaro1, Mireille Eberhard2,3, Maud Gelly4, et l’équipe Dsafhir*
1 IDUP, EA134, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris, France
2 Observatoire du Samusocial de Paris, France
3 Université de Paris, URMIS, CNRS, IRD, Paris, France
4 Cresppa-CSU, UMR 7217 ; Hôpitaux universitaires Paris Seine-Saint-Denis, APHP, France

* Équipe Dsafhir : Marion Fleury, Françoise Riou, Alfred Spira, Danielle Hassoun, Veronica Noseda, Lorraine Poncet.

Soumis le 26.12.2018 // Date of submission: 12.26.2018
Mots-clés : Femmes | Hébergement à l’hôtel | Violences | État de santé | Migrations
Keywords: Women | Emergency hotels | Violence | Health status | Migration

Résumé

La « mise à l’abri » à l’hôtel est une forme particulièrement précaire d’hébergement d’urgence. Les femmes migrantes hébergées à l’hôtel cumulent des facteurs de vulnérabilité face aux violences. Ce contexte a un effet délétère sur leur état de santé et renforce leurs difficultés d’accès aux soins de santé.

L’enquête Droits, santé et accès aux soins des femmes hébergées immigrées et réfugiées en Île-de-France (Dsafhir), menée auprès de 469 femmes migrantes vivant à l’hôtel en 2017, permet notamment de décrire l’état de santé perçu de ces femmes et la diversité des formes de violence qu’elles ont subies (physiques, psychologiques, sexuelles, économiques et administratives), les liens qui les unissent (ou les unissaient) aux auteurs des violences (conjoint, membre de la famille, représentant de l’autorité, etc.), ainsi que la temporalité des actes incriminés (violences survenant avant la migration, pendant le trajet migratoire, en France).

En mobilisant les données quantitatives (n=469) et qualitatives (n=30) de cette enquête, cet article décrit les états de santé et les violences auxquelles ont été exposées les femmes migrantes mises à l’abri en les caractérisant (types de violence, lien avec l’auteur) et en les plaçant dans la temporalité des parcours migratoires. Les violences sexuelles font l’objet d’une attention spécifique.

Les résultats montrent que ces femmes sont particulièrement exposées au fait de subir des violences au cours de leur vie.

Les grandes enquêtes statistiques sur les violences, parce qu’elles interrogent des répondants dans des « ménages ordinaires », sous-représentent largement cette population de femmes marginalisées. En outre, elles sont rarement prises en charge, sur le plan médico-psycho-social, alors que ces expériences ont un impact négatif avéré sur leur état de santé.

Abstract

Accommodation in emergency hotels is a particularly precarious form of emergency sheltering. Confronted with violence, migrant women accommodated in emergency hotels are characterised by several types of vulnerabilities. This has a negative impact on their health status and exacerbates their difficulties of access to healthcare.

The Dsafhir survey, conducted in 2017 among 469 migrant women accommodated in emergency hotels, mainly describes the perceived health status of these women and the variety of forms of violence they have experienced (physical, psychological, sexual, economic, administrative), the relationships they have (or used to have) with perpetrators (spouse, relatives, representatives of the state authority), as well as the temporality of the acts incriminated (violence ocurring before migration, during their migratory journey, or in France).

By processing the quantitative (n=469) and the qualitative (n=30) Dsafhir data, this article describes the health status and violence that accommodated migrant women were exposed to, by characterising the types of violence, the links with the perpetrators, and by placing them in the temporality of migration routes. Sexual violence, moreover is dealt with specific attention.

Our results show that these women are particularly vulnerable to experiencing violence in their lifetime.

By questioning respondents in « ordinary households », the largest statistical surveys on violence usually and considerably under-represent these marginalised women. In addition, these women often do not have access to healthcare, even though this situation has a proven negative impact on their health.

Contexte

La littérature montre que les femmes migrantes sont particulièrement exposées aux violences, les violences de genre étant l’une des formes de violences liées à la migration, et que ces expériences et leurs conséquences restent difficile à quantifier 1. C’est tout particulièrement le cas dans le contexte récent d’afflux sur le territoire européen des exilés fuyant des zones d’instabilité et de conflits, et ayant parcouru des routes migratoires dangereuses. Alors que les femmes migrent actuellement autant que les hommes, de nombreux facteurs (migrations forcées, trajets migratoires de plus en plus longs et dangereux, conditions d’accueil dans le pays de destination toujours plus précaires, instabilité administrative, vulnérabilité socioéconomique et résidentielle) augmentent à la fois le nombre de migrantes en situation de grande précarité et les risques d’exposition aux violences institutionnelles et interpersonnelles. Ces femmes sont rarement prises en charge sur le plan médico-psycho-social, alors que ces expériences ont un impact négatif avéré sur leur état de santé 2.

Dans le contexte français, et en Île-de-France particulièrement, le durcissement des conditions et la saturation des dispositifs d’accueil et d’accompagnement des exilés laissent à la rue de plus en plus de femmes migrantes, quels que soient leur âge et la configuration familiale dans laquelle elles se trouvent 3. Devenue la forme d’hébergement la plus répandue pour les femmes et les familles, la « mise à l’abri » à l’hôtel est une forme particulièrement précaire d’hébergement d’urgence 4. Cette précarité résidentielle a un effet délétère sur la santé et renforce leurs difficultés d’accès aux soins 5. Quelles que soient leurs origines sociales très diverses, les femmes migrantes hébergées à l’hôtel cumulent des facteurs de vulnérabilité et les risques d’exposition aux violences.

Une meilleure quantification et qualification des expériences de violences vécues par ces femmes est essentielle pour mettre en œuvre des politiques de santé adaptées. À partir des données de l’enquête Dsafhir (Droits, santé et accès aux soins des femmes hébergées immigrées et réfugiées en Île-de-France), cet article propose une mesure des différentes formes de violences vécues par les femmes migrantes vivant dans ce contexte, notamment les violences sexuelles, en les situant dans la temporalité des parcours migratoires, et de formuler des préconisations en terme de dépistage pour les professionnels du soin qui les prennent en charge.

Matériel et méthode

Sources de données

L’enquête Dsafhir a été réalisée en 2017-2018 par le Centre de recherche de l’Institut de démographie de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l’Observatoire du Samusocial de Paris. Cette étude interventionnelle mixte (quantitative et qualitative) a été menée auprès d’un échantillon de femmes migrantes mises à l’abri à l’hôtel par le Samusocial de Paris, en région Île-de-France. Elles ont été interrogées sur leur lieu de résidence, généralement la chambre d’hôtel, puis se sont vu proposer des interventions-pilotes de santé sexuelle et reproductive pendant six semaines. Huit mois après cette première vague d’enquête, elles ont été réinterrogées dans une perspective d’évaluation de ces dispositifs. Dans cet article, seules les données de la première vague de l’enquête sont mobilisées.

Données collectées et critères d’inclusion

La collecte a eu lieu en deux vagues dans le cadre d’un sondage raisonné par grappe à deux degrés : sélection de zones géographiques différenciées et sélection d’hôtels. Toutes les femmes migrantes hébergées dans l’hôtel dans le cadre d’un dispositif de mise à l’abri et âgées d’au moins 18 ans étaient éligibles. Après recueil de leur consentement, elles étaient invitées à répondre à un questionnaire portant sur leur situation, leur trajectoire et leur santé (n=469 sur 580 femmes sollicitées et 667 chambres d’hôtel sélectionnées) et à participer à un entretien pour une partie d’entre elles (n=30). Afin d’éviter les biais de sélection liés à la barrière de la langue, les questionnaires et les entretiens ont été réalisés en 10 langues différentes. Ils ont permis de recueillir des informations sur les caractéristiques sociodémographiques de ces femmes, sur leur trajectoire migratoire et résidentielle, leur vie sexuelle et reproductive, leur santé et leurs expériences de violence. Les données permettent notamment de décrire finement la diversité des formes de violence subies par ces femmes, les auteurs de ces violences ainsi que le lieu des actes déclarés (dans le pays d’origine, pendant le trajet migratoire, en France).

Variables et analyses statistiques

L’état de santé a été mesuré à travers des indicateurs de santé perçue (générale, physique, psychique). L’exposition aux violences a été mesurée à travers des indicateurs agrégés basés sur les réponses aux questions suivantes : « Vous est-il déjà arrivé que quelqu’un vous confisque vos papiers, les détruise, fasse du chantage avec vos papiers / Vous vole ou dégrade vos affaires, vous vole votre argent / vous insulte, vous injurie / vous menace avec des mots ou physiquement / vous agresse physiquement, vous tape, vous torture / vous agresse sexuellement ou vous force à des relations sexuelles que vous ne vouliez pas / vous enferme, vous prive de votre liberté / vous force à travailler ? ». Pour chaque événement d’un même type, les faits ont été localisés (dans le « pays d’origine », « pendant le trajet de migration » ou « en France »), l’auteur identifié (conjoint ou ex-conjoint / parents / amis / police, armée / logeur, hôtelier / hébergé, résident / passeurs / passant) et les faits caractérisés selon leur gravité (très grave /assez grave / pas grave).

Le questionnaire était organisé en différents modules thématiques (situation actuelle, trajectoire migratoire, santé sexuelle et reproductive, expérience des violences). Les violences sexuelles ont fait l’objet de questionnements spécifiques à plusieurs moments du questionnaire : dans les modules portant sur la sexualité et l’histoire des grossesses des enquêtées, il leur a été demandé si leur premier rapport sexuel avait été forcé, si leur partenaire actuel les avait forcées à des rapports sexuels et si les IVG déclarées avaient eu lieu à la suite d’un viol ; dans le module santé, les femmes ont été interrogées sur les mutilations génitales. Comme les auteurs et les lieux de ces violences sexuelles ne sont pas toujours renseignés, elles n’entrent pas dans la construction des indicateurs agrégés de violence mais permettent de saisir des situations qui n’ont pas été déclarées dans le module final consacré aux violences.

Pour caractériser les situations des femmes enquêtées vis-à-vis de la migration et de leurs conditions d’arrivée en France, deux typologies ont été élaborées à partir d’une analyse des correspondances multiples (ACM) suivie d’une classification ascendante hiérarchique (CAH). L’ACM permet de mettre en évidence les corrélations les plus fortes entre les variables actives à partir des proximités entre individus partageant des caractéristiques similaires (Phi-deux). La CAH regroupe les individus selon ces proximités en maximisant la dissimilarité entre classes et la similarité à l’intérieur d’une classe (critère de Ward) 6. La typologie des trajets migratoires s’appuie sur les variables relatives aux pays traversés, aux moyens de transports utilisés, au coût, à la durée et à la difficulté du trajet. De la même manière, une typologie des conditions de vie a été établie à partir des variables décrivant la situation socioéconomique, administrative et résidentielle des femmes hébergées. Les analyses ont été réalisées avec les logiciels Stata® 15.1 et SAS® 9.4.

Résultats

Caractéristiques des femmes enquêtées

Les femmes interviewées dans le cadre de cette enquête (tableau 1) viennent majoritairement d’Afrique subsaharienne (55%) puis d’Europe de l’Est ou d’Asie centrale (24%). Les trois quarts d’entre elles sont âgées de 20 à 39 ans. Elles sont dans des situations administratives et financières très précaires : 41% n’ont pas de titre de séjour alors qu’elles ne sont que 9% à être demandeuses d’asile. Un tiers n’a aucun revenu, les trois quarts ont l’AME (Aide médicale d’État ou la CMU (Couverture maladie universelle), 17% n’ont aucune couverture sociale. La moitié d’entre elles est arrivée en France depuis plus de 4 ans, c’est-à-dire avant la crise migratoire de 2014-2015.

Tableau 1 : Description de l’échantillon de l’enquête « Droits, santé et accès aux soins des femmes hébergées, immigrées, réfugiées ». Femmes migrantes hébergées à l’hôtel en Île-de-France et âgées d’au moins 18 ans. Enquête Dsafhir 2018
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Violences au cours de la vie et état de santé actuel

Parmi la totalité des femmes interrogées, 75% déclarent avoir été exposées à une forme de violence assez grave ou très grave au cours de la vie. Parmi elles, 44% déclarent y avoir été exposées dans leur pays d’origine, 16% au cours du trajet migratoire et 46% en France.

Par ailleurs, 44% des femmes interrogées déclarent avoir une santé physique moyenne, mauvaise ou très mauvaise et 61% déclarent avoir une santé psychologique moyenne, mauvaise ou très mauvaise. Les femmes qui déclarent avoir vécu des violences graves au cours de la vie déclarent un état de santé plus mauvais que celles qui n’en déclarent pas, qu’il s’agisse de leur santé générale, physique ou psychique (tableau 2). Quelle que soit la gravité ressentie de ces violences, elles sont corrélées avec un état de santé plus mauvais (résultats non présentés).

Tableau 2 : État de santé perçu selon l’expérience des violences déclarées au cours de la vie chez les femmes migrantes hébergées à l’hôtel en Île-de-France et âgées d’au moins 18 ans (N=469). Enquête Dsafhir 2018
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Violences vécues avant l’arrivée en France

Les violences vécues avant l’arrivée en France s’inscrivent à la fois dans la trajectoire de vie dans le pays d’origine et dans les expériences vécues pendant la migration. Trois classes de trajets migratoires ont été identifiées à travers l’ACM et la CAH.

Il s’agit de trajets « directs/terrestres » pour 59% des femmes de l’échantillon (n=277) entre le pays d’origine et la France (75%), ou avec une seule étape (16%). La quasi-totalité d’entre elles a utilisé un seul moyen de transport (86%), l’avion la plupart du temps (77%).

Le trajet a été « complexe » pour 32% des enquêtées (n=148) : long (plus de six mois pour un quart d’entre elles), par un seul (64%) ou plusieurs pays (essentiellement l’Italie, l’Espagne, la Pologne, l’Allemagne, la Libye, la Turquie et la Grèce). Elles ont majoritairement emprunté plusieurs moyens de transports, parmi lesquels l’avion (51%), le bus (46%), le train (27%) et le bateau (19%), diversement combinés.

La dernière catégorie regroupe les parcours « très complexes » de 9% de femmes (n=44). Ce sont des trajets très longs (plus d’une fois sur trois ils excèdent six mois), traversant quatre pays ou plus (50%), dont la Libye (45%) et le Nigéria (25%), via plusieurs moyens de transport (4 femmes sur 5 en déclarent trois ou plus), dont le bateau dans plus de la moitié des cas et une embarcation de fortune plus de 4 fois sur 10. Elles ont connu des trajets coûteux et étaient plus souvent accompagnées d’enfants.

Les trois types de trajets identifiés sont décrits différemment par les femmes qui les ont empruntés : celles qui sont venues directement déclarent à 68% que le voyage a été « pas du tout » ou « pas trop » compliqué. Les trajets « complexes » sont qualifiés à 65% de « très » ou « assez compliqués » par les enquêtées, et 80% des trajets « très complexes » sont qualifiés par elles de « très compliqués ». Si 70% des femmes venues directement déclarent ne s’être jamais senties en danger, au contraire, elles sont 90% à s’être souvent ou très souvent senties en danger durant les trajets très complexes.

Les principales régions d’origine des femmes de l’échantillon sont présentes dans les trois types de trajets, « directs », « complexes » et « très complexes ». Ce n’est donc pas tant le pays de départ qui importe dans cette classification, que les conditions de la migration et les pays traversés.

Globalement, la moitié des femmes rencontrées déclarent des violences dans leur pays d’origine (tableau 3). Celles qui ont effectué des trajets « directs/terrestres » (trajets les moins complexes), sont 39% à déclarer des violences dans leur pays d’origine alors que c’est le cas de 57% des femmes ayant connu un trajet « complexe » et de 73% des femmes dans la classe des trajets « très complexes ».

Tableau 3 : Violences avant l’arrivée en France selon le lieu et le type de trajet (%) chez les femmes migrantes hébergées à l’hôtel en Île-de-France et âgées d’au moins 18 ans. Enquête Dsafhir 2018
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Parmi les femmes qui ont connu des trajets très complexes, 34% déclarent avoir subi des violences conjugales au pays et 32% déclarent avoir subi des violences de la part de membres de leur famille, contre respectivement 8% et 12% des femmes ayant effectué un trajet direct/terrestres. Les violences sexuelles vécues au pays, tous auteurs confondus, concernent 17% de l’ensemble des femmes, et sont rapportées par 34% des femmes ayant connu un trajet très complexe, par 22% de celles qui ont suivi un trajet complexe, et par 11% des femmes ayant eu un trajet direct.

Les motifs de départ les plus fréquemment évoqués sont « pour ma sécurité et celle de ma famille » (56% des répondantes), ce pourcentage atteint 90% pour les femmes ayant connu des trajets très complexes, 65% pour les femmes de la classe des trajets complexes et par 45% de celles ayant opéré un trajet direct/terrestre.

Aux violences vécues dans les pays d’origine, s’ajoutent celles vécues pendant le trajet (16% de l’ensemble des femmes). Cependant, les violences vécues pendant la migration se concentrent quasi-exclusivement dans les classes de trajets « complexes » (25%) et « très complexes » (59%), alors qu’elles ne concernent que 5% des trajets « direct/terrestres ». Ces violences perpétrées pendant le trajet sont protéiformes, puisqu’elles renvoient à des insultes (respectivement 36% et 9% des trajets « très complexes » et « complexes »), des vols ou dégradations matérielles (39% et 4%), des menaces verbales ou physiques (27% et 7%), des agressions physiques (20% et 7%), des agressions sexuelles (18% et 6%) ou encore de la séquestration (23% et 5%). Les auteurs des violences ayant eu lieu pendant le trajet sont souvent des inconnus (notamment les passeurs ou les « inconnus dans la rue »).

Violences vécues depuis l’arrivée en France

Même si la population enquêtée est relativement homogène du point de vue de sa grande vulnérabilité socioéconomique et administrative, trois profils se distinguent et une typologie des « conditions de vie depuis l’arrivée » permet de mieux appréhender le contexte de survenue des violences vécues en France :

les femmes en situation de « précarité résidentielle » (117), souvent récemment arrivées en France, ont souvent un titre de séjour (42%) ou une demande d’asile en cours (24%), mais la moitié n’a pas de couverture maladie (26% bénéficient de la Sécurité sociale et 16% de l’AME). Elles se sont trouvées au moins une fois sans solution d’hébergement (87%) ;

les femmes en situation de « précarité administrative » (194) sont en France depuis trois ans en médiane. La grande majorité (76%) n’a pas de titre de séjour valide, 14% d’entre elles détenant un titre de séjour précaire (inférieur ou égal à un an). Elles ont plus souvent que les précédentes une couverture santé (79% ont l’AME).

les femmes en situation de « précarité stabilisée » (158). Présentes depuis plus longtemps sur le territoire, elles sont dans une situation à la fois administrative et de protection sociale stable : 50% ont un titre de séjour stable, 41% un titre de séjour inférieur à un an et 83% déclarent être couvertes par la Sécurité sociale.

Dans leur ensemble, 46% des femmes ont vécu des violences depuis leur arrivée en France (tableau 4). Ces actes de violence sont le plus souvent perpétrés par des inconnus dans la rue (25%) et les atteintes les plus fréquentes sont les insultes ou les atteintes aux biens (vols, dégradations). Les violences perpétrées par un conjoint ou un ex-conjoint sont citées par 9% des femmes. L’hébergement à l’hôtel expose également à des violences : 4% des répondantes rapportent des violences perpétrées par des hôteliers ou des résidents. Les violences commises par des parents sont peu fréquentes (4% des femmes).

Tableau 4 : Violences depuis l’arrivée en France selon le type de conditions de vie (%). Femmes migrantes hébergées à l’hôtel en Île-de-France et âgées d’au moins 18 ans. Enquête Dsafhir 2018
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Les femmes les plus précaires administrativement semblent les plus exposées aux violences depuis leur arrivée en France, qu’il s’agisse des violences dans leur ensemble ou des violences conjugales, même si les écarts ne sont pas significatifs.

Ampleur des violences sexuelles

Alors que 107 femmes déclarent des agressions sexuelles au cours de leur vie dans le module final « violences », la prise en compte des rapports sexuels forcés déclarés plus tôt dans le questionnaire, dans le module « sexualité », permet de repérer 137 femmes. Les 30 femmes supplémentaires ont principalement déclaré des rapports forcés par le partenaire actuel (n=17), mais aussi fait état d’un premier rapport sexuel forcé (n=9) ou fait part d’une IVG à la suite d’un viol (n=5). Ce rattrapage augmente la fréquence des violences sexuelles vécues, particulièrement pour les femmes de la classe « trajets complexes » et de la classe « précarité relative ». Enfin, si l’on tient compte d’une forme spécifique de violence sexuelle qui intervient dans l’enfance, les mutilations génitales féminines, 23% des femmes enquêtées sont concernées (tableau 5).

Tableau 5 : Violences sexuelles au cours de la vie selon le type de trajet, le type de conditions de vie et le mode de recueil des violences (%). Femmes migrantes hébergées à l’hôtel en Île-de-France et âgées d’au moins 18 ans. Enquête Dsafhir 2018
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Discussion

Les trois quarts des femmes hébergées à l’hôtel et enquêtées dans Dsafhir déclarent avoir subi au moins une violence au cours de leur vie et sont souvent en mauvaise santé, alors même qu’elles sont relativement jeunes. Ces violences n’ont pas forcément lieu pendant le trajet de migration mais sont plus largement liées à l’ensemble du processus migratoire. Dans l’échantillon Dsafhir, le fait d’avoir vécu un trajet migratoire complexe est associé à l’expérience des violences dans le pays d’origine : les femmes qui ont eu des trajets migratoires longs et difficiles, quel que soit leur pays d’origine, avaient plus souvent subi des violences avant leur départ. Par ailleurs, celles qui subissent une forte précarité administrative en France sont aussi souvent celles qui ont subis des violences à un moment où un autre de leur vie.

Les violences sexuelles sont généralement sous-déclarées dans les enquêtes en face à face, notamment quand elles ont lieu dans la sphère conjugale 7. Les données collectées dans l’enquête Dsafhir ne dérogent pas à ce constat, comme le montre la comparaison des informations enregistrées dans le module final consacré aux violences à celles collectées au fil du questionnaire.

Les données de l’enquête qualitative confirment ce cumul des violences et de leurs intrications avec le processus migratoire (voir encadré). Dans les deux cas exposés, le départ est motivé par des violences familiales ou conjugales, et la précarité sociale et administrative rencontrée en France favorise l’exposition à des violences dans l’espace public ou dans la sphère conjugale. Elle donne aussi lieu à des formes de violences plus institutionnelles, dans la mesure où elles relèvent aussi du déni du droit à la protection par l’État contre les violences conjugales.

Encadré :
Deux « trajectoires » recueillies par entretiens

K., 33 ans, a grandi en Tunisie. Mariée à un cousin contre son gré à 16 ans, victime de violences conjugales (physiques et sexuelles), divorcée, elle se remarie avec un camarade de classe. En froid avec sa famille, elle quitte la Tunisie avec son mari et leur nouveau-né en traversant la Méditerranée avec 180 autres personnes dans une barque jusqu’à Lampedusa où elle fait une fausse-couche. Elle a un deuxième enfant en Italie, la famille se retrouve sans domicile pendant un an en France et est finalement hébergée à l’hôtel. Elle est agressée par une usagère de l’accueil de jour qu’elle fréquente et porte plainte.

A., 38 ans, est née au Mali, où elle est excisée à l’âge d’un mois. Adolescente, elle est victime d’une tentative de viol par des passants. À la mort de son père, elle est confiée par sa mère à un oncle qui la frappe et l’exploite. Elle parvient à réunir assez d’argent pour quitter sa famille et prendre l’avion pour la France, à 23 ans, avec un visa de tourisme. Elle rencontre en France un homme dont elle a trois enfants. Il la prive d’argent, la menace de mort, la rabaisse, trouve qu’elle n’a pas été « bien excisée », au point qu’elle consulte un gynécologue pour lui demander de recouper (ce qu’il ne fera pas). Ses enfants ont été placés pendant six mois suite à un signalement de la crèche motivé par les violences conjugales. Elle a renoncé à porter plainte.

Limites et apports

L’échantillon des femmes interrogées dans l’enquête Dsafhir présente un profil particulier lié à la structure de la population logée à l’hôtel : il surreprésente les femmes qui peinent à accéder à un statut légal sur le territoire français et il augmente potentiellement la proportion de femmes ayant subi des violences conjugales en France puisqu’il s’agit d’un motif de mise à l’abri.

Le questionnement sur les violences au cours de la vie est moins détaillé que dans les grandes enquêtes statistiques sur les violences (Enveff en 2000 8, EVS en 2006 9, enquêtes CVS depuis 2007, Virage en 2015 10), et cela conduit sans doute à une sous-déclaration de certaines violences, notamment sexuelles. Les questions posées au fil du questionnaire ont néanmoins permis de repérer des rapports sexuels forcés que certaines femmes occultaient lorsqu’elles étaient par ailleurs spécifiquement questionnées sur les violences sexuelles.

Les enquêtes menées en population générale interrogeant des répondants vivant en ménage ordinaire sous-représentent la population de femmes migrantes exclues du logement, et en partie non-francophones. L’enquête Dsafhir présente l’atout crucial de contacter et donner la parole à des femmes difficiles à atteindre. Elles sont interrogées sur leur lieu de vie et l’enquête permet de décrire la situation de femmes généralement invisibilisées.

Perspectives en termes de santé publique

L’ampleur et le cumul des violences vécues par les femmes migrantes en situation de précarité administrative doit être reconnue et conduire à des prises en charge adaptées par les professionnels de santé et du travail social qui les reçoivent. Les séquelles liées aux violences vécues détériorent vraisemblablement la santé physique et psychique des femmes migrantes précarisées par l’instabilité de leur situation administrative. Des questions sur les violences vécues au cours de la migration mais aussi avant le départ et depuis l’arrivée en France doivent être intégrées à l’anamnèse de toute consultation médicale afin de les dépister 11, au même titre que les autres facteurs agissant négativement sur la santé. La mise à l’abri de ces femmes doit être accompagnée d’un suivi social permettant un réel accès aux droits à une couverture maladie, à des dispositifs de prise en charge et de protection contre les violences ouvrant la voie à une régularisation, et notamment l’ordonnance de protection.

Financement

L’enquête Dsafhir a reçu le soutien financier de l’ANR (agence française de financement de la recherche sur projets) et des fondations Sanofi-Espoir, HRA-Pharma et Macif.

Références

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2 Ellsberg M, Arango DJ, Morton M, Gennari F, Kiplesund S, Contreras M, Watts C. Prevention of violence against women and girls: what does the evidence say? Lancet. 2015;385(9977):1555-66.
3 Eberhard M, Guyavarch E, Le Méner E. Structure familiale et hébergement d’urgence au 115 de Paris. Revue des politiques sociales et familiales. 2016;(123):123-9.
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5 Vuillermoz C, Vandentorren S, Brondeel R, Chauvin P. Unmet healthcare needs in homeless women with children in the Greater Paris area in France. PLoS One. 2017;12(9):e0184138.
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8 Jaspard M, Brown E, Condon S. Les violences envers les femmes en France. Une enquête nationale. Paris: La Documentation Française, Droit des Femmes. 2003;(36). 374 p.
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Citer cet article

Andro A, Scodellaro C, Eberhard M, Gelly M, et l’équipe Dsafhir. Parcours migratoire, violences déclarées, et santé perçue des femmes migrantes hébergées en hôtel en Île-de-France. Enquête Dsafhir. Bull Epidémiol Hebd. 2019(17-18):334-41. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/17-18/2019_17-18_3.html