Santé des personnes migrantes, parcours d’exils, violences subies : un enjeu pour l’ensemble du système de santé

// Migrants’ health, exile journey, violence suffered: an issue for the entire health system

Luc Ginot1, Christine Laconde2, Aurélien Rousseau1
1 Agence régionale de santé d’Île-de-France, Paris, France
2 Samusocial de Paris, Paris, France

La santé des personnes migrantes et exilées préoccupe les acteurs de notre système de soins, et ce n’est pas le premier BEH qui nous alerte. Cette inquiétude s’aggrave en proportion de l’avancement des connaissances et traverse l’ensemble des pays européens 1. Les enjeux sont majeurs, d’abord pour les personnes concernées : l’impact sanitaire de la violence de leur parcours et des conditions de leur exil est dramatique, et désormais transgénérationnel. Mais, la capacité de notre système de santé à innover pour répondre à des besoins précis, parfois peu exprimés, et vis-à-vis desquels la réponse doit être adaptée, est aussi questionnée.

Ce numéro spécial présente de riches travaux, qui ouvrent d’importantes voies d’action.

Trois articles documentent la complexité de l’analyse épidémiologique et l’importance d’une précision de l’approche clinique.

L’équipe de l’Observatoire du Samusocial de Paris montre dans le premier article de ce numéro que la fréquence des violences vécues est très élevée, d’après les bilans infirmiers mis en place à l’initiative de l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France. Mais surtout, cet article explique comment seule la formulation progressivement plus explicite des questions liées à ces violences dans le protocole d’examen a permis d’approcher la réalité des pathologies. L’équipe du Comité pour la santé des exilés (Comede) donne la mesure de la fréquence et des liens entre violences de genre et pathologies, dans une approche clinique éclairante. Le fait que presque un cinquième des antécédents de viols chez les femmes migrantes sans hébergement se soit produit en France confirme la perception des travailleurs sociaux et des acteurs de la solidarité, d’une façon d’autant plus dramatique que l’on connaît le nombre important de personnes à la rue. Cette persistance d’une exposition forte au risque de violence en France se retrouve chez les femmes hébergées à l’hôtel, étudiées dans le cadre de l’enquête Droits, santé et accès aux soins des femmes hébergées immigrées et réfugiées en Île-de-France (Dsafhir). Celle-ci démontre également la possibilité et la nécessité d’une description et d’une compréhension du parcours migratoire, considéré comme un facteur de risque à analyser avec attention.

C’est, de façon plus générale, l’attitude des professionnels de santé que questionnent deux autres articles. L’enquête Enfants et familles sans logement (ENFAMS) met en exergue la fréquence inacceptable des situations de refus de soins. Celle-ci est probablement sous-estimée et nécessite une mobilisation spécifique. Surtout, elle montre comment le refus de soins n’est pas un évènement isolé, mais s’inscrit dans – et contribue à – un contexte de dégradation globale de la prise en charge des usagères. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle touche ici des femmes et familles avec des enfants, une fois de plus exposées à un cumul de facteurs d’atteinte à la santé. À l’inverse, nombre de soignants s’interrogent sur les meilleures modalités de réponse aux besoins sanitaires des populations migrantes et bâtissent des solutions. L’étude sur les pratiques de rattrapage vaccinal publiée dans ce numéro illustre, autour de trois situations archétypales, les interactions entre caractéristiques du médecin et pratiques, et la nécessité de référentiels adaptés. La généralisation de tels référentiels serait à la fois un élément facilitant et un indicateur d’une meilleure prise en charge des personnes migrantes dans le droit commun du système de santé.

Ces travaux, comme d’autres, ont des implications opérationnelles à plusieurs niveaux. Sur le plan clinique, on retrouve une nouvelle fois l’importance, pour apprécier l’état de santé des personnes, d’un questionnement attentionné des patients sur les violences subies, en particulier les violences de genre : la précision de l’anamnèse à travers le dialogue soignant(e)-patient(e), la possibilité donnée d’énonciation des violences subies, la recherche des pathologies corrélées, une stratégie thérapeutique et une prise en charge adaptées 2,3. Au-delà des équipes et praticiens les plus engagés, l’ensemble des soignants doit désormais s’approprier ces notions. Cela passe par une formation initiale et continue, théorique et pratique, généralisée.

Sur le plan épidémiologique et populationnel, la mise en œuvre d’outils descriptifs analytiques validés est indispensable à la compréhension des déterminants de santé, y compris des violences, liés aux différents parcours de vie et d’exil. Cette meilleure compréhension fonde l’amélioration de chacune des actions publiques, de la santé psychique aux pathologies infectieuses ou à la santé sexuelle. Elles sont en effet, aujourd’hui encore, construites de façon trop globale, sans prendre en compte les spécificités de ces parcours de vie et d’exil.

Mais, au-delà des améliorations des connaissances et des pratiques, et au-delà du rôle spécifique et incontournable des associations, c’est l’organisation du système de santé dans son ensemble qui est interrogée : nous devons par exemple travailler à un interprétariat qualifié, faisant partie intégrante du dispositif de soins, et accessible y compris en ville. Le service public a une responsabilité toute particulière : le développement des permanences d’accès aux soins (PASS), des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) ou des équipes spécialisées dans le psycho-traumatisme est indispensable, mais ne peut exonérer d’une réflexion sur la prise en charge des personnes migrantes par les équipes non spécialisées. Cette prise en charge sanitaire adaptée, bienveillante, et performante des personnes migrantes est de la responsabilité de tous les établissements de santé, sans exception.

De ce point de vue, l’instruction ministérielle du 8 juin 2018 4 structure la politique publique autour de trois axes :

faciliter l’accès à la prévention et aux soins ;

organiser une mobilisation de tous les dispositifs sanitaires de droit commun, y compris la médecine
de ville ;

développer une coordination renforcée au niveau national et un pilotage régional du parcours de santé des migrants.

Ce texte constitue un appui majeur pour mettre en place, sur chacun des territoires, une stratégie homogène et impliquant chacun des acteurs.

Bien sûr, et ces travaux le montrent encore, l’action sanitaire s’inscrit dans un contexte plus vaste. Une intervention adaptée passe par une parfaite articulation entre intervenants du champ de la santé et du champ social. Surtout, la mise à l’abri et en sécurité des personnes d’une part et l’inconditionnalité de l’accès aux soins d’autre part, constituent le socle incontournable de toute politique de santé publique. Les acteurs de santé, tout comme les ARS et les autres partenaires, ont donc non seulement la responsabilité d’une prise en charge sanitaire inconditionnelle, dont les failles constitueraient autant de fautes éthiques, mais aussi celle de l’explicitation des liens entre déterminants et état de santé.

Ajoutons que cette exigence d’une action immédiate, structurée et universelle s’accompagne d’un besoin de recherche interventionnelle pour ajuster au plus près les politiques publiques, en particulier les stratégies de prévention 5. Cela est d’autant plus indispensable que l’expérimentation de certains outils ou modes de coordination, nécessaires pour les parcours de santé des populations en situation de migration et d’exil, nous éclaire pour déployer des outils de droit commun vers la population générale ; les interfaces ici inventées constituent des vecteurs d’amélioration plus large, de démonstration des effets de la coordination des acteurs. De même, l’approche par les méthodes de santé communautaire est au cœur de la qualité des prises en charge des personnes migrantes, mais son développement, aujourd’hui indispensable, bénéficiera à l’ensemble de la population.

La situation géopolitique, économique, mais aussi climatique, va conduire à des migrations sans cesse renouvelées. La capacité du système de santé à répondre aux besoins des personnes les plus fragiles détermine toujours sa performance globale et la qualité des réponses qu’il peut offrir aussi à la population générale. Sans doute en est-il de même pour le système social dans son ensemble. Travailler sans cesse à améliorer la prise en charge des personnes migrantes et exilées n’est pas uniquement un enjeu éthique, c’est aussi un moyen et une chance d’assurer la cohésion de notre société.

Références

1 Keidar O. Srivastava D.S, Pikoulis E, and col. Where Do We Stand and What Directions Should We Take? Int J Environ Res Public Health. 2019;16:1319.
2 Comede. Migrants/étrangers en situation précaire. Soins et accompagnement – édition 2015. Guide pratique pour les professionnels. Le Kremlin-Bicêtre: Comede; 2015. 536 p. http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/
catalogue/detaildoc.asp?numfiche=1663
3 Comede/Santé publique France. Livrets de santé bilingue. Disponibles en 15 langues. Saint-Maurice: Comede/
Santé publique France; 2018. 210 p. http://inpes.santepubliquefrance.fr/collections/livrets-bilingues.asp
4 Ministère des Affaires Sociales et de la Santé. Instruction N°DGS/SP1/DGOS/SDR4/DSS/SD2/DGCS/2018/143 du 8 juin 2018 relative à la mise en place du parcours de santé des migrants primo-arrivants. http://circulaires.
legifrance.gouv.fr/pdf/2018/07/cir_43755.pdf
5 Kadir A, Battersby A, Spencer N. Children on the move in Europe: a narrative review of the evidence on the health risks, health needs and health policy for asylum seeking, refugee and documented children. BMJ Paediatrics Open. 2019;3(1).

Citer cet article

Ginot L, Laconde C, Rousseau A. Éditorial. Santé des personnes migrantes, parcours d’exils, violences subies :
un enjeu pour l’ensemble du système de santé. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(17-18):310-1. http://beh.santepublique
france.fr/beh/2019/17-18/2019_17-18_0.html