Les villes et la canicule : se préparer au futur et prévenir les effets sanitaires des îlots de chaleur urbains
// Cities and heatwaves: prepare the future and prevent health effects of urban micro-heat islands
Résumé
Le changement climatique en cours implique une augmentation tendancielle des températures et de la fréquence, de l’intensité et de la durée des canicules. Depuis 2003 en France, l’effort de prévention des effets sanitaires des canicules a principalement porté sur la mise en place de mesures d’urgence lors de la survenue de canicules, dont l’exécution revient in fine aux communes et aux acteurs locaux. En complément de ces mesures, des villes mettent désormais explicitement en avant la réduction des îlots de chaleurs urbains dans leurs projets d’aménagement urbain, notamment en valorisant la modération thermique que peuvent procurer les espaces verts irrigués. Cet article synthétise les arguments qu’offre l’épidémiologie à une telle orientation et plaide pour une prise en compte conjointe des déterminants physiques (naturels, urbanistiques, architecturaux) et sociétaux du risque dans la prévention des effets sanitaires des canicules, pour le développement de formations adaptées et pour une collaboration accrue entre les acteurs nationaux et locaux.
Abstract
The ongoing climate change involves an increase in temperatures and frequency, intensity and duration of heat waves. Since 2003 in France, the effort to prevent the health effects of heat waves has mainly focused on the implementation of emergency measures during heat wave days, for which the implementation is managed by municipalities and local actors. In addition to such measures, cities are now unequivocally promoting the reduction of urban heat islands in their urban development projects, particularly through the use of green spaces to mitigate urban heat island intensity. This article summarizes the arguments offered by the epidemiological literature as regards the benefits of greening cities and calls for a joint consideration of the physical (natural, urbanistic, architectural) and social determinants in the prevention of the health effects of heat waves, for the development of adapted training and for increased collaborations between national and local stakeholders.
Introduction
La nécessité d’adapter les villes aux changements climatiques pour protéger la santé des citadins s’impose progressivement. Ceci nécessite le resserrement des liens entre les acteurs de la santé publique et de l’aménagement urbain. Ainsi, les recommandations issues de la concertation nationale pour un deuxième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) soulignent le besoin de renforcer la prise en compte des impacts sanitaires dans l’adaptation des villes et du cadre bâti, et de développer des outils pour prévoir ces impacts 1.
Les liens entre urbanisme, santé et adaptation aux changements climatiques sont très complexes. La question plus restreinte de l’urbanisme, des vagues de chaleur et de la santé peut permettre d’amorcer une culture commune. Elle constitue une priorité compte tenu de l’extension géographique et calendaire des vagues de chaleur en France, ainsi que de l’augmentation certaine de leur fréquence, durée et intensité dans les décennies à venir 2.
La prévention des impacts sanitaires de la chaleur doit composer avec une réponse sanitaire très différente selon l’intensité de la chaleur. La littérature épidémiologique a pu mettre en évidence la nature non-linéaire de la relation dose-réponse entre températures chaudes et indicateurs de santé 3. Ainsi, lors de chaleurs extrêmes, on observe un emballement du risque de mortalité dont les conséquences peuvent être dramatiques, comme en 2003. Ces situations nécessitent une mobilisation rapide pour protéger les personnes et éviter l’embolisation du système de soin. Elles sont gérées comme des urgences sanitaires et s’appuient sur des systèmes d’alerte canicule et sur une communication renforcée visant à promouvoir des comportements préventifs adaptés 4.
Les conséquences tragiques des canicules extrêmes, qui demeurent rares, et la gestion fondée sur l’alerte tendent à masquer l’existence d’un impact de la chaleur modérée. Cet impact correspond à un risque faible, moins perceptible mais survenant à des températures plus fréquemment observées et représentant un fardeau sanitaire majeur. Ainsi, des études multicentriques internationales ou canadiennes 5,6 ont pu mettre en évidence que la majorité du fardeau sanitaire lié aux températures chaudes est surtout dû aux températures intermédiaires et non pas aux extrêmes. Contrairement aux mécanismes d’action des températures extrêmes sur la mortalité, ceux mis en œuvre aux températures non-extrêmes soulèvent encore de nombreuses interrogations.
Pour être efficace, la prévention des impacts sanitaires de la chaleur doit combiner des actions d’urgence lors des canicules et des interventions de fond visant à tempérer les villes. La France est reconnue pour son plan national canicule 7, qui vise à réduire les effets aigus de la canicule en réalisant des alertes météorologiques et une information d’urgence visant l’adoption de comportements adaptés, et en mobilisant les parties prenantes dans une démarche de prévention 8. Cependant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pointe l’effort à produire dans le long terme en matière d’aménagements urbains 9.
De nombreuses initiatives sont prises par les villes notamment pour lutter contre les îlots de chaleur urbains, y compris en France 10. Cet article présente l’état d’une réflexion sur les enjeux, les besoins et les outils à déployer dans les prochaines années pour accompagner ces approches pérennes, en se concentrant sur le sujet spécifique de l’îlot de chaleur urbain.
L’îlot de chaleur urbain, un facteur important de vulnérabilité des villes à la chaleur
Le phénomène de l’îlot de chaleur urbain (ICU) fait référence au fait que, dans un contexte et pour un jour donnés, les températures sont plus chaudes en ville qu’à la campagne, en lien avec l’emprise du bâti et des surfaces artificielles ainsi que la consommation d’énergie intra-urbaine 11. Il existe également d’importantes différences de températures à l’intérieur même des villes, constituant des micro-îlots de chaleur urbains (MICU) 12,13. En France, des excès de température de 7 à 8°C par rapport aux secteurs péri-urbains peuvent par exemple être observés dans des MICU au sein de Toulouse, Strasbourg ou Paris pendant les nuits d’été 14. La surexposition aux températures chaudes due aux MICU se répercute en risque sanitaire : pendant la canicule de 2003 à Paris, la mortalité dans les quartiers les plus exposés aux fortes chaleurs était le double de celle enregistrée dans les quartiers les moins exposés, alors que la différence de température (moyenne sur la durée de l’épisode) n’atteignait qu’un demi-degré 15. Des observations similaires sont rapportées dans la littérature : par exemple, à Birmingham, ce phénomène aurait contribué à environ la moitié de la mortalité totale observée en août 2003 16,17.
Une revue systématique et méta-analyse de la littérature épidémiologique portant sur la modification de l’effet des températures chaudes sur la santé par les MICUs a été récemment menée 13. Onze études ont pu être identifiées et des ratios de risques relatifs (RRR), comparant au sein de chaque ville les individus vivant dans des quartiers plus chauds (ou avec moins d’espaces verts) aux individus vivant dans les quartiers moins chauds (ou avec plus d’espaces verts), ont été calculés. Ces études ont été menées principalement en Europe et en Amérique du Nord. Les indicateurs pour représenter les MICU incluent des mesures locales de températures, des indicateurs composites de charge thermique (tels que l’Urban heat island index 18). De manière globale, les personnes vivant au sein d’un MICU subissent une augmentation de risque (quels que soient les indicateurs utilisés pour représenter le MICU ou la mesure de risque utilisée) plus importante que les personnes vivant hors des MICU (avec des RRR entre 1,05 et 1,06).
Bien que la littérature épidémiologique prise dans son ensemble suggère que vivre dans un MICU expose les populations à des risques de mortalité plus importants en lien avec des températures chaudes et les vagues de chaleur, il y a encore beaucoup d’hétérogénéité dans les études analysées, notamment en termes d’indicateurs utilisés pour caractériser les MICU, montrant que la mesure de ces derniers n’est pas consensuelle.
En termes d’interventions, différents facteurs déterminent à la fois l’intensité globale du MICU et sa géographie à l’échelle infra-urbaine. Si certains déterminants physiques du risque laissent peu de prise à la réduction de leur effet défavorable (éléments topographiques naturels), la plupart de ces déterminants peuvent être modifiés à long terme (plusieurs décennies), à condition d’inscrire ces objectifs dans l’agenda des aménagements urbains et dans les bonnes pratiques architecturales.
Une couleur de revêtement réfléchissante est favorable, ainsi qu’une organisation d’un bâti qui entrave peu l’aération et l’évacuation de la chaleur… La présence de l’eau est un facteur déterminant de modération des températures, que ce soit sous forme de plans d’eau, de rivière ou encore de végétation. L’évapotranspiration d’un parc procure un effet rafraichissant sensiblement égal à celui dû à l’évaporation d’un plan d’eau de surface égale, à condition toutefois que le parc ne soit pas lui-même soumis au stress hydrique, mais au contraire irrigué à hauteur du besoin des plantes. Ainsi, la proximité de la Seine et des espaces verts modulent la géographie des températures dans Paris, avec des gradients intramuros induits atteignant 2 à 4°C lors de la canicule 2003 15. Les espaces verts sont ainsi perçus comme une piste prometteuse pour réduire l’exposition locale aux températures chaudes, d’autant qu’ils génèrent des bénéfices sanitaires plus larges et de mieux en mieux documentés 19.
À une échelle encore plus locale, l’architecture contribue aussi au risque. Par exemple, une bonne isolation thermique du bâtiment divise le risque par cinq, à condition que la ventilation naturelle soit maintenue. L’orientation du logement, la présence de contrevents (occultation des fenêtres par l’extérieur), d’ouverture sur des façades opposées et l’étage font aussi des différences sensibles de température qui s’accentuent fortement en termes de risque de mortalité. À Paris en 2003, habiter sous les toits multipliait le risque de mortalité par quatre 20. Les personnes équipées de climatiseurs individuels sont protégées de la chaleur. En rejetant la chaleur dans la rue, la climatisation individuelle engendre cependant un sur-risque sensible chez ceux qui n’en bénéficient pas, ce qui incline les villes comme Paris à promouvoir des équipements collectifs qui ne présentent pas cet inconvénient 21.
Îlot de chaleur urbain, facteurs de risques et inégalités sociales de santé : une question à développer
Il existe de puissants facteurs personnels (non environnementaux) qui déterminent le risque, à commencer par l’âge 22, certaines maladies chroniques 23 et la précarité socioéconomique 24. Certains facteurs environnementaux comme l’exposition plus forte à la pollution atmosphérique, les conditions de logement ou l’accès à la climatisation sont directement influencés par le niveau socioéconomique des populations 25,26. Les interactions entre ces déterminants restent cependant complexes. Par exemple, à Paris, les quartiers avec une part plus élevée de personnes âgées ont connu un impact plus faible pendant la vague de chaleur de 2003, suggérant que la capacité socioéconomique pouvait compenser la vulnérabilité liée à l’âge 27. Une analyse spatio-temporelle des impacts des températures extrêmes sur la mortalité des personnes âgées de plus de 65 ans, menée à Paris à une échelle très fine, a mis en évidence que la majorité de la surmortalité pendant des jours définis comme vagues de chaleur survenait surtout dans certains quartiers de l’est de la ville, mettant en évidence des cas groupés de mortalité liée à la chaleur. Il a aussi pu être montré que ces cas étaient associés à une proportion importante de personnes de nationalité étrangère (i.e. indiquant un possible manque d’accès aux soins et souvent l’appartenance à une catégorie sociale défavorisée), à une exposition chronique plus forte aux particules fines et au manque d’espaces verts 28.
Dans la littérature, plusieurs travaux ont tenté d’estimer et de cartographier la vulnérabilité à la chaleur en combinant les facteurs de risques environnementaux et sociaux à une échelle géographique fine, afin d’orienter les actions de prévention. Un atelier organisé en 2013 par l’Institut de veille sanitaire avait recensé plusieurs de ces travaux 29 en mettant en lumière le manque de dialogue entre les communautés de la santé et de l’urbanisme ainsi que, concrètement, le manque de définition partagée et standardisée de la vulnérabilité et l’absence de guide pour la sélection des variables à cartographier.
Faire converger les actions locales et les actions nationales
Un premier recensement initié par Santé publique France a permis d’identifier une dizaine de villes engagées sur des dispositifs originaux de protection des personnes vulnérables et sur la mise à disposition de lieux rafraichis en cas de canicule. Les maires prennent aussi conscience de l’importance de l’aménagement 10 pour la santé. Les projets d’aménagement des villes (Paris, Lyon, Grenoble, Lille…) intègrent de plus en plus des objectifs spécifiques de réduction des MICU. S’agissant le plus souvent de la création d’espaces verts irrigués ou de toitures et murs végétalisés, le mérite de ces projets ne se limite pas à la réduction du risque caniculaire : ils améliorent le bien-être des populations et l’attractivité des villes. La formation des élus et des personnels territoriaux est un point fondamental qui conditionnera la vitesse du déploiement des pratiques d’aménagement vertueuses. L’offre de formation, encore émergente, reste à développer entre les parties prenantes de l’adaptation au changement climatique et les organismes de formation professionnelle concernés.
La diversité des réponses apportées par les villes au défi des changements climatiques émane en partie de la diversité des situations locales, en termes de taille de l’agglomération, de situation géographique, de ressources, d’organisation des institutions impliquées. La mise en commun des questions et la comparaison des solutions expérimentées par les communes en vue de dégager un ensemble de bonnes pratiques sont à encourager comme une piste majeure de progrès dans la prévention des effets sanitaires de la canicule. Le développement d’expérimentations collaboratives entre les collectivités territoriales et les épidémiologistes est une nécessité pour l’acquisition de connaissances spécifiques comme les variations infra urbaine de la relation température-mortalité. La connaissance de cette relation permettrait aux décideurs locaux de mieux prévoir la géographie du risque canicule au sein de la ville à des fins de prévention, qu’il s’agisse de mesures d’urgence ou d’aménagements séculaires.