Évaluation de la réactivité du dispositif de surveillance syndromique des effets liés à la chaleur : étude pilote en Occitanie (France) et perspectives
// Evaluation of the responsiveness of the syndromic surveillance system for heat-related effects: pilot study in the Occitanie region (France) and perspectives
Résumé
Les données du réseau OSCOUR® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) sont exploitées par Santé publique France dans le cadre du système d’alerte canicule et santé (Sacs) pour estimer l’impact sanitaire des vagues de chaleur. L’objectif de cette étude était d’évaluer la capacité de ce système de surveillance à estimer, de façon fiable et robuste, l’impact sanitaire d’une alerte météorologique en région Occitanie.
Les résumés de passage aux urgences (RPU) des 66 structures d’urgence de la région Occitanie ont été recueillis quotidiennement du 2 juin au 8 septembre 2017 pour évaluer la complétude des diagnostics (taux de remplissage), la réactivité (de J+1 à J+8 de la date des passages) et la stabilité du système de surveillance, en se focalisant sur les pathologies liées à la chaleur. Des critères de qualité de transmission et de complétude ont également été proposés pour classer les départements en fonction de leur capacité à fournir une information complète et réactive.
Les résultats montrent que l’utilisation des indicateurs syndromiques le lendemain d’une alerte canicule conduirait, au niveau régional, à une sous-estimation de 35 à 40% de la mesure de l’impact sanitaire de cet évènement (nombre de passages et d’hospitalisations aux urgences pour pathologies en lien avec la chaleur) et que le temps de consolidation des données est d’environ 2 à 3 jours. Néanmoins, des disparités existent entre les départements et, pour cinq d’entre eux, une estimation de l’impact sanitaire lié à un épisode de chaleur peut être considérée comme fiable dès le lendemain de son démarrage. Le suivi de la proportion des passages pour pathologies liées à la chaleur est en revanche un indicateur fiable et robuste dès le lendemain d’un évènement pour l’ensemble de la région.
Cette étude apporte des éléments utiles à l’interprétation des données de surveillance syndromique en temps réel et donne des pistes d’amélioration de la qualité des données dans le cadre des travaux à poursuivre en lien avec la Fédération des observatoires des urgences (FedORU).
Abstract
Data from the OSCOUR® network (Organization of the coordinated surveillance of emergency departments) are used by Santé publique France as part of the dedicated Health and Heatwave Alert System (SACS) to estimate the health impact of heat waves. The objective of this study was to evaluate the capacity of the syndromic surveillance system using OSCOUR® data at a regional level to reliably and robustly produce a reactive estimate of the health impact related to weather alerts in Occitanie.
Medical records of the 66 emergency departments in the Occitanie region were collected daily from 2 June to 8 September 2017. They were used to assess the completeness of attendances containing a valid diagnosis code (filling rate), the reactivity (from D+1 to D+8 of the date of attendance), and the stability of transmissions to OSCOUR® network focusing on heat related illnesses. Transmission and completeness criteria were also proposed to rank Occitanie departments according to their ability to provide complete and responsive information.
The results show that the use of syndromic indicators the day after a heatwave alert would lead, at the regional level, to an underestimate of 35 to 40% of the estimate of the health impact of this event (number of attendances and hospitalizations for heat-related diseases), and the data consolidation delay is approximately 2 to 3 days. Nevertheless, disparities exist between the Occitanie departments and for 5 of them, an estimate of the health impact related to a heatwave can be considered as reliable the day after its start. On the other hand, monitoring the proportion of attendances for heat-related illness among all the attendances with an informed diagnosis is a reliable and robust indicator the day after the heatwave start for the entire region.
This study provides useful elements for the interpretation of syndromic surveillance data in real time and provides suggestions for improving data quality as part of the work to be followed in connection with FedORU (Federation of Emergency Departments Observatories).
Introduction
Le dispositif de Surveillance sanitaire des urgences et des décès (SurSaUD®), piloté par Santé publique France, repose en partie sur l’exploitation des résumés de passage aux urgences (RPU) transmis quotidiennement par les structures participant au réseau OSCOUR® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences) 1,2.
Parmi ces RPU, ceux disposant d’un code de diagnostic valide selon la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10) permettent de constituer des indicateurs syndromiques. Ces indicateurs sont utilisés pour mesurer de manière réactive l’impact sur la santé des maladies infectieuses ou des événements environnementaux attendus ou inattendus, comme les vagues de chaleur 3. La finalité de santé publique d’un tel système de surveillance syndromique en temps réel est de fournir aux pouvoirs publics et aux acteurs de terrains des informations fiables, représentatives et réactives sur l’état de santé de la population, afin de guider les mesures de gestion et de prévention.
À cet effet, depuis 2004, à chaque période estivale (du 1er juin au 31 août), les RPU sont utilisés dans un système d’alerte dédié à la surveillance des pathologies liées à la chaleur, le système alerte canicule et santé (Sacs) 4,5 ; depuis 2010, des indicateurs syndromiques en lien avec la chaleur ont été définis et sont suivis chaque été. Ce système s’inscrit dans le plan national canicule (PNC) qui définit, en accord avec les prévisions météorologiques de Météo-France, quatre niveaux de vigilance pour le renforcement des mesures de prévention, de communication et de gestion : vert (1-veille saisonnière), jaune (2-avertissement chaleur), orange (3-alerte canicule) et rouge (4-mobilisation maximale). En fonction du niveau de vigilance, la fréquence des analyses des indicateurs syndromiques est adaptée : rythme hebdomadaire pour le niveau vert, rythme quotidien pour les niveaux jaune, orange et rouge. La réactivité du système de surveillance est donc un critère important pour fournir des indicateurs fiables au quotidien.
Depuis 2014, les structures d’urgences sont tenues de procéder à la transmission quotidienne des RPU 6. Pour autant, la transmission est encore variable d’une structure à l’autre 7. À ce jour, les conséquences de cette variabilité de transmission sur l’estimation de l’impact sanitaire en temps quasi-réel dans le cadre du Sacs (niveaux de vigilance orange et rouge principalement) n’ont jamais été décrites.
L’objectif principal de cette étude était d’évaluer la capacité du système de surveillance syndromique à produire de manière fiable et robuste une estimation réactive de l’impact sanitaire lié aux vagues de chaleur survenues durant l’été 2017 en Occitanie. Deux objectifs spécifiques ont été définis pour y parvenir : (i) estimer la proportion de RPU avec un diagnostic principal renseigné, (ii) évaluer la réactivité et la stabilité des transmissions entre le lendemain (J+1) et jusqu’à 8 jours (J+8) après la date du passage.
Méthodes
Zone et période d’étude
La zone d’étude correspond à la région Occitanie (13 départements, 66 structures d’urgence) et la période d’étude est de 92 jours (du 1er juin au 31 août 2017).
Sources de données et indicateurs
Les données transmises au réseau OSCOUR® et disponibles à Santé publique France ont été utilisées. Parmi elles, le nombre de RPU disposant d’un diagnostic principal renseigné a été estimé pour chaque jour de la période et pour chaque établissement de la zone d’étude.
Selon les dispositions du Sacs 2017, les pathologies en lien avec la chaleur (PLC) ont été comptabilisées à partir des RPU comportant les diagnostics suivants : « hypovolémie », « hypo-osmolarité », « hyponatrémie », « effet de chaleur et de lumière » ou « exposition à une chaleur excessive naturelle » 5. Trois indicateurs associés aux RPU et disposant d’un diagnostic correspondant à une PLC (RPUPLC) ont été pris en compte : le nombre de RPUPLC correspondant aux effectifs de passages (tous âges et 75 ans ou plus), le nombre de RPUPLC avec hospitalisation après passages (chez les 75 ans ou plus) et la proportion de RPUPLC parmi l’ensemble des RPU disposant d’un diagnostic renseigné (tous âges et 75 ans ou plus).
Trois critères d’évaluation, issus des recommandations des Centers for Disease Control and Prevention (CDC, États-Unis) 8, ont été utilisés : la complétude des diagnostics (taux de codage des diagnostics), la réactivité (vitesse de remontée des informations dans le système de surveillance) et la stabilité (constance de la transmission des données).
La complétude des PLC a été estimée à partir des RPUPLC pour chaque jour de la semaine suivant la date de passage aux urgences (entre J+1 et J+8) en utilisant les données collectées quotidiennement durant la période d’étude (1) et les données consolidées (2) (voir équation et figure 1).
Équation :
La réactivité et la stabilité des transmissions quotidiennes ont été analysées pour les jours suivant la date de passage aux urgences de J+1 à J+8.
L’étude a également porté sur la comparaison des proportions des RPUPLC estimées à J+1 et à J+8.
Les analyses de données ont été réalisées à l’aide du logiciel R 9.
Résultats
Complétude et réactivité de la transmission des diagnostics
Pour l’ensemble de la période du 1er juin au 31 août 2017, 76,3% des RPU de la région Occitanie disposaient d’un diagnostic renseigné (toutes causes) et pouvaient être utilisés par le dispositif de surveillance syndromique (soit 371 155 RPU disposant d’un diagnostic principal codé). Selon les départements, la complétude des RPU (toutes causes) variait de 0,8% à 95,1%, avec pour certains une forte hétérogénéité infra-départementale liée aux transmissions des structures d’urgence elles-mêmes. La complétude médiane des RPU (toutes causes) au niveau régional était de 52,2% à J+1, de 70,7% à J+2 et de 74,1% à J+3.
Parmi les RPU avec un diagnostic renseigné quotidiennement à l’échelle régionale, 59,5% des RPUPLC étaient disponibles à J+1 (figure 2, barres bleues foncées), 87,1% à J+2 et 91,2% à J+3.
La médiane de la complétude des RPUPLC (tous âges) était de 63,1% à J+1, de 94,4% à J+2 et de 100% à J+3 (figure 3a). Chez les 75 ans et plus, que ce soit pour les RPUPLC avec ou sans hospitalisation après passage pour PLC, celle-ci a été estimée à 60,0 % à J+1 et 100 % dès J+2 (figure 3b et 3c).
En revanche, les proportions quotidiennes de RPUPLC (parmi l’ensemble des RPU disposant d’un diagnostic codé) montraient une bonne corrélation entre les indicateurs estimés à J+1 et ceux consolidés à J+8 (figure 4). Cette observation a été vérifiée la plupart du temps, malgré quelques différences remarquables le 14 juillet pour l’ensemble de la population et les 7 et 8 juillet pour les 75 ans ou plus.
Discussion
Estimation des indicateurs associés aux PLC
Les analyses réalisées sur trois indicateurs syndromiques du Sacs 2017 en Occitanie ont montré que ces indicateurs étaient consolidés à l’échelle régionale en deux (médiane=94,4%) à trois jours (médiane=100%). L’augmentation du nombre de RPUPLC détectables par le système de J+1 à J+8 suit la même tendance que la complétude des RPU toutes causes (70,7% à J+2 ; 74,1% à J+3). Cependant, il n’est actuellement pas possible de redresser le nombre de RPUPLC pour estimer l’effectif total de PLC réellement observé en Occitanie en l’absence de corrélation entre la complétude des RPU toutes causes et la complétude des RPUPLC (coefficient de corrélation de Pearson de l’ordre de 0,3). En d’autres termes, il n’est pas possible d’estimer, parmi les 25% de RPU dont le diagnostic n’est pas renseigné à J+3, la part de ceux pouvant correspondre à des PLC.
En considérant ce temps de consolidation, l’estimation de l’impact sanitaire à partir des effectifs de passage et des effectifs d’hospitalisations après passage était sous-estimée à J+1 de 35 à 40% sur au moins la moitié de la période d’étude. Par conséquent, l’interprétation de ces indicateurs le lendemain de la survenue d’un évènement caniculaire doit tenir compte de la sous-estimation de son impact sanitaire. Les erreurs d’interprétation s’estompent à J+2 ou J+3. Ces observations étaient vérifiées pour les deux types de populations étudiées (tous âges et 75 ans ou plus).
En revanche, une bonne corrélation entre la proportion de RPUPLC estimée à J+1 et celle obtenue à J+8 était observée. L’utilisation de la proportion de passages pour PLC au lendemain de la survenue d’un événement climatique n’entrainerait donc pas de biais dans la mesure de l’évolution de son impact sanitaire.
De manière plus globale, la mesure de l’impact sanitaire lié à la chaleur, comme potentiellement de tout autre événement, apparaissait comme non pertinente sur certains départements pour lesquels la part de RPU comportant un diagnostic codé était faible.
Recommandations pour la surveillance syndromique
Bien que cette étude ait été conduite sur une période de trois mois en Occitanie, ses résultats soulignent la nécessité d’améliorer la complétude et la réactivité du réseau OSCOUR® pour la surveillance syndromique en temps réel à l’échelle régionale.
Des travaux complémentaires réalisés en Occitanie ont permis d’évaluer la pertinence d’utiliser les données des structures d’urgences en fonction du délai entre le jour de passage et l’exploitation de la donnée dans le cadre de SurSaUD®, en se basant sur la qualité de leurs transmissions au réseau OSCOUR® 10. Une grille d’analyse, qui permet de classer les entités étudiées (départements, structures d’urgences,…) selon la qualité de transmissions, est proposée. Compte tenu des effectifs « faibles » liés aux PLC au niveau départemental en Occitanie, nous nous sommes abstenus de proposer ce type de démarche dans cet article.
Toutefois, l’amélioration du système nécessite un suivi de la qualité des données transmises par chaque structure d’urgence et l’identification, en partenariat avec les Observatoires régionaux des urgences (ORU), des contraintes techniques et organisationnelles qui leur sont spécifiques.
Enfin, cette évaluation ne porte pas sur la qualité intrinsèque de codage des diagnostics ni sur la validité des diagnostics codés par les professionnels de santé procédant au remplissage des RPU. Une telle évaluation nécessiterait une étude spécifique approfondie.
À la suite de cette étude pilote régionale, la méthode est en cours d’implémentation à l’échelle nationale, et l’ensemble des régions bénéficieront de ces analyses d’ici fin 2018. La restitution de ces données est prévue via un outil R Shiny alimenté à chaque analyse, et des bilans régionaux seront disponibles pour être diffusés aux partenaires régionaux (ORU, Agences régionales de santé).
Conclusions
Les analyses menées pour la période estivale 2017 avaient pour objectif d’évaluer, d’une part, la complétude des données transmises au réseau OSCOUR® en Occitanie et, d’autre part, de déceler les biais dans l’interprétation des indicateurs produits par le système de surveillance syndromique.
Concernant les indicateurs syndromiques associés aux PLC, les résultats de cette étude suggèrent que leur utilisation à des fins de gestion ou de communication était raisonnable dès J+2/J+3 pour les effectifs de passages et d’hospitalisations après passage, et dès J+1 pour la proportion de passages parmi ceux disposant d’un diagnostic codé.
Plus généralement, l’amélioration de la qualité des données transmises à Santé publique France à des fins de surveillance syndromique peut être considérée comme faisant partie d’un travail à mener en partenariat avec la Fédération des observatoires des urgences FedORU.
Remerciements
Aux Observatoires régionaux des urgences de la région Occitanie ; à Cécile Durand, Santé publique France, Cire Occitanie.