Évolution des vagues de chaleur et de la mortalité associée en France, 2004-2014
// Evolution of heat waves and associated mortality in France, 2004-2014
Résumé
Introduction –
Suite à la vague de chaleur de 2003, la France a mis en place un plan national canicule destiné à réduire les impacts sanitaires des vagues de chaleur. L’objectif de cette étude est de décrire la surmortalité observée pendant les vagues de chaleur survenues depuis la mise en place de ce plan.
Méthode –
Une vague de chaleur est définie comme une période où les températures minimum et maximum, moyennées sur trois jours, atteignent ou dépassent simultanément des seuils d’alerte départementaux. La surmortalité est estimée comme la différence entre la mortalité observée durant la vague de chaleur plus les trois jours suivants et une mortalité de référence calculée pour les mêmes jours des années précédentes.
Résultats –
Entre 2004 et 2014, 196 vagues de chaleur ont été identifiées au niveau départemental. Une surmortalité de moins de 10% a été observée pour la majorité d’entre elles. Toutefois, une surmortalité de près de 40% a été relevée pour certaines vagues de chaleur, et l’impact total est important : 1 562 décès en excès sur l’ensemble des périodes de dépassement des seuils, la majorité de ces décès en excès ayant été observée en 2006.
Conclusion –
Dans les prochaines années, la multiplication des vagues de chaleur, qui semble inévitable, incite à inscrire la prévention dans une démarche plus large d’adaptation au changement climatique.
Abstract
Introduction –
Following the heat wave of 2003, France implemented the National Heat Wave Plan to reduce the health impacts of heat waves. This study aimed at proposing a descriptive analysis of the excess mortality observed during heat waves since the implementation of this plan.
Method –
A heat wave is defined as a period when the minimum and maximum temperatures, averaged over three days, simultaneously reach or exceed departmental alert thresholds. Excess mortality is estimated as the difference between the mortality observed during the heat wave and the following three days, and a reference mortality calculated for the same days of previous years.
Results –
Between 2004 and 2014, 196 departmental heat waves were identified. Excess mortality of less than 10% was observed for the majority of heat waves. However, an excess mortality of nearly 40% was observed for some heat waves, and the total impact was significant: 1,562 deaths in excess over periods of threshold exceedance, the majority of these deaths in excess being observed in 2006.
Conclusion –
In the coming years, the increasing number of heat waves seems inevitable and prompts the inclusion of prevention in a broader approach to adaptation to climate change.
Introduction
La vague de chaleur exceptionnelle de l’été 2003 a entraîné une surmortalité estimée à près de 15 000 décès entre le 1er et le 20 août 2003 1. Suite à cet épisode et dès 2004, la France a mis en place un plan national canicule (PNC), destiné à réduire les impacts sanitaires des vagues de chaleur. Ce plan s’appuie sur le système d’alerte canicule et santé (Sacs) piloté par Santé publique France, dont l’objectif est d’anticiper les vagues de chaleur susceptibles d’avoir un impact sanitaire majeur. Chaque jour, dans chaque département métropolitain, le niveau de risque est évalué par Météo-France en comparant les prévisions d’indicateurs météorologiques avec des seuils d’alerte départementaux. Ces seuils ont été définis sur la base d’une analyse historique et visent à anticiper des vagues de chaleur susceptibles d’être associées à une surmortalité d’au moins 50% 2,3. Si les prévisions des indicateurs météorologiques indiquent un risque suffisamment élevé d’atteindre ou de dépasser les seuils d’alerte sur une période minimale de trois jours, une alerte peut être déclenchée par le préfet du département. Parallèlement, la surveillance d’indicateurs sanitaires (décès, appels à SOS Médecins, fréquentation des services d’urgences hospitaliers toutes causes et pour des pathologies en lien avec la chaleur) permet d’apprécier l’impact éventuel pour que les services concernés (santé, gestion, communication, etc.) puissent ajuster les mesures de gestion 4 (voir l’article de M. Pascal et coll. dans ce numéro).
Les périodes d’alerte canicule sont donc anticipées à partir de prévisions météorologiques et d’une analyse de la situation menée par différents acteurs (Météo-France, préfets, Santé publique France) afin de protéger au mieux la population. Elles sont souvent plus longues que les périodes de dépassements effectifs des seuils d’alerte. Il est donc intéressant de réaliser des bilans sur des périodes définies par l’observation des dépassements pour compléter les bilans réalisés chaque été.
L’objectif de cette étude est de réaliser un bilan descriptif de l’ensemble de la surmortalité observée pendant les vagues de chaleur depuis la mise en place du PNC.
Méthode
Les analyses ont porté sur la mortalité journalière toutes causes et tous âges, obtenue auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (CepiDC) pour chaque département et pour chaque année de 2004 à 2014. Les températures minimales et maximales journalières ont été obtenues auprès de Météo-France pour la même période pour chacune des stations départementales de référence du Sacs. Ces stations sont choisies par Météo-France sur des critères de qualité de mesure, d’homogénéité de la série de données sur plusieurs années et de représentativité de l’exposition de la majorité de la population du département.
La définition d’une vague de chaleur correspond à celle du Sacs. Le début d’une vague de chaleur correspond au premier jour où les indicateurs météorologiques du Sacs (moyenne sur trois jours glissants des températures minimales et maximales) ont atteint ou dépassé les seuils d’alerte (figure 1). La fin d’une vague de chaleur est le dernier jour d’atteinte ou de dépassement de ces seuils. S’agissant d’un objectif descriptif, les périodes sont calculées sur des températures observées et non sur des prévisions. Il peut donc y avoir des différences entre les périodes identifiées dans cet article et celles pendant lesquelles des alertes canicules ont réellement eu lieu. Enfin, le Sacs ayant connu quelques évolutions pour prendre en compte des ajustements ponctuels, les stations de référence et les seuils utilisés ici sont ceux de 2016. Par la suite, dans un souci de simplification, l’expression « vague de chaleur » est utilisée au sens de « vague de chaleur selon les critères du Sacs 2016 appliqués aux températures observées, à l’échelle départementale ».
La surmortalité est calculée sur la durée de la vague de chaleur plus trois jours pour prendre en compte d’éventuels effets décalés 5,6. Elle correspond à la différence entre la mortalité observée et la moyenne des décès observés pendant la même période sur les N années précédentes. Si des vagues de chaleur sont identifiées dans ces années, elles sont exclues du calcul de la mortalité de référence. Plusieurs valeurs de N, entre 1 et 5 ans, sont utilisées, ce qui permet d’apprécier la sensibilité de l’estimation par rapport au choix de la référence et de fournir une valeur centrale (moyenne des valeurs obtenues) et une fourchette des estimations (minimum et maximum des valeurs obtenues) 4.
Résultats
De 2004 à 2014, 196 vagues de chaleur ont été identifiées. Une même année, plusieurs vagues de chaleur ont pu être observées dans un même département et 18 départements n’ont connu aucune vague de chaleur sur cette période. Des vagues de chaleur sont observées chaque année, mais 2006 se distingue avec 76 vagues de chaleur réparties sur 65 départements (tableau 1).
Les départements des Alpes-Maritimes (06) et du Rhône (69) ont été les plus impactés, avec respectivement 8 vagues de chaleur d’une durée totale de 42 jours et 10 vagues de chaleur correspondant à 58 jours (figure 2).
Au total, 101 vagues de chaleur ont duré 3 jours, 66 ont persisté de 4 à 7 jours et 29 de 8 à 12 jours. Les plus longues (12 jours) ont été relevées dans les départements des Landes (40), du Rhône (69), de Paris (75), des Hauts-de-Seine (92), de Seine-Saint-Denis (93) et du Val-de-Marne (94) en 2006.
Sur l’ensemble des 196 vagues de chaleur, une surmortalité de 1 562 ([Min: 364; Max: 2 808]) décès a été observée. La majorité de ces décès en excès concerne l’année 2006, avec 1 011 [Min: 538; Max: 1 613] décès en excès, soit 65% de la totalité des décès en excès (tableau 1).
Une surmortalité de moins de 10% a été observée pour les deux tiers des vagues de chaleur (125 sur 196). Aucune surmortalité supérieure à 50% n’a été constatée (tableau 2).
Les vagues de chaleur associées aux plus forts impacts sont décrites dans le tableau 3. La plupart de ces épisodes se sont produits en 2006 et étaient plutôt de courte durée (3 à 8 jours).
Discussion
Entre 2004 et 2014, 196 vagues de chaleur ont été identifiées dans les départements de France métropolitaine. Elles correspondent à des épisodes où l’on s’attend a priori à observer une surmortalité en lien avec la chaleur. Une surmortalité de moins de 10% est observée pour la majorité des épisodes, et aucune surmortalité supérieure à 50% n’a été relevée. Une surmortalité de près de 40% est toutefois observée pour certaines vagues de chaleur. L’impact total en termes de décès est important, avec 1 562 décès en excès sur l’ensemble de la période, en majorité survenus en 2006.
Ces estimations sont différentes de celles qui ont pu être produites dans d’autres études, notamment pour 2006 7. Le choix fait ici était de restreindre les périodes et les zones aux départements et aux jours de dépassements effectifs des seuils d’alertes. La température ayant un impact dès les chaleurs modérées 5, un impact plus important est attendu lorsqu’on étend la période et la zone d’étude. La définition des vagues de chaleur utilisée ici ne quantifie que l’impact des évènements a priori les plus graves, mais pas l’impact total de la chaleur. Elle s’inscrit dans une logique d’alerte, justifiée par une « rupture » observée entre l’impact de la chaleur ordinaire, des fortes chaleurs et des évènements les plus extrêmes, qui justifient la mise en place d’actions ciblées sur les évènements les plus intenses. Une étude menée sur 18 villes métropolitaines pour la période 2000-2010 a ainsi mis en évidence une augmentation de la mortalité dans les trois premiers jours suivant une température modérée (températures comprises entre les percentiles 75 et 90 environ), suivie par une sous-mortalité ou « effet moisson » dans les 21 jours suivants. Cet effet moisson diminue pour des chaleurs plus intenses (> percentiles 90) et finit par disparaître complètement pour la chaleur très intense (> percentiles 99,8) 5.
La méthode utilisée pour estimer la surmortalité observée pendant les vagues de chaleur ne permet pas de quantifier la surmortalité attribuable aux températures. La limite de cette méthode est de supposer par ailleurs qu’aussi bien l’effectif de la population que ses taux de mortalité n’ont pas évolué au cours des N années précédentes. Ces hypothèses peuvent, sur une courte période, être approximativement justifiées.
D’autre part, ce type d’étude ne permet pas de conclure dans quelle mesure le PNC permet de diminuer la surmortalité pendant ces épisodes. L’évaluation de l’efficacité du PNC ne peut être réalisée uniquement en comparant et en décrivant l’impact sur la mortalité des vagues de chaleur successives. Chaque épisode présente en effet trop de spécificités (précocité, intensité, historique des évènements précédents, mesures mises en œuvre) pour que des différences entre épisodes puissent être interprétées de manière simple. Un ensemble d’études complémentaires devrait être mis en œuvre pour mesurer l’efficacité en terme d’acceptabilité, de mesures mises en œuvre, d’impact sur le recours aux soins, sur la mortalité et sur la modification de la relation température-mortalité.
Depuis la mise en œuvre du PNC, aucune vague de chaleur équivalente à celle de 2003 n’est survenue. À l’échelle nationale, la plus sévère a été observée du 10 au 30 juillet 2006. Elle est aussi la deuxième plus longue période de chaleur après celle du 9 au 31 juillet 1983 (figure 3). Depuis 2004, on observe une extension géographique et calendaire des vagues de chaleur. Depuis 2014, trois étés atypiques se sont ainsi succédé. En 2015, la France a connu trois épisodes caniculaires, dont le premier marqué par sa précocité (29 juin-8 juillet), son intensité avec des températures maximales qui ont souvent dépassé 35°C, avec des pointes à 40°C, et son étendue avec 42 départements concernés. En 2016, pour la première fois, il a été nécessaire de prolonger l’activation du dispositif jusqu’au 15 septembre. L’été 2017 s’est quant à lui caractérisé par une vague de chaleur précoce (18-22 juin) et 67 départements en vigilance orange au plus fort de l’épisode. En 2017, certains départements ont été placés en vigilance orange pour la première fois depuis la mise en place du PNC, comme par exemple la Corse, qui a connu en 2017 une vague de chaleur plus intense qu’en 2003. La surmortalité observée lors de ces vagues de chaleur a fait l’objet de premières estimations sur la base d’un échantillon de 3 000 communes. Les résultats, qui devront être confirmés avec les données du CepiDC, semblent montrer un impact important en 2015 (voir l’article de M. Pascal et coll. dans ce numéro).
Selon les scénarios d’émission de gaz à effet de serre (GES) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), l’intensité, la durée et surtout la période de survenue des vagues de chaleur évolueront plus ou moins rapidement. Pour l’horizon 2021-2050, il y a peu de différence entre les scénarii. Au-delà de 2050, les vagues de chaleur seront, en cas d’accroissement des GES, plus intenses, plus durables, plus précoces (dès le mois de mai) et/ou plus tardives (jusqu’en octobre). Ainsi, sous le scénario le plus pessimiste envisagé par le Giec (RCP 8.5), les vagues de chaleur pourraient devenir deux à trois fois plus nombreuses d’ici le milieu du XXIe siècle, puis cinq à six fois plus nombreuses à la fin du siècle. Un peu moins de 10% des vagues de chaleur observées pourraient être au moins aussi sévères que celle de 2003 au milieu du XXIe siècle. À la fin du XXIe siècle, plus de 10% des vagues de chaleur pourraient être nettement plus sévères que la vague de chaleur 2003 (figure 4).
On pourrait ainsi observer en moyenne à l’horizon 2021-2050 :
–près d’une vague de chaleur par an ;
–un épisode au moins aussi sévère qu’en 2015 tous les trois ans ;
–une vague de chaleur au moins aussi sévère qu’en 2006 tous les huit ans ;
–une vague de chaleur au moins aussi sévère qu’en 2003 tous les quinze ans.
Et à l’horizon 2050-2100 :
–presque trois vagues de chaleur par an ;
–presque deux épisodes au moins aussi sévères qu’en 2015 par an ;
–une vague de chaleur au moins aussi sévère qu’en 2006 tous les ans ;
–une vague de chaleur au moins aussi sévère qu’en 2003 plus d’une année sur deux.
Dans les prochaines années, la multiplication des vagues de chaleur semble donc inévitable et incite à inscrire la prévention de leurs impacts sanitaires dans une démarche plus large d’adaptation au changement climatique.