Comparaison des méthodes et des questions utilisées pour suivre l’adaptation face aux épisodes de chaleurs élevées en France et au Québec

// Comparison of methods and questions used to monitor adaptation to high summer temperatures in France and Quebec

Pierre Valois1 (Pierre.Valois@fse.ulaval.ca), Karine Laaidi2, Johann Jacob1, Pascal Beaudeau2
1 Observatoire québécois de l’adaptation aux changements climatiques, Faculté des Sciences de l’Éducation, Université Laval, Québec (QC), Canada.
2 Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 16.02.2018 // Date of submission : 02.16.2018
Mots-clés : Adaptation aux changements climatiques | Canicule | Indices | Éducation à la santé
Keywords: Climate change adaptation | Heatwave | Indices | Health education

Résumé

Introduction –

En raison des impacts sanitaires croissants sur la population, résultant des changements climatiques, il existe un réel besoin de déterminer si les mesures d’adaptation à la chaleur promues par les autorités de santé publique sont adoptées par les populations et les structures concernées.

Matériel-méthodes –

Cet article fait le point sur les approches adoptées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), via l’Observatoire québécois de l’adaptation aux changements climatiques (OQACC), et par Santé publique France pour caractériser les comportements d’adaptation à la chaleur et la perception du risque lié à cet aléa. À l’aide d’une analyse de fonctionnement différentiel d’items (differential item functioning), certains énoncés des questionnaires utilisés dans les deux pays sont ensuite comparés.

Résultats –

Sur le plan des variables investiguées, les deux approches s’intéressent : 1) aux attitudes vis-à-vis d’un comportement ou d’une intervention d’adaptation aux changements climatiques ; 2) aux pressions perçues ou pressenties pour agir ; 3) aux perceptions relatives aux enjeux de l’adoption de comportements adéquats ; 4) à la vulnérabilité pressentie ; 5) à la gravité perçue des risques et à l’efficacité estimée d’un comportement ou d’une intervention d’adaptation. Si l’approche de Santé publique France se veut descriptive, l’objectif de l’approche québécoise est de développer des indices dédiés au suivi temporel de l’adaptation et d’identifier les déterminants psychosociaux de l’adoption de ces comportements d’adaptation. Une comparaison France-Québec a aussi été faite via une analyse du fonctionnement différentiel d’items sur les questions mesurant, dans les deux études en population, des comportements similaires d’adaptation à la chaleur.

Discussion-conclusion –

Les analyses de fonctionnement différentiel d’items ont permis d’illustrer que des questions formulées de manière très similaire pouvaient mener à des résultats divergents selon le contexte culturel, d’où une certaine prudence avant de retenir des comportements d’adaptation utilisés dans un autre contexte culturel. Tant les travaux de Santé publique France que de l’OQACC concourent à rendre davantage concret le concept d’adaptation aux changements climatiques et contribuent à en améliorer la mesure à différentes échelles populationnelles et spatiales.

Abstract

Introduction –

Due to the increasing health impacts of climate change on the population, there is a real need to determine whether the adaptation measures promoted by public health authorities are taken by the populations and organizations concerned.

Material-methods –

This article describes the approaches adopted by the National Public Health Institute of Quebec (INSPQ) via the Quebec Observatory on Climate Change Adaptation (OQACC), and by the French public health agency (Santé publique France), to characterize the heat adaptation behaviors and the perception of risk related to this hazard. Through a differential item functioning analysis, some statements from the questionnaires used in both countries are then compared.

Results –

In terms of investigated variables, both approaches pertain to: 1) the attitudes toward a behavior or an intervention relating to climate change adaptation; 2) the perceived or sensed pressure to act; 3) the perceptions of the issues related to adopting appropriate behaviors; 4) the sensed vulnerability; 5) the perceived severity of the risks and the estimated effectiveness of an adaptive behavior or intervention. Whereas the French approach is intended to be descriptive, the objective of the Quebec approach is to develop valid indices dedicated to monitoring adaptation over time and to identify the psychosocial determinants of the adoption of these adaptive behaviors. A France-Quebec comparison was also made via a differential item functioning analysis on the questions measuring similar heat adaptation behaviors in the two population-based studies.

Discussion-conclusion –

The differential item functioning analyses illustrated that very similarly worded questions could lead to divergent results depending on the cultural context, hence the use of some caution before selecting adaptive behaviors used in another cultural context. The research by both Santé publique France and the OQACC help to crystallize the concept of climate change adaptation and to improve its measurement at various population and spatial levels.

Introduction

Le caractère inéluctable du réchauffement du système climatique faisant de moins en moins l’objet de débats, il est attendu que des aléas climatiques plus fréquents comme les vagues de chaleur se traduisent par des impacts sanitaires plus importants sur la population 1. Cette plus grande occurrence des vagues de chaleur se traduira par d’importants impacts au niveau des populations, notamment par une augmentation du nombre de décès prématurés causés par la chaleur 2, des épisodes d’épuisement et de coups de chaleur 3 et des recours aux services d’urgence 4. Enfin, en raison de leur environnement propice à la création d’îlots de chaleur, particulièrement lorsqu’il fait très chaud et, en ce qui concerne surtout le Québec, très humide, les habitants des villes auront davantage de risques de subir ces effets 5.

Avec le développement, au cours des dernières années, de nombreuses initiatives d’adaptation des populations à la chaleur, il existe un réel besoin de déterminer si les mesures d’adaptation promues par les autorités de santé publique sont adoptées par les populations et les structures concernées. Bien que rares, quelques études s’intéressant aux facteurs motivant les changements de comportements, tels que le risque, la sévérité des dommages et l’efficacité perçue des comportements, commencent à faire leur apparition dans la littérature sur l’adaptation aux changements climatiques 6.

L’objet de cet article est de faire le point sur les approches adoptées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), via l’Observatoire québécois de l’adaptation aux changements climatiques (OQACC), et Santé publique France pour caractériser les comportements d’adaptation à la chaleur et la perception du risque lié à cet aléa. Il ne s’agit donc pas de présenter les résultats d’études sur le niveau d’adaptation à la chaleur réalisées en France et au Québec ou, en d’autres termes, de vérifier si les Français et les Québécois différent quant au nombre de comportements adoptés pour se protéger de la chaleur. Ces études ont fait l’objet de communications ou publications, dont les références sont présentées plus bas. Cet article vise à mettre en lumière les différences existant, entre ces deux territoires francophones, dans l’approche et les questions utilisées pour mesurer les comportements d’adaptation à la chaleur. Pour bien démontrer l’importance de la prise en compte des différences culturelles dans cette mesure, l’équivalence de quelques questions évaluant des comportements similaires en France et au Québec a fait l’objet d’un traitement statistique.

Au Québec, outre des avertissements d’Environnement Canada, des alertes de chaleur extrême sont émises par l’INSPQ et diffusées par les directions de santé publique des régions touchées, afin de prévenir et de mobiliser les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux. Des seuils d’indicateurs météorologiques à partir desquels une alerte de chaleur extrême est émise sont établis pour chacune des régions du Québec à partir des prévisions des deux ou trois prochains jours et d’une pondération. Les coefficients de pondération ainsi que les seuils de chaleur extrême varient selon les régions. Lorsque les valeurs pondérées des températures prévues atteignent ou dépassent les seuils établis, le Système de surveillance et de prévention des impacts sanitaires des événements météorologiques extrêmes (Supreme) de l’INSPQ envoie des avertissements de chaleur extrême 7.

C’est également à l’initiative de l’INSPQ, responsable de la gestion du volet santé du Plan d’actions sur les changements climatiques (PACC) 2013-2020, que l’OQACC a été créé. Ses objectifs sont de : 1) dresser un portrait exhaustif de l’adaptation à divers aléas climatiques (i.e. les vagues de chaleur et les inondations) dans des sous-groupes populationnels et organisationnels ; 2) mettre en lumière les précurseurs de l’adaptation en étudiant des déterminants de l’adoption de comportements d’adaptation au niveau individuel et organisationnel. L’OQACC poursuivra ces objectifs, de façon à fournir des outils aux autorités de santé publique dans leurs efforts de surveillance de l’adaptation aux changements climatiques. De 2015 à 2017, l’OQACC a mené un certain nombre d’études orientées vers ces objectifs 8,9,10,11,12.

En France, après la canicule d’août 2003, la Direction générale de la santé (DGS) a conçu et mis en place le plan national canicule (PNC) pour prévenir et intervenir plus efficacement lors de périodes de fortes chaleurs. Le plan est décliné en quatre niveaux en lien avec les niveaux de la vigilance météorologique ; c’est le préfet de département qui est en charge de déclencher ou pas l’alerte pour son département. Conçu et actualisé annuellement par un ensemble d’institutions à l’échelle nationale, le plan est ensuite décliné selon les ressources et les besoins de chaque région, département ou municipalité. Les parties prenantes locales sont ainsi les acteurs principaux du PNC. Santé publique France est l’agence nationale de santé publique en charge de la surveillance des effets des canicules. D’abord dirigé vers l’alerte, les dispositifs d’information ont, plus récemment, incorporé des enquêtes sur la mise en œuvre de la prévention au niveau local.

Méthodes

Dans le cas du Québec, le présent article donne un aperçu des travaux menés par l’OQACC sur la surveillance des comportements d’adaptation à la chaleur adoptés sur le plan individuel et organisationnel ainsi que sur l’étude des déterminants psychosociaux de l’adoption de ces comportements. Dans le cas de la France, il présente les travaux menés par Santé publique France à partir de deux études : l’une sur les connaissances, attitudes, croyances et comportements de la population générale 13, et l’autre sur la mise en œuvre de ses recommandations auprès des parties prenantes du PNC 14.

Dans une première section, une analyse comparative des démarches retenues, des populations sondées et des échantillons obtenus, des méthodes de collecte et d’analyse des données sera présentée. Dans une seconde section, une analyse métrologique comparative portera sur les différences culturelles au regard de certaines formulations utilisées dans chaque questionnaire.

Résultats

Analyse comparative des démarches québécoise et française

Le tableau 1 présente les résultats des principales dimensions comparatives des approches québécoise et française quant à la caractérisation des comportements d’adaptation à la chaleur et la perception du risque lié à cet aléa.

Tableau 1 : Résultats de l’analyse comparative des approches françaises et québécoises sur la caractérisation des comportements d’adaptation à la chaleur et la perception du risque lié à cet aléa
Agrandir l'image

Variables investiguées

L’OQACC a jusqu’ici mené cinq études, soit deux auprès de la population générale (septembre à novembre 2015 et novembre à décembre 2016), une auprès des personnes âgées de 65 ans et plus (janvier à février 2017) et deux en milieux organisationnel menées simultanément : municipalités et établissements de santé (juin à septembre 2016). Aucune de ces études n’a été réalisée suite à un épisode caniculaire important.

Ces études reposent principalement sur deux cadres théoriques : 1) la théorie psychosociale de la prédiction des comportements humains, dite du comportement planifié (TCP) 15 ; 2) le modèle des croyances relatives à la santé (Health Belief Model) 16. La TCP postule l’existence de trois variables prédictives de l’intention d’adopter le comportement et du comportement lui-même, à savoir : a) l’attitude vis-à-vis de l’adoption du comportement visé, b) les influences et les pressions perçues ou pressenties pour adopter le comportement et c) la perception ou le sentiment de contrôle vis-à-vis de l’adoption du comportement en question. L’utilité de ce modèle explicatif des comportements dans des contextes variés a maintes fois été démontrée 17, l’auteur d’une revue de la littérature soulignant même qu’il s’agissait, à ce jour, d’un modèle psychosocial qui s’était avéré utile pour mieux comprendre les comportements pro-environnementaux 18.

Le modèle des croyances relatives à la santé a également été employé pour prédire une grande variété de comportements, notamment les actions pour s’adapter et faire face aux menaces et impacts associés aux changements climatiques. Les variables associées à ce modèle sont les suivantes : vulnérabilité perçue, gravité perçue et avantages perçus 16.

Du côté français, dans l’optique d’améliorer le PNC actuel, Santé publique France a mené deux études, qui suivaient de quelques mois deux épisodes caniculaires importants :

la première s’est déroulée en octobre 2015 auprès de la population générale résidant en France métropolitaine. Elle avait pour objectif de faire le point sur les connaissances, la perception des risques et les comportements associés aux fortes chaleurs et à la canicule par la population afin de définir des axes d’amélioration en vue d’une meilleure prévention 13 ;

la seconde s’est déroulée de juillet à octobre 2016 auprès des acteurs locaux du plan canicule et avait pour objectifs d’évaluer : la perception du PNC et de ses enjeux par les parties prenantes locales ; le retour d’expérience des acteurs sur la mise en œuvre du PNC et son efficacité, ainsi que leur ressenti sur son efficacité potentielle dans la perspective de canicules comparables ou supérieures à celle de 2003 ; les attentes des parties prenantes dans une optique d’amélioration de la prévention des conséquences sanitaires des canicules, en particulier via l’optimisation du PNC 14.

Populations sondées et échantillons

Sur le plan des populations sondées, les démarches française et québécoise se rejoignent. Chacune s’appuie d’une part sur des enquêtes populationnelles, avec des échantillons représentatifs à l’échelle des populations, et, d’autre part, sur des consultations auprès des principaux acteurs institutionnels et du terrain. L’approche québécoise s’est toutefois concentrée sur un nombre plus restreint de catégories de répondants, tant au niveau des municipalités québécoises que du réseau de la santé. Contrairement à l’approche française, qui s’est concentrée sur certaines villes, l’approche québécoise a sondé systématiquement l’ensemble des répondants institutionnels appartenant aux catégories ciblées.

Méthodes de collecte des données

Dans les deux pays, les enquêtes populationnelles ont été effectuées par téléphone via des instituts de sondages.

Concernant les enquêtes auprès des parties prenantes, côté québécois il s’agissait d’une enquête en ligne alors que du côté français il s’agissait plutôt d’entretiens semi-directifs en face-à-face : individuellement pour les acteurs institutionnels et les structures relais de terrain, en groupes de discussion pour les professionnels intervenant au domicile des personnes âgées.

Stratégie d’analyse de données

En France :

l’enquête en population a porté sur deux échantillons (18 ans et plus, et un sous-échantillon de 65 ans et plus) constitués de manière à être représentatifs de la population concernée selon la méthode des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage, stratification par région et catégorie d’agglomération. L’échantillon global a été redressé sur ces mêmes variables afin de disposer de résultats représentatifs de la population de 18 ans ou plus et de la population de 65 ans ou plus. Les analyses ont été effectuées sur chaque échantillon et, au sein de chacun d’eux, sur des sous-populations spécifiques (hommes/femmes, faibles/moyens/forts revenus, locataires/propriétaires, etc.) afin de voir si elles répondaient différemment ou pas aux questions ;

l’enquête auprès des parties prenantes locales a reposé sur des entretiens semi-​directifs menés dans six villes (Paris, Nice, Nantes, Strasbourg, Laon et Lyon) situées dans des régions (au nord, au sud, à l’est, à l’ouest et au centre de la France) présentant des caractéristiques variées en termes de climat, de taille, d’expérience de la chaleur, de mesures de gestion ou de surmortalité lors de la canicule 2015. Dans ces villes, des entretiens individuels ont été menés auprès des acteurs institutionnels et de terrain du PNC, et des entretiens par mini-groupes auprès de professionnels intervenant au domicile des personnes âgées. Les entretiens ont été partiellement retranscrits en respectant l’anonymat des personnes interrogées. Une analyse de contenu thématique a ensuite été réalisée.

Au Québec :

le principal objectif était de développer des indices valides en vue de réaliser éventuellement un suivi temporel de l’adaptation. Développer des indices implique d’abord une analyse d’items ou un examen du comportement empirique des variables constituantes des indices. L’objectif de cette analyse, réalisée à partir de la théorie de la réponse aux items (TRI) 19, est de qualifier les items par rapport à un certain nombre de paramètres psychométriques et de déterminer quels sont ceux qui méritent de faire partie de l’instrument de mesure. Dans le cadre d’une étude 8 menée en 2016, l’OQACC a pu réaliser des analyses factorielles confirmatoires (AFC) et des analyses des correspondances multiples (ACM). Alors que l’AFC est effectuée pour vérifier l’unidimensionnalité des indices, l’ACM permet de réduire des données en les classant dans des catégories ;

de manière à pouvoir interpréter adéquatement l’évolution de l’adaptation dans le temps, une analyse statistique a été réalisée sur les données de deux études conduites en 2015 et 2016 9,10, et ce afin de vérifier la validité d’un indice d’adaptation à la chaleur. Enfin, il a été possible dans trois études 9,10,11 d’identifier des déterminants de l’adaptation chez les populations sondées en testant les théories retenues (par exemple la TCP) à l’aide d’équations structurelles.

Formulation des questions

Nous avons ici voulu vérifier si les questions dont les formulations sont similaires dans les questionnaires français et québécois sont équivalentes au plan sémantique, c’est-à-dire si elles renvoient à un même concept ou comportement. Une analyse visant à montrer la présence ou l’absence d’un fonctionnement différentiel d’items a été réalisée afin de déterminer si les items (c’est-à-dire les questions) utilisés de part et d’autre mesuraient bien le même trait (i.e. la propension à s’adapter telle que mesurée, en quelque sorte, par la somme des scores obtenus à une série de questions évaluant l’adoption de comportements d’adaptation) 20. Le but d’une étude du fonctionnement différentiel d’item est de s’assurer que des facteurs exogènes au test (qui pourraient s’apparenter à des facteurs de confusion) ne donneront pas un avantage ou un désavantage à certains groupes de sujets. En d’autres mots, il s’agit de déterminer si la probabilité d’obtenir un score donné à un item (i.e. à une question mesurant un comportement d’adaptation à la chaleur) est affectée par d’autres facteurs que le niveau de propension à s’adapter à la chaleur des répondants. Des différences culturelles peuvent en effet affecter cette probabilité, ou encore des processus cognitifs différenciés. Lorsque cette situation se produit, on dit que ces items présentent un fonctionnement différentiel. La prudence est donc de mise avant d’utiliser un même item d’un contexte culturel à un autre. Une validation de l’équivalence des items, notamment à l’aide d’analyses métrologiques telles que l’étude de fonctionnement différentiel d’item, est nécessaire à cette fin.

Le tableau 2 présente les formulations utilisées pour les quatre comportements individuels retenus d’adaptation à la chaleur, compte tenu de leurs similitudes dans les études québécoises et françaises. Le questionnaire québécois évaluait 18 comportements. Le questionnaire français en évaluait 9.

Tableau 2 : Formulations retenues dans les questionnaires
Agrandir l'image

Les figures 1, 2, 3, 4 permettent de vérifier la présence ou l’absence d’un fonctionnement différentiel d’item pour chaque comportement observé. Le fait que des répondants québécois et français, présentant une propension similaire à s’adapter (l’abscisse sur chacune des figures), aient des probabilités différentes de donner la même réponse (l’ordonnée sur chacune des figures) à une question similaire indique un fonctionnement différentiel d’item.

Ainsi, l’item 1 (fermeture des fenêtres, volets, rideaux dans la journée) et l’item 2 (boire de l’eau plus fréquemment) montrent des fonctionnements similaires pour les répondants français et québécois, les deux courbes étant pratiquement superposées (figures 1 et 2).

Figure 1 : Comparaison des formulations utilisées dans les questionnaires français et québécois pour l’item 1 : fermer les fenêtres, volets, rideaux
Agrandir l'image
Figure 2 : Comparaison des formulations utilisées dans les questionnaires français et québécois pour l’item 2 : boire de l’eau plus fréquemment
Agrandir l'image

Il n’en est pas de même pour les items 3 (fréquenter un lieu climatisé) et 4 (se mouiller le corps) (figures 3 et 4). Les répondants français et québécois ne réagissent pas de la même façon à ces deux items. Pour l’item 3 (figure 3), les courbes montrent que pour un même niveau de propension à s’adapter, il est plus probable que les répondants français adoptent le comportement d’adaptation que les répondants québécois.

Figure 3 : Comparaison des formulations utilisées dans les questionnaires français et québécois pour l’item 3 : fréquenter un lieu climatisé
Agrandir l'image

Enfin, l’item 4 présente aussi un fonctionnement différentiel (figure 4). Cependant, à l’opposé de l’item 3, les courbes montrent cette fois que pour un même niveau de propension à s’adapter, il est plus probable que les répondants québécois adoptent un comportement d’adaptation que les répondants français.

Figure 4 : Comparaison des formulations utilisées dans les questionnaires français et québécois pour l’item 4 : se mouiller le corps
Agrandir l'image

Discussion – Conclusion

L’idée derrière la comparaison des questions utilisées dans les deux études n’est pas de suggérer que l’une est supérieure à l’autre, mais bien d’illustrer que des formulations de questions très similaires peuvent mener à des résultats divergents selon le contexte culturel. Il faut donc s’assurer que les différences que l’on pourrait observer entre la France et le Québec, ou tout autre État, au plan de l’adaptation à la chaleur sont réelles et non pas dues au fait que les questions sont biaisées culturellement (i.e. que des mots ou concepts utilisés dans les questions sont interprétés différemment par les deux groupes). Par exemple, l’examen des courbes de la question 4 indique que les répondants québécois – peu importe leur niveau de propension à s’adapter – s’humecteraient davantage le corps que les répondants français. Est-ce que ce comportement est compris différemment en France et au Québec, ou pourrait-on plutôt faire l’hypothèse qu’une chaleur plus humide et incommodante au Québec amènerait les répondants québécois à exercer davantage ce comportement ? C’est pourquoi d’autres études vérifiant l’invariance ou l’équivalence culturelle des mesures d’adaptation seront nécessaires avant de pouvoir transposer des indices d’un État à un autre. Enfin, le fait que les villes retenues dans le cadre de cette étude présentent des contextes géographiques et socioéconomiques particuliers pourrait constituer une source de biais au niveau de l’échantillonnage. Réaliser le même genre d’étude mais entre des répondants issus de différentes villes pourrait faire l’objet d’une étude future.

Il est également important d’avoir à l’esprit que la collecte de données réalisée en France a eu lieu quelques mois seulement après des épisodes caniculaires de l’été 2015 et que cela peut avoir eu un effet sur le niveau d’adoption de comportements d’adaptation à la chaleur rapporté. Selon les auteurs de l’étude, bien que plus de 4 personnes sur 10 aient affirmé avoir souffert de la chaleur pendant l’été, les habitants des départements où le seuil d’alerte canicule a été atteint ont déclaré des connaissances et des comportements de prévention tout à fait comparables aux habitants des autres départements. Toutefois, l’impact sur les comportements des messages de prévention a été visiblement plus marqué dans les départements où les messages de prévention ont été plus nombreux en raison de l’activation de la vigilance orange canicule 13.

Le développement et le raffinement d’indices d’adaptation aux changements climatiques constitue ainsi une voie à privilégier pour permettre un suivi temporel des progrès effectués sur ce plan. Il faut également souligner, sur le plan méthodologique, la pertinence des méthodes de collectes de données qualitatives dans le cadre français et du choix des groupes de répondants interviewés. On peut donc penser que les recommandations proposées à la suite de cet exercice de consultation auprès des différents acteurs locaux et nationaux afin d’améliorer la prévention et la gestion des vagues de chaleur (par exemple améliorer les outils de communication et de prévention pour les professionnels ainsi que pour le grand public, améliorer la formation et l’information, renforcer la collaboration, etc.) reflètent bien les perceptions de l’ensemble des acteurs du terrain.

En définitive, les travaux de Santé publique France et de l’OQACC concourent à rendre davantage concret le concept d’adaptation aux changements climatiques et contribuent du même souffle à en apprécier le niveau à différentes échelles populationnelles et spatiales. Une chose est certaine : il y a encore matière pour des efforts visant à identifier les croyances et compétences en adaptation aux changements climatiques et pour renforcer ces comportements d’adaptation chez les populations et les parties prenantes locales. C’est la voie à suivre pour élaborer des contenus ciblés de communication et de formation en vue du renforcement des pratiques d’adaptation.

Références

1 Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). Climate change 2013. The physical science basis. Stocker TF et al. editors. Cambridge: Cambridge University Press; 2013. 1 535 p. http://www.climatechange2013.org/images/report/WG1AR5_Frontmatter_FINAL.pdf
2 Gasparrini A, Guo Y, Hashizume M, Lavigne E, Tobias A, Zanobetti A, et al. Changes in susceptibility to heat during the summer: A multicountry analysis. Am J Epidemiol. 2016;183(11):1027-36
3 Kovats RS, Hajat S. Heat stress and public health: A critical review. Annu Rev Public Health. 2008;29:41-55
4 Lebel G, Bustinza R, Gosselin P. Surveillance des impacts sanitaires des vagues de chaleur au Québec: bilan de la saison estivale 2010. Québec: Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec; 2011. 45 p. https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1275_SurvImpactsChaleurBilanEte2010.pdf
5 Mora C, Dousset B, Caldwell IR, Powell FE, Geronimo RC, Bielecki CR, et al. Global risk of deadly heat. Nature Climate Change. 2017;7(7): 501-6.
6 Unsworth K, Russell S, Lewandowsky S, Lawrence C, Fielding K, Heath J, et al. What about me? Factors affecting individual adaptive coping capacity across different populations. National Climate Change Adaptation Research Facility, Gold Coast; 2013. 161 p. http://websites.psychology.uwa.edu.au/labs/cogscience/publications/unsworth-et-al-13.pdf
7 Ministère de la Santé et des Services sociaux. Chaleur accablante et extrême. Système d’alerte et de surveillance. [Internet]. Québec: Gouvernement du Québec; 2017. http://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/sante-environnemen​tale/chaleur-accablante-et-extreme/systemes-d-alerte-et-de-surveillance/
8 Valois P, Talbot D, Renaud JS, Caron M, Carrier MP. Développement d’un indice d’adaptation à la chaleur chez les personnes habitant dans les 10 villes les plus peuplées du Québec (OQACC-001). Québec: Université Laval; 2016. 50 p. http://www.monclimatmasante.qc.ca/Data/Sites/1/publications/rapport_chaleur_versionfinale_rev-final.pdf
9 Valois P, Talbot D, Renaud JS, Caron M, Bouchard D. Suivi de l’adaptation à la chaleur chez les personnes habitant dans les 10 villes les plus peuplées du Québec (OQACC-008). Québec: Université Laval. (À paraître).
10 Valois P, Talbot D, Renaud JS, Caron M, Bouchard D. Adaptation des personnes âgées à la chaleur l’été : identification des déterminants d’adaptation à la chaleur (OQACC-009). Québec: Université Laval; 2018. 74 p. http://www.monclimat​masante.qc.ca/oqacc-nos-publications.aspx
11 Valois P, Jacob J, Mehiriz K, Talbot D, Renaud JS, Caron M. Niveau et déterminants de l’adaptation aux changements climatiques dans les municipalités du Québec (OQACC-006). Québec: Université Laval. 2017. 163 p. http://www.monclimat​masante.qc.ca/Data/Sites/1/publications/Rapport_municipa​lites_2_13_nov_FINALE.pdf
12 Valois P, Jacob J, Mehiriz K, Talbot D, Renaud JS, Caron M. Portrait de l’adaptation aux changements climatiques dans les organisations du secteur de la santé au Québec (OQACC-007). Québec: Université Laval. (À paraître).
13 Laaidi K, Perrey C, Léon C, Mazzoni M, Beaudeau P. Connaissances, attitudes et comportements des français face aux fortes chaleurs et à la canicule en 2015. (Soumis).
14 Étude auprès des parties prenantes locales du PNC : perception du risque et de sa gestion sur le terrain. Résumé des entretiens. Note interne. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 15 p.
15 Ajzen I. The theory of planned behaviour. Organizational Behaviour and Human Decision Processes. 1991; 50(2)179-211.
16 Rosenstock IM. The health belief model and preventive health behavior. Health Education Monographs. 1974;2(4): 354-86.
17 Ajzen, I. The theory of planned behaviour: Reactions and reflections. Psychol Health. 2011;26(9):1113-27.
18 Gifford R. The dragons of inaction: psychological barriers that limit climate change mitigation and adaptation. Am Psychol. 2011;66(4):290-302.
19 Embretson SE, Reise SP. Item response theory for psychologists. Mahwah (NJ): Psychology Press; 2013.
20 Thissen D, Steinberg L, Wainer H. Detection of differential item functioning using the parameters of item response models. In: Holland PW, Wainer H (eds). Differential item functioning. Hillsdale (NJ): Lawrence Erbaum Associates; 1993. p. 67-113.

Citer cet article

Valois P, Laaidi K, Jacob J, Beaudeau P. Comparaison des méthodes et des questions utilisées pour suivre l’adaptation face aux épisodes de chaleurs élevées en France et au Québec. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(16-17):345-53. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/16-17/2018_16-17_5.html