Comment mieux appréhender les impacts sanitaires du changement climatique : l’intérêt des collaborations multicentriques internationales

// How to better understand the healh impacts of climate change: the potential of international multi-centre research

Antonio Gasparrini* (antonio.gasparrini@lshtm.ac.uk)Department of Social and Environmental Health Research, London School of Hygiene & Tropical Medicine, London, United Kingdom

* On behalf of the MCC Collaborative Research Network
Article traduit de l’anglais par Mathilde Pascal (Santé publique France).
Soumis le 19.01.2018 // Date of submission: 01.19.2018
Mots-clés : Changement climatique | Épidémiologie | Études multicentriques
Keywords: Climate change | Epidemiology | Multicentric studies

Résumé

La recherche sur les impacts sanitaires potentiels du changement climatique doit s’appuyer sur des preuves épidémiologiques documentant les risques à l’échelle mondiale. Les études multicentriques sont adaptées à cette fin, mais elles présentent diverses difficultés méthodologiques et organisationnelles. Cet article illustre l’expérience du réseau collaboratif international multi-pays multi-ville (Multi-Country Multi-City – MCC) qui développe un programme de recherche global sur les associations entre météo, climat et santé. Il décrit le fonctionnement de ce programme fondé sur les contributions mutuelles et le partage de données, résume les principaux résultats déjà publiés par le réseau et en discute les avantages et les limites. La contribution du MCC à la recherche sur les effets sanitaires du changement climatique est unique. Son fonctionnement collaboratif visant à faciliter les études épidémiologiques multicentriques peut être reproduit pour traiter d’autres questions de recherche.

Abstract

Research on the potential health impacts of climate change requires epidemiological evidence on associated health risks at a global scale. Multi-centre studies offer an excellent framework for this purpose, but present various methodological and logistical problems. This contribution illustrates the experience of the Multi-Country Multi-City (MCC) Collaborative Research Network, an international collaboration working on a global program of research on the associations between weather, climate and health. The article illustrates the collaborative scheme based on mutual contribution and data sharing, describes the collection of a huge multi-location database, summarizes published research findings and future plans, and discusses advantages and limitations. The MCC Study has provided an exceptional contribution to climate change research, and offers a collaborative framework for multi-centre epidemiological studies that can be replicated to address other research questions in this area and beyond.

Combiner une vision globale et locale des liens entre climat et santé

Le réchauffement climatique est considéré comme la plus grande menace pour l’humanité au XXIe siècle 1. Les évolutions climatiques actuelles et futures peuvent se traduire par une augmentation des risques sanitaires via différents mécanismes, dont l’exposition directe à des conditions météorologiques extrêmes, en particulier à la chaleur et au froid 2.

Les connaissances épidémiologiques des effets de la température sur la santé sont majoritairement apportées par des analyses en séries temporelles considérant des zones uniques, ou multiples au sein d’un pays ou d’une région 3,4,5. Toutefois, ce type d’approche présente des limites importantes pour appréhender les effets sanitaires du changement climatique. Les populations montrent notamment un haut degré d’adaptation à leur climat local, ce qui contribue à une large hétérogénéité des effets sanitaires associés à un évènement météorologique particulier 6. Une vision exhaustive des connaissances peut ainsi difficilement être appréhendée à partir d’études indépendantes et présentant une grande variabilité de protocoles, de méthodes statistiques et de définitions de la relation température-mortalité.

De plus, alors que les interventions de santé publique pour limiter l’impact de la chaleur et du froid doivent être calibrées pour répondre aux conditions locales, les politiques climatiques sur l’atténuation requièrent un consensus global, comme illustré par les débats récents autour de l’Accord de Paris 7. Ainsi, les politiques d’atténuation et d’adaptation pour réduire les impacts sanitaires doivent s’articuler et se compléter entre les échelles locales, régionales, nationales et mondiales. Pour soutenir ces actions, la recherche épidémiologique devrait être capable de produire des résultats cohérents dans ces différentes échelles, ce qui pose plusieurs défis méthodologiques et logistiques. Cet article décrit l’approche adoptée par un réseau de recherche collaboratif multi-pays multi-ville (Multi-Country Multi-City – MCC) pour y répondre.

Le réseau de recherche collaboratif MCC : modalités de partage des données et de collaboration

Le MCC est un réseau de collaboration internationale visant à produire des connaissances épidémiologiques sur les associations entre des paramètres météorologiques, climatiques et sanitaires, afin de développer les connaissances globales sur les impacts sanitaires du changement climatique (http://mccstudy.lshtm.ac.uk/).

Cette collaboration a débuté de façon informelle en 2013, à l’occasion de la conférence annuelle de la Société internationale d’épidémiologie environnementale à Bâle, et s’est développée ensuite via des correspondances entre les participants et des réunions organisées lors de conférences internationales. Depuis, le MCC a rassemblé la plus grande base épidémiologique jamais constituée pour étudier les effets de facteurs environnementaux sur la santé. L’originalité du réseau est de fournir aux participants l’opportunité d’explorer des sujets de recherche spécifiques, en incluant des centaines de villes à travers le monde (figure 1), via un cadre collaboratif souple. Ce cadre est formalisé par un protocole général rédigé lors de la mise en place du réseau. Chaque participant peut, de façon autonome, proposer un sous-projet en prenant en charge la coordination des analyses et des publications associées. La proposition, contenant une description des objectifs et des données nécessaires, est diffusée aux référents de chaque zone d’étude, qui décident d’inclure ou non la zone dans le sous-projet et de contribuer ou non à l’analyse. Le protocole général fixe des règles pour l’utilisation des données, pour la reconnaissance des auteurs et pour éviter des doublons entre projets.

Figure 1 : Zones d’étude participant au Multi-Country Multi-City Collaborative Research Network
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La participation au MCC est conditionnée à la fourniture des données sous un format compatible avec la base de données, et à la volonté de les partager. Ainsi, chaque participant permet aux autres de travailler sur ses zones d’étude, et a accès à l’ensemble des zones d’étude et aux échanges scientifiques. Dans un souci de transparence et pour faciliter la réplication des études, les résultats font l’objet de publications, complétées, dans la mesure du possible, par la mise à disposition publique des programmes d’analyses, des logiciels ou des extractions des données utilisées.

Base de données et schéma d’études

La base de données principale du MCC est constituée de séries temporelles journalières d’indicateurs météorologiques, de pollution de l’air et de mortalité (totale et par cause). Elle contient également des métadonnées sur les caractéristiques climatologiques, socioéconomiques, démographiques et structurelles des zones d’étude. En janvier 2018, elle rassemblait les informations de 518 zones d’étude dans 28 pays, pour des périodes se recoupant entre 1972 et 2015, totalisant 110 millions de décès. Bien que la couverture de la base soit incomplète, avec des régions entières non représentées (ex. Afrique, Moyen-Orient), sa vocation reste d’être globale (figure 1).

Ces données sont complétées par des modélisations d’indicateurs journaliers de température et d’humidité, pour la période historique (1850-2005) et sous différents scénarios de réchauffement au XXIe siècle (2006-2100). Depuis 2016, 18 villes françaises métropolitaines sont incluses dans le réseau MCC et des analyses sont menées, en partenariat avec Santé publique France, avec l’appui de Météo-France.

Les sous-projets sont conçus comme des analyses en séries temporelles multicentriques, avec un schéma d’analyse à deux niveaux. Un premier modèle de régression, pour estimer l’association entre les indicateurs météorologiques considérés et la mortalité, est appliqué dans chaque zone, puis les résultats font l’objet d’une méta-analyse sur l’ensemble des zones. Cette approche est possible grâce à l’utilisation de techniques statistiques permettant de modéliser des relations complexes, non-linéaires, prenant en compte des effets retardés dans le temps, et capables d’évaluer et d’explorer leur hétérogénéité spatiale et temporelle 8,9,10.

Exemple de travaux publiés et en cours

Le MCC a déjà permis de produire des résultats importants sur les associations entre des variables météorologiques, le climat et la santé (tableau). Il s’agit notamment de connaissances sur la variabilité des risques associés à la chaleur et au froid, sur la température optimale correspondant à un risque de mortalité minimale 11,12 et sur l’impact des vagues de chaleur 13. Des travaux ont également mis en évidence l’influence des variations de température sur la mortalité 14,15. D’autres ont permis d’apporter un éclairage nouveau sur le déplacement de la mortalité attribuable à la chaleur et au froid 16, ainsi que sur les mécanismes d’adaptation potentielle au changement climatique dans les dernières décennies 17. Une publication récente illustre l’utilisation de la base de données pour estimer les évolutions de la mortalité attribuables à des températures non-optimales sous différents scénarios de changement climatique 18. Cette analyse apporte des résultats intéressants, en comparant les évolutions de la mortalité liées à la chaleur et au froid dans plusieurs régions du monde au cours du XXIe siècle. Elle conclut à une augmentation nette du nombre de décès attribuables à la température sous les scénarios de réchauffement les plus forts, augmentation qui serait substantiellement réduite sous des scénarios de réchauffement impliquant des stratégies de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elle montre également que les impacts seraient plus importants, et parfois dramatiques, dans les régions les plus chaudes, qui sont souvent les plus pauvres du globe. La figure 2 illustre les estimations d’augmentation de la mortalité attribuable à la chaleur à la fin du siècle sous un scénario de réchauffement marqué 18.

Tableau : Caractéristiques et principaux résultats des études publiées par le Multi-Country Multi-City Collaborative Research Network
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Figure 2 : Différence (%) entre la mortalité attribuable à la chaleur en 2090-2099 vs 2010-2019 sous le scénario RCP8.5*
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Enfin plusieurs sous-projets sont actuellement en cours. Ils portent par exemple sur les déterminants locaux pouvant expliquer la vulnérabilité à la chaleur ou au froid, sur les causes spécifiques de décès, ou encore sur le rôle de l’humidité. D’autres complètent les projections en évaluant des scénarios alternatifs de réchauffement, en intégrant un focus sur les évènements extrêmes ou en testant le rôle potentiel des mécanismes d’adaptation pour réduire les impacts sanitaires futurs.

Discussion

Les études du réseau MCC présentent plusieurs avantages par rapport à d’autres travaux sur le même sujet. L’approche multicentrique internationale permet une approche duale local/global essentielle à la recherche sur le changement climatique.

Le schéma analytique permet l’application de protocoles harmonisés pour estimer les associations entre paramètres météorologiques et santé à travers des centaines de zones d’étude, caractérisées par une grande diversité de climats, de caractéristiques démographiques et socioéconomiques. Le schéma d’analyse en deux étapes préserve la possibilité d’investiguer les spécificités locales, tout en autorisant des comparaisons internationales pertinentes.

Le MCC fonctionne grâce à un mode de collaboration fondé sur des principes de transparence et de partage des données. Le cadre souple et l’organisation en sous-projets indépendants offre davantage de liberté qu’un projet articulé en études discutées collectivement et figées dès le début. L’approche doit également relever des défis, liés à l’absence d’une stratégie prédéfinie et au besoin de maintenir une cohérence méthodologique entre les sous-​projets. Cette approche pourrait être adoptée pour d’autres facteurs de risques liés à l’environnement et au climat. Toutefois, il faut souligner que l’utilisation de données autres que des séries temporelles agrégées peut poser des problèmes majeurs de confidentialité, et limiter la portée de ce type de schéma collaboratif.

Remerciements

L’auteur remercie tous les participants actuels et passés du réseau MCC pour leurs contributions (http://mccstudy.lshtm.ac.uk/). Ce travail est soutenu par le Medical Research Council UK (Grant ID: MR/M022625/1).

Références

1 IPCC. Climate Change 2014: Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change. [Core Writing Team, R.K. Pachauri and L.A. Meyer (eds.)]. Geneva: IPCC; 2014. 151 pp.
2 McMichael AJ, Woodruff RE, Hales S. Climate change and human health: present and future risks. Lancet. 2006;367(9513):859-69.
3 Anderson BG, Bell ML. Weather-related mortality: How heat, cold, and heat waves affect mortality in the United States. Epidemiology. 2009;20(2):205-13.
4 Baccini M, Biggeri A, Accetta G, Kosatsky T, Katsouyanni K, Analitis A, et al. Heat effects on mortality in 15 European cities. Epidemiology. 2008;19(5):711-9.
5 Chung Y, Lim YH, Honda Y, Guo YL, Hashizume M, Bell ML, et al. Mortality related to extreme temperature for 15 cities in Northeast Asia. Epidemiology. 2015;26(2):255-62.
6 McMichael AJ, Wilkinson P, Kovats RS, Pattenden S, Hajat S, Armstrong B, et al. International study of temperature, heat and urban mortality: The ’ISOTHURM’ project. Int J Epidemiol. 2008;37(5):1121-31.
7 Hulme M. 1.5°C and climate research after the Paris Agreement. Nature Climate Change. 2016;6(3):222-4.
8 Armstrong B. Models for the relationship between ambient temperature and daily mortality. Epidemiology. 2006;17(6):624-31.
9 Gasparrini A, Armstrong B, Kenward MG. Distributed lag non-linear models. Stat Med. 2010;29(21):2224-34.
10 Gasparrini A, Armstrong B, Kenward MG. Multivariate meta-analysis for non-linear and other multi-parameter associations. Stat Med. 2012;31(29):3821-39.
11 Gasparrini A, Guo Y, Hashizume M, Lavigne E, Zanobetti A, Schwartz J, et al. Mortality risk attributable to high and low ambient temperature: A multicountry observational study. Lancet. 2015;386(9991):369-75.
12 Guo Y, Gasparrini A, Armstrong B, Li S, Tawatsupa B, Tobias A, et al. Global variation in the effects of ambient temperature on mortality: A systematic evaluation. Epidemiology. 2014;25(6):781-9.
13 Guo Y, Gasparrini A, Armstrong BG, Tawatsupa B, Tobias A, Lavigne E, et al. Heat wave and mortality: A multicountry, multicommunity study. Environ Health Perspect. 2017;125(8):087006.
14 Guo Y, Gasparrini A, Armstrong BG, Tawatsupa B, Tobias A, Lavigne E, et al. Temperature variability and mortality: A multi-country study. Environ Health Perspect. 2016;124(10):1554-9.
15 Lee W, Bell ML, Gasparrini A, Armstrong BG, Sera F, Hwang S, et al. Mortality burden of diurnal temperature range and its temporal changes: A multi-country study. Environ Int. 2018;110:123-30.
16 Armstrong B, Bell ML, Coelho MdSZS, Guo Y-LL, Guo Y, Goodman P, et al. Longer-term impact of high and low temperature on mortality: An international study to clarify length of mortality displacement. Environ Health Perspect. 2017;125(10):107009.
17 Vicedo-Cabrera AM, Sera F, Guo Y, Chung Y, Arbuthnott K, Tong S, et al. A multi-country analysis on potential adaptive mechanisms to cold and heat in a changing climate. Environ Inter. 2018;111:239-46.
18 Gasparrini A, Guo Y, Sera F, Vicedo-Cabrera AM, Huber V, Tong S, et al. Projections of temperature-related excess mortality under climate change scenarios. Lancet Planet Health. 2017;1(9):e360-e7.

Citer cet article

Gasparrini A. Comment mieux appréhender les impacts sanitaires du changement climatique : l’intérêt des collaborations multicentriques internationales. Bull Epidémiol Hebd. 2018; (16-17):340-4. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/16-17/2018_16-17_4.html