Canicules : s’y préparer toujours mieux

// Heat waves : the need for ongoing planning

Professeur Jean-Louis San Marco

Bientôt quinze ans qu’une canicule a frappé la France, l’été 2003. Les travaux et les publications la concernant ont été nombreux, souvent de valeur. Ce numéro du BEH illustre la manière dont les différentes disciplines se mobilisent pour construire des stratégies de prévention cohérentes sur le court et le long-terme. Les connaissances issues de l’épidémiologie (V. Wagner et coll., A. Gasparrini) et de la surveillance (M. Pascal et coll., J. Pouey et coll.) alimentent et complètent les réflexions sur la prévention (P. Valois et coll., T. Benmarhnia et coll.). L’ensemble s’inscrit dans une logique interdisciplinaire et internationale.

Il est temps de faire un point d’étape, après les premières répliques rencontrées depuis 2003, afin de nous préparer à faire face aux prochains épisodes lourds, qu’on nous annonce imminents. Ce travail doit porter sur trois aspects, d’inégale importance :

une analyse des décisions prises et de l’organisation retenue pour que la survenue de températures du même niveau, voire plus élevées, n’entraine pas de conséquences sanitaires aussi lourdes ;

une réflexion sur les raisons de l’impact sanitaire particulièrement lourd d’un épisode climatique certes marqué par des écarts thermiques importants, mais sans que les températures observées aient atteint celles de zones moins tempérées que la nôtre et que nombre d’entre nous visitent régulièrement sans conséquence néfaste ;

un essai de prospective sur nos réponses sanitaires dans de telles circonstances.

Le plan national canicule

L’histoire des canicules est, dans les pays tempérés où elles sont survenues au XXe siècle, remarquablement uniforme : le premier épisode reconnu n’est jamais le premier survenu en ce lieu. Le seul progrès, alors, est que la surmortalité liée à la chaleur est enfin admise, mais l’impact sanitaire de cet épisode est toujours mal géré : à Marseille en 1983, Athènes en 1987, Chicago en 1994… la liste des échecs est longue. La France en 2003 a suivi cette règle. Il faut sans doute attribuer la mauvaise gestion du premier épisode reconnu à cet aveuglement initial. Car la gestion des conséquences sanitaires d’une canicule n’est finalement pas très complexe : refroidir les personnes exposées, favoriser leur transpiration, la remplacer si elle s’effondre. Il semble qu’il nous faille surtout vaincre un aveuglement universel : de la chaleur estivale nous n’attendions que des bienfaits. Parmi la dizaine de canicules survenues en France au XXe siècle, celle de 1911 avait pourtant fait 40 000 victimes, reconnues seulement un siècle plus tard !

Après la prise de conscience, la défense s’organise, extraordinairement diverse mais avec une certaine efficacité, observée dès l’épisode suivant : à Marseille, la solidarité de proximité a été privilégiée, à Athènes, la circulation automobile en centre-ville a été interdite, supprimant l’îlot de chaleur urbain et facilitant la circulation des secours, à Chicago, les personnes à risque (personnes âgées et isolées) ont été recensées et autoritairement rassemblées dans des lieux frais dès le début de l’épisode chaud suivant… En France, le Directeur général de la santé a convaincu le Gouvernement d’élaborer un plan national canicule (PNC), mis en œuvre dès 2004 et visant à l’instantanéité des recueils d’informations climatiques et sanitaires comme des interventions, sur l’ensemble du territoire. Le PNC a regroupé autour de Météo-France, de l’InVS et de l’Inpes (1) l’ensemble des ministères impliqués dans la santé (Intérieur, Travail, Transports, Agriculture, Sports…). Il a mobilisé l’ensemble des services décentralisés de l’État, sous l’autorité du préfet. Et donné naissance à des recommandations, destinées à tous les intervenants potentiels, ciblant toutes les sous-populations et toutes les circonstances possibles, de façon à généraliser les bonnes réponses.

Ce plan est mis en œuvre chaque été depuis 2004 et des retours d’expérience réunissant tous ses acteurs sont réalisés chaque année, en fonction des circonstances. Il a montré son efficacité (et ses limites) lors des épisodes caniculaires de 2006, 2015, 2016 et 2017.

Pourquoi un tel bilan sanitaire en 2003 ? Peut-on l’améliorer radicalement ?

L’homéothermie qui caractérise l’être humain entraîne des échanges thermiques permanents avec le milieu ambiant. La chaleur s’écoule passivement du milieu le plus chaud vers le moins chaud. Dans nos régions, cet échange se fait presque toujours du corps vers le milieu extérieur, et il ne disparaît en France métropolitaine que pour une température extérieure supérieure à 35°C. Cette perte explique en grande partie le coût énergétique global de l’homéothermie : l’énorme majorité de la chaleur produite pour maintenir fixe la température centrale se disperse dans l’atmosphère.

Il existe une zone thermique, entre 17 et 20°C en France, pour laquelle les échanges sont réduits au minimum ; dès que l’on sort de cette zone, l’organisme modifie l’importance des échanges. En cas de chaleur ambiante, l’augmentation des pertes repose sur deux processus conjoints : accélération du débit circulatoire et vasodilatation périphérique, l’hypervascularisation des extrémités augmentant l’écoulement de la chaleur vers l’extérieur. Lorsque l’augmentation des pertes ne suffit plus, l’évaporation du sérum, capté par les glandes sudoripares, refroidit activement l’organisme. Défenses passives facilement mobilisables et mise en jeu de la transpiration dès que le besoin s’en fait sentir.

Ce ne sont que des températures inhabituellement élevées qui peuvent se révéler dangereuses, dans deux circonstances différentes de très inégale importance. La première est le manque de compensation hydrique immédiate chez une personne qui transpire, exposée à cette forte chaleur, qui peut déboucher sur une déshydratation. Cette complication assez rare a pratiquement disparu depuis que la connaissance de la transpiration, ses modalités et ses besoins a été généralisée dans notre population. En revanche, la transpiration s’épuise au bout de 48 heures de stimulation ininterrompue chez les personnes les plus âgées. Une femme est vieille, de ce point de vue, dès 65 ans, un homme à partir de 75 ans. Ce qui représente un énorme gisement de personnes vulnérables. Nous ignorions cela en 2003, et les 3e et 4e âges ont payé cette ignorance au prix fort. Autre ignorance aujourd’hui corrigée : cette protection physiologique, qui mérite d’être entretenue, peut être remplacée assez facilement lorsqu’elle est débordée (en raison de l’âge par exemple) par une évaporation d’eau déposée sur la peau. Certes, il n’y a pas ici de dilatation du fluide ni d’évaporation obligatoire, comme celle du sérum comprimé dans les glandes sudoripares puis dilaté à la sortie des pores. Mais on est en atmosphère chaude, propice à l’évaporation. Laquelle peut être favorisée et entretenue par un léger courant d’air, qui chasse la vapeur d’eau au fur et à mesure de son apparition et interdit sa condensation : est ainsi obtenu, simplement, un outil de rafraichissement de secours particulièrement efficace. Cette modalité protectrice était largement inconnue en 2003.

Enfin, l’activité physique produisant de la chaleur, elle constitue un facteur de risque important et souvent sous-estimé. Les travailleurs sont particulièrement concernés par ce risque, qui mérite une prévention adaptée.

Il demeure que les personnes les plus vulnérables sont les personnes isolées et incapables de procéder par elles-mêmes à cette défense simple : déposer un film d’eau sur la peau de leurs membres et en favoriser l’évaporation à l’aide d’un ventilateur. Si nous voulons gagner nos prochaines batailles contre une chaleur excessive, il faudra recenser et protéger ces personnes, les déplacer vers des logements plus frais si c’est possible, sinon refroidir leur lieu de vie ou enfin leur fournir un soutien extérieur pendant les heures chaudes, tout au long de l’épisode caniculaire. Ces trois solutions sont toutes difficiles à mettre sur pied, à des titres divers. Mais elles sont la clé de nos succès à venir.

À quoi nous attendre, à court et moyen terme ?

Nous n’éviterons pas, dans un avenir proche, un ou plusieurs épisodes caniculaires équivalents à celui de 2003, voire pires. Et certains annoncent le pire sur le plan sanitaire. Mais nous ne sommes plus dans l’état de sidération qui était le nôtre il y a 15 ans. Nous avons compris ce qui nous frappait, nous avons appris à nous défendre et nous sommes organisés. Ces dernières années, il n’a pas été observé de surmortalité massive pendant les vagues de chaleur. Il ne faut pas croire qu’il en sera toujours ainsi, mais nous pouvons espérer faire mieux encore. On peut se fixer un objectif « zéro mort » et tenter de l’atteindre rapidement. Car nous connaissons bien le fonctionnement de la transpiration, nous savons l’entretenir quand c’est possible et surtout la remplacer quand elle s’effondre, chez les plus âgés. Outre une surveillance des tableaux cliniques observés lors des prochaines canicules, il faudra porter attention aux tableaux d’hyponatrémie, preuve éventuelle d’une erreur thérapeutique persistante et d’une réhydratation abusive chez des sujets souffrant d’hyperthermie. Différencier rapidement, lors d’une canicule, de quoi souffre une personne âgée en mauvais état (déshydratation ou hyperthermie) permettra de lui appliquer le traitement adapté et de nous approcher de cet objectif ambitieux.

Les prochaines canicules seront un bon test de l’efficacité d’une mobilisation nationale recherchant la participation de tous (autour des sujets exposés et de leurs aidants). Une forte chaleur est la seule agression environnementale vis-à-vis de laquelle nous disposons d’une défense physiologique, susceptible d’être aisément remplacée : nous pouvons gagner !

Pour en savoir plus

Toulemon L, Barbieri M, Nizard A. Écarts de température et mortalité en France. Rapport scientifique. Paris: Institut national d’études démographiques; 2006, Documents de travail n°138. 90 p.
Besancenot JP. Notre santé à l’épreuve du changement climatique. Paris: Delachaux et Niestlé; 2007. 222 p.
Gasparrini A, Guo Y, Hashizume M, Lavigne E, Zanobetti A, Schwartz J, et al. Mortality risk attribuable to high and low ambient temperature: a multicountry observational study. Lancet. 2015;386(9991):369-75.
Le Roy Ladurie E, Rousseau D. Impact du climat sur la mortalité en France de 1680 à l’époque actuelle. La Météorologie. 2009;(54):43-53.
Rau R. Seasonality in human mortality: A demographic approach. Rostock: University of Rostock;2005. 345 p.
Rousseau D. Surmortalité des étés caniculaires et surmortalité hivernale en France. Climatologie. 2006;(3):43-54.
Todd N, Valleron AJ. Space-time covariation of mortality with temperature: A systematic study of deaths in France, 1968-2009. Environ Health Perspect. 2015;123(7):659-64.

Citer cet article

San Marco JL. Éditorial. Canicules : s’y préparer toujours mieux. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(16-17):318-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/16-17/2018_16-17_0.html

(1) Devenus Santé publique France depuis le 1er mai 2016.