Surveillance épidémiologique suite à un rassemblement prolongé de personnes expulsées de leur logement, Place de la République, Mamoudzou (Mayotte), mai-juin 2016
// Public health surveillance of mass gathering of people evicted from their homes, Place de la République, Mamoudzou, Mayotte Island (France), May-June 2016
Résumé
Introduction –
Suite à des vagues d’expulsion de leur logement en mai 2016, une centaine de familles originaires des Comores ont été rassemblées sur la Place de la République à Mamoudzou (Mayotte, France). Dans ce contexte, une surveillance épidémiologique a été mise en place pour caractériser l’état de santé de cette population et détecter la survenue d’évènements sanitaires inhabituels.
Matériel et méthode –
Le dispositif de surveillance reposait sur le recueil et l’analyse quotidienne de données d’activité des acteurs sanitaires présents sur le site (consultations des médecins du Centre hospitalier de Mayotte, poste de premiers secours de la Croix-Rouge, maraudes de Médecins du Monde). Une vérification du statut vaccinal vis-à-vis des vaccins diphtérie-tétanos-poliomyélite-coqueluche (DTPC), rougeole-oreillons-rubéole (ROR), hépatite B, BCG et pneumocoque (PnC) a été réalisée chez les enfants de moins de 17 ans, pour lesquels des actions de rattrapage vaccinal ont été proposées.
Résultats –
Au total, entre le 27 mai et le 22 juin 2016, 283 consultations ont été rapportées par les différents acteurs sanitaires ; 73% de ces consultations concernaient des enfants de moins de 15 ans. Parmi les 178 diagnostics de consultations rapportés par les médecins du Centre hospitalier de Mayotte, 78% concernaient une pathologie infectieuse : 35% une gastro-entérite aiguë, 25% une infection des voies respiratoires hautes, 8% une pathologie cutanée, 6% une infection des voies respiratoires basses et 3% une autre pathologie infectieuse. Parmi les 80 enfants dont le statut vaccinal a pu être vérifié, seuls 30% avaient un statut vaccinal à jour pour les cinq vaccins.
Conclusion –
Le dispositif de surveillance a permis de suivre l’état de santé de cette population évolutive caractérisée par la présence d’une majorité de jeunes enfants. Les conditions de vie extrêmement précaires dans lesquelles ces enfants ont vécu les ont fragilisés et exposés à un risque épidémique. Malgré une campagne de rattrapage vaccinal, seuls les deux tiers des enfants encore présents en fin de période ont bénéficié de ce rattrapage.
Abstract
Introduction –
On May 2016, around one hundred families from Comoros were expelled from their homes, and gathered on a temporary site in Mamouzdou, Mayotte Island. In this context, a public health surveillance was implemented in order to characterize the health status of this population and to identify unusual health events.
Material and method –
The surveillance system was based on health data collected by the different health actors present on the gathering site (physician consultations, first aid station of the Red Cross, outreach patrols of Médecins du Monde). Data were analyzed on a daily basis. An assessment of immunization status for vaccine-preventable diseases was carried out among children under 17 years old, for whom catch-up vaccination was offered.
Results –
In total, from 27 May to 22 June 2016, 283 consultations were reported by the different actors, of which 73% concerned children under 15 years of age. Among the 178 diagnoses for medical consultations at the Mayotte Hospital, 78% were an infectious disease: 35% for acute gastroenteritis, 25% for upper respiratory tract infections, 8% for skin diseases, 6% for lower respiratory tract infections, 3% for other infectious diseases. Among the 80 children whose vaccination status was assessed, only 30% had an immunization status up-to-date.
Conclusion –
The surveillance system allowed to monitor the health status of this moving population, in which the majority were young children. The extremely precarious living conditions of these children have weakened them and exposed them to an epidemic risk. Despite a catch-up vaccination campaign, only two thirds of the children still present on the temporary site at the end of the surveillance period benefited from this catch-up.
Introduction
Sous la pression de flux migratoires en provenance des Comores, les habitants de plusieurs villages de Mayotte ont procédé, au début du mois de mai 2016, à des vagues successives d’expulsions de plusieurs familles originaires des Comores, qu’ils considéraient en situation irrégulière sur le territoire et occupant de façon illégale un logement dans leur village. Ces logements, pour la plupart précaires (en tôles et cartons), ont été détruits après expulsion.
En l’absence de solution alternative d’hébergement, des familles entières se sont ainsi retrouvées sans abri et sur les routes. Face à cette situation, la Préfecture a mis en place, le 19 mai 2016, un site temporaire de regroupement de ces familles à Mamoudzou, sur la Place de la République, contre le marché couvert de Mayotte. Placé sous un auvent, ce site ouvert d’une superficie d’environ 500 m2 était équipé d’une citerne d’eau potable et de sanitaires ; un poste de premiers secours de la Croix-Rouge française a été installé très rapidement à proximité.
Les premiers éléments recueillis sur le terrain estimaient le nombre de personnes réunies sur ce site à près de 320, dont une majorité d’enfants, vivant dans des conditions extrêmement précaires (promiscuité, absence de douches, accès à deux sanitaires restreint aux horaires 7h-19h, couchage à même le sol ou sur des paillasses, manque de nourriture et notamment de lait pour les enfants). Cette population était particulièrement fragilisée après le traumatisme psychologique lié aux expulsions, et exposée à un risque épidémique non négligeable du fait de ces conditions d’accueil (surpeuplement, évacuation insuffisante des déchets et absence d’évacuation des eaux usées). Elle était aussi caractérisée par une grande mobilité, en raison des reconduites à la frontière des personnes sans autorisation de séjour ou à des départs vers des solutions individuelles d’hébergement moins précaires. Le caractère ouvert de ce site rendait également difficile tout recensement fiable de la population présente. Néanmoins, des personnes particulièrement vulnérables ont pu être d’emblée identifiées (femmes enceintes, nourrissons âgés de moins d’un mois, une personne trachéotomisée…).
Dans ce contexte et à la demande de l’Agence de santé Océan Indien, une surveillance épidémiologique a été mise place le 27 mai 2016 par la Cellule d’intervention en région Océan Indien (Cire OI) de Santé publique France, afin de caractériser l’état de santé de la population et de détecter la survenue d’évènements sanitaires inhabituels nécessitant la mise en œuvre de mesures de gestion adaptées.
Matériel et méthodes
Organisation des différents acteurs sur le site de rassemblement
Le poste de premiers secours mis place par la Croix-Rouge française assurait quotidiennement une permanence d’accueil de 7h à 19h. Lorsqu’une personne nécessitait un avis médical, la Croix-Rouge l’orientait :
•soit vers un médecin du centre hospitalier de Mayotte (CHM) présent sur le site (deux heures par jour) ;
•soit sur le service d’urgences du CHM après régulation du Samu lorsque le médecin n’était pas présent.
Parallèlement, des maraudes sur le site ont été régulièrement effectuées par des infirmiers de Médecins du Monde (MdM). Dans un second temps, des médecins de la Réserve sanitaire de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) (1), présents à Mayotte, ont été sollicités pour vérifier le statut vaccinal des enfants âgés de moins de 17 ans présents sur le site de rassemblement à partir de leur carnet de santé (carnetti).Cette vérification concernait les vaccins suivants : diphtérie-tétanos-poliomyélite-coqueluche (DTPC), rougeole-oreillons-rubéole (ROR), hépatite B (Hep B), BCG et pneumocoque (PnC). Un rattrapage vaccinal pour le DTCP et le ROR a été proposé à tous les enfants avec accord préalable des parents. Le rattrapage vis-à-vis du PnC n’a été proposé que pour les enfants âgés de moins de 15 mois. Les médecins de la Réserve sanitaire ont organisé le planning de ce rattrapage en fonction de la mise à disposition des doses de vaccins par le centre de vaccination du CHM.
Dispositif de surveillance épidémiologique
Le dispositif de surveillance reposait sur le recueil et l’analyse quotidienne de trois sources données :
•les consultations médicales des médecins du CHM ;
•les prises en charge par la Croix-Rouge ;
•les consultations des infirmiers de MdM lors des maraudes.
Les données recueillies par les médecins du CHM et les infirmiers de MdM ont été retranscrites par un épidémiologiste de la Cire OI sur des fiches de recueil standardisées et utilisées dans le cadre de la surveillance épidémiologique des migrants dans le Nord-Pas-de-Calais 1. Quelle que soit la source de données, l’âge des personnes a été agrégé en trois classes : moins de 5 ans, 5-14 ans, 15 ans et plus. Les diagnostics des médecins du CHM et les motifs de consultations des infirmiers de MdM ont été regroupés par étiologie : pathologies infectieuses, traumatismes, gynécologie-obstétrique, autres pathologies.
À partir de l’analyse de ces informations, un point épidémiologique hebdomadaire a été diffusé à l’ensemble des partenaires institutionnels et acteurs de terrain.
Résultats
Au total, du 27 mai au 22 juin 2016, 283 consultations ont été rapportées par les acteurs sanitaires présents sur le site. Lorsque l’information sur l’âge était disponible, 73% de ces consultations ont concerné des personnes de moins de 15 ans.
Poste de premiers secours de la Croix-Rouge française
Au cours de la période de rassemblement, la Croix-Rouge a pris en charge 25 personnes. Parmi elles, 19 ont été orientées vers le CHM. Dans près de la moitié des cas, il s’agissait d’enfants âgés de moins de 5 ans. Les motifs de prise en charge par la Croix-Rouge ne sont pas connus.
Consultations par les médecins du CHM
Sur la période de surveillance, 170 consultations ont été rapportées par les médecins du CHM présents sur le site, soit en moyenne 7 consultations par jour (figure 1). Lorsque l’âge était renseigné (n=145), les enfants âgés de moins de 5 ans représentaient 44% des consultants, les 5-14 ans 20% et les 15 ans et plus 36% des consultants.
Au total, 178 diagnostics ont été rapportés (une même personne pouvant présenter plusieurs diagnostics).
La majorité des consultations (78%) concernaient une pathologie infectieuse : 35% une gastro-entérite aiguë, 25% une infection des voies respiratoires hautes, 8% une pathologie cutanée, 6% une infection des voies respiratoires basses et 3% une autre pathologie infectieuse (figure 2). La part des consultations pour traumatismes et problèmes gynécologiques-obstétriques était faible ; elles représentaient chacune 2% des diagnostics. Les autres diagnostics de consultation étaient principalement des allergies et des problèmes oculaires.
Sur la période de surveillance, 3 prélèvements de selles ont été réalisés afin d’identifier l’étiologie des gastro-entérites. La présence d’un rotavirus a été détectée sur un des prélèvements, les 2 autres n’ayant pu être analysés (non réception au laboratoire, non étiquetage du prélèvement).
Maraudes de Médecins du Monde
Au total, 88 consultations ont été rapportées par les infirmiers de MdM lors des maraudes. La répartition des motifs de consultation était sensiblement la même que celle rapportée par les médecins du CHM, avec une prédominance d’infections digestives (gastro-entérites) et d’infections respiratoires hautes. Les personnes nécessitant un avis médical étaient orientées vers la consultation médicale du CHM située au poste de secours de la Croix-Rouge. Ces personnes, en particulier les enfants atteints de gastro-entérite aiguë, pouvaient être revues lors des maraudes suivantes pour évaluation de l’évolution de leur état clinique.
Statut vaccinal des enfants de moins de 17 ans et rattrapage vaccinal par les médecins de la Réserve sanitaire
L’évaluation du statut vaccinal des enfants âgés de moins de 17 ans a été réalisée respectivement les 14, 16 et 20 juin 2016 par les médecins de la Réserve sanitaire à partir de leurs carnetti (carnets de santé). Cette évaluation a été difficile en raison du caractère mouvant de la population sur le site. En effet, certains enfants n’ont été présents qu’à l’une de ces trois dates, limitant l’efficacité des actions de rattrapage.
Sur les 85 enfants vus par les médecins de la Réserve sanitaire sur l’une de ces trois journées, le statut vaccinal a pu être vérifié pour 80 d’entre eux à partir du carnetti.
Parmi ces derniers, seuls 24 (30,0%), dont la médiane d’âge était de 5 ans, avaient un statut vaccinal à jour selon le calendrier vaccinal 2016 pour les cinq vaccins suivants : BCG, Hep B, DTPC, ROR et PnC.
Parmi les 42 enfants âgés de moins de 6 ans, 39 (93%) avaient bien été vaccinés par le BCG suivant le calendrier vaccinal spécifique de Mayotte. Leur statut vaccinal vis-à-vis du DTCP et du ROR n’était cependant pas à jour pour, respectivement, 29 (69%) et 18 (43%) d’entre eux (tableau 1).
Parmi les 16 enfants âgés de moins de 15 mois, 13 n’étaient pas à jour vis-à-vis de la vaccination PnC.
Parmi les enfants âgés de moins de 6 ans, un rattrapage vaccinal a pu être réalisé chez 10 (34%) des 29 enfants non à jour vis-à-vis du DTPC et à 12 (67%) des 18 enfants non à jour vis-à-vis du ROR.
Parmi les 13 enfants âgés de moins de 15 mois non à jour vis-à-vis du PnC, 4 (31%) ont bénéficié d’une injection de rappel.
Les enfants n’ayant pas bénéficié de ce rattrapage vaccinal alors qu’ils l’auraient dû étaient tous absents au moment de la session de vaccination sur le site de rassemblement. Aucun refus de vaccination n’a été exprimé par leurs parents.
Fin de la surveillance
Le 23 juin 2016, la Préfecture de Mayotte ayant transféré les personnes présentes sur la place de la République vers un site d’hébergement temporaire en dur, la surveillance épidémiologique a été arrêtée.
Conclusion
Une surveillance épidémiologique de l’état de santé des familles expulsées de leur logement et rassemblées en milieu ouvert sur la Place de la République de Mamoudzou à Mayotte a été mise en place entre mai et juin 2016. Grâce à la collaboration de l’ensemble des professionnels intervenant sur le site, il a été possible de suivre l’état de santé de cette population mouvante (plus de 300 personnes lors de la mise en place du dispositif de surveillance à moins d’une centaine à la fin du mois de juin), caractérisée par la présence d’une majorité de jeunes enfants. Les conditions de vie extrêmement précaires dans lesquelles ces enfants ont vécu les exposaient à un risque épidémique alors même que leur couverture vaccinale était très insuffisante (en particulier vis-à-vis du DTPC, ROR et PnC) au moment de la campagne de vérifications effectuées à quelques jours du démantèlement du site. Par ailleurs, il est impossible de savoir si les personnes encore présentes sur le site en fin de période de surveillance étaient bien les mêmes que celles présentes au début de la période de surveillance.
Bien que des actions de rattrapage vaccinal aient été réalisées, elles ont été insuffisantes en termes d’efficacité, puisque moins de la moitié (45%) des enfants âgés de moins de 6 ans au statut vaccinal non à jour ont bénéficié de ce rattrapage en fin de période. Cet évènement et les actions qui ont été mises en place confirment le fait que tout regroupement de population doit être accompagné dès le démarrage de conditions sanitaires et d’hébergement répondant à des critères stricts de salubrité et de sécurité sanitaire, d’une caractérisation de la population concernée, d’une offre de soins adaptée et d’une surveillance sanitaire afin d’identifier le plus rapidement possible un évènement de santé inhabituel.
Le rassemblement place de la République à Mayotte a montré que lorsqu’un de ces facteurs n’était pas respecté, la situation sanitaire pouvait rapidement se dégrader, entraînant un risque majeur pour la population concernée. Au travers de cette expérience, il apparait indispensable, dès qu’un lieu de rassemblement est identifié, de réunir l’ensemble des acteurs potentiellement concernés afin d’offrir les meilleures conditions d’accueil en termes d’hygiène, de soins, de sécurité et d’alimentation pour anticiper rapidement toute menace sanitaire, et de respecter la dignité de ces personnes en attendant de trouver des solutions acceptables pour tous.
Remerciements
Nous remercions le Centre hospitalier de Mayotte, la Croix-Rouge française, Médecins du Monde, Santé publique France – la Réserve sanitaire et l’Agence de santé Océan Indien.