Dispositif de surveillance épidémiologique à Mayotte pendant la période des coupures d’eau en 2016-2017

// Epidemiological surveillance system in Mayotte (France) during the water cuts periods in 2016-2017

Marc Ruello1 (marc.ruello@santepubliquefrance.fr), Marion Subiros1, Youssouf Hassani1, Elise Brottet2, Pascal Vilain2,
Jean-Louis Solet2, Laurent Filleul2
1 Santé publique France, Cellule d’intervention en région Océan Indien (Cire), Mamoudzou, Mayotte, France
2 Santé publique France, Cire Océan Indien, Saint-Denis, La Réunion, France
Soumis le 11.07.2017 // Date of submission: 07.11.2017
Mots-clés : Distribution eau | Coupures d’eau | Diarrhées | Surveillance épidémiologique | Mayotte | Océan Indien
Keywords: Water supply | Water cuts | Diarrhea | Epidemiological surveillance | Mayotte | Indian Ocean

Contexte

À Mayotte, la production en eau potable dépend fortement des précipitations. Selon la Société mahoraise des eaux (SMAE), les ressources superficielles, qui proviennent des eaux de surface des rivières et des retenues collinaires de Combani et de Dzoumogné, représentent 80% de la production d’eau potable. Les forages ne représentent que 18% de cette production et le dessalement de l’eau de mer 2%. La saison des pluies s’étend généralement de novembre à avril et, en 2016-2017, elle a connu un retard majeur en ne commençant qu’au mois de mars 2017 1. Dès décembre 2016, face au risque d’épuisement des réserves en eau dans le centre et le sud de l’île, la préfecture et la SMAE ont mis en place un dispositif de rationnement d’eau (coupures prolongées) dans huit communes du centre et du sud de l’île, au rythme d’un jour d’alimentation en eau sur deux au mois de décembre 2016, puis de deux jours de coupure pour un jour d’eau en janvier et février 2017. Les coupures d’eau ont été allégées au mois de mars, avec un retour à un jour d’alimentation en eau sur deux.

La rupture d’approvisionnement en eau expose la population à des risques sanitaires importants 2 : recours à des eaux de surface contaminées pour l’alimentation et l’hygiène, impossibilité d’évacuer les excreta, stockage de réservoirs d’eau susceptibles de constituer des gîtes larvaires pour les moustiques vecteurs d’arboviroses… Cela représente donc une menace sanitaire pour la population mahoraise qui, en majorité, est en situation de grande précarité. Ainsi, l’absence d’eau (ou la mise en place de coupures d’eau prolongées) pourrait générer des flambées épidémiques de maladies endémiques à Mayotte (fièvre typhoïde, hépatite A, leptospirose, etc.) 3.

Afin de détecter une possible dégradation de la situation sanitaire, un dispositif de surveillance sanitaire renforcée a été mis en place par la Cire (Cellule d’intervention en région) Océan Indien (Cire OI) dès le 15 décembre 2016, et cela jusqu’au 30 avril 2017.

Principes du dispositif

Le dispositif de surveillance sanitaire renforcée a reposé sur plusieurs systèmes de surveillance et était dimensionné de la manière suivante :

une surveillance épidémiologique dans deux centres de référence (CR) du centre hospitalier de Mayotte (CHM) (Kahani et Mramadoudou), exposés aux coupures d’eau, et dans celui d’un CR non exposé (Dzoumogné) afin de pouvoir y comparer le nombre de consultations par type de pathologies (gastro-entérites et problèmes cutanés) ;

le réseau OSCOUR® (Organisation de la surveillance coordonnée des urgences), qui assurait le suivi quotidien des passages aux urgences du CHM pour gastro-entérites. Ce réseau concerne principalement Mamoudzou et ses environs, les CR ne transmettant pas de résumés de passages aux urgences ;

le réseau de médecins sentinelles de Mayotte, rapportant le pourcentage hebdomadaire de consultations pour diarrhées aiguës : 11 médecins sentinelles sont inscrits, dont deux dans le centre et le sud de l’île ;

le réseau de pharmacies sentinelles de Mayotte, rapportant le pourcentage de ventes de médicaments anti-diarrhéiques : 10 pharmacies sentinelles, dont deux dans le centre et le sud de l’île ;

les infirmières du vice-rectorat (participation volontaire) de neuf établissements scolaires (collèges ou lycées) situés uniquement dans le centre et le sud de l’île, rapportant quotidiennement l’activité de la permanence de l’infirmerie pour des symptomatologies cutanées ou gastro-intestinales.

L’analyse de l’ensemble des données était ensuite réalisée par la Cire OI et donnait lieu à la production d’un point épidémiologique hebdomadaire ou bimensuel. L’analyse porte sur la période du 15 décembre 2016 au 15 avril 2017.

Résultats

Entre le 1er février 2017 et le 28 mars 2017, la Cire OI a réalisé 10 points épidémiologiques. La surveillance épidémiologique réalisée au fil des semaines dans les CR du CHM a permis d’observer une très nette augmentation du pourcentage de consultations pour diarrhées dans la zone centre/sud. Sur la période du 15 janvier au 14 février 2017, une augmentation de 4,1% des consultations pour diarrhées par rapport à la période précédente (15 décembre 2016 au 14 janvier 2017) a été constatée en zone centre/sud, passant de 8% à 12,1% (figure 1). Dès la première semaine de mars, le pourcentage de consultations pour diarrhées est revenu au niveau observé en décembre 2016. Le pourcentage de consultations pour diarrhées dans la zone nord de l’île est resté globalement stable (autour de 6%) durant toute la période de surveillance.

Figure 1 : Pourcentage* de patients ayant consulté pour diarrhée chaque mois dans les centres de référence du Sud (Mramadoudou et Kahani) et du Nord (Dzoumogné) de Mayotte (France), 15/12/2016-15/04/2017
Agrandir l'image

L’augmentation du nombre de diarrhées observées dans les centres de référence du CHM aux mois de janvier et février 2017 est corroborée par l’augmentation des ventes d’antidiarrhéiques dans les officines sentinelles du sud de l’île, comparativement à celles du nord (figure 2).

Figure 2 : Pourcentage hebdomadaire des ventes d’antidiarrhéiques par rapport au nombre total de patients, rapporté par le réseau de pharmacies sentinelles de Mayotte en 2016-2017
Agrandir l'image

En revanche, concernant les affections cutanées (impétigos, abcès et mycoses cutanés), aucune différence significative entre la zone nord et la zone centre/sud n’a pu être mise en évidence. Cependant, il convient de noter la part importante des consultations pour ces affections (10% à 13% des consultations totales) sur l’ensemble du territoire.

Discussion – perspectives

Le dispositif de surveillance sanitaire mis en place à l’occasion de cette situation de coupures d’eau s’est avéré utile et efficace pour la gestion de la situation par l’Agence de santé de l’Océan Indien (ARS OI), mais il n’a été pensé que pour une situation de crise ponctuelle. Il a impliqué une charge de travail importante, tant pour l’équipe de la Cire OI que pour les partenaires participant à la surveillance. Par ailleurs, certaines sources de données, telles que celles des infirmières du vice-rectorat, n’ont pas permis d’observer une éventuelle altération de l’état de santé des jeunes scolarisés dans les zones impactées par les coupures d’eau : ce réseau n’étant implanté que dans la zone (centre et sud de l’île) où les coupures ont eu lieu, il ne permettait pas de comparaison avec d’autres zones. De plus, aucun historique de données en milieu scolaire n’était disponible pour réaliser des comparaisons avec des périodes antérieures.

Compte-tenu de la situation de pénurie d’eau qui pourrait se reproduire, une adaptation du système de surveillance épidémiologique est nécessaire à Mayotte afin de suivre au mieux l’évolution de l’état de santé de la population. Ainsi, le recrutement de nouveaux médecins par la Cire OI pour le réseau de médecins sentinelles au sein des centres périphériques et dans les cabinets de médecine libérale a été entrepris dès le mois de janvier 2017, passant de 10 médecins lors de la surveillance pendant la pénurie d’eau à 24 médecins au mois de juillet. Ces médecins sont répartis sur tout le territoire et ils peuvent remonter les informations nécessaires à la surveillance via une interface Web sécurisée. Le réseau de médecins sentinelles à Mayotte rapporte le nombre hebdomadaire de consultations pour syndrome grippal, diarrhées aiguës, syndrome dengue-like, bronchiolite. Depuis le renforcement du réseau, les affections cutanées ont été ajoutées. Couplées aux données du réseau OSCOUR® reçues en routine, l’ensemble des données collectées sont analysées et interprétées par la Cire OI depuis le 1er mai 2017. Quant au réseau de pharmacies sentinelles à Mayotte, qui rapportait les ventes de médicaments antidiarrhéiques, de paracétamol et d’ibuprofène, sa participation a été suspendue à son initiative (17 avril 2017, semaine 16) et il n’est pas intégré à la nouvelle surveillance pour le moment.

Lors de la réunion hebdomadaire du comité de suivi de la ressource en eau du mercredi 5 avril 2017, animée par le Préfet de Mayotte en présence des administrations concernées, des élus et des représentants de la population, il a été rappelé que la situation demeure fragile en termes de ressource en eau et que des coupures d’eau pourraient être envisagées fin 2017 sur l’ensemble des communes de Mayotte si une sécheresse survenait à nouveau. Aussi, un suivi rapproché de la situation épidémiologique sur l’ensemble du territoire s’avère indispensable au cours des prochains mois.

Remerciements

Aux médecins du centre hospitalier de Mayotte et des centres de référence, aux médecins du réseau sentinelles, aux pharmaciens du réseau de pharmacies sentinelles et aux infirmières du vice-rectorat pour leurs participations au dispositif.

Références

1 Cann KF, Thomas DR, Salmon RL, Wyn-Jones AP, Kay D. Extreme water-related weather events and waterborne disease. Epidemiol Infect. 2013;141(4):671-86.
2 Prüss-Ustün A, Bartram J, Clasen T, Colford JM Jr, Cumming O, Curtis V, et al. Burden of disease from inadequate water, sanitation and hygiene in low– and middle-income settings: a retrospective analysis of data from 145 countries. Trop Med Int Health. 2014;19(8):894-905.
3 Ng B, Cai W, Walsh K, Santoso A. Nonlinear processes reinforce extreme Indian Ocean Dipole events. Sci Rep. 2015;5:11697. doi: 10.1038/srep11697.

Citer cet article

Ruello M, Subiros M, Hassani Y, Brottet E, Vilain P, Solet JL, et al. Dispositif de surveillance épidémiologique à Mayotte pendant la période des coupures d’eau en 2016-2017. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(24-25):540-2. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/24-25/2017_24-25_5.html