Situation épidémiologique de la fièvre typhoïde à Mayotte en 2017

// Epidemiological situation of typhoid fever in Mayotte (France) in 2017

Youssouf Hassani1 (hassani.youssouf@santepubliquefrance.fr), Marion Subiros1, Marc Ruello1, Armelle Leguen2, Thierry Benoit Cattin3, Elsa Balleydier4, Elise Brottet4, Luce Menudier4, Pascal Vilain4, Thomas Margueron2, Laurent Filleul4
1 Santé publique France, Cellule d’intervention en région (Cire) Océan Indien, Mamoudzou, Mayotte, France
2 Cellule de veille, d’alerte et de gestion sanitaire de Mayotte, Agence de santé Océan Indien, Mamoudzou, Mayotte, France
3 Centre hospitalier de Mayotte, Mamoudzou, Mayotte, France
4 Santé publique France, Cire Océan Indien, Saint-Denis, La Réunion, France
Soumis le 11.07.2017 // Date of submission: 07.11.2017
Mots-clés : Fièvre typhoïde | Épidémie | Mayotte | Océan Indien
Keywords: Typhoid fever | Epidemics | Mayotte | Indian Ocean

Introduction

Les fièvres typhoïde et paratyphoïde sont des infections bactériennes systémiques à point de départ digestif et à déclaration obligatoire. Les bactéries responsables appartiennent au genre Salmonella enterica sérotype Typhi ou Paratyphi (A, B ou C), dont le réservoir est strictement humain. Les personnes se contaminent généralement par l’ingestion d’eau et/ou d’aliments contaminés par des selles d’individus infectés ou via une transmission directe, de personne à personne. Des estimations récentes ont montré que 11,9 à 26,9 millions de cas de fièvre typhoïde et 129 000 à 270 000 décès liés à cette maladie se produisent chaque année dans le monde 1. La majorité des cas sont observés en Asie du Sud, en Asie du Sud-Est et en Afrique subsaharienne, principalement dans les quartiers à faible revenu des capitales, mais aussi dans les zones rurales 2,3.

À Mayotte, département connaissant un contexte particulier de précarité, où plus d’un tiers de la population vit dans un logement insalubre 4 et a un accès limité à l’eau courante et à un réseau d’assainissement satisfaisant, la fièvre typhoïde reste une maladie endémique. Au cours des dernières années, des cas de fièvre typhoïde sont régulièrement survenus sur l’île, de manière isolée ou sous la forme de regroupements géographiques limités. En 2016, 13 cas ont été signalés dans le village de Longoni, au nord de l’île. Les investigations, réalisées par les enquêteurs de la Cellule de veille, d’alerte et de gestion sanitaire (CVAGS) de l’Agence de santé Océan Indien (ARS OI), avaient permis d’identifier la rivière de Longoni, fréquentée par 9 des cas au cours du mois précédant le début de leurs symptômes, comme source de contamination probable. En 2017, de nouveaux cas ont été signalés dans la même région, regroupés dans les villages de Koungou et Longoni. Nous présentons ici la situation épidémiologique de la fièvre typhoïde à Mayotte en 2017, avec un focus particulier sur la description des cas groupés dans la commune de Koungou.

Matériels et méthodes

Dans le cadre de la réglementation sur les maladies à déclaration obligatoire, tous les cas de fièvre typhoïde confirmés par hémoculture et/ou coproculture doivent-être signalés à la CVAGS de l’ARS OI par les laboratoires de l’île (laboratoire du Centre hospitalier de Mayotte (CHM) et laboratoire privé Troalen).

Une investigation à domicile est réalisée autour de chaque cas par la CVAGS. Des informations sont collectées, au moyen d’un questionnaire spécifique, sur les données cliniques et les facteurs de risque de contamination : occupation professionnelle, mode de garde s’il s’agit d’un enfant de moins de 6 ans, séjours à l’étranger, caractéristiques de l’entourage (nombre de personnes vivant dans le foyer, enfants de moins de 6 ans, contact avec des personnes qui ont eu la typhoïde, type d’habitation, présence d’eaux usées dans l’environnement de l’habitation) et de l’environnement (mode d’approvisionnement et de stockage en eau de boisson, alimentation, lavage des dents). Un lien potentiel avec des cas déjà notifiés est également recherché. De même, une source commune de contamination est systématiquement recherchée pour tout regroupement de cas.

Les données sont saisies dans le logiciel Epidata 3.1 et analysées au moyen du logiciel Stata® 12.

Résultats

Surveillance

Entre 2011 et 2016, une trentaine de cas de fièvre typhoïde ont été observés en moyenne à Mayotte chaque année. Après une baisse de l’incidence en 2014 (9,1 cas pour 100 000 habitants en 2014 vs 15,6 cas pour 100 000 habitants en 2013), l’incidence est repartie à la hausse avec 19,4 et 17 cas pour 100 000 habitants respectivement en 2015 et 2016 (figure 1).

Figure 1 : Évolution annuelle du nombre de cas de fièvre typhoïde déclarés et du taux d’incidence annuel à Mayotte (France), janvier 2011-juin 2017
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Entre le 1er janvier et le 29 juin 2017, 26 cas ont été identifiés, soit une situation comparable pour la période aux moyennes annuelles observées entre 2011 et 2016 (figure 1). Parmi ces cas, 16 (61,5%) résidaient dans la commune de Koungou. Les 10 autres étaient répartis sur d’autres communes du nord-est de l’île (Mamoudzou et Pamandzi) et à Sada, à l’ouest (figure 2). Les investigations de la CVAGS ont pu être réalisées pour 24 (92,3%) cas.

Figure 2 : Répartition géographique des cas de fièvre typhoïde (n=26) par village en 2017 à Mayotte, France
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Les cas sont survenus sur toute la période de janvier à juin 2017 ; 11 d’entre eux sont survenus au mois de juin, dont 8 dans la commune de Koungou (figure 3).

Figure 3 : Répartition des cas confirmés de fièvre typhoïde (n=26) par commune et semaine de prélèvement, janvier-juin 2017, Mayotte, France
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Seuls 21 (81%) cas ont fait l’objet d’une notification par les médecins auprès de la CVAGS.

Aucun cas de fièvre paratyphoïde n’a été identifié.

Description des cas dans la commune de Koungou

Les 8 cas survenus au cours du mois de juin dans la commune de Koungou résidaient dans les villages de Longoni (4 cas) et Koungou (4 cas). Il s’agissait de 3 hommes et 5 femmes, avec une moyenne d’âge de 17 ans (min : 3 ans, max : 37 ans) ; la moitié (4 cas) étaient des enfants de moins de 15 ans. Sept patients ont été hospitalisés, dont 1 en réanimation. Aucun décès n’a été enregistré. Un lien de voisinage ou familial a été établi entre ces 8 cas. Tous ces cas étaient autochtones, aucun voyage hors de Mayotte n’ayant été rapporté. Aucun malade n’avait été vacciné contre la fièvre typhoïde.

Source de contamination

Dans le village de Koungou, le cas index habitait le quartier Kirson, dans une cour abritant plusieurs habitations précaires en tôle (bangas) avec un point d’eau potable proche des latrines communes, de la douche et du coin vaisselle. Les investigations auprès des cas de Koungou ont permis d’identifier ce point d’eau de la cour comme possible source de contamination. De plus, le dispositif d’assainissement et de gestion des eaux usées était déficient, voire inexistant, dans cette cour commune. Par ailleurs, lors des investigations, l’existence d’une mosquée disposant d’un grand bac de béton utilisé collectivement pour les ablutions (dispositif interdit) a été identifiée aux alentours des résidences des cas. Ce bac commun d’ablutions pourrait être une autre source possible de contamination.

Le premier cas secondaire habitant à Longoni a vraisemblablement été contaminé à Koungou après s’être déplacé dans ce village pour garder les enfants du cas index de Koungou, hospitalisé en réanimation au CHM. De retour à Longoni, il a par la suite contaminé ses 3 enfants.

Renforcement de la surveillance

Un renforcement de la surveillance épidémiologique a été mis en place, dès le signalement du premier cas, afin d’identifier tout nouveau cas et permettre une meilleure description du phénomène. Tous les professionnels de santé (médecins libéraux, laboratoire du CHM, équipes du Samu/urgences du CHM…) ont été informés. Certains cas étant des enfants scolarisés, le vice-rectorat a été informé afin d'organiser les mesures de prévention en matière d’hygiène.

Discussion

La fièvre typhoïde est un enjeu majeur de santé publique à Mayotte. En effet, bien que la maladie soit endémique sur l’île, des flambées épidémiques et des cas groupés surviennent chaque année dans des zones où les conditions de vie sont précaires. Parmi les 28% de ménages qui n’ont pas accès à l’eau courante dans leur logement, la moitié a recours à une borne publique, un puits, une citerne ou même un ruisseau ou une rivière 4. De plus, le dispositif d’assainissement et de gestion des eaux usées est souvent déficient dans ces logements.

Une eau potable et un assainissement conforme permettent de prévenir la propagation de la fièvre typhoïde. Pour cela, des mesures environnementales et l’éducation sanitaire de la population aux bonnes pratiques d’hygiène doivent être mises en œuvre par les autorités compétentes afin de mieux contrôler cette maladie à Mayotte.

Remerciements

La Cire OI tient à remercier la CVAGS de l’ARS OI ainsi que le laboratoire du CHM pour la mise à disposition des données sur la fièvre typhoïde.

Références

1 Mogasale V, Maskery B, Ochiai RL, Lee JS, Mogasale VV, Ramani E, et al. Burden of typhoid fever in low income and middle-income countries: A systematic, literature-based update with risk-factor adjustment. Lancet Glob Health. 2014;2(10):e570-80.
2 Azmatullah A, Qamar FN, Thaver D, Zaidi AK, Bhutta ZA. Systematic review of the global epidemiology, clinical and laboratory profile of enteric fever. J Glob Health. 2015;5(2):020407.
3 Slayton RB, Date KA, Mintz ED. Vaccination for typhoid fever in sub-Saharan Africa. Hum Vaccin Immunother. 2013;9(4):903-6.
4 Brasset M, Delœuvre N. Enquête logement à Mayotte 2013. Des conditions de logement éloignées des standards nationaux. Insee Analyses Mayotte. 2016;(11):1-4. https://www.insee.fr/fr/statistiques/2421929
5 Santé publique France. Cire OI. Cas groupés de fièvre typhoïde à Mayotte. Point épidémiologique n°36 au 11 juillet 2017. [Internet]. http://invs.santepubliquefrance.fr/fr/Publications-et-outils/Points-epidemiologiques/Tous-les-numeros/Ocean-Indien/2017/Cas-groupes-de-fievre-typhoide-a-Mayotte.-Point-epidemiologique-au-11-juillet-2017

Citer cet article

Hassani Y, Subiros M, Ruello M, Leguen A, Collet L, Balleydier E, et al. Situation épidémiologique de la fièvre typhoïde à Mayotte en 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(24-25):536-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/24-25/2017_24-25_4.html