Maladie veineuse thromboembolique pendant la grossesse et le post-partum, France, 2009-2014
// Venous thromboembolism during pregnancyand ansafter delivery, France, 2009-2014
Résumé
Introduction –
La maladie veineuse thromboembolique (MVTE) est l’une des principales complications de la grossesse et la deuxième cause directe de mortalité maternelle. Cependant, il n’existe aucune donnée d’incidence périnatale récente pour la France. L’objectif principal de cette étude était d’estimer l’incidence annuelle de l’embolie pulmonaire (EP) et de la MVTE hospitalisée pendant la grossesse et dans les 18 semaines suivant l’accouchement.
Méthodes –
L’incidence de la MVTE hospitalisée a été estimée à partir des données du PMSI-MCO chaînées avec les données individuelles du Sniiram. Cette incidence a été estimée annuellement, d’une part pour l’EP et d’autre part pour l’ensemble de la MVTE. Une régression de Poisson a été utilisée pour étudier les facteurs de risque d’EP ou de MVTE pendant la grossesse ou le post-partum et les évolutions entre 2009 et 2014.
Résultats –
En 2013, l’incidence de l’EP et de la MVTE hospitalisée en France était, respectivement, de 0,49 et 1,51 pour 1 000 femmes/année pendant la grossesse et de 1,06 et 2,65 pour 1 000 femmes/année pendant le post-partum. L’incidence de l’EP et de la MVTE augmentait régulièrement au cours des trois trimestres de la grossesse, atteignant un maximum dans la semaine suivant l’accouchement. Un sur-risque thromboembolique persistait au moins jusqu’à 10 semaines après l’accouchement. L’incidence de l’EP et, plus globalement, de la MVTE au cours de la grossesse et du post-partum a augmenté significativement entre 2009 et 2014. Un âge supérieur à 35 ans, des grossesses multiples, des antécédents de MVTE, un accouchement par césarienne, une forte prématurité et la mort fœtale in utero étaient les principaux facteurs de risque thromboembolique pendant la grossesse et le post-partum.
Conclusion –
La MVTE est une pathologie potentiellement évitable. La mise en place d’une prévention adaptée nécessite une identification minutieuse et individuelle des facteurs de risque chez la femme enceinte. D’autres études sont nécessaires pour évaluer la durée de la période à risque pendant le post-partum, qui semble persister au-delà des six semaines classiquement considérées comme à risque.
Abstract
Introduction –
Venous thromboembolism (VTE) is one of the main complications of pregnancy and the second direct cause of maternal mortality. However, there is no recent estimation of the incidence of perinatal VTE in France. The main objective of this study was to estimate the annual incidence of hospitalized pulmonary embolism (PE) and VTE during pregnancy and 18 weeks after delivery.
Methods –
The incidence of hospitalized VTE between 2009 and 2013 was estimated from the PMSI-MCO data chained with individual consumption data of the SNIIRAM database. The incidence is estimated annually for PE and VTE globally. The ratio between crude incidence rate of two exposure groups was calculated to allow a comparison. Poisson regression was used to estimate risk-adjusted PE or VTE during pregnancy or postpartum between 2009 and 2014.
Results –
The incidence of hospitalized PE and VTE in France was respectively 0.49 and 1.51 per 1,000 women/year during pregnancy, and of 1.06 and 2.65 per 1,000 women/year during the postpartum. The incidence of PE and VTE increased steadily over the three quarters of pregnancy, reaching a maximum in the week following the birth. An excess of thromboembolic risk persisted beyond 10 weeks after delivery. The impact of the EP and more generally of VTE during pregnancy and postpartum increased significantly between 2009 and 2014. An age over 35, multiple pregnancies, history of VTE, delivery by cesarean, high prematurity or fetal death in utero were the main risk factors for thromboembolism during pregnancy and the postpartum period.
Conclusion –
The establishment of an appropriate prevention requires careful and individual identification of the risk of VTE, a potentially preventable disease, in order to oppose the increase in the incidence of hospitalized VTE. Further studies are needed to assess the duration of the period at risk for postpartum, which seems to persist beyond the six weeks commonly considered.
Introduction
La maladie veineuse thromboembolique (MVTE) est l’une des principales pathologies de la grossesse et du post-partum 1. Composée de la thrombose veineuse profonde (TVP) et de sa complication principale, l’embolie pulmonaire (EP), la MVTE représente en France la deuxième cause directe de mortalité maternelle, derrière les hémorragies, et la seule pour laquelle le nombre de décès n’a pas diminué au cours des dix dernières années (30 décès entre 2007 et 2009) 2. En plus du risque létal lié à cette pathologie, la MVTE est plus difficile à diagnostiquer chez la femme enceinte du fait de symptômes non spécifiques pouvant, pour certains, se confondre avec ceux de la grossesse elle-même. Enfin, en raison de l’effet tératogène foetal du traitement par antivitamines K (AVK), notamment au premier trimestre, la MVTE est également plus complexe à traiter.
L’augmentation du risque de MVTE pendant la grossesse s’explique par un état d’hypercoagulabilité acquise, lié à des modifications majeures de l’hémostase, qui protège les femmes d’hémorragies massives lors de la délivrance 3. De plus, la stase veineuse par compression de l’utérus gravide, notamment au dernier trimestre, ainsi que les lésions vasculaires lors de l’accouchement constituent également des facteurs favorisants de complications thromboemboliques 1. D’autres facteurs comme un âge supérieur à 35 ans, l’obésité, les thrombophilies biologiques, les antécédents thromboemboliques veineux, personnels et familiaux, et les grossesses multiples sont également associés à une augmentation du risque de MVTE chez la femme enceinte 4,5,6. Dans le post-partum, le mode d’accouchement, notamment les césariennes, les infections et les hémorragies ont également été bien décrits comme facteurs de risque 7,8.
Bien que le poids de cette pathologie chez la femme enceinte soit important, la MVTE obstétricale et, plus encore, l’EP restent des événements relativement rares et de ce fait difficiles à mesurer 6. Une méta-analyse des données récentes a estimé l’incidence de la MVTE à 1,2/1 000 cas pendant la grossesse et 4,2/1 000 cas pendant le post-partum 9. Concernant l’EP, l’incidence a été estimée entre 0,06 et 0,11/1 000 cas pendant la grossesse et entre 0,45 et 1,6/1 000 cas pendant le post-partum 7,10. Dans le cadre d’une grossesse spontanée, l’incidence de la MVTE semblait augmenter au cours des trois trimestres, pour atteindre un maximum au moment de l’accouchement et dans les quelques jours suivants 9,11,12. Cependant, ces résultats restent controversés. Certaines études n’ont pas mis en évidence de différence d’incidence au cours des trois trimestres, d’autres un risque plus élevé durant le premier trimestre 1. Dans le post-partum, le risque de MVTE atteignait un maximum dans les deux semaines suivant l’accouchement, puis diminuait progressivement pendant les quatre semaines suivantes 7,13. Deux études ont récemment mis en évidence une augmentation du risque thromboembolique au-delà des six semaines de post-partum et jusqu’à 12 semaines 13,14. En France, aucune donnée d’incidence récente de la MVTE dans le post-partum n’a été rapportée.
Dans ce contexte, l’objectif principal de notre étude était d’estimer l’incidence annuelle de l’EP et, plus largement, de la MVTE hospitalisée en France en 2013, pendant la grossesse et les 18 semaines suivant l’accouchement. Les objectifs secondaires étaient d’en étudier les évolutions récentes et de décrire, durant cette période, les principaux facteurs de risque associés à la survenue de cette pathologie.
Méthodes
Population d’étude et mesure de l’exposition
Les femmes domiciliées en France métropolitaine et dans les DOM, à l’exception de Mayotte, ayant été hospitalisées pour un accouchement (naissance vivante ou interruption médicale de grossesse - IMG - de plus de 22 semaines) ou pour un soin post-accouchement, entre le 1er janvier 2009 et le 31 août 2014, ont été incluses dans une cohorte. Elles ont été considérées comme exposées pendant toute la durée de la grossesse et pendant les 18 semaines suivant la date de l’accouchement.
Sources de données
Les évènements d’intérêt (hospitalisation pour une thrombose veineuse ou une EP) étaient repérés à partir des données nationales d’hospitalisations du Programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (PMSI-MCO).
Cette base fournit des informations (diagnostics, actes...) relatifs aux séjours de tous les patients hospitalisés en France. Les séjours hospitaliers pour une même patiente ont été chaînés entre eux. Certaines données individuelles de notre étude sont issues des données du Système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (Sniiram). Le Sniiram contient des données individualisées et anonymes relatives aux remboursements des soins de plus de 99% des résidents en France et chaînés avec les données d’hospitalisation.
Données recueillies
Différents types de données ont été recueillies à partir des bases du PMSI et du Sniiram :
- des données démographiques : âge maternel, région de domicile, couverture sociale par la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) ;
- les caractéristiques de la grossesse : grossesses multiples, parité (uniquement disponible pour les accouchements par voie basse et sans précision du niveau de multiparité) ;
- les caractéristiques de l’accouchement : âge gestationnel, actes thérapeutiques renseignant notamment sur le mode d’accouchement ;
- les antécédents d’hospitalisation avec un diagnostic principal (DP), associé (DA) ou relié (DR) de MVTE depuis 2006, codés au moyen de la 10e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10).
Identification des grossesses
Les grossesses ont été identifiées par la présence d’un séjour hospitalier (PMSI) associé à une fin de grossesse de plus de 22 semaines (naissance vivante ou IMG). Les séjours devaient avoir un DP, DA ou DR codé en Z37 « Résultat de l’accouchement » ou Z39 « Soins et examens en post-partum ».
La date précise de l’accouchement a été calculée en ajoutant, à la date d’entrée du séjour d’accouchement, le délai (en jours) entre la date d’entrée du séjour et l’acte d’accouchement. Le calcul de la date précise de l’accouchement permettait une distinction nette des deux périodes : grossesse et post-partum. La date présumée de début de grossesse a été calculée en retranchant, à la date d’accouchement, l’âge gestationnel de la femme plus 14 jours. Pour les femmes dont l’âge gestationnel était manquant (0,4% des femmes), un âge gestationnel de 40 semaines a été imputé.
Identification des hospitalisations pour EP et MVTE
Les évènements d’intérêt ont été identifiés grâce aux données d’hospitalisation du PMSI. L’évènement d’intérêt principal retenu était l’EP. L’EP pouvait être associée ou non à une TVP. Elle a été identifiée par un DP, DA ou DR codé en O88.2 (embolie obstétricale par caillot sanguin) ou I26 (embolie pulmonaire).
La MVTE, l’événement d’intérêt secondaire, regroupait les EP associées ou non à une TVP et les TVP seules. Elle a été identifiée par un DP, DA ou DR d’EP ou de TVP, codés en O22.3 (phlébothrombose profonde au cours de la grossesse), O87.1 (phlébothrombose profonde au cours de la puerpéralité), I80.1 (phlébite et thrombophlébite de la veine fémorale), I80.2 (phlébite et thrombophlébite d’autres vaisseaux profonds des membres inférieurs), I80.3 (phlébite et thrombophlébite des membres inférieurs, sans précision), I80.8 (phlébite et thrombophlébite d’autres localisations). Les thromboses veineuses cérébrales n’ont pas été incluses dans cette analyse.
Analyses statistiques
Les taux bruts d’incidence de l’EP et de la MVTE ont été calculés en rapportant le nombre de cas au nombre de personnes-temps (femmes/année) exposées au cours des deux périodes de suivi de l’étude : la grossesse et les 18 semaines suivant l’accouchement. Un taux d’incidence et son intervalle de confiance ont été calculés globalement (grossesse + post-partum) pour chaque année, entre 2009 et 2014. L’évolution annuelle moyenne de l’incidence de la MVTE et de l’EP sur cette période a été estimée par une régression de Poisson avec le logarithme des personnes-temps exposées en variable offset.
Pour l’année 2013, l’incidence a été estimée séparément pour la grossesse et le post-partum. L’incidence de l’EP et de la MVTE a ensuite été calculée en fonction des caractéristiques maternelles, des caractéristiques de la grossesse et de l’accouchement pendant la grossesse et le post-partum.
Les facteurs de risque potentiels de chacune des deux périodes ont été identifiés par une analyse univariée basée sur le calcul du rapport d’incidence (incidence rate ratio : IRR) et de son intervalle de confiance à 95% (IC95%). Les facteurs de risque significatifs au risque de 5% identifiés par cette analyse ont été introduits dans une analyse multivariée. Ainsi, le modèle a été ajusté sur l’âge maternel, la CMU-C, les antécédents de MVTE et les grossesses multiples pour l’analyse des facteurs de risque de la grossesse, et sur l’âge maternel, la CMU-C, les antécédents de MVTE, les grossesses multiples, l’issue de la grossesse, la prématurité et le mode d’accouchement pour l’analyse des facteurs de risque du post-partum. La modélisation utilisée était une régression de Poisson.
Une incidence de la MVTE chez les femmes en âge de procréer (15-44 ans) non enceintes a également été estimée comme référence, en divisant le nombre de femmes non enceintes hospitalisées pour MVTE par le nombre de femmes/année exposées.
Les analyses ont été réalisées avec le logiciel SAS® Entreprise Guide, version 4.3.
Résultats
Patientes hospitalisées pour MVTE pendant la grossesse et le post-partum en 2013
En 2013, 788 439 femmes résidant en France ont accouché. Parmi elles, 561 femmes ont été hospitalisées pour une EP (272 pendant la grossesse et 289 pendant le post-partum) (tableau 1). Lorsqu’on élargissait les événements aux MVTE, 1 570 femmes hospitalisées étaient comptabilisées en 2013 (848 pendant la grossesse et 722 pendant le post-partum). La moyenne d’âge des femmes hospitalisées était de 31,0 ans pour l’EP et de 30,7 ans pour la MVTE.
Incidence annuelle des patientes hospitalisées pour MVTE pendant la grossesse et le post-partum en 2013
En 2013, l’incidence annuelle des patientes hospitalisées pendant la grossesse était de 0,49 pour 1 000 femmes/année pour l’EP et de 1,51 pour 1 000 femmes/année pour la MVTE. Pendant le post-partum, l’incidence s’élevait à 1,06 et 2,65 pour 1 000 femmes/année pour l’EP et la MVTE, respectivement.
L’incidence de l’EP hospitalisée n’était pas constante au cours de la grossesse et du post-partum : une augmentation au cours des trois trimestres était observée, l’incidence atteignant un maximum (3,10 pour 1 000 femmes/année) dans la semaine suivant l’accouchement (figure 1a). Celle-ci diminuait ensuite progressivement, pour retrouver un niveau équivalent à celui des femmes non enceintes de cette tranche d’âge entre la 8e et la 13e semaine du post-partum. Un profil assez semblable était retrouvé pour la MVTE, avec un pic atteignant une incidence de 24,14/1 000 femmes/année dans la 1ère semaine du post-partum, et un retour au niveau de la population générale entre la 10e et la 12e semaine (figure 1b).
Facteurs de risque d’EP et de MVTE au cours de la grossesse et du post-partum en 2013
Pendant la grossesse, un âge supérieur à 35 ans, le bénéfice de la CMU-C, les grossesses multiples, la multiparité et les antécédents d’hospitalisation pour MVTE étaient des facteurs de risque d’hospitalisation pour EP, et plus largement de MVTE, dans l’analyse univariée (tableau 1). Dans l’analyse multivariée, les risques relatifs (RR) associés à chacun de ces facteurs restaient significatifs en dehors de la multiparité (tableau 2). Les antécédents d’hospitalisation pour MVTE (RR=45,99 ; IC95%:29,98-70,57) et les grossesses multiples (RR=4,28 ; IC95%:2,71-6,75) constituaient les deux plus importants facteurs de risque d’EP. Les résultats étaient semblables pour la MVTE.
Pendant le post-partum, un âge supérieur à 35 ans, les grossesses multiples, la multiparité, les césariennes, les antécédents d’hospitalisation pour MVTE mais également la prématurité de l’enfant et les morts fœtales in utero augmentaient le risque d’hospitalisations pour une EP et une MVTE (tableau 1). Après ajustement, les antécédents d’hospitalisation pour MVTE (RR=23,31 ; IC95%:13,59-39,98) et les morts fœtales in utero (RR=4,34 ; IC95%:2,08-9,05) étaient les facteurs de risque majeurs d’EP (tableau 2). Les césariennes étaient également fortement associées à une augmentation du risque d’EP, d’autant plus quand la césarienne était pratiquée en urgence (RR=4,08 ; IC95%:[2,82-5,91]).
Évolution de l’incidence annuelle de l’EP et de la MVTE hospitalisée entre 2009 et 2014
Entre 2009 et 2014, une augmentation régulière et significative de l’incidence de l’EP hospitalisée pendant la grossesse et le post-partum a été observée, passant de 0,51/1 000 en 2009 à 0,56/1 000 en 2014 (figure 2). L’évolution annuelle moyenne était de 2,0%/an sur la période d’étude. Des tendances similaires étaient observées lorsque l’on considérait la MVTE hospitalisée avec une augmentation significative de 7,0%/an sur la même période.
Discussion
En 2013, en France, l’incidence de l’EP et de la MVTE hospitalisée était de 0,49 et 1,51 pour 1 000 femmes/année pendant la grossesse et de 1,06 et 2,65 pour 1 000 femmes/année pendant le post-partum. L’incidence de l’EP et de la MVTE augmentait régulièrement au cours des trois trimestres de la grossesse, atteignant un maximum dans la semaine suivant l’accouchement. Un sur-risque thromboembolique persistait jusqu’à 12 semaines après l’accouchement. L’incidence de l’EP et de la MVTE au cours de la grossesse et du post-partum a augmenté significativement entre 2009 et 2014.
Les estimations de l’incidence de la MVTE pendant la grossesse sont très variables d’une étude à l’autre en fonction de l’ancienneté de celles-ci, de la durée considérée de post-partum et du niveau de validation des événements, rendant les comparaisons difficiles. Cependant, une méta-analyse de données postérieures à 2005 estimait l’incidence de la MVTE à 1,2 pour 1 000 femmes/année pendant la grossesse et à 4,2 pour 1 000 femmes/année pendant le post-partum 9. Ces résultats sont proches des résultats obtenus dans notre étude. Une étude américaine, réalisée à partir d’une cohorte de patientes ayant eu un premier événement validé de MVTE, n’était pas incluse dans cette méta-analyse. Celle-ci décrivait des taux d’incidence d’EP et de MVTE plus bas que ceux estimés ici pendant la grossesse (0,11 et 0,96 pour 1 000 femmes/année respectivement) mais un taux plus élevé dans le post-partum (1,6 et 5,11 pour 1 000 femmes/année respectivement) 10. Enfin, les estimations d’incidence d’une étude norvégienne, réalisée à partir d’un registre, étaient beaucoup plus basses que dans notre étude (0,06 et 0,49/1 000 respectivement pendant la grossesse et 0,22 et 0,51/1 000 dans le post-partum) 11,12. Dans cette étude, contrairement à la plupart des autres, l’incidence pendant le post-partum n’était pas supérieure à celle pendant la grossesse. Cela pourrait s’expliquer, en partie, par un taux de césarienne très bas en Norvège (12,6% en moyenne entre 1990 et 2003) comparativement à la France (20,2% en 2013).
L’augmentation de l’incidence de l’EP et de la MVTE au cours des trois trimestres de la grossesse, mise en évidence dans notre étude, est cohérente avec les résultats de plusieurs études récentes 12,15,16. En revanche, la persistance d’un risque accru d’EP et de MVTE au-delà des 6 semaines classiquement considérées pour le post-partum, n’a été que récemment rapportée 14. Dans notre étude, le risque ne redevenait équivalent à celui des femmes de la même tranche d’âge non enceintes qu’autour de la 12e semaine du post-partum.
Ces résultats sont biologiquement plausibles et aujourd’hui bien documentés 1. En effet, les trois mécanismes pouvant concourir à la formation d’un thrombus, décrit dans la triade de Virchow dès 1865, sont réunis pendant cette période : l’hypercoagulabilité, la stase veineuse et les lésions vasculaires. La normalisation des paramètres de l’hémostase en 4 à 6 semaines ne permet toutefois pas d’atteindre un risque thromboembolique équivalent à celui des femmes non enceintes dans notre étude.
Les facteurs de risque associés à une augmentation de l’incidence de l’EP et de la MVTE obstétricale dans notre étude ont été mis en évidence dans plusieurs travaux. Un âge maternel supérieur à 35 ans était associé à une augmentation du risque thromboembolique. Ceci s’explique par une augmentation du risque thromboembolique avec l’âge, indépendante de la grossesse, et par des comorbidités plus nombreuses chez les femmes enceintes après 35 ans 12,17. L’accouchement par césarienne était également associé à un risque accru d’EP et de MVTE au cours du post-partum, comme tout contexte post-opératoire : la césarienne est associée à des lésions de la paroi vasculaire plus importantes qu’un accouchement par voie basse, d’autant plus si celle-ci est réalisée en urgence 4. De plus, certaines études ont mis en évidence une moindre mobilité après un accouchement par césarienne par rapport aux accouchements par voie basse, ceci pouvant participer à l’augmentation du risque de MVTE dans le post-partum 18. Certaines études n’ont pas mis en évidence de risque thromboembolique augmenté chez les femmes césarisées, possiblement en raison de la prophylaxie indiquée en cas de césarienne programmée 7. Les antécédents personnels de MVTE sont communément admis comme un facteur majeur de récidive, ce qui est cohérent avec nos résultats 19,20. Les grossesses multiples et la prématurité sont également classiquement rapportées comme des facteurs de risque thrombotique pendant la grossesse et le post-partum 7,8,12,21. Dans notre étude, la faible prématurité était associée à une augmentation significative du risque d’EP. Il est probable que l’augmentation du risque en cas d’accouchement prématuré soit, en grande partie, liée aux causes maternelles de la prématurité (diabète gestationnel, hypertension artérielle, infections...) ou aux mesures mises en œuvre pour l’éviter. En effet, une immobilisation stricte peut-être recommandée lors d’une menace d’accouchement prématuré et pourrait participer à une augmentation du risque de MVTE.
Les évolutions de l’incidence de la MVTE, depuis le milieu des années 2000, ont été peu étudiées. Aux États-Unis et en Écosse, une augmentation de l’incidence pendant la grossesse et le post-partum a été observée lors des périodes 1994-2009 et 1980-2005, respectivement 4,22,23. Cette augmentation de l’incidence de l’EP hospitalisée est également observée hors du contexte obstétrical. Elle pourrait résulter d’une augmentation du recours à l’angioscanner multispiralé, qui permet la visualisation d’un plus grand nombre d’emboles sous-segmentaires que l’angioscanner monobarrette ou la scintigraphie pulmonaire ; ces emboles n’ont cependant pas toujours de réelle signification clinique. Une réelle augmentation de l’incidence de la MVTE hospitalisée chez la femme enceinte n’est toutefois pas à exclure, dans la mesure où le nombre de décès maternels par MVTE est la seule cause de mortalité maternelle directe à ne pas avoir diminué entre 2000 et 2009 en France 2. Cela pourrait résulter d’un nombre croissant de comorbidités chez la femme enceinte. Cependant, la proportion d’accouchements par césarienne ainsi que l’âge maternel n’ont pas augmenté entre 2009 et 2014 et ne peuvent expliquer cette hausse. En revanche, une hausse du pourcentage d’enfants nés prématurément pourrait être, en partie, impliquée dans cette augmentation. La qualité métrologique du PMSI n’ayant pas subi de modification majeure entre 2009 et 2014, elle ne permet pas d’expliquer la hausse observée.
Forces et limites de l’étude
Notre étude fournit une première estimation nationale de l’incidence de l’EP et de la MVTE hospitalisée au cours de la grossesse et du post-partum. L’amélioration de la qualité des bases médico-administratives, notamment d’hospitalisation, dont la couverture populationnelle est quasi-exhaustive, permet de disposer d’un outil suffisamment puissant pour estimer cette incidence dans la population à haut risque vasculaire que constituent les femmes enceintes. Cependant, plusieurs limites méthodologiques méritent d’être relevées. Premièrement, aucune étude complète de validation du codage de l’EP et de la MVTE dans le PMSI n’a été réalisée. Des premières données, hors contexte obstétrical, suggéraient néanmoins une bonne sensibilité des codes CIM-10 de l’EP (89%) 24. Cette sensibilité était en revanche assez basse pour la thrombose veineuse (58%). Une deuxième étude évaluant uniquement la valeur prédictive positive (VPP) de l’EP obstétricale l’estimait à 64% 25. Cependant, cette étude étant menée sur un nombre restreint d’établissements, uniquement pour le code O88.2 et sans estimation associée de la sensibilité, ne permet pas de déterminer la qualité métrologique et la validité des codes de la MVTE utilisés dans notre étude. Les fausses couches précoces et certains avortements n’étant pas toujours repérables dans les bases d’hospitalisation, nous avons donc choisi de nous limiter aux grossesses de plus de 22 semaines. Cela a pu conduire à une sous-estimation de l’incidence de la MVTE au cours de la grossesse dans notre approche. Une autre limite est l’absence de nombreuses variables d’ajustement comme l’indice de masse corporelle maternel, le statut tabagique, l’alitement, les antécédents familiaux ou les thrombophilies biologiques, qui constituent des facteurs de risque connus de MVTE pendant la grossesse. Pour les événements survenant en fin de grossesse, au cours du même séjour que l’accouchement, il n’était pas possible de déterminer si l’événement avait eu lieu avant ou après l’accouchement. Cela a pu conduire à des erreurs de classement pour certains événements entre la grossesse et le post-partum. Enfin, les données de remboursement des actes d’imagerie médicale en ville (sans en connaître le résultat) et la délivrance d’anticoagulants de type HBPM (héparines de bas poids moléculaire) n’étant pas suffisantes pour identifier avec certitude des événements non hospitalisés, seules les TVP ou les EP ayant donné lieu à une hospitalisation ont été prises en compte dans cette étude.
Conclusion
La MVTE reste l’une des principales complications potentiellement fatale de la grossesse et du post-partum. Son incidence a augmenté significativement entre 2009 et 2014, pour la fraction hospitalisée. Pathologie potentiellement évitable, la mise en place d’une prévention adaptée nécessite une identification minutieuse et individuelle des facteurs de risque de MVTE chez la femme enceinte. D’autres études sont nécessaires pour évaluer la durée de la période à risque au-delà des 6 semaines de post-partum classiquement considérées comme à risque.