Santé cardiovasculaire des femmes : il faut œuvrer ensemble pour une prévention féminine individualisée
// Women’s cardiovascular health: working together to reach personalized female prevention
Ce numéro du Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH) propose sept publications qui s’inscrivent dans les travaux menés en France depuis une dizaine d’années pour une meilleure connaissance des spécificités du risque cardiovasculaire féminin. Leur lecture souligne l’urgence de bouleverser nos cultures sociétales, qui considèrent encore que les femmes jeunes sont protégées des maladies cardiovasculaires par leurs hormones. Il est au contraire nécessaire d’engager rapidement des actions marquantes de prévention et d’information auprès des femmes et des professionnels de santé 1,2.
Nous faisons face à une épidémiologie préoccupante, notamment chez les femmes jeunes, qui s’explique essentiellement par l’évolution de leur mode de vie avec l’adoption, depuis 30 ans, des mêmes comportements à risque que les hommes 1,2,3,4.
Au-delà de l’évolution défavorable de leur hygiène de vie (tabagisme, stress, sédentarité, mauvaises habitudes alimentaires, plus récemment alcool…), les femmes connaissent également 1,2,3,4,5 :
- une exposition à des facteurs hormonaux spécifiques tout au long de la vie : contraception avec œstrogènes de synthèse ; grossesse avec ses risques thrombotique, vasculaire et métabolique ; ménopause avec sa phase de transition vasculaire et métabolique, migraine… ;
- des particularités physiopathologiques de la maladie coronaire et des symptômes atypiques ;
- une prise en charge moins bonne que les hommes : dépistage plus tardif ou incomplet, délai dans l’appel du 15… ; insuffisance de prescription des traitements médicamenteux ; procédures de revascularisation plus complexes liées à la constitution même de leurs artères ; recours peu fréquent à la réadaptation après l’accident.
L’Institut de veille sanitaire (InVS) constate encore une aggravation significative, sur ces cinq dernières années, du nombre d’hospitalisations pour infarctus du myocarde (IDM) chez les femmes jeunes. À titre d’exemple, la progression du nombre d’hospitalisations pour un IDM chez les femmes de 45 à 54 ans est passée de +3% par an entre 2002 et 2008 à +4,8% par an entre 2009 et 2013. Il est néanmoins observé des tendances plus favorables chez les femmes plus âgées (65 ans et plus). Les taux standardisés de mortalité ont aussi baissé (-31% entre 2002 et 2012 chez les femmes de moins de 65 ans et -55% chez les plus de 65 ans), ce qui souligne la qualité de la prise en charge médicale des IDM en France.
Les tendances épidémiologiques de l’IDM et de l’AVC, ainsi que les données disponibles sur l’évolution des consommations de tabac et d’alcool présentées dans ce numéro, mettent l’accent sur l’importance de larges campagnes répétées d’information et de prévention. Il est urgent d’agir de façon plus drastique sur l’hygiène de vie et sur les comportements addictifs (alcool, tabac, cannabis), tout aussi délétères pour le cœur que pour le cerveau.
Pour combattre les idées reçues, la Fédération française de cardiologie (www.fedecardio.org) a initié en décembre dernier une large campagne de sensibilisation intitulée « Préjugés », incitant les femmes à prendre soin de leur cœur et de leurs artères. Nous devons intensifier l’information sur les risques cardiovasculaires associés à la vie hormonale des femmes et les inciter à adopter un mode de vie plus sain : jamais la première cigarette, une activité physique quotidienne, une alimentation équilibrée, un stress mieux géré… Ce sont les clés d’une prévention féminine positive, à inscrire dans des programmes de prévention, très tôt à l’école. Informer sans faire peur, proposer des solutions simples avec des objectifs ciblés qui s’inscriront dans la vie quotidienne des femmes.
D’autres actions sont à développer :
- accompagner les femmes à risque au travers de parcours de soins dédiés, en s’appuyant sur les structures ressources, comme les plannings familiaux, les Caisses primaires d’assurance-maladie, les centres sociaux ; continuer à impliquer les médias, relais très efficaces de l’information 6 ;
- mobiliser la médecine du travail, parfois seul recours médical, avec des repérages ciblés comme la grossesse ; favoriser les formations professionnelles multidisciplinaires sur les spécificités du risque cardiovasculaire de la femme ;
- développer des programmes de recherche spécifiquement consacrés aux femmes, dans les domaines cliniques, épidémiologiques et thérapeutiques 7 ;
- associer l’ensemble des acteurs de la santé publique et institutionnels pour élaborer des feuilles de route dédiées à la santé cardiovasculaire des femmes.
Toutes ces actions sont réalisables dès aujourd’hui, en s’appuyant notamment sur les recommandations européennes 3 et nord-américaines 4,5, ainsi que sur celles du Livre blanc pour un Plan cœur, remis aux décideurs de la santé publique à l’initiative de la Fédération française de cardiologie et de 22 partenaires en octobre 2014.
Aux États-Unis, le programme « Go Red for Women » initié par l’American Heart Association dans les années 2000, a suscité une prise de conscience des pouvoirs publics. Il a conduit à de larges campagnes d’information, à des avancées dans la recherche et à des recommandations réactualisées. Le bilan à dix ans fait le constat d’une meilleure connaissance des symptômes par les femmes, d’une meilleure prise en charge et d’un recul global des maladies cardiovasculaires féminines 8. Nous pouvons suivre cet exemple, en l’adaptant aux spécificités françaises.
Un recueil plus systématique de données spécifiques pour améliorer l’évaluation du risque cardiovasculaire féminin devra être encouragé : modes de contraception, ancienneté de la ménopause, usage d’un traitement hormonal substitutif, antécédent de pré-éclampsie ou de diabète gestationnel, antécédent de maladie thromboembolique veineuse favorisé par un évènement hormonal, quantification du stress et de la dépression, environnement socioéconomique, contraintes physiques au travail, exposition à certains produits toxiques... 7.
Nous pouvons nous réjouir de la publication de ce numéro, qui est une étape indispensable pour mieux informer et mobiliser les professionnels de santé et les femmes, en nous incitant tous à une approche plus personnalisée de leurs maladies cardiovasculaires.