La cohorte Constances : une longue aventure pour construire un outil novateur et ambitieux

// The French CONSTANCES cohort: a long journey to build a novel and ambitious tool

Dominique Polton
Conseillère auprès du Directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS), Paris, France

L’idée de la cohorte Constances est née il y a 15 ans lorsque, dans le cadre d’une réflexion sur l’avenir de ses Centres d’examens de santé (CES), la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS) a demandé une expertise au Professeur Marcel Goldberg, chercheur en épidémiologie et directeur d’unité à l’Inserm 1,2. Considérant que « les CES constituaient un outil technique au potentiel exceptionnel au service de la santé publique, de la connaissance de l’état de santé de la population et de la recherche en épidémiologie », M. Goldberg a alors proposé, parmi un ensemble de programmes, la constitution d’une cohorte de population s’appuyant sur les examens médicaux réalisés dans le cadre des CES, baptisée dans un premier temps COCES (COhorte des CES) puis rebaptisée ConstanCES.

Dès le départ, le principe d’un chaînage avec d’autres sources de données a été posé : de ce point de vue, les promoteurs de Constances ont été parmi les premiers à voir les potentialités qu’offraient les bases médico-administratives et à se lancer dans l’aventure périlleuse des appariements de ces bases, celle de l’Assurance maladie sur les consommations de soins, mais aussi celle de l’Assurance retraite qui renseigne sur les parcours professionnels, avec des données collectées sur le terrain – données cliniques, biologiques ou recueillies par questionnaires. Ils ont été pionniers dans cette voie, qui apparait aujourd’hui à tous très prometteuse, et leur expérience a pu montrer la faisabilité et l’intérêt de cette démarche 3.

La CnamTS a soutenu le projet dès le départ, en mobilisant un ensemble de Centres d’examens de santé (CES) pour y participer et en finançant une équipe de recherche commune entre l’Inserm et le Cetaf (Centre technique d’appui et de formation des Centres d’examens de santé) pour le mettre sur pied. Il a fallu cependant surmonter des difficultés concrètes : par exemple la nécessité, pour les consultants inclus dans la cohorte, d’assurer l’homogénéité et la qualité des données recueillies par les opérateurs des 22 CES, en mettant en place des procédures et matériels spécifiques et une démarche qualité exigeante que décrit l’article de F. Ruiz et coll. Il a fallu aussi trouver un équilibre entre les missions principales des CES, dont l’activité est aujourd’hui recentrée sur des actions en direction des populations défavorisées, et la participation à la cohorte qui implique des exigences de nature différente.

Le financement par le Programme Investissements d’avenir, qui a sélectionné la cohorte Constances dans le cadre de l’appel à projets « Infrastructures en biologie et santé », a permis d’accroître fortement l’ambition initiale, notamment par la constitution d’une biobanque.

Après de longues années de gestation et de travaux préparatoires, Constances est aujourd’hui une réalité : plus de la moitié des 200 000 participants prévus ont été inclus, comme le souligne l’article introductif de M. Zins et coll., ce qui permet déjà de nombreuses exploitations. La variété des thématiques abordées dans les articles réunis dans ce numéro en témoigne : troubles musculo-squelettiques d’origine professionnelle, obésité et surpoids, fonctions cognitives, trouble ventilatoire obstructif, habitudes alimentaires… Il s’agit en effet d’une cohorte généraliste, dont l’échelle est suffisamment importante pour permettre des analyses sur une large gamme de problématiques. Il sera ainsi possible d’analyser l’influence de divers facteurs sur la survenue des pathologies, l’impact d’actions de prévention ou de traitement, du fonctionnement du système de soins… En plus de cet aspect analytique, Constances a aussi pour objectif de fournir des données descriptives sur l’état de santé de la population : c’est la raison pour laquelle un investissement méthodologique important, dont rend compte l’article de G. Santin et coll., est nécessaire afin de pouvoir extrapoler les résultats observés à l’ensemble de la population tout en prenant en compte la non-participation.

Nul doute que les premiers articles de ce BEH vont être suivis de beaucoup d’autres. Car dès l’origine, et cela a été un autre aspect novateur du projet, Constances a été conçue comme un « laboratoire épidémiologique ouvert », une infrastructure accessible à l’ensemble de la communauté scientifique. À ce jour, 60 projets de recherche, s’appuyant sur les données de la cohorte, ont été proposés par des équipes et acceptés par le Conseil scientifique dans les domaines variés : pathologies chroniques, système de soins et de prévention, vieillissement, risques professionnels et environnementaux, santé des femmes, surveillance épidémiologique… Les potentialités de Constances vont s’accroître encore avec l’augmentation des effectifs inclus (200 000 personnes à terme), des données collectées (avec la biobanque notamment) et de la profondeur historique.

Au total, la cohorte Constances, pilotée par l’Unité mixte Inserm – Université de Versailles-Saint-Quentin en Yvelines (UMS 11), est un bel exemple de réussite collective, résultant de l’action conjuguée d’un ensemble de parties prenantes : les CES qui se sont impliqués dans une collecte des données exigeante, les divers financeurs qui se sont articulés autour d’un projet commun, la CnamTS, la Direction générale de la santé, le Commissariat général à l’investissement, l’Inserm ; enfin et surtout, une équipe de recherche dont la créativité, mais aussi la compétence et la ténacité ont permis que ce projet ambitieux passe de l’idée à la réalité.

Références

1 Goldberg M. Rapport d’expertise sur l’activité et les orientations des Centres d’Examens de Santé. Rapport final. 13 Novembre 2000.
2 Goldberg M, Carton M. Proposition de programmes d’activité pour les Centres d’examens de santé sur la période 2002-2006. Rapport final. 31 août 2001.
3 Goldberg M, Quantin C, Guéguen A, Zins M. Bases de données médico-administratives et épidémiologie : intérêts et limites. Courrier des Statistiques. 2008;(124):1-8. http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=cs124l

Citer cet article

Polton D. Éditorial. La cohorte Constances : une longue aventure pour construire un outil novateur et ambitieux. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(35-36):610-1. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/35-36/2016_35-36_0.html