Qualité de la spirométrie dans la cohorte Constances et prévalence du trouble ventilatoire obstructif
// Quality of spirometry testing in the CONSTANCES cohort and prevalence of airway obstruction
Résumé
Introduction –
Cet article présente une évaluation de la qualité des spirométries et une première estimation de la prévalence du trouble ventilatoire obstructif (TVO) chez les premiers participants à Constances.
Méthodes –
Constances est une cohorte épidémiologique constituée de volontaires tirés au sort et âgés de 18 à 69 ans à l’inclusion. Les spirométries (courbes débit-volume sans test de bronchodilatation) ont été réalisées selon une procédure standardisée. Leur qualité a été évaluée par deux pneumologues sur un échantillon de courbes jugées exploitables par l’opérateur. La prévalence du TVO a été estimée chez les adultes de 30 à 69 ans recrutés au 31 janvier 2014 et ayant une spirométrie exploitable. Le TVO a été défini par un rapport VEMS/CVF <0,70.
Résultats –
Les spirométries jugées exploitables par l’opérateur étaient acceptables ou optimales pour 99% de l’échantillon de spirométries étudié. Parmi les 28 315 participants âgés de 30 à 69 ans lors de l’examen de santé, 15 206 (53,7%) avaient une spirométrie acceptable ; 5,6% d’entre eux (hommes : 7,7% ; femmes : 3,8%) avaient un TVO.
Conclusion –
Le contrôle qualité a confirmé que les spirométries jugées de bonne qualité par l’opérateur étaient acceptables. Toutefois, seuls 53,7% des participants ont eu une spirométrie exploitable, confirmant la difficulté à réaliser l’examen de manière optimale. Le rapport VEMS/CVF était inférieur à 0,7 chez 5,6% des adultes âgés de 30 à 69 ans.
Abstract
Introduction –
The aim of this study was to describe the quality of spirometry tests and to provide a preliminary estimation of airway obstruction (AO) prevalence among the first participants to the CONSTANCES cohort.
Methods –
CONSTANCES is an epidemiological population-based cohort composed of a representative sample of voluntary participants selected randomly and aged 18-69 years. Spirometry tests (pre-bronchodilator flow-volume curves) were performed according to standard operating procedures. A sample of spirometry tests, rated as valid by the operator, was checked by two chest physicians. The prevalence of AO (defined by a FEV1/FVC <0.70) was estimated among the 30-69 years old participants included as of 31/01/2014 with valid tests.
Results –
About 99% of the sampled operator-valid tests were rated as of acceptable quality by the chest physicians. During the physical exam, among the 28,315 participants aged 30-69 years, 15,206 (53.7%) had a valid spirometry test. Among them, 5.6% had a FEV1/FVC below 0.7 (men 7.7%, women 3.8%).
Conclusion –
The quality control confirmed that the spirometry tests rated as valid by the operator were of acceptable quality. Nevertheless, only 53.7% of participants achieved a valid spirometry test, highlighting the difficulty to perform optimal spirometry tests. About 5.6 % of adults aged 30-69 years had a pre-bronchodilator FEV1/FVC<0.7.
Introduction
Le trouble ventilatoire obstructif (TVO) est défini par une limitation des débits dans l’arbre bronchique. La spirométrie permet le diagnostic et la quantification du TVO. Les deux principales causes de TVO sont l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Dans le cas de l’asthme, le TVO n’est présent qu’en période d’exacerbation ou dans les formes les plus sévères de la maladie ; il est le plus souvent réversible après inhalation de bronchodilatateur. Un TVO non ou incomplètement réversible correspond le plus souvent à une BPCO.
Les données sur la prévalence de l’asthme proviennent d’enquêtes déclaratives 1. Concernant la BPCO, les données sont rares 2,3. Les enquêtes déclaratives sous-estiment la prévalence de la BPCO en raison de son sous-diagnostic, qui concernerait plus de 70% des personnes atteintes. L’estimation de la prévalence de la BPCO nécessite de réaliser une mesure de la fonction respiratoire avec test de bronchodilatation permettant d’objectiver un TVO non complètement réversible. La mesure de la fonction respiratoire nécessite une technique rigoureuse pour être exploitable et est donc difficile à mettre en place dans une étude épidémiologique. L’objectif de cet article est de présenter des résultats préliminaires concernant la mesure de la fonction respiratoire chez les participants à la cohorte Constances, avec d’une part l’évaluation de la qualité des spirométries et, d’autre part, une première estimation de la prévalence du TVO.
Méthodes
La cohorte Constances
L’infrastructure et le protocole de la cohorte Constances font l’objet d’un article spécifique dans ce numéro 4. La population cible est celle des assurés sociaux du régime général de l’Assurance maladie, âgés de 18 à 69 ans et résidant dans l’un des 16 départements couverts par les 17 Centres d’examen de santé (CES) participant à la cohorte Constances.
Les procédures de réalisation de la spirométrie sont formalisées au sein d’un protocole opératoire standardisé (http://www.constances.fr/espace-scientifique/bilan-sante.php) reprenant les modalités de calibrage des spiromètres, les conditions de réalisation de l’examen et les critères de qualité retenus par l’American Thoracic Society et l’European Respiratory Society (critères ATS-ERS). Au moins trois courbes débit-volume (sans inhalation de bronchodilatateur) acceptables doivent être réalisées. L’opérateur renseigne l’acceptabilité des trois meilleures courbes et la reproductibilité, définie par une différence ≤150 mL entre les deux meilleurs volumes expiratoires maximum seconde (VEMS) et les deux meilleures capacités vitales forcées (CVF). Si ces deux critères sont obtenus, il retranscrit les valeurs de CVF et de VEMS de chacune des trois meilleures courbes. L’ensemble des opérateurs était déjà impliqué dans la réalisation de ces examens dans le cadre du fonctionnement habituel des CES. En outre, une formation spécifique a été délivrée dans le cadre de la participation à la cohorte Constances 5.
Évaluation de la qualité des spirométries
Dans chacun des 17 centres, un échantillon aléatoire de 20 spirométries, dont les courbes étaient considérées comme acceptables et reproductibles par l’opérateur, a été recueilli et analysé par deux pneumologues (double contrôle). Au total, 335 spirométries ont pu être analysées. Les critères d’évaluation étaient pour l’acceptabilité : 1) un bon départ, évalué par un pic précoce sur les courbes débit-volume, 2) l’absence d’artefact, 3) une durée d’expiration supérieure ou égale à 6 secondes ou l’obtention d’un plateau sur la courbe volume temps ; et pour la reproductibilité : 4) une différence inférieure ou égale à 200 mL entre les deux meilleurs VEMS et les deux meilleures CVF. Le critère de reproductibilité de 200 mL choisi pour ce contrôle qualité est moins strict que le critère de 150 mL retenu par les centres pour Constances, mais il est souvent utilisé pour l’analyse de qualité dans les enquêtes épidémiologiques 6. La spirométrie était considérée comme optimale si les quatre critères étaient évaluables et atteints, acceptable si les critères évaluables étaient atteints (la durée d’expiration et la reproductibilité n’étaient pas toujours disponibles), non acceptable si au moins un critère était évaluable mais non atteint.
Estimation de la prévalence du TVO
La population d’intérêt correspondait aux personnes âgées entre 30 et 69 ans en 2013 et vivantes au 31 janvier 2014, résidant dans l’un des 16 départements couverts par la cohorte Constances et affiliées au régime général de l’Assurance maladie, à la Camieg (Caisse d’assurance maladie des industries électriques et gazières), à MFP Services (union de mutuelles issues des Fonctions publiques d’État, Territoriale et Hospitalière) ou à la MGEN (Mutuelle générale de l’éducation nationale) 7. La présente analyse a porté sur les personnes âgées de 30 à 69 ans lors de l’examen de santé et ayant une spirométrie exploitable.
Pour ce travail, ont été considérées comme exploitables les spirométries qui avaient été jugées acceptables et reproductibles par l’opérateur et pour lesquelles la reproductibilité était effectivement ≤150 mL. Le meilleur VEMS et la meilleure CVF ont été conservés pour l’analyse, qu’ils proviennent ou non de la même courbe. Le TVO a été défini par un rapport VEMS/CVF <0,70. Les stades de gravité légers, modérés et sévères de l’obstruction bronchique ont été définis respectivement sur les seuils de VEMS suivants : VEMS≥80%, 50%≤VEMS<80% et VEMS<50%. Les valeurs théoriques ont été calculées au moyen des normes CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) et des données d’âge, de sexe et de la taille mesurée 8. Le statut vis-à-vis du tabac a été classé en fumeur actif, ex-fumeur (quelle que soit la durée de sevrage) ou non-fumeur.
Afin de tenir compte des probabilités différentes d’inclusion et de la non-participation (non-réponse totale) à la cohorte, un redressement de l’échantillon a été effectué. La méthode de calcul des pondérations est détaillée l’article de G. Santin et coll. publié dans ce numéro 7. Les estimations de prévalence présentées dans le présent article sont des estimations pondérées. En revanche, les effectifs présentés sont les effectifs de l’échantillon. L’analyse a été effectuée avec le logiciel Stata® selon la procédure « svy », qui permet de prendre en compte les échantillonnages complexes.
Résultats
Contrôle qualité des spirométries
Un contrôle des courbes débit-volume a été réalisé par deux pneumologues sur 335 spirométries jugées acceptables et reproductibles par l’opérateur. Un bon départ a été confirmé pour 98,2% des courbes et l’absence d’artefact pour 99,4% d’entre elles. Le critère de qualité de l’expiration (supérieure ou égale à 6 secondes ou obtention d’un plateau) n’a pu être évalué que pour 47 courbes (14%) pour lesquelles le temps d’expiration ou la courbe volume-temps étaient disponibles. Ce critère était atteint pour 37 d’entre elles (78,7%). La reproductibilité a été confirmée pour 316 des 335 spirométries (95%). Au total, les spirométries ont été jugées optimales pour 3,8%, acceptables pour 95,2% et non acceptables pour 0,9%.
Prévalence du TVO
Parmi les 28 914 invités inclus dans la cohorte au 31 janvier 2014, 28 314 étaient âgés de 30 à 69 ans lors de l’examen de santé, dont 25 065 (88,5%) ont bénéficié d’une spirométrie (figure). Les motifs de non-réalisation étaient principalement : une contre-indication médicale (54,6%) et un refus ou une mauvaise coopération du participant (16,7%). Lorsqu’elle avait été réalisée, la spirométrie était jugée acceptable et reproductible dans 67,1% des cas (n=16 807). La différence entre les deux meilleures valeurs de VEMS et de CVF était effectivement ≤150 mL pour 15 206 (90,5%) (≤200 mL pour 15 994, 95,2%). Au final, 15 206 participants (53,7% de l’échantillon initial) avaient une spirométrie exploitable. C’était plus souvent le cas chez les femmes, les personnes âgées de moins de 60 ans et les fumeurs ou ex-fumeurs (tableau 1).
La prévalence du TVO était de 5,6% (tableau 2). Elle était plus élevée chez les hommes (7,7%) que chez les femmes (3,8%) et augmentait avec l’âge (jusqu’à 9,5% chez les 60-69 ans). Elle était plus élevée chez les fumeurs (7,7%) et ex-fumeurs (6,3%) que chez les non-fumeurs (4,0%). Plus de la moitié des TVO étaient légers (58,6%) et 41,4% étaient modérés à sévères. La prévalence par stades de sévérité est détaillée dans le tableau 3.
Discussion
Ces premiers résultats sur la spirométrie dans la cohorte Constances ont montré, sur un large échantillon, qu’une spirométrie jugée de qualité suffisante par l’opérateur n’avait pas pu être obtenue dans environ un tiers des cas. Lorsque la qualité était jugée adéquate par l’opérateur, les contrôles ont montré qu’elle l’était dans la presque totalité des cas. La prévalence du TVO sans test de bronchodilatation était proche de 6% dans cette population âgée de 30 à 69 ans.
Qualité des spirométries
L’estimation de la prévalence de la BPCO, ou plus largement du TVO, nécessite la réalisation d’une spirométrie. Cet examen non invasif, bien que de réalisation simple en théorie, impose une technique de réalisation rigoureuse et une bonne coopération de la personne examinée pour être exploitable. Les recommandations internationales imposent au moins trois mesures de bonne qualité, dont deux au moins sont reproductibles, pour que les résultats soient considérés comme valides. Lorsqu’elles ont été réalisées, les spirométries ont été jugées de bonne qualité par l’opérateur dans 67% des cas. Ce taux est similaire à celui de 71% obtenu par des techniciens certifiés dédiés dans le cas d’un programme autrichien de dépistage de la BPCO en soins primaires 9. Au Canada, dans le cadre d’un programme d’amélioration de la prise en charge de l’asthme, les taux de référence étaient de 68% dans un centre de soins primaires disposant d’un technicien dédié et de 91% dans un centre universitaire, alors que le taux était de 71% chez dix professionnels de santé paramédicaux impliqués dans l’éducation du patient asthmatique récemment formés 10. En revanche, dans l’étude de cohorte CanCOLD, 95% des spirométries répondaient aux critères de qualité de l’ATS, et respectivement 90% et 95% des spirométries répondaient aux critères de reproductibilité définis par une différence inférieure ou égale à 150 et 200 mL 6. Il faut souligner que pour cette étude réalisée dans neuf sites, 44 techniciens ont été formés de façon centralisée pendant trois jours, ce qui a permis d’obtenir des résultats proches de ceux obtenus dans un laboratoire d’explorations fonctionnelles respiratoires, dont les conditions de réalisation des spirométries sont différentes de celles d’un centre de santé. Les techniciens des 17 CES participant à Constances ont été formés localement aux procédures standardisées. Le contrôle effectué sur un échantillon a montré que les courbes considérées de bonne qualité et reproductibles l’étaient sous réserve d’une évaluation de la durée d’expiration par la courbe volume temps, disponible pour seulement 14,1% des courbes. Pour le reste des courbes, l’expiration était évaluée sur le seul aspect de la courbe débit-volume. Le risque est de méconnaître une expiration non maximale. Il faut souligner qu’une expiration incomplète diminue la CVF sans modifier le VEMS, et donc augmente artificiellement le rapport VEMS/CVF, avec un risque de sous-estimation de la prévalence du TVO. Depuis 2015, la durée d’expiration est vérifiée sur site pour un échantillon de 1% des volontaires. Le critère de reproductibilité de 200 mL choisi pour ce contrôle qualité est moins strict que le critère de 150 mL retenu par les CES pour Constances selon l’ATS. Il est souvent utilisé pour l’analyse de qualité dans les enquêtes épidémiologiques 6.
Prévalence du TVO
À partir des données des premiers participants âgés de 30 à 69 ans inclus dans la cohorte Constances, nous avons estimé la prévalence du TVO en France à 5,6%. Une étude menée en 2005 par Roche et coll. dans les CES chez des adultes de 40 ans ou plus, avait estimé la prévalence du TVO à 7,5% des personnes n’ayant pas d’asthme 11. Cette restriction aux personnes non-asthmatiques était destinée à mieux approcher la prévalence de la BPCO puisque, comme pour Constances, la spirométrie était réalisée sans inhalation de bronchodilatateurs. En effet, les CES ont des missions de prévention, de dépistage et d’éducation pour la santé et non de diagnostic, et l’administration d’un médicament n’y est pas possible. La prévalence dans l’étude de Roche et coll. était plus élevée que dans Constances, probablement en raison de l’âge plus élevé de la population d’étude (40 ans ou plus versus 30 ans ou plus), la prévalence du tabagisme étant en revanche semblable dans les deux études. La répartition des stades de sévérité était similaire : 59% de stades légers dans les deux études. Un travail plus récent a mis en évidence une prévalence du TVO de 15% chez les adultes de 40-64 ans à Lille et à Dunkerque 12. Une prévalence plus élevée dans la région Nord-Pas-de-Calais est attendue et, l’étude ayant été réalisée à domicile, des personnes en moins bonne santé ont pu participer plus facilement.
La principale limite de cette analyse est l’absence de test de bronchodilatation. La mesure post-bronchodilatation permet en effet d’exclure les TVO réversibles, ce qui réduit la prévalence de 25 à 35% 13,14,15. Par ailleurs, le TVO a été défini par un VEMS/CVF inférieur à un seuil fixe de 0,7. Le rapport VEMS/CVF diminuant avec l’âge, l’utilisation d’un seuil correspondant au 5e percentile de la limite inférieure de la normale pour un âge et une taille donnés serait préférable pour éviter une surestimation de la prévalence chez les plus âgés 16. La non-participation (non-réponse totale) à la cohorte a été prise en compte par le redressement de l’échantillon. Toutefois, les personnes en moins bonne santé sont généralement sous-représentées dans ce type d’étude. Cette sous-représentation n’est que partiellement prise en compte par les pondérations 7. Par ailleurs, il n’y a pas eu de redressement spécifique pour les non-réponses partielles dues à l’absence de spirométrie exploitable (spirométrie non réalisée, ou réalisée mais non exploitable). Les spirométries exploitables étaient plus fréquentes chez les femmes et les participants les plus jeunes, mais également plus fréquentes chez les fumeurs et ex-fumeurs. Il est donc difficile de dire dans quel sens les résultats sont biaisés. Le pourcentage important de spirométries non réalisées ou non exploitables confirme la difficulté à réaliser cet examen de façon optimale. Une formation appropriée des personnes réalisant la spirométrie ainsi qu’un contrôle qualité rigoureux sont indispensables pour obtenir des résultats de qualité 17. Ainsi, en complément des formations initiales et du monitorage mensuel sur site, un indicateur longitudinal du taux d’acceptabilité par opérateur a été mis en place à des fins pédagogiques.
Conclusion
Les données préliminaires de la cohorte Constances confirment la prévalence élevée du TVO en France. Des analyses plus approfondies, utilisant un seuil de VEMS/CVF corrigé pour l’âge pour définir le TVO et prenant en compte la notion d’asthme et les symptômes respiratoires, compléteront ces résultats.