La dépendance dans la vie quotidienne comme prédicteur de démence : synthèse de résultats obtenus à partir de données françaises

// Disability in daily living as predictor of subsequent dementia: synthesis of the results from French data

Karine Pérès (Karine.Peres@isped.u-bordeaux2.fr), Arlette Edjolo, Catherine Helmer, Hélène Amieva, Jean-François Dartigues
Univ. Bordeaux, Isped, Centre Inserm U1219, Bordeaux Population Health Research Center, Bordeaux, France
Soumis le 31.03.2016 // Date of submission: 03.31.2016
Mots-clés : Démence | Prédiction | Dépendance dans la vie quotidienne | Cohorte populationnelle
Keywords: Dementia | Prognosis | Activities of daily living | Population-based cohort

Résumé

Introduction –

Cet article propose une synthèse des résultats issus de données françaises concernant les capacités prédictives de la dépendance dans la vie quotidienne quant à la survenue d’une démence.

Méthodes –

Les travaux présentés sont issus de la cohorte Paquid et ses 27 ans de suivi, qui permettent d’explorer, sur un échantillon initial de 3 777 sujets âgés, les manifestations fonctionnelles au cours de la longue phase pré-démentielle. Un diagnostic clinique de démence a été réalisé à chaque temps du suivi et l’échelle des activités instrumentales de la vie quotidienne (IADL, Instrumental Activities of Daily Living) a permis d’évaluer les manifestations fonctionnelles précoces, notamment à l’aide du score aux 4 IADL les plus cognitives (téléphone, transports, budget et médicaments).

Résultats –

Les différents travaux confirment la présence de manifestations fonctionnelles plusieurs années avant le stade de démence et mettent en évidence le caractère fortement prédictif des IADL dans la survenue d’une démence incidente. Il existe toutefois des différences selon le sexe, le niveau d’études ou encore la période de risque considérée (à plus ou moins long terme).

Conclusion –

Des difficultés dans la vie quotidienne, parfois légères, se manifestent plusieurs années avant le diagnostic. Un indicateur simple et rapide comme le score aux 4 IADL serait utile en pratique clinique pour identifier les personnes les plus à risque de développer une démence et pour lesquelles un suivi des évolutions cognitives et fonctionnelles au cours du temps s’avère nécessaire, afin de mettre en place une prise en charge adaptée le moment venu.

Abstract

Introduction –

This article presents a summary of the French results on the dementia prediction based on disability in daily living.

Methods –

The studies presented here have been conducted on the PAQUID cohort with an initial sample of 3,777 elderly subjects. Thanks to the 27 years of follow-up, we explored the early functional manifestations of the disease along the long pre-dementia phase. A clinical diagnosis of dementia was established at each visit of the follow-up and the IADL (Instrumental Activities of Daily Living) scale was used to assess functioning in daily living. The four most cognitive IADL (telephone, transports, finances and medications) were also specifically used in a single score to catch the early functional deficits.

Results –

The results presented in this article confirm the early functional manifestations several years before dementia is diagnosable. The IADL, in particular the four most cognitive ones, represent an interesting predictor of subsequent dementia. It is noteworthy that some differences were observed in terms of gender, educational level and delay before dementia (at more or less long term).

Conclusion –

Early mild functional deficits in daily living are observed several years before a formal clinical diagnosis of dementia. The 4-IADL score represents an interesting tool, simple, rapid and easy-to-use in clinical practice to identify those people at higher risk of subsequent dementia for whom a closer follow-up of the cognitive and functional evolutions over time is necessary for an optimal medico-social management of the disease once diagnosed.

Introduction

Selon les critères diagnostiques du DSM (Diagnostic and Statistical Manual1 la démence (1) est définie par la présence de déficits cognitifs multiples (incluant une altération de la mémoire), à l’origine d’une altération significative du fonctionnement social ou professionnel représentant un déclin par rapport au fonctionnement antérieur. Un patient diagnostiqué dément présente donc de fait un retentissement fonctionnel dans sa vie quotidienne. Cependant, comme pour toutes les maladies mentales, il n’existe pas de critères opérationnels stricts de la notion de retentissement ; le diagnostic est donc laissé à l’appréciation du clinicien. Dans la pratique, une atteinte significative dans les activités domestiques du quotidien (IADL, Instrumental Activities of Daily Living2, comme l’incapacité à utiliser les transports ou gérer son budget, représente souvent le stade de retentissement auquel le diagnostic est porté. Cependant, existe-t-il des signes fonctionnels plus précoces en amont du diagnostic ? Pour la gestion du budget, par exemple, on peut faire l’hypothèse que, plusieurs années avant le stade diagnostiquable de la maladie, les personnes continuent à réaliser la tâche, mais en éprouvant davantage de difficultés. Plusieurs travaux ont en effet mis en évidence une très longue phase pré-démentielle au cours de laquelle de premières manifestations, notamment cognitives, surviennent parfois plus de 10 ans avant le diagnostic 3. Compte tenu de la mobilisation cognitive forte dans toutes les tâches du quotidien, on peut faire l’hypothèse que ces déficits précoces ont un impact fonctionnel et qu’ils pourraient ainsi constituer un prédicteur simple de démence. Dans la cohorte Paquid, 10 ans avant le diagnostic, les futurs déments étaient déjà significativement plus atteints aux IADL que les non-déments, indépendamment de l’âge, du sexe et du niveau d’études (odds ratio, OR=2,59 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%: [1,24-5,38]) et présentaient une détérioration fonctionnelle nettement plus rapide que les témoins 4. La gestion du budget semblait l’activité atteinte le plus précocement, 10 ans avant le diagnostic (OR=2,15 ; IC95%: [1,13-4,08]).

Cet article propose de faire la synthèse des travaux français sur la prédiction de la survenue d’une démence à partir des manifestations fonctionnelles.

Méthodologie

La cohorte Paquid

En France, les travaux relatifs à l’étude des manifestations fonctionnelles précoces de la démence reposent quasiment exclusivement sur les données de la cohorte Paquid et ses 27 années de suivi. Il s’agit d’une cohorte épidémiologique populationnelle ayant pour objectif général l’étude du vieillissement cérébral et fonctionnel 5. Les 3 777 participants de l’étude ont été sélectionnés par tirage au sort selon les critères suivants : être âgé d’au moins 65 ans, vivre initialement à domicile dans l’une des communes de Gironde et de Dordogne sélectionnées et figurer sur les listes électorales. Le taux de participation était de 68%. Depuis le démarrage en 1988, toutes les visites de suivi ont été réalisées à domicile par une neuropsychologue spécialement formée, en moyenne tous les deux à trois ans. À chaque visite, un large panel de données était recueilli, incluant les données cognitives et fonctionnelles étudiées ici et présentées en détail ci-dessous. Les entretiens très détaillés ont permis de recueillir de nombreuses variables clés, potentiels facteurs de confusion. Dans cet article, selon les études, les analyses ont été ajustées sur une ou plusieurs des variables suivantes : l’âge, le sexe, le niveau d’études (possession ou non du Certificat d’études primaires, CEP), le nombre de médicaments (à partir des ordonnances fournies par les participants à la psychologue), ainsi que des données déclaratives de santé, telles que suivi médical pour diabète, antécédents d’accident vasculaire cérébral et d’infarctus du myocarde. Enfin, des questions ou échelles spécifiques ont également été utilisées pour évaluer les déficiences sensorielles, la dyspnée ou encore la symptomatologie dépressive (échelle de la CES-D, Center for Epidemiologic Studies – Depression Scale 6).

L’échantillon initial était constitué de 58% de femmes, l’âge moyen était de 75,5 ans (écart-type, ET=6,9), 36% étaient veufs, 36% avaient un niveau d’études inférieur au CEP et le MMSE (Mini-Mental State Examination) moyen à l’inclusion était de 25,5 points (ET=4,1). La durée moyenne de suivi des participants a été de 8,4 ans (ET=7,6).

Troubles cognitifs et démence : diagnostic

Après chaque visite incluant une évaluation cognitive complète, les sujets suspectés de démence était sélectionnés par la psychologue pour une seconde visite. Cette dernière, toujours à domicile, était réalisée par un neurologue ou un gériatre afin de confirmer ou d’infirmer le diagnostic selon les critères du DSM-III-R et d’en préciser l’étiologie. Tous les cas étaient ensuite validés en comité de classement, selon un consensus diagnostic réunissant l’ensemble des données cliniques du dossier. Cette recherche active de la démence a été réalisée à chaque suivi.

En amont du processus démentiel, un stade intermédiaire entre le vieillissement normal et pathologique a été proposé, notamment par Petersen à la fin des années 1990 : le Mild Cognitif Impairment (MCI). Les critères alors proposés (et utilisés dans les travaux présentés ultérieurement) étaient les suivants : absence de démence, plainte mnésique, déficit ménisque objectivé par des tests, sans répercussion significative sur le fonctionnement dans les activités de la vie quotidienne 7. Ce concept, assez controversé, a évolué au cours de ces 20 dernières années 8.

Évaluation fonctionnelle

Parmi les différentes échelles fonctionnelles utilisées dans Paquid, celle des IADL de Lawton inclut les activités cognitivement les plus complexes et donc les plus susceptibles d’être atteintes en amont du diagnostic. Les travaux présentés ici portent donc exclusivement sur ce domaine d’incapacité. L’échelle des IADL permet d’évaluer la capacité du sujet à utiliser le téléphone, faire ses courses, utiliser les transports, gérer ses médicaments et son budget. Trois items supplémentaires concernent spécifiquement les femmes (préparation des repas, entretien du domicile et lessive). La réalisation à domicile de l’évaluation fonctionnelle permettait à la psychologue de vérifier la validité des réponses apportées par les sujets en termes d’entretien du domicile, de gestion des médicaments, de traitement des factures…

Résultats

Quatre IADL particulièrement cognitives

Pour toute activité quotidienne, plusieurs fonctions cognitives sont mobilisées. Par exemple, pour passer un simple appel téléphonique il faut : se rappeler la nécessité de passer l’appel en question, initier la tâche, rechercher puis composer le numéro, mener à bien la conversation et inhiber les éventuels distracteurs. Ainsi, mémoire de travail, fonctions exécutives, capacités attentionnelles et visuo-spatiales, praxies… sont mises en œuvre pour la réalisation de cette simple tâche. L’affaiblissement de certaines fonctions cognitives va se répercuter sur le fonctionnement au quotidien, engendrant certaines difficultés, voire incapacités, à réaliser la tâche. Quatre IADL ont été identifiées comme étant particulièrement cognitives : le téléphone, les transports, le budget et les médicaments 9. Un score cumulant ces quatre incapacités, allant de 0 à 4 et croissant avec le nombre d’activités touchées, a été proposé. Contrairement aux seuils définis par Lawton, les incapacités y étaient cotées 1 dès qu’une difficulté, même légère, était rapportée par le sujet. Les performances prédictives de ce score ont été mises en évidence dans plusieurs articles 9,10,11. Ce score était par exemple prédicteur de survenue de démence à trois ans et une aggravation sur les trois premières années du suivi était prédictive de démence à cinq ans (tableau 1). Un autre travail a confirmé que le caractère prédicteur de ce score était bien lié à la composante cognitive des IADL 12.

Tableau 1 : Risque de démence incidente à 3 ans et 5 ans selon le score initial aux 4 IADL : modèles logistiques ajustés sur l’âge. Cohorte Paquid, France
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IADL et risque de démence en passant par le MCI

Compte tenu de la longue phase pré-démentielle au cours de laquelle certains troubles se manifestent 3, la question d’un diagnostic plus précoce de la maladie s’est posée. À partir des années 2000, de nombreux travaux ont porté sur un état appelé MCI pour Mild Cognitive Impairment (déficit cognitif léger), état à l’époque très prometteur d’une possibilité de prise en charge plus précoce. Toutefois, la littérature a montré que de nombreux individus pourtant classés MCI n’évoluaient pas vers la démence, voire retrouvaient des capacités cognitives normales, schéma alors incompatible avec un processus démentiel irréversible. Afin d’améliorer les performances prédictives du MCI, l’introduction de la dimension fonctionnelle (selon le score aux 4 IADL) a été proposée dans Paquid. Les critères MCI de Petersen 7 ont été appliqués aux 1 517 participants vus au suivi à huit ans, pour lesquels le diagnostic de MCI était disponible. Les sujets étaient considérés MCI s’ils présentaient des performances cognitives basses (seuil fixé à 1,5 écart type par rapport à la moyenne) pour au moins un des cinq tests neuropsychologiques et sans atteinte aux activités de base de la vie quotidienne (ADL). À l’inclusion, 19% des sujets pour lesquels le diagnostic de MCI était possible ont été classés MCI. La prévalence de la dépendance pour les sujets MCI était bien intermédiaire entre les sujets normaux et les déments (avec respectivement 34%, 5% et 91%) 13. Comparativement aux sujets « normaux » sans dépendance (groupe de référence), les sujets MCI présentant une dépendance légère étaient bien plus à risque de démence à deux ans (OR=7,40 ; IC95%: [3,33-16,47]) que les MCI sans atteinte aux IADL (OR=2,83 ; IC95%: [1,32-6,05] (tableau 2). De plus, la prise en compte de cette composante fonctionnelle permettait de réduire la réversibilité ; les MCI sans troubles fonctionnels étant trois fois plus nombreux à retrouver un état cognitif jugé normal que les MCI non atteints aux IADL (35% vs. 11%). L’inclusion de la dimension fonctionnelle dans la définition du MCI améliorerait donc la prédiction de la démence à court-terme.

Tableau 2 : Risque de démence à 2 ans selon le statut cognitif et fonctionnel (aux IADL). Cohorte Paquid, France
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IADL et risque de démence : des différences selon le sexe

Un autre travail a porté sur l’étude des relations entre dépendance aux IADL, plainte mnésique et risque de démence à 15 ans dans Paquid, en s’intéressant spécifiquement aux différences hommes/femmes 14. Chez les hommes, la dépendance aux IADL était bien associée à la démence (hazard ratio, HR=2,04 ; IC95%:[1,27-3,29]), alors que la plainte ne l’était pas du tout (p=0,95). À l’inverse, chez les femmes, seule la plainte était associée à la démence (HR=1,88 ; IC95%: [1,48-2,41]) (tableau 3). En distinguant trois périodes à risque de survenue de la maladie (0-5 ans, 5-10 ans et 10-15 ans), il semble que les femmes soient capables de percevoir très précocement les premiers signes de déclin et s’en plaignent (sur-risque de démence à plus de 10 ans pour les femmes avec plainte mnésique, HR10-15ans=1,61 ; IC95%: [1,07-2,41]), alors que les hommes rapportent des difficultés bien plus tardivement et uniquement sur le plan fonctionnel (HR0-5ans=4,93 ; IC95%: [2,50-9,73]).

Tableau 3 : Dépendance aux IADL, plainte mnésique et risque de démence à 15 ans selon le sexe. Données de la cohorte Paquid, France. Modèle de Cox à entrée retardée ajusté sur le statut marital, la dépression et le MMSE
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IADL et risque de démence : des différences selon le niveau d’études

À partir des 22 ans de suivi de Paquid, d’autres résultats ont montré que, chez les personnes avec un niveau d’études inférieur au CEP, la dépendance aux 4 IADL était très prédictive de démence à court (OR0-3ans=1,52 ; IC95%: [1,21–1,91]) et long-terme (OR3-10ans=1,30 ; IC95%: [1,03–1,64]), contrairement aux sujets de plus haut niveau, pour lesquels aucune relation n’était retrouvée 15. Pour ces derniers, la plainte relative à la mémorisation d’informations nouvelles apparaissait comme prédictive à court-terme en association avec des performances cognitives plus basses (aire sous la courbe ROC=0,85 à 3 ans et 0,78 à 10 ans). Ces travaux suggèrent que chez les sujets de bas niveau d’études, une évaluation fonctionnelle simple est à privilégier alors que chez les personnes de plus haut niveau d’études, la plainte mnésique et des tests neuropsychologiques complémentaires s’avèrent nécessaires.

Discussion

En épidémiologie, l’approche prédictive permet notamment un diagnostic et une prise en charge plus précoces. Cependant, dans le cas des démences, il n’existe pas de traitement médicamenteux curatif et les traitements symptomatiques présentent une efficacité limitée. Dans ce contexte, l’intérêt d’un diagnostic précoce en population restant limité, il est primordial d’identifier les personnes à risque pour lesquelles certains comportements délétères pourraient être modifiés, mais surtout encourager une vigilance et un suivi accru de l’évolution des déficits au cours du temps, ce suivi permettant in fine une prise en charge médico-sociale adaptée en cas de survenue effective de la maladie. Les travaux français présentés ici sur les 27 années de suivi de la cohorte Paquid ont mis en évidence le caractère prédictif fort des IADL, avec toutefois des performances pouvant varier selon le sexe, le niveau d’études ou encore la période de risque étudiée (à plus ou moins long terme).

Pourquoi cette atteinte précoce des IADL dans la démence ?

Comme illustré précédemment avec l’exemple de l’utilisation du téléphone, les IADL nécessitent un degré d’intégration assez élevé sur le plan cognitif. Cette exigence sur le plan cognitif les rend davantage vulnérables aux déficits cognitifs précoces. Si le fonctionnement dans la vie quotidienne est directement lié aux capacités cognitives, on peut faire l’hypothèse que l’atteinte des IADL, même très légère au stade précoce, pourrait représenter la manifestation fonctionnelle de la maladie en situation de vie réelle du quotidien, les troubles cognitifs objectivés par des tests représentant la manifestation cognitive de la démence en situation expérimentale de « testing ».

Le score aux 4 IADL comme outil de « dépistage » : avantages et inconvénients

Rapidité et simplicité de passation sont les deux points forts de ce score. Il ne nécessite pas de compétences particulières (contrairement aux tests neuropsychologiques), ni d’examens coûteux (comme l’imagerie cérébrale), et il est potentiellement utilisable en routine par le médecin traitant, voire des professionnels paramédicaux également en première ligne dans la prise en charge des personnes âgées. En absence de traitement efficace, l’intérêt est d’identifier des personnes potentiellement fragilisées par un processus démentiel sous-jacent et pour lesquelles une exploration plus approfondie ou au moins une vigilance particulière seraient nécessaires. Cependant, du fait d’un manque de spécificité, les IADL seules ne sont pas suffisamment prédictives. En effet, les incapacités dans la vie quotidienne peuvent avoir de multiples origines : cognitives, physiques, psychiatriques, environnementales, etc. Or, l’origine purement cognitive est parfois difficile à distinguer notamment aux très grands âges, en cas de polypathologie, de polymédication et/ou de iatrogénie, de déficits sensoriels importants ou encore de dépression sévère. La combinaison des manifestations cognitives et fonctionnelles est donc bien à privilégier, avec si possible la prise en compte de la notion de déclin par rapport au fonctionnement antérieur. Toutefois, dans la plupart des analyses, les IADL ont un effet indépendant de la cognition et semblent donc apporter des informations complémentaires à celles fournies par les tests neuropsychologiques.

Enfin, une autre difficulté liée à l’utilisation des IADL est le problème du déni et de l’anosognosie (non conscience des troubles), rendant nécessaire le recours à un informant fiable.

Quid de l’évolution des critères diagnostiques de démence au fil du temps ?

Depuis le démarrage de la cohorte Paquid en 1988, les critères diagnostiques ont connu différentes évolutions pour aboutir aujourd’hui au DSM-5 16, dans lequel le terme de démence a disparu pour être remplacé par « troubles neurocognitifs majeurs ». Cependant, conscients de l’importance de la stabilité des critères au cours du temps, les critères diagnostiques appliqués à la cohorte n’ont pas évolué au cours du suivi. Mais, en absence de critères opérationnels stricts de la notion de retentissement, le diagnostic est bel et bien laissé à l’appréciation du clinicien. En conséquence, la sensibilité des cliniciens a pu évoluer au fil du suivi. Certains travaux récents semblent d’ailleurs le suggérer ; le diagnostic serait porté aujourd’hui plus précocement 17. Malgré tout, y compris dans ces travaux plus récents, le caractère prédictif des atteintes fonctionnelles semble confirmé.

Conclusion

Les travaux sur les signes fonctionnels en phase pré-démentielle sont rares. Pourtant, les résultats de Paquid suggèrent que des signes fonctionnels avant-coureurs sont identifiables plusieurs années avant le stade de démence et qu’ils peuvent être utiles à un suivi simple et rapide dans le temps ainsi qu’à l’identification des personnes les plus à risque d’évolution défavorable. Des recherches doivent cependant se poursuivre pour améliorer les performances prédictives d’un tel outil, notamment lorsque le clinicien est confronté à des situations particulières comme le grand âge, les déficits sensoriels sévères ou encore la dépression.

Références

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Citer cet article

Pérès K, Edjolo A, Helmer H, Amieva H, Dartigues JF. La dépendance dans la vie quotidienne comme prédicteur de démence : synthèse de résultats obtenus à partir de données françaises. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(28-29):487-92. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/28-29/2016_28-29_5.html

(1) À noter que le terme de démence a disparu du DSM-515 et a été remplacé par troubles neurocognitifs majeurs.