Peut-on estimer la prévalence de la maladie d’Alzheimer et autres démences à partir des bases de données médico-administratives ? Comparaison aux données de cohortes populationnelles

// Is it possible to estimate the prevalence of Alzheimer’s disease and dementia from national health insurance databases in France? Comparison with data from population-based cohort studies

Laure Carcaillon-Bentata1 (laure.carcaillon-bentata@santepubliquefrance.fr), Cécile Quintin1, Élodie Moutengou1, Marjorie Boussac-Zarebska1, Frédéric Moisan1, Catherine Ha1, Alexis Elbaz1,2
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Université Paris-Saclay, Univ. Paris-Sud, UVSQ, CESP, Inserm, Villejuif, France
Soumis le 03.05.2016 // Date of submission: 05.03.2016
Mots-clés : Alzheimer | Démence | Sniiram | Prévalence | Qualité des données
Keywords: Alzheimer | Dementia | National health insurance databases | Prevalence | Data quality

Résumé

Introduction –

Les données du Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) représentent un outil possible pour la surveillance épidémiologique de la maladie d’Alzheimer et autres démences (MAAD). L’objectif de cette étude était de comparer les prévalences de MAAD prises en charge à partir du Sniiram aux résultats d’études de cohortes populationnelles françaises lorsque cela est possible ou, à défaut, européennes.

Méthodes –

Dans le Sniiram, les individus consommant un médicament spécifique de la MAAD, en ALD (affection longue durée) ou hospitalisés pour MAAD ont été identifiés parmi les individus âgés de 40 ans et plus, affiliés au régime général et vivants au 31 décembre 2014. Des taux de prévalence bruts et standardisés sur l’âge et le sexe de la population française ont été calculés. Chez les plus de 65 ans, les taux spécifiques par sexe et classe d’âge ont été comparés aux estimations obtenues dans la cohorte française Paquid en calculant des rapports de prévalence (RP) à l’aide de régressions de Poisson. Chez les moins de 65 ans, en l’absence de données françaises, les taux spécifiques par classe d’âge ont été comparés aux données provenant d’autres études européennes.

Résultats –

Au total, 524 770 cas prévalents de MAAD ont été identifiés fin 2014 (Tauxstandardisé=2,2%, 2,9% chez les femmes et 1,5% chez les hommes). Après l’âge de 70 ans, les estimations de prévalence obtenues dans le Sniiram sont en moyenne 1,6 fois inférieures à celles attendues par rapport à l’étude Paquid (8,1% versus 12,1%). Avant 70 ans, les estimations obtenues dans le Sniiram sont proches de celles de l’étude Rotterdam (RP55-70ans=0,7, IC95% = 0,5-1,1), l’unique étude retenue pour nos comparaisons sur cette tranche d’âge.

Conclusion –

Les données de prévalence de la MAAD obtenues à partir du Sniiram doivent être interprétées avec prudence et doivent tenir compte de l’âge. Si ces données sous-estiment la prévalence de la MAAD après 70 ans, cette étude souligne leur potentiel pour les estimations de prévalence avant cet âge. Le nombre de cas de MAAD jeune peut être estimé à environ 34 500 en France (2‰ personnes de 40-65 ans). Une validation directe de ces données reste indispensable.

Abstract

Introduction –

Data from the French National Health Insurance Information System (SNIIRAM) may represent an opportunity for the epidemiological surveillance of Alzheimer’s disease and dementia. The objective of this study is to compare the disease’s prevalence estimates produced using SNIIRAM with those from well-designed French or European population-based cohort studies.

Methods –

In the SNIIRAM database, subjects aged 40 and older, alive at the end of December 2014, taking medicines for dementia, presenting a long-term illness (LTI), or hospitalized with a diagnosis of dementia, were selected. Age and sex-specific prevalence rate of dementia were estimated and compared to data from a French population-based cohort PAQUID) using prevalence rate ratios (PRR) estimated from Poisson regression models. In people under 65 years of age, due to the absence of French data, age-specific rates were compared to those of other European studies.

Results –

Overall, we identified 524 770 prevalent cases of dementia (Standardized rate=2.2%, 2.9% and 1.5% in women and men, respectively). In subjects 70 years-old, prevalence rates from Sniiram were 1.6 times lower than expected when considering French data from the PAQUID Study. In subjects <70 years-old, SNIIRAM dementia estimates were in accordance with data from the Rotterdam Study (PRR = 0.7, 95%CI, 0.5-1.1), the only relevant study identified for our comparison.

Conclusion –

Dementia prevalence using SNIIRAM data must be cautiously interpreted and take age into account. If these data underestimate the true prevalence in subjects 70 years-old, they may have a potential for the study of dementia before this age. This study allows to estimate around 34 500 cases (2‰ persons aged 40-65 years) of early-onset dementia in France in 2014. A direct validation of these data remains necessary.

Introduction

Parmi les maladies neurodégénératives, la maladie d’Alzheimer et démences apparentées (MAAD) occupe la première place en termes de fréquence. La MAAD est très invalidante, conduisant les individus à une perte partielle puis totale de leur autonomie. Les conséquences en sont donc très lourdes pour le patient lui-même mais aussi pour son entourage. À ce jour, les données provenant d’études de cohorte permettent d’estimer qu’environ 900 000 personnes âgées de plus de 65 ans sont atteintes de MAAD en France 1. Compte-tenu de l’augmentation attendue de la part des personnes âgées dans la population dans les années à venir, et en l’absence de traitement curatif, une augmentation du nombre de malades est à prévoir.

En France, les cohortes mises en place pour le suivi de la démence sont anciennes et ne permettent pas de suivre l’évolution de la fréquence de la maladie. Plus généralement, peu d’information est disponible pour apprécier le poids de la MAAD en France et pour en étudier l’évolution temporelle et la répartition géographique. Les données du Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) sont de plus en plus utilisées pour la surveillance des maladies chroniques et représentent une approche possible pour la surveillance des MAAD. En effet, ces données possèdent de nombreux avantages, tels que le recueil systématique et passif d’informations de santé pour la quasi-totalité de la population française, la possibilité d’étudier des évènements de santé rares, sur de longues périodes d’étude et sur la totalité du territoire 2.

Le repérage de la MAAD dans ces bases de données peut être effectué à l’aide d’algorithmes basés sur le remboursement de médicaments spécifiques, la prise en charge au titre d’une affection longue durée (ALD) ou le recours hospitalier avec un diagnostic de MAAD. Cependant, tous ces critères d’identification présupposent que la MAAD ait été diagnostiquée et que les patients sélectionnés aient recours aux soins pour qu’ils puissent être repérés dans ces bases. Or, les études de cohorte montrent que la MAAD est sous-diagnostiquée en population générale, 1 cas sur 3 environ n’étant pas diagnostiqué 3. De plus, le traitement par médicaments spécifiques n’est pas systématique et les patients ne sont pas tous hospitalisés ou en ALD. Il est donc vraisemblable, comme le suggèrent les premiers travaux à partir de ces données 4, que la prévalence de la MAAD obtenue à partir du Sniiram soit sous-estimée. Néanmoins, aucune étude de validation n’a été conduite à ce jour.

L’objectif de cette étude était de comparer les prévalences de MAAD prise en charge à partir du Sniiram aux résultats d’études de cohortes populationnelles françaises lorsque cela est possible ou, à défaut, européennes. Nous avons fait l’hypothèse que la qualité des données du Sniiram pour l’identification des cas de MAAD est dépendante de l’âge, la prévalence de prise en charge chez les sujets jeunes étant probablement plus proche de la prévalence réelle que chez les sujets plus âgés. En effet, chez les sujets jeunes, le retentissement de la démence sur la qualité de vie et les activités de la vie quotidienne est particulièrement important, ce qui les conduit à consulter plus facilement pour ce motif que les personnes âgées. De plus, en l’absence de polypathologie, plus souvent présente chez les personnes âgées, le diagnostic chez les patients jeunes se fait plus aisément.

Méthodes

Source de données

Le Sniiram collige de manière systématique et anonyme l’ensemble des informations relatives aux prestations de santé remboursées (actes médicaux, examens biologiques, médicaments…) pour tous les assurés d’un régime d’assurance maladie en France, soit environ 98% de la population. Il permet également de repérer la présence d’une ALD et les hospitalisations en court séjour, en soins de suite et réadaptation, en psychiatrie ou à domicile via le chaînage des données de remboursement à celles du programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Les données de remboursement de l’année en cours et des trois années précédentes sont accessibles. Pour le PMSI, les données collectées depuis 2005 peuvent être utilisées.

Identification des cas de MAAD

Dans cette étude, un individu était considéré comme présentant une MAAD s’il avait reçu au moins deux remboursements d’un médicament anticholinestérasique [Donepezil (code ATC, N06DA02), Rivastigmine (N06DA03), Galantamine (N06DA04) ou de Memantine (N06DX01)] au cours d’une même année entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2014, ou s’il avait bénéficié d’une ALD pour MAAD (ALD n°15 et code CIM-10 parmi F00, F01, F02, F03, F05.1, G30, G31.1 ou G31.8) sur cette même période, ou s’il avait été hospitalisé au moins une fois entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2014, en court séjour, en soins de suite et réadaptation, en psychiatrie ou à domicile avec un motif faisant référence à une démence (code CIM-10 : F00, F01, F02, F03, F05.1, G30, G31.1 ou G31.8), mentionné en diagnostic principal, relié ou associé. Le choix des codes CIM-10 est basé sur les recommandations publiées par St Germaine-Smith et coll. 5, auxquelles le code G31.8 a été ajouté pour prendre en compte les démences à corps de Lewy.

Il n’existe pas aujourd’hui de méthode de référence pour les algorithmes de repérage des cas de MAAD dans le Sniiram. Pour cette étude, les choix méthodologiques concernant les critères d’identification décrits ci-dessus résultent d’une analyse approfondie antérieure 6 ayant montré que l’utilisation d’un recul de trois ou cinq ans et des différents champs du PMSI permettaient d’identifier un nombre non négligeable de cas supplémentaires.

Population et analyse des données

L’objectif de l’étude étant de calculer des taux de prévalence au 31 décembre 2014, nous avons sélectionné les sujets de 40 ans et plus vivants à cette date. De plus, l’information relative aux ALD n’étant pas exhaustive pour certains régimes d’assurance maladie, nous avons restreint notre analyse aux affiliés du régime général, soit environ 75% de la population française.

Les taux de prévalences bruts chez les sujets âgés de 40 ans et plus, par sexe et par classe d’âge, ont été calculés en divisant le nombre de cas vivants au 31 décembre 2014 par le nombre d’affiliés au régime général au 1er janvier 2015, dénominateur disponible dans la base de données du répertoire national d’identification des assurés sociaux (RNIAM). Le RNIAM certifie les éléments d’identification des bénéficiaires de l’assurance maladie tels que l’organisme d’affiliation ou encore l’organisme complémentaire auquel chaque bénéficiaire est rattaché. La distribution de l’âge et du sexe des affiliés au régime général n’étant pas strictement superposable à celle de la population française, des taux de prévalence standardisés sur l’âge et le sexe ont ensuite été estimés en prenant comme population de référence les estimations fournies par l’Insee pour le 1er janvier 2015. Le nombre de cas prévalents de MAAD en France a également été estimé, par sexe et par classe d’âge (40-64 ans et 65 ans et plus) en appliquant les taux de prévalence standardisés à la population française.

Afin d’évaluer la pertinence des estimations de prévalence obtenues à partir des données du Sniiram, nous les avons comparées à celles obtenues dans des études de cohortes européennes représentatives de la population générale et ayant procédé à une évaluation systématique de la démence chez les sujets de l’étude selon une procédure basée sur des critères validés. Les études dont le recrutement reposait sur un registre ou réalisées à partir de populations sélectionnées (par exemple les centres de référence, les patients ayant recours à ce type de centre n’étant pas représentatifs de l’ensemble des patients puisque le recours aux centres spécialisés n’est pas systématique) n’ont pas été retenues, car elles ne permettent pas d’obtenir une estimation fiable de la fréquence des MAAD. Des rapports de prévalence (RP), assortis de leurs intervalles de confiance à 95%, ont été calculés pour quantifier la différence entre les prévalences obtenues dans le Sniiram et dans les cohortes à l’aide de régressions de Poisson. Pour les plus de 65 ans, nos estimations ont été comparées à celles obtenues dans l’étude française Paquid 1. Cette étude de cohorte avait inclus 3 777 individus âgés de plus de 65 ans en 1987, dans l’objectif d’estimer la prévalence et l’incidence de la démence en France. Depuis l’inclusion, tous les sujets sont suivis environ tous les deux ans. Cette étude fait référence du fait de sa représentativité et de la qualité de la procédure diagnostique mise en œuvre. À partir de Paquid, de récentes estimations de la prévalence de la MAAD en France en 2010 ont été publiées par sexe et classe d'âge. Pour la prévalence chez les moins de 65 ans, deux sources de données existent en France ; toutefois, l’une repose sur une méthodologie de type registre 7 et l’autre sur les données issues du Centre national de référence des malades Alzheimer jeunes de Lille. Aucune donnée française n’est donc aujourd’hui disponible pour la comparer à nos estimations. Une revue de la littérature, effectuée en 2012 dans le cadre d’un projet de collaboration européen sur la démence, a permis d’identifier huit études portant sur l’identification des MAAD jeunes 8 ; nous n’avons pas identifié d’autres travaux. Parmi ces travaux, six concernaient des populations européennes : trois à partir de cohortes populationnelles et trois à partir de données s’apparentant à la méthodologie utilisée par les registres. Ces trois dernières études n’ont pas été retenues car le repérage des cas était basé sur le recours aux soins de patients identifiés via leur médecin généraliste ou des registres hospitaliers, et non via une recherche systématique de cas en population générale. Parmi les études réalisées dans le cadre des cohortes, une étude italienne publiée en 1990 par Rocca et coll. a également été exclue car elle reposait sur un nombre de cas très faible. En définitive, deux études ont été retenues pour nos comparaisons : l’étude Rotterdam, qui présente des taux de prévalence de la MAAD à partir de 55 ans aux Pays-Bas 9 et l’étude de Sulkava et coll., qui donne des estimations de prévalence de la démence sévère en Finlande chez les plus de 60 ans 10.

Résultats

Prévalence de la MAAD dans le Sniiram

Au total, nous avons identifié 524 770 cas de MAAD âgés de plus de 40 ans, vivants au 31 décembre 2014 et affiliés au régime général. La majorité des cas (73,5%) ont été hospitalisés pour MAAD au moins une fois au cours des 5 dernières années ; plus de la moitié (52,2%) bénéficiaient d’une ALD pour MAAD et 38,5% ont eu un remboursement de médicament spécifique durant l’une au moins des 3 dernières années (tableau 1). Plus de la moitié des cas repérés le sont par la présence d’un seul critère (53,5%), ce pourcentage étant plus élevé chez les hommes que chez les femmes (58,7% versus 51,2%) ; pour les deux sexes, il s’agit essentiellement d’hospitalisations (respectivement 42,2% et 34,6%).

Tableau 1 : Critères ayant permis le repérage des cas de maladie d’Alzheimer et autres démences (MAAD) dans le Sniiram, régime général, année 2014
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Les taux de prévalence par sexe et par classe d’âge sont représentés sur la figure 1. Ils augmentent de manière importante avec l’âge : 0,1% avant 60 ans, 0,6% entre 60 et 69 ans, 6,7% entre 70 et 79 ans, 14,7% après 80 ans. Le sex-ratio hommes/femmes varie également en fonction de l’âge, le taux de prévalence étant supérieur chez les hommes avant 70 ans puis chez les femmes après cet âge (sex-ratio<70 ans=1,29, IC95% = 1,27-1,31 vs sex-ratio ≥70 ans=0,74, IC95% = 0,73-0,75, p-value <0,0001). Après standardisation sur l’âge et le sexe, le taux de prévalence global pour la France est de 2,2% ; 1,5% chez les hommes vs 2,9% chez les femmes (tableau 2). Si l’on extrapole les taux de prévalence observés dans le Sniiram à partir du régime général à la population française, le nombre de cas de MAAD de plus de 40 ans peut être estimé à 770 000, dont 241 000 hommes et 529 000 femmes. Environ 6% des plus de 65 ans (n=735 500) et 0,2% des moins de 65 ans (n=34 500) seraient concernés par la maladie.

Figure 1 : Nombre de cas et taux de prévalence (%) de la maladie d’Alzheimer et autres démences (MAAD) après 40 ans, par sexe et classe d’âge. Données du Sniiram, régime général, année 2014
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Tableau 2 : Taux de prévalence standardisés (%) et nombre de cas national estimé de maladie d’Alzheimer et autres démences (MAAD) par sexe et par classe d’âge dans le Sniiram. France entière, année 2014
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Comparaison des prévalences observées dans le Sniiram à celles issues des cohortes

Le tableau 3 présente les prévalences de MAAD selon l’âge dans le Sniiram et dans les trois études de comparaison, ainsi que les rapports de prévalence (RP) entre les données du Sniiram et celles des autres études.

Chez les individus de 65 ans et plus, nous nous référons aux données françaises issues de la cohorte Paquid. Nous observons que, chez les plus de 70 ans, les taux de prévalence obtenus dans le Sniiram sont en moyenne 1,6 fois inférieurs aux taux attendus (RP≥70ans = 0,63, IC95%=0,62-0,65) (tableau 3). En revanche, le taux de prévalence observé dans la classe d’âge des 65-69 ans est 1,8 fois supérieur dans le Sniiram par rapport à Paquid. Cela s’explique par le faible nombre de cas dans cette classe d’âge dans la cohorte Paquid. En effet, si l’on se réfère aux données de l’étude Rotterdam, elles-mêmes en adéquation avec les données de consortiums rapportant des prévalences de la démence en Europe 11, on observe un taux de prévalence dans Paquid très inférieur pour cette classe d’âge (0,42% versus 0,88%, tableau 3) alors que les taux après 70 ans sont tout à fait comparables entre les deux études.

Chez les individus de moins de 65 ans, en l’absence de données françaises, l’étude finlandaise et l’étude Rotterdam nous permettent de comparer les taux de prévalence de la MAAD obtenus dans le Sniiram. Les prévalences observées dans l’étude finlandaise sont très supérieures à celles de notre étude pour la classe d’âge des 60-65 ans (RP60-65ans = 0,31, IC95% = 0,15-0,61, tableau 3). En revanche, on observe une bonne adéquation entre les données de l’étude Rotterdam et celles du Sniiram chez les moins de 70 ans, les rapports de prévalence obtenus n’étant pas différents de 1 (RP55-70ans = 0,70, IC95% = 0,49-1,11).

Tableau 3 : Nombre de cas et taux de prévalence (%) de la maladie d’Alzheimer et autres démences (MAAD) par classe d’âge, dans le Sniiram et dans les trois études de comparaison. Rapport de prévalence (RP)* entre le Sniiram et les trois études de comparaison
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La figure 2 présente l’évolution des taux de prévalence en fonction de l’âge (sur une échelle logarithmique, pour permettre la représentation des données pour toute l’étendue d’âge sur le même graphique) dans le Sniiram et dans les trois études de comparaison. Alors que les données de prévalence obtenues dans le Sniiram sont inférieures aux prévalences attendues après 70 ans d’après l’étude Paquid, les prévalences observées avant 70 ans sont en adéquation avec les estimations réalisées dans l’étude Rotterdam. De plus, les données issues de cette dernière étude sont comparables aux estimations de l’étude Paquid après 70 ans. Quant aux prévalences obtenues dans l’étude finlandaise, elles diffèrent de celles des trois autres études pour toutes les classes d’âge.

Figure 2 : Comparaison de l’évolution des taux de prévalence (échelle logarithmique) de la maladie d’Alzheimer et autres démences (MAAD) en fonction de l’âge, dans le Sniiram et les trois études de comparaison
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Discussion

En s’appuyant sur les données de référence françaises (étude Paquid), on observe une sous-estimation importante de la prévalence de la MAAD après 70 ans dans le Sniiram (1,6 fois en moyenne). En revanche, avant 70 ans, les estimations obtenues dans le Sniiram sont en adéquation avec les données de l’étude Rotterdam. Cette étude présente en outre des taux de MAAD similaires aux taux observés dans Paquid après 70 ans, ce qui conforte notre résultat chez les sujets jeunes. Les estimations provenant de l’étude finlandaise étaient différentes des trois autres études de comparaison ; cela est certainement lié à des différences méthodologiques et en particulier à la définition des cas sévères de MAAD en Finlande. Pour conclure, notre étude souligne l’intérêt de l’utilisation des données du Sniiram pour l’estimation de la prévalence de la MAAD en France chez les individus âgés de moins de 70 ans, et permet d’estimer la prévalence de la démence en France chez les sujets jeunes à environ 34 500 cas de démence avant 65 ans, soit 0,2% des personnes âgées de 40 à 65 ans.

L’adéquation observée entre les prévalences obtenues dans le Sniiram et celles provenant des cohortes ne suffit pas à garantir la qualité du repérage des cas de MAAD chez les sujets jeunes dans le Sniiram. Par exemple, étant donné l’ancienneté de l’étude Rotterdam parue en 1995, il n’est pas exclu que les résultats obtenus à partir des données du Sniiram, qui sont en adéquation avec ceux de cette étude chez les personnes de moins de 70 ans, soient en réalité sous-estimés. Néanmoins, de récents travaux suggèrent plutôt une diminution de la fréquence de la MAAD au cours du temps [Cf l’article de C. Helmer et coll. dans ce numéro]. De plus, la bonne concordance des données de l’étude Rotterdam avec celles, plus récentes, de l’étude Paquid sur la tranche d’âge des plus de 70 ans est rassurante à cet égard. La validation directe de ces données reste toutefois nécessaire pour évaluer la sensibilité et la spécificité des algorithmes disponibles dans le Sniiram. Récemment, s’est instaurée une dynamique autour de l’évaluation de la qualité de ces données, notamment au travers des travaux réalisés dans le cadre du réseau Redsiam (http://www.redsiam.org). De plus, des études de validation sont actuellement envisagées, à partir du chaînage des données du Sniiram avec celles de cohortes de MAAD (projet porté par Santé publique France) ou des centres mémoire (projet porté par l’unité Inserm U1027).

Les estimations de prévalence obtenues à partir du Sniiram pour les sujets de plus de 70 ans sont en moyenne 1,6 fois inférieures à ce qui est attendu. Une sous-estimation était prévisible dans la mesure où les critères disponibles dans le Sniiram pour repérer les cas de MAAD sont le reflet d’une prise en charge une fois le diagnostic de MAAD posé. Or, les données de cohortes montrent qu’environ 1 cas sur 3 n’est pas diagnostiqué chez les individus de plus de 65 ans 3. Cette sous-estimation s’explique par le manque de sensibilité des critères utilisés. Tout d’abord, les médicaments spécifiques de la MAAD ne sont pas systématiquement prescrits ou sont souvent arrêtés en raison de leur manque d’efficacité et de leur mauvaise tolérance. De plus, ces médicaments ne sont plus remboursés depuis 2011, ce qui a probablement conduit à une diminution de leur prescription. D’autre part, les données du Sniiram ne permettent pas d’identifier les consommations de soins des personnes en institution avec pharmacie à usage intérieur (environ 30% des résidents en institution). Néanmoins, on peut supposer que la sous-estimation liée à cette absence d’information est faible étant donné la proportion modérée de malades effectivement repérés par l’utilisation des médicaments spécifiques seuls (sans ALD, ni hospitalisation) dans notre étude (4,5%). Par ailleurs, la prise en charge au titre d’une ALD pour MAAD n’est pas toujours demandée, les sujets polypathologiques pouvant déjà avoir été pris en charge au titre d’une autre ALD. De plus, le déremboursement des médicaments spécifiques de la MAAD en 2011 n’est pas en faveur d’une demande de mise en ALD pour ce motif. Enfin, même si le risque d’être hospitalisé est élevé chez les MAAD, tous les malades ne le sont pas systématiquement, surtout au début de leur maladie, et des facteurs comme le niveau socio-économique ou l’environnement familial sont susceptibles d’intervenir. En parallèle du manque de sensibilité du Sniiram pour identifier les patients atteints de MAAD, il faut également souligner la possibilité de sélectionner des faux positifs à partir des critères utilisés dans les algorithmes. Par exemple, des médicaments spécifiques peuvent être prescrits à titre préventif chez des sujets non déments mais présentant un trouble cognitif léger. De plus, le codage d’un séjour hospitalier avec un diagnostic associé de MAAD peut être favorisé pour faire augmenter le coût de ce séjour pour l’hôpital, cette pathologie faisant partie des complications et morbidités associées de niveau 2. Enfin, la répartition par âge des cas de MAAD doit être interprétée avec précaution car, si le diagnostic n’est pas toujours réalisé, il est également bien souvent tardif, en particulier dans certaines formes de démence comme la démence fronto-temporale. Ceci peut avoir une influence sur la répartition par âge, notamment des cas nouvellement diagnostiqués.

La divergence des résultats observés avant 70 ans entre nos données et celles de Paquid est probablement liée au fait que les personnes sélectionnées pour participer à cette cohorte étaient en bonne santé et non institutionnalisées, conduisant à sous-estimer dans Paquid la prévalence de la démence chez les sujets les plus jeunes au début de l’étude. La comparaison aux données de l’étude Rotterdam indique un potentiel intéressant du Sniiram pour estimer la prévalence de la maladie chez les plus jeunes. En France comme à l’international, très peu de données sont disponibles concernant les malades jeunes. Une étude française réalisée en 1991 dans la ville de Rouen a estimé à 0,4‰ le taux de prévalence de la MAAD chez les moins de 60 ans 7, résultat très inférieur à celui de notre étude (1‰). Comparable aux estimations obtenues par le Centre national de référence des malades Alzheimer jeunes de Lille (entre 0,3 et 0,4‰), ce résultat est donc probablement sous-estimé, le recours aux centres spécialisés n’étant pas systématique 12. Par ailleurs, aucune donnée française n’est disponible sur l’évolution des malades jeunes en termes de survenue d’évènements de santé ou de prise en charge. Pourtant, le poids sociétal de la MAAD aux âges jeunes est très important. En effet, la maladie a des conséquences psychosociales importantes pour ces personnes souvent encore en activité professionnelle et avec des responsabilités familiales 13. Pour ces raisons, il n’est pas surprenant d’observer une bonne cohérence entre les données de prise en charge de la MAAD avant 70 ans, à partir du Sniiram, et celles provenant d’une étude de cohorte. En effet, malgré une certaine errance diagnostique chez les malades jeunes, la gravité de la maladie les conduit généralement à consulter et à être pris en charge.

Pour conclure, les données de prévalence de la MAAD obtenues à partir du Sniiram doivent être interprétées avec prudence et doivent tenir compte de l’âge. Ces données sont en réalité des estimations de la prise en charge de la MAAD qui, avant 70 ans, semble être assez proche de la prévalence réelle de la maladie. Même si une validation directe de ces données est indispensable et en cours de mise en place, notamment par Santé publique France, ces résultats ouvrent déjà des perspectives intéressantes concernant l’utilisation des données du Sniiram pour le suivi épidémiologique de la MAAD, en particulier avant 70 ans.

Références

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Citer cet article

Carcaillon-Bentata L, Quintin C, Moutengou E, Boussac-Zarebska M, Moisan F, Ha C, et al. Peut-on estimer la prévalence de la maladie d’Alzheimer et autres démences à partir des bases de données médico-administratives ? Comparaison aux données de cohortes populationnelles. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(28-29): 459-67. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/28-29/2016_28-29_1.html