Évolution temporelle des démences : état des lieux en France et à l’international

// Secular trends of dementia: French and international results

Catherine Helmer1,2 (catherine.helmer@isped.u-bordeaux2.fr), Leslie Grasset1,2, Karine Pérès1,2, Jean-François Dartigues1,2,3
1 Univ. Bordeaux, Isped, Centre Inserm U1219, Bordeaux Population Health Research Center, Bordeaux, France
2 Inserm, Isped, Centre Inserm U1219 – Bordeaux Population Health Research Center, Bordeaux, France
3 Centre mémoire, recherche et ressources (CMRR), CHU de Bordeaux, France
Soumis le 13.04.2016 // Date of submission: 04.13.2016
Mots-clés : Démence | Prévalence | Incidence | Cohorte populationnelle | Tendances séculaires
Keywords: Dementia | Prevalence | Incidence | Population-based cohort | Secular trends

Résumé

Introduction –

En raison du vieillissement actuel de la population, la démence représente une préoccupation sociétale majeure. Récemment, des tendances à la baisse de la fréquence des démences ont été observées dans plusieurs pays européens et aux États-Unis. Cette baisse pourrait être due à une augmentation du niveau d’études, à une meilleure prise en charge des facteurs vasculaires et à une meilleure hygiène de vie.

Méthodes –

Cet article fait le point sur les tendances évolutives de la démence à partir de la littérature. Des résultats sur l’évolution observée en France, ainsi que sur les facteurs impliqués dans cette évolution, sont présentés.

Résultats –

La majorité des travaux publiés vont dans le sens d’une tendance à la baisse, mais cette tendance n’est pas retrouvée dans toutes les études et n’est pas toujours significative. Cependant, de nombreux travaux antérieurs se heurtent à des difficultés méthodologiques pour étudier les tendances évolutives de la démence. En France, une baisse de l’incidence de la démence, à 10 ans d’intervalle, est retrouvée pour les femmes uniquement.

Discussion –

Ces résultats optimistes ne doivent pas faire oublier que, même si cette baisse de l’incidence est confirmée, le nombre de personnes touchées par la démence devrait continuer à croître dans les prochaines années en raison du vieillissement de la population. La connaissance des tendances évolutives permettra de prédire au mieux le nombre futur de déments afin de planifier les besoins de prise en charge. De plus, l’identification des déterminants de la baisse est essentielle pour développer la prévention.

Abstract

Introduction –

Due to current population aging, dementia is a major societal concern. Recently, trends towards a decrease in the frequency of dementia have been observed in several European countries and in the United States. This decrease could be due to an increase in educational level, a better management of vascular factors and a better lifestyle.

Methods –

This paper reports on the changing trends of dementia from the literature. Results on trends observed in France, as well as the factors involved in these trends are presented.

Results –

The majority of previously published research papers are in line with a downward trend, but this trend is not found in all the studies and is not always statistically significant. However, several previous studies are faced with methodological problems to study the changing trends of dementia. In France, a decline in the incidence of dementia, 10 years apart, is found, but for women only.

Discussion –

These optimistic results should not mask that despite the decrease in incidence, the number of people affected by dementia should continue to grow in the coming years due to the population ageing. Knowledge of secular trends will help to better predict the future number of dementia to plan health care needs. Moreover, identifying determinants of decline is essential for a better understanding of the mechanisms and for developing prevention.

Introduction

En raison de l’allongement de l’espérance de vie et du vieillissement des générations du baby-boom, avec pour conséquence le vieillissement de la population dans la plupart des pays industrialisés, les pathologies démentielles (maladie d’Alzheimer et maladies apparentées) représentent actuellement un défi de santé publique et posent des problèmes relatifs aux besoins de prise en charge médicale et sociale. La démence est une des pathologies contribuant le plus largement à la perte d’autonomie des personnes âgées dans la vie quotidienne et représente la principale cause d’institutionnalisation.

La connaissance de la fréquence actuelle et à venir de ces maladies dans la population est essentielle pour la planification des besoins, qu’il s’agisse d’aides financières ou de besoins en personnels et en structures de prise en charge. La prévalence actuelle de la démence est estimée à 6-8% après 65 ans, et l’incidence augmente de façon exponentielle avec l’âge, variant approximativement de 2,4 pour 1 000 personnes-année (PA) entre 65 et 69 ans à plus de 50 pour 1 000 PA après 85 ans. Une incidence plus élevée chez les femmes que chez les hommes, notamment après 75-80 ans, a été retrouvée dans plusieurs pays européens 1. En raison du vieillissement de la population, le nombre de personnes démentes, estimé actuellement à environ 46 millions au niveau mondial, pourrait atteindre plus de 131 millions en 2050 2. Mais ces projections sont basées sur des taux de prévalence/incidence stables de la maladie, l’augmentation attendue ici étant uniquement due à la variation de la population à risque, c’est-à-dire à l’augmentation du nombre de personnes âgées. Cependant, le problème est de savoir si ce risque de démence et de maladie d’Alzheimer, à un âge donné, va rester stable dans le futur. Seules des données fiables sur les tendances évolutives des démences pourront répondre à cette question et ainsi permettre de prédire de façon plus précise le nombre futur de déments que notre société aura à prendre en charge. En outre, la compréhension des déterminants de ces tendances évolutives semble primordiale pour renforcer ou développer des politiques de prévention et ainsi retarder l’apparition d’une démence et la perte d’autonomie qui en découle. Cet article propose un état des lieux de l’évolution temporelle des démences en France et à l’international.

Tendances évolutives de la démence au niveau international

Des études récentes remettent en cause l’hypothèse de stabilité des démences au cours du temps. Certaines études ont ainsi mis en évidence une tendance à la diminution de la prévalence ou de l’incidence de la démence.

Cette tendance a été observée en Europe dans plusieurs cohortes : aux Pays-Bas 3, en Suède 4, au Royaume-Uni 5,6 et en Espagne 7 (tableau 1). Au Royaume-Uni, une comparaison de deux études menées à 18 ans d’intervalle montrait une diminution de 1,8% de la prévalence standardisée qui passait ainsi de 8,3% à 6,5%, représentant 214 000 personnes démentes de moins sur une population constante de 2011 5. Très récemment, la même équipe a comparé l’évolution de l’incidence sur deux ans dans ces mêmes études, montrant une diminution d’incidence, mais observée uniquement chez les hommes 6. Aux Pays-Bas, une tendance à une diminution de l’incidence de la démence, estimée à moins 25% sur cinq ans, a été retrouvée, mais non significative 3. Les données disponibles en Espagne sont moins convaincantes, avec une baisse de la prévalence observée chez les hommes uniquement 7. En Suède, la prévalence de la démence était stable entre deux générations à 14 ans d’intervalle, mais la survie des patients avec une démence augmentant, les auteurs concluaient à une baisse de l’incidence 4. Au final, malgré des tendances à la baisse dans quasiment tous ces pays européens, un seul (le Royaume-Uni) trouve une diminution globale significative de la prévalence de la démence et un autre (l’Espagne) une diminution significative chez les hommes. Un état des lieux des différents résultats européens antérieurs à 2015 a été publié récemment 8. Les résultats de ces différentes études ainsi que leurs limites méthodologiques sont résumés dans le tableau 1. En Allemagne, une baisse de 1 à 2% (selon l’âge) de la prévalence à trois ans d’intervalle a été observée, essentiellement chez les femmes 9. Mais ces résultats sont issus des données d’assurance maladie, avec les limites de ce type d’études pour la démence compte tenu de la sous-médicalisation de cette maladie.

Tableau 1 : Études européennes (hors France) sur les tendances évolutives de la démence
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Aux États-Unis, un article publié en 2011 a fait le point sur les tendances évolutives dans quatre études américaines 10. Globalement il n’y avait pas de tendance à la baisse ; une seule de ces études, évaluant l’évolution sur 20 ans, montrait une diminution, mais uniquement sur les dernières années du suivi et non significative sur les 20 ans. Plus récemment, une nouvelle étude américaine réalisée à partir des données de la cohorte Framingham a mis en évidence une diminution significative de l’incidence de la démence 11. Ces résultats ont été obtenus sur une population de plus de 5 000 participants de 60 ans ou plus, évalués à différentes périodes sur près de trois décennies (1977-2008). Les résultats montrent une augmentation de l’âge moyen de survenue de démence au cours du temps et une diminution en moyenne de 20% de l’incidence de la démence par décennie. Ce travail montre en outre que ce déclin de l’incidence serait observé spécifiquement chez les sujets ayant un haut niveau d’études. Enfin, une étude dans une population afro-américaine évaluant l’évolution de l’incidence à près de 20 ans d’intervalle retrouve également une incidence plus faible dans la population la plus récente, pour tous les groupes d’âges excepté après 85 ans 12. En revanche, cette dernière étude a également analysé l’évolution dans des populations vivant au Nigeria, avec le même design, sans retrouver aucune baisse de l’incidence. Les résultats des études américaines sont résumés dans le tableau 2.

Tableau 2 : Études sur les tendances évolutives de la démence aux États-Unis
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Cette tendance à la baisse, bien que retrouvée dans plusieurs pays, n’est donc pas observée dans toutes les études. De plus, des résultats contradictoires ont été observés, notamment au Japon et en Chine, avec des tendances plutôt à la hausse 13,14.

Difficultés méthodologiques liées à l’étude des tendances évolutives de la démence

L’analyse des tendances évolutives de la démence pose de nombreux problèmes méthodologiques. En effet, l’analyse des tendances séculaires d’une maladie nécessite de disposer de données à deux temps différents mais avec une méthodologie comparable au cours du temps, ce qui est, en pratique, rarement le cas. Certaines de ces difficultés méthodologiques sont prises en compte dans les études antérieures, notamment dans la dernière étude américaine 11, mais d’autres n’en tiennent pas compte, ce qui limite l’interprétation des résultats.

Une première contrainte est la nécessité de réaliser des études en population générale. En effet, du fait du sous-diagnostic et de la sous-médicalisation de la maladie d’Alzheimer et des démences en général 15,16, seules les cohortes populationnelles permettent d’obtenir des indicateurs épidémiologiques fiables pour cette maladie. Le principe de ces études est de réaliser, dans un échantillon représentatif de la population de 65 ans ou plus, des évaluations cognitives systématiques avec recherche et diagnostic actif d’une éventuelle démence. Des études transversales peuvent être réalisées, permettant d’obtenir des données de prévalence. Néanmoins, le diagnostic de démence étant basé sur un déclin cognitif au cours du temps, les études longitudinales, avec un suivi régulier et des évaluations cognitives répétées, permettent de mieux appréhender ce déclin. Mais ces études sont longues et difficiles à mener et souvent confrontées au problème de sélection de l’échantillon, lié notamment aux refus de participation (refus initial ou au cours du suivi), les personnes refusant étant le plus souvent plus à risque que les autres. Ainsi, dans certaines des études publiées précédemment, les taux de participation différaient entre la première et la deuxième phase d’étude (tableau 1).

La deuxième contrainte est liée au diagnostic de démence lui-même. Ce diagnostic est essentiellement clinique, basé jusque-là sur les critères DSM-IV de démence, associant des symptômes cognitifs (évalués à partir de tests neuropsychologiques) et un retentissement sur les activités de la vie quotidienne 17. En pratique clinique, ce diagnostic est souvent précisé par des examens biologiques et une imagerie cérébrale (scanner ou IRM) permettant notamment d’éliminer certains diagnostics différentiels et d’objectiver l’atrophie hippocampique. En revanche, en épidémiologie, le diagnostic est souvent uniquement clinique. Et bien que ce diagnostic soit basé sur des critères reconnus, ceux-ci ne sont pas opérationnels et l’appréciation des troubles cognitifs et du retentissement est laissée à l’appréciation du clinicien. Il n’y a notamment pas d’échelle standardisée, avec un seuil précisé au-dessous duquel on définirait la présence d’un trouble. Ce diagnostic peut donc varier en fonction du clinicien, de son expérience mais aussi de son “intérêt” à porter un diagnostic pour la prise en charge par exemple. Avec l’évolution de l’intérêt pour cette maladie, ce diagnostic est probablement réalisé à un stade plus précoce actuellement que dans les années 1990, quand aucune stratégie de prise en charge n’était proposée. Cette modification des pratiques diagnostiques devrait conduire à une augmentation du nombre de cas de démences. Ainsi, une apparente stabilité des tendances pourrait en fait refléter une réelle diminution du risque de démence, sous-estimant de ce fait la baisse d’incidence. La prise en compte du stade de sévérité dans les analyses serait un bon moyen de comparer ce qui est comparable, mais aucune des études publiées à ce jour n’a fourni ce type d’analyse.

Enfin, une difficulté supplémentaire est liée au fait que, la démence survenant le plus souvent chez des personnes âgées, voire très âgées, le risque de démence entre en compétition avec la mortalité. Après 65 ans, le risque de décéder est trois fois plus important que celui de développer une démence. Et certains facteurs de risque de décès sont aussi des facteurs de risque de démence. Il est donc primordial, quand on s’intéresse à l’évolution du risque de démence au cours du temps, de considérer en même temps le risque de décès, qui évolue régulièrement avec une augmentation constante de l’espérance de vie depuis plusieurs décennies. Ceci nécessite d’utiliser des modèles biostatistiques spécifiques, tels que les modèles illness-death. Ces modèles évaluent les transitions d’un état initial (non dément) vers un état absorbant (décès), directement ou par un état intermédiaire (dément). Ainsi, ces modèles prennent en compte la censure par intervalle entre l’état initial et l’état intermédiaire (du fait que les sujets ne sont pas suivis de façon continue mais revus à des intervalles de temps réguliers), ainsi que la compétitivité avec le risque de décès.

Tendances évolutives de la démence en France

En France, plusieurs études de cohorte en population sur les démences ont été menées depuis la fin des années 1980. La cohorte Paquid en Gironde et en Dordogne, ayant inclus 3 777 participants en 1988-1989 ; ces participants sont suivis depuis 27 ans. La cohorte 3C (pour « Trois cités » : Bordeaux, Dijon, Montpellier) ayant inclus 9 294 participants en 1999-2000 ; ces participants sont suivis depuis 15 ans. Ces deux cohortes sont construites sur un schéma commun : 1) sélection par tirage au sort d’un échantillon de personnes âgées de 65 ans ou plus ; 2) entretiens avec évaluations répétées à chaque suivi des performances cognitives et des répercussions fonctionnelles de tous les participants ; 3) diagnostic clinique de démence à chaque suivi ; 4) actualisation régulière du statut vital des participants.

La comparaison des données des participants de la Communauté Urbaine de Bordeaux de ces deux cohortes a permis d’étudier l’évolution de l’incidence de la démence à 10 ans d’intervalle en France, dans la population de 65 ans ou plus 18. Dans la mesure du possible, nous avons pris en compte certaines des limites méthodologiques présentées précédemment. Un diagnostic algorithmique a ainsi été considéré parallèlement au diagnostic clinique, afin de limiter l’effet de la variation du diagnostic au cours du temps. Ce diagnostic algorithmique est basé sur les performances cognitives et les répercussions fonctionnelles : les participants ayant un score au Mini-Mental State Examination inférieur à 24, combiné à deux atteintes ou plus aux quatre activités instrumentales de la vie quotidienne (capacité à téléphoner, à utiliser les transports, à gérer ses médicaments et son budget) sont ainsi considérés comme déments. La mortalité compétitive dans ces populations âgées a été prise en compte grâce à l’utilisation de modèles multi-états. Cependant, le taux de participation de l’étude 3C étant inférieur à celui de l’étude Paquid, un biais de sélection ne peut pas être écarté. Des analyses de sensibilité ont été réalisées pour tenter de prendre en compte cette sélection.

Ce travail a mis en évidence une diminution significative de l’incidence de la démence entre les années 1990 et 2000. Il est difficile de préciser s’il s’agit d’une réelle diminution de l’incidence ou d’un décalage dans l’âge de survenue de la maladie. Cependant, aux âges élevés, un gain de quelques années permet souvent de ne pas développer la maladie, les personnes décédant d’une autre cause. Les analyses par sous-groupes ne semblaient pas montrer d’effet différentiel selon l’âge. Cependant, la limite des effectifs pour l’utilisation des modèles multi-états rend difficile une analyse plus fine par tranche d’âge, notamment après 85 ans. Cette diminution n’a été observée que chez les femmes, les hommes ayant dans nos cohortes une évolution stable (tableau 3). Ainsi, chez les femmes, le risque de démence était diminué de 35% dans la cohorte la plus récente lorsque l’âge était pris en compte. Cette diminution passait à 23% et restait significative quand on prenait en compte d’autres facteurs explicatifs potentiels, notamment le niveau d’éducation et des facteurs vasculaires. Ainsi, les déterminants étudiés dans ces analyses n’expliquaient pas entièrement la diminution retrouvée, même si le niveau d’éducation expliquait en partie cette évolution chez les femmes. Cette étude est la première à mettre en évidence une baisse uniquement chez les femmes à partir de données de cohortes populationnelles. Cependant, l’étude allemande citée précédemment retrouvait aussi un effet significatif uniquement chez les femmes à partir de données de l’assurance maladie 9. Il est possible que les femmes, partant d’un niveau d’éducation bien inférieur à celui des hommes au début du siècle dernier, aient davantage progressé que les hommes, avec ainsi un bénéfice plus important sur le recul de la démence.

Tableau 3 : Évolution de l’incidence de la démence en France (diagnostic algorithmique) entre 1990 et 2000 selon le sexe. Adapté de Grasset et coll. 2016 [18]
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Enfin, très récemment une étude française a analysé l’évolution de la prévalence de la démence dans une population rurale d’agriculteurs, en comparant la sous-population d’agriculteurs de la cohorte Paquid (en 1988, n=595) avec ceux de l’étude AMI, cohorte spécifiquement dédiée à l’évaluation de l’état de santé de retraités agricoles en milieu rural (en 2008, n=906) 19. Quand le diagnostic clinique de démence était analysé (diagnostic posé par les médecins de l’étude), les résultats montraient une augmentation de la prévalence en 2008 par rapport à 1988 (12,0% vs 5,7%, p<0,001). Par contre, l’analyse d’un diagnostic algorithmique, basé sur des critères stables au cours du temps, montrait une diminution de la prévalence en 2008 (14,8%) par rapport à 1998 (23,8%, p<0,001). Dans cette population, ces résultats sont donc en faveur d’une amélioration de l’état cognitif et fonctionnel (mesuré par le diagnostic algorithmique), mais mettent bien en avant le problème de modification au cours du temps du diagnostic clinique de démence, pour lequel la frontière entre démence et non démence reste subjective.

Les déterminants potentiels de cette baisse

Une meilleure prise en charge des facteurs cardiovasculaires, ainsi qu’une amélioration du niveau d’éducation et de l’hygiène de vie pourraient expliquer cette tendance à la baisse de l’incidence des démences. La prise en charge des facteurs de risque vasculaires a en effet fortement progressé, notamment avec les traitements antihypertenseurs permettant une réduction de l’incidence des accidents vasculaires cérébraux, eux-mêmes facteurs de risque important de démence. De plus, le niveau d’éducation de la population, autre facteur de risque majeur, a augmenté ces dernières décennies, surtout chez les femmes. Ainsi, même si une comparaison directe ne peut pas être faite car le diplôme lui-même a pu évoluer, 55% des personnes nées entre 1962 et 1986 ont actuellement un niveau supérieur ou égal au bac ou équivalent, contre 27% pour les personnes nées entre 1939 et 1953 (source Insee). Enfin, les conditions de vie se sont améliorées au cours du temps, notamment les conditions d’hygiène et l’alimentation. Cependant, malgré ces hypothèses, peu d’études se sont attachées à étudier les facteurs pouvant expliquer cette baisse. Dans l’étude américaine de la Framingham, la baisse de l’incidence n’était observée que chez les sujets ayant un haut niveau d’études 11. Cependant, la prise en compte des facteurs de risque vasculaires ne semblait pas expliquer cette baisse. Les résultats français montrent également un effet du niveau d’éducation sur cette baisse ; l’effet des facteurs vasculaires semble par contre très modeste, possiblement en raison d’une mauvaise prise en compte de ces facteurs 18. En effet, les données sur les facteurs vasculaires n’ayant pas été recueillies de façon similaire dans les cohortes Paquid et 3C (données biologiques et mesures de tension artérielle disponibles dans 3C mais pas dans Paquid), seuls les traitements (antihypertenseurs, antidiabétiques, hypolipémiants) ont été pris en compte dans l’analyse comme marqueurs de facteurs de risque vasculaires, ce qui ne permet sans doute pas d’évaluer correctement leur impact.

Conclusion

Ces résultats sont certes optimistes, mais ne doivent pas faire oublier que ces maladies sont et seront encore très présentes dans le futur. En effet, l’incidence semble diminuer mais, pour autant, le nombre de personnes âgées et très âgées continue d’augmenter, même si les derniers chiffres de l’Insee montrent un recul très récent de l’espérance de vie. Ainsi, malgré cette baisse de l’incidence, le nombre de personnes touchées par la démence devrait continuer à croître dans les prochaines années. Des projections, prenant en compte ces nouvelles tendances évolutives de la démence ainsi que l’évolution de la mortalité, sont maintenant nécessaires pour prévoir le nombre futur de déments dans notre pays et planifier les besoins de prise en charge. En outre, une meilleure compréhension des facteurs associés à cette diminution de l’incidence de la démence permettra de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans cette pathologie afin de développer des campagnes de prévention.

Ces résultats montrent la difficulté d’obtenir ce type de données et démontrent la nécessité d’investir dans des études épidémiologiques populationnelles au long cours. Ces études sont longues et coûteuses, mais indispensables pour la connaissance sur des maladies comme la démence. Les cohortes françaises actuelles sur le vieillissement sont des cohortes fermées et sont donc soumises à un vieillissement des participants. Les participants de Paquid ont aujourd’hui 93 ans ou plus et ceux de la cohorte 3C ont 82 ans ou plus. Si la poursuite de ces cohortes permet toujours d’obtenir des résultats primordiaux pour la recherche sur les maladies d’Alzheimer et apparentées ainsi que sur la perte d’autonomie des personnes âgées, sans renouvellement ces cohortes atteignent aujourd’hui leurs limites pour fournir des indicateurs épidémiologiques pour la surveillance de ces pathologies. Et même si les résultats actuels sont en faveur d’une diminution de l’incidence des démences dans la plupart des pays industrialisés, les nouvelles tendances sur la progression des facteurs de risque vasculaires, notamment l’augmentation du diabète et de l’obésité, pourraient bien faire régresser le bénéfice acquis au cours des dernières décennies.

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Citer cet article

Helmer C, Grasset L, Pérès K, Dartigues JF. Évolution temporelle des démences : état des lieux en France et à l’international. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(28-29):467-73. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2016/28-29/2016_28-29_2.html