Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM). Actualisation des principaux résultats

// French National Programme for Mesothelioma Surveillance (PSNM): update of the main results

Anabelle Gilg Soit Ilg1 (a.gilg@invs.sante.fr), Stéphane Ducamp2, Céline Gramond3, Sabyne Audignon-Durand3, Soizick Chamming’s4, Anne de Quillacq5, Catherine Frenay6, Françoise Galateau-Sallé5, Jean-Claude Pairon4,7, Philippe Astoul6, Marcel Goldberg1, Ellen Imbernon1, Danièle Luce1, Patrick Brochard2,3
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Institut de veille sanitaire, Bordeaux, France
3 Université Bordeaux-II, Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped), Inserm U897, Bordeaux, France
4 Institut interuniversitaire de médecine du travail de Paris Île-de-France, Créteil, France
5 CHU de Caen, Hôpital Côte de Nacre, Caen, France
6 AP-HM, CHU de Marseille, Hôpital Nord ; Université d’Aix-Marseille, Faculté de médecine, Marseille, France
7 Centre hospitalier intercommunal de Créteil, France
Soumis le 22.08.2014 // Date of submission: 08.22.2014
Mots-clés : Mésothéliome pleural | Surveillance épidémiologique | Risque professionnel | Expositions à l’amiante
Keywords: Pleural mesothelioma | Epidemiological surveillance | Occupational risk | Asbestos exposure

Résumé

Objectifs –

L’objet de cet article est l’actualisation des principaux résultats du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM), dont : la confirmation diagnostique, anatomopathologique et clinique, l’estimation nationale de l’incidence du mésothéliome pleural, la part attribuable aux expositions à l’amiante et la distribution des cas par profession et secteur d’activité.

Méthodes –

Dans les 21 départements couverts par le programme, une procédure standardisée de recueil actif et de confirmation anatomopathologique et clinique des tumeurs primitives de la plèvre est mise en œuvre. Les expositions vie entière à l’amiante et aux autres facteurs étudiés, professionnelles et extra-professionnelles ont été recueillies ; une étude cas-témoins a également été menée (période 1998-2002).

Résultats –

Parmi les 3 992 cas recueillis et incidents sur la période 1998-2011, la procédure diagnostique a permis de certifier 83% des cas et d’en exclure 8%, 9% demeurant incertains. On observe une augmentation du nombre de cas annuels estimé sur l’ensemble de la période, de 736 à 1 073 cas entre les périodes 1998-2000 et 2009-2011. Les expositions à l’amiante ont été décrites. La part attribuable à une exposition à l’amiante (professionnelle et extra-professionnelle) a été estimée à 87,3% chez les hommes et à 64,8% chez les femmes.

Conclusions –

Le PNSM apporte des informations importantes pour la connaissance du mésothéliome pleural et permet de suivre l’évolution de nombreux aspects de cette maladie à l’échelle nationale. C’est l’un des éléments majeurs et incontournables du système de surveillance des mésothéliomes, tous sites, France entière, actuellement en cours d’élaboration.

Abstract

Objectives –

The purpose of this article is to report the main updated results of the French National Programme for Mesothelioma Surveillance (PSNM): pathologic and clinical confirmation, estimates of the trends in mesothelioma incidence, the proportion attributable to asbestos exposure, distribution of cases by occupation and industry.

Methods –

In 21 French districts, a standardized procedure of active collection of incident pleural tumours and pathologic and clinical diagnosis ascertainment is used. Lifetime exposures to asbestos and to other factors, whether occupational or not, were collected, and a case-control study was also conducted (1998-2002 period).

Results –

Among the 3,992 cases and incidents recorded over the period 1998-2011, the diagnostic procedure confirmed the initial diagnosis in 83% of cases and ruled it out in 8%, 9% remaining uncertain. We observed an increase of the estimated annual number of incident cases from 736 to 1,073 between 1998-2000 and 2009-2011 periods. Exposures to asbestos were described. The estimated attributable risk for asbestos exposure (occupational and non-occupational) is 87.3% for men and 64.8% for women.

Conclusions –

The PNSM provides important informations at the national scale to improve the knowledge of malignant pleural mesothelioma, and contributes to the monitoring of numerous aspects of this disease on a large scale. It is one of the major and essential contributors to the surveillance system of mesothelioma on all sites and in the whole French territory, currently under development.

Introduction

Le Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) est un système de surveillance épidémiologique des effets de l’amiante sur la santé de la population à travers le suivi permanent du mésothéliome pleural. Coordonné par l’Institut de veille sanitaire (InVS) depuis sa création en 1998, il vise à contribuer à l’estimation de l’incidence du mésothéliome, à l’amélioration du diagnostic anatomopathologique et clinique, à la connaissance des expositions à l’amiante, à la recherche d’autres facteurs étiologiques et à l’évaluation des procédures d’indemnisation. Il associe plusieurs équipes aux compétences complémentaires et repose actuellement sur l’activité de 10 centres locaux de recueil (couvrant 21 départements) et cinq centres nationaux (centres pilote, exposition, anatomopathologie, clinique et médicosocial). La description détaillée des différents acteurs et du fonctionnement de ce programme, non présentée ici, a fait l’objet de plusieurs publications 1,2.

Le présent travail actualise les principaux résultats précédemment publiés concernant en particulier l’estimation nationale de l’incidence du mésothéliome pleural, l’évaluation des expositions, notamment à l’amiante, et la confirmation du diagnostic (anatomopathologique et/ou clinique) 1,2.

Les résultats actualisés de l’évaluation du processus de reconnaissance du mésothéliome de la plèvre en maladie professionnelle 1,2,3 et du recours au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva) sont présentés dans un autre article de ce même numéro 4.

Méthodes

Le PNSM repose sur l’enregistrement exhaustif, depuis le 1er janvier 1998, des mésothéliomes pleuraux incidents dans un nombre restreint de départements. À l’origine du programme, 17 départements étaient inclus. Depuis, la couverture a évolué et concerne actuellement 21 départements (10 centres locaux de recueil), qui représentent environ 17 millions de personnes, soit près de 30% de la population française (figure 1). Les caractéristiques socioprofessionnelles et démographiques de la population couverte par le PNSM sont proches de celles de la France entière 1.

Figure 1 : Couverture géographique du Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) et organisation, France
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Dans chacun des centres locaux, une procédure active de recueil des cas de mésothéliome de la plèvre est mise en place auprès de l’ensemble des structures médicales spécialisées, afin d’essayer d’obtenir une connaissance exhaustive des cas dès que le diagnostic est porté.

Chaque nouveau cas recueilli fait l’objet d’une procédure standardisée de confirmation du diagnostic. Lorsqu’un prélèvement (lames histologiques ou blocs d’inclusion) a été réalisé par un laboratoire d’anatomie pathologique en charge du diagnostic initial du mésothéliome pleural, il est transmis à un groupe national de pathologistes spécialistes du mésothéliome, le panel national Mésopath, qui procède à une certification anatomopathologique standardisée du diagnostic. Trois experts, à l’aveugle du statut d’exposition à l’amiante, classent chaque cas comme mésothéliome certain, exclu ou incertain. Si le diagnostic est concordant entre les trois experts, il est considéré confirmé. En cas de discordance, le cas est expertisé collectivement lors de réunions mensuelles de consensus réunissant au moins 10 experts. Le cas est alors soit certifié, soit exclu, soit mis en discussion (expertise clinique).

Lorsque les cas n’ont pu être confirmés sur le plan anatomopathologique (difficultés de diagnostic, matériel jugé insuffisant, absence de prélèvement), une expertise clinique est mise en œuvre. Elle nécessite le retour au médecin traitant et au dossier du patient. En cas d’absence de réponse du médecin, ou lorsque les documents médicaux sont trop incomplets, on considère que les expertises sont non réalisables. Lorsque le dossier est considéré comme suffisant, l’expertise est réalisée de façon indépendante par trois médecins spécialistes (radiologue, pneumo-oncologue, chirurgien thoracique) ; seules sont conclues les expertises qui recueillent une analyse concordante entre les trois experts. Les cas sont classés en trois catégories : très en faveur du diagnostic de mésothéliome, peu en faveur, impossible de conclure.

Parallèlement, dès leur inclusion dans le PNSM, et sans attendre la confirmation du diagnostic, les cas sont enquêtés en face-à-face, à l’aide d’un questionnaire standardisé. Cet entretien permet la reconstitution de la carrière professionnelle, de l’ensemble des domiciles et établissements scolaires successifs fréquentés. Le questionnaire permet également de recueillir des informations sur des situations exposantes à l’amiante et à d’autres facteurs (laines minérales, radiations ionisantes et fibres céramiques réfractaires) 5.

Estimation de l’incidence nationale du mésothéliome pleural

L’estimation de l’incidence du mésothéliome pleural repose sur le calcul des ratios moyens incidence/mortalité par classe d’âge et sexe sur l’ensemble des départements du PNSM et leur application aux données de mortalité France entière par tumeur maligne de la plèvre (Classification internationale des maladies-9e révision, CIM-9 : 163) pour les années 1998 et 1999, et par mésothéliome pleural (CIM-10 : C45.0 et C45.9) pour les années postérieures 1,2. Les données de mortalité ont été obtenues auprès du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-Inserm) pour les années 1998 à 2011, chez les hommes et les femmes, par tranche d’âge de 5 ans et par département.

Sur ce modèle, une première estimation est produite annuellement en intégrant l’ensemble des départements participant au PNSM (scénario 1).

Une seconde estimation est également réalisée annuellement en excluant les départements pour lesquels on observe un sous-enregistrement potentiel (scénario 2), i.e. quand les deux conditions suivantes sont réunies simultanément :

  • le ratio incidence observée/mortalité (tout âge) est inférieur à 1/3 ;
  • le nombre de cas incidents observés est significativement différent du nombre de cas attendus, soit le nombre de décès (loi de Poisson).

Ces estimations sont réalisées en considérant les cas non exclus par la procédure d’expertise diagnostique (anatomopathologique et/ou clinique). Les taux bruts et les taux ajustés par âge ont été calculés en considérant comme population de référence la population française pour l’année 2010 (source : Insee).

Enfin, sur le même principe, l’estimation de l’incidence nationale a également été réalisée, sur la période 2006-2012, à partir des ratios incidence/nombre de premières hospitalisations pour lesquelles l’un des motifs renseigné était « mésothéliome pleural » (C45.0). Pour ce faire, un chaînage des séjours hospitaliers a été réalisé sur les données du Programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI) des années 2004 à 2012.

Évaluation des expositions

Les questionnaires sont expertisés par un hygiéniste industriel et un médecin du travail pour évaluer l’exposition professionnelle et extra-professionnelle à l’amiante et aux autres facteurs (laines minérales, radiations ionisantes et fibres céramiques réfractaires). Pour chaque emploi et chaque facteur d’exposition, trois paramètres sont évalués : une probabilité (non exposé - possible 0 à 50% ; probable >50%-90% ; très probable >90%), une fréquence (occasionnelle de 0 à 5% du temps de travail ; intermittente >5-30% ; fréquente >30-70% ; permanente >70%) et une intensité (faible >0 à 0,1 fibre/ml ; moyenne >0,1-1 fibre par ml ; forte >1-10 fibres/ml ; très forte >10 fibres/ml) 2. Un sujet est considéré comme exposé professionnellement s’il exerce au moins un emploi avec une probabilité d’exposition non nulle. C’est la probabilité maximale retrouvée pour un sujet qui est retenue.

Concernant l’exposition extra-professionnelle, ces mêmes règles s’appliquent (probabilité, fréquence et intensité d’exposition). L’exposition extra-professionnelle se décompose selon quatre types : bricolage (activités réalisées en dehors du travail mais qui se rapprochent d’une activité professionnelle), domestique (activités de la vie courante comme le ménage ou la cuisine en utilisant des matériaux contenant de l’amiante), para-professionnel (avoir un proche exposé professionnellement à l’amiante et susceptible de ramener des fibres d’amiante au domicile), environnemental (habiter à proximité d’une industrie produisant ou utilisant de l’amiante ou d’un site géologique amiantifère).

Un compte-rendu de l’exposition professionnelle à l’amiante uniquement est ensuite adressé au médecin traitant du sujet afin qu’il oriente son patient vers une reconnaissance en maladie professionnelle le cas échant et, dans tous les cas, vers une demande d’indemnisation auprès du Fiva.

Les emplois sont codés à l’aide de nomenclatures nationales et internationales des professions et secteurs d’activité.

Entre 1998 et 2002, des témoins appariés aux cas sur le sexe, l’âge et le département de domicile ont également été interrogés avec le même questionnaire et leur exposition évaluée selon la même procédure. Cette étude cas-témoins avait pour objectifs d’établir la fraction de risque de mésothéliome pleural attribuable à une exposition à l’amiante et de définir les professions et secteurs d’activités à risque de mésothéliome pleural 5,6.

Au total, 462 cas et 897 témoins ont été inclus dans cette étude. Les fractions de risque attribuable à l’exposition professionnelle à l’amiante et leur intervalle de confiance à 99% ont été calculés à l’aide de l’estimation de Mantel-Haenszel. Pour les professions et secteurs d’activités, les rapports de cote ont été calculés à l’aide d’un modèle de régression logistique conditionnelle en considérant les sujets ayant exercé au moins une fois dans la profession ou le secteur considéré versus les sujets qui n’y ont jamais exercé.

Les résultats présentés ici concernent uniquement l’exposition à l’amiante.

Résultats

Estimation de l’incidence nationale du mésothéliome

Depuis 1998, première année de fonctionnement du PNSM, 4 734 cas ont été recueillis, dont 4 418 non exclus sur les critères anatomopathologiques et/ou cliniques. Sur la période d’incidence 1998-2011, période sur laquelle les analyses présentées ici ont été effectuées, 3 992 cas incidents ont été recueillis, dont 3 275 confirmés par l’une des deux expertises (82%), 306 exclus (7,7%), 354 jugés incertains après au moins une expertise (8,9%) et 57 impossibles à expertiser pour cause de matériel insuffisant ou non encore expertisés (1,4%).

À noter que ces proportions ont fortement évolué depuis la mise en place du PNSM en 1998. En effet, 13% des cas ont été exclus par la procédure diagnostique sur la période 1998-2000 alors que 3% seulement l’ont été sur la période la plus récente 2009-2011 (tableau 1), la proportion de cas certifiés ayant parallèlement augmenté de 76% à 89%.

Sur l’ensemble des cas incidents non exclus, le sexe-ratio était de 4,8 hommes pour 1 femme (17,3% de femmes) sur la période 1998-2009 et de 3,4 pour la période 2009-2011 (23% de femmes).

Sur l’ensemble de la période 1998-2011, l’âge moyen au diagnostic était de 72,4 ans (médiane : 73,4 ans) chez les femmes, et de 71,7 ans chez les hommes (médiane : 72,5 ans).

Entre les deux périodes 1998-2000 et 2009-2011, l’âge moyen (respectivement l’âge médian) au diagnostic variait de 70 à 73,6 ans chez les hommes (respectivement 71,1 à 74,6 ans) et de 70,4 à 74,6 ans chez les femmes (respectivement 71 à 75,3 ans).

La proportion de cas « jeunes », dont l’âge au diagnostic était inférieur à 60 ans, était 2 fois plus faible en 2009-2011 qu’en 1998-2000 chez les hommes (8,5% et 17,5%), et 3 fois plus faible chez les femmes (5% et 15%).

Tableau 1 : Caractéristiques des cas de mésothéliome pleural incidents recueillis, période 1998-2011, France
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La figure 2 présente les estimations du nombre annuel de cas incidents de mésothéliome ainsi que les taux standardisés par âge chez les hommes et chez les femmes selon le scénario 2 et les deux méthodes : utilisation du ratio incidence/mortalité sur la période 1998-2011 et utilisation du ratio incidence/premières hospitalisations PMSI sur la période 2006-2012.

Pour la première méthode, l’estimation du nombre annuel de cas incidents en France variait de 588 pour la période 1998-2000 à 789 pour la période 2009-2011 chez les hommes (+34%), et de 148 à 283 chez les femmes (+92%).

Les taux standardisés sur l’âge (pour 100 000) étaient respectivement compris entre 2,3 et 2,65 chez les hommes (+15%) et 0,52 et 0,89 chez les femmes (+69%).

Figure 2 : Estimation du nombre annuel de cas incidents de mésothéliome pleural, France entière, et taux standardisés par âge (pour 100 000), selon le scénario 2 et selon les deux méthodes : données de mortalité, années 1998-2011, et données du PMSI, années 2006-2012
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Par ailleurs, on observe une nette augmentation des taux estimés par âge entre ces deux périodes pour les classes d’âges les plus élevées : 70 ans et plus chez les femmes et 75 ans et plus chez les hommes (figure 3).

L’exclusion des départements pour lesquels un sous-enregistrement potentiel serait à déplorer (scénario 2) a pour conséquence d’augmenter l’estimation de l’incidence (tableau 2) : sur l’ensemble de la période 1998-2011, +1,9% chez les hommes et +4,8% chez les femmes. Cette différence est quasi nulle sur les cinq dernières années 2007-2011.

De même, la prise en compte dans l’analyse de tous les cas non exclus versus les seuls cas certifiés induit une augmentation de l’estimation d’environ 9%, chez les hommes comme chez les femmes, sur l’ensemble de la période.

L’effet conjoint de ces deux facteurs (exclusion des départements et prise en compte des cas non exclus) est une augmentation de l’incidence de 13% chez les hommes et 13,9% chez les femmes sur l’ensemble de la période 1998-2011.

Ainsi, l’estimation du nombre de cas incidents annuels de mésothéliome serait comprise entre 502 et 588 chez les hommes (respectivement 122 et 148 chez les femmes) sur la période 1998-2000 et 695 et 789 (respectivement 245 et 283) sur la période 2009-2011, la borne inférieure correspondant à l’estimation sans hypothèse.

Les estimations obtenues à partir des données du PMSI sont très proches de celles obtenues à partir des données de mortalité sur la période commune d’estimation (2006-2011).

Figure 3 : Nombre de cas incidents de mésothéliome pleural estimés et taux (pour 100 000) par âge (estimés selon le scénario 1, par la méthode utilisant les données de mortalité). Périodes 1998-2000 et 2009-2011
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Tableau 2 : Estimation de l’incidence nationale de mésothéliome pleural et impact des hypothèses retenues : (1) exclusion des départements avec un « sous-enregistrement » potentiel vs. tous les départements (2) tous les cas non exclus vs. les cas certifiés seulement
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Exposition à l’amiante

À la date du 31 décembre 2013, 2 217 questionnaires ont été évalués, codés et saisis. Pour 92,4% des hommes, une exposition professionnelle à l’amiante a été retrouvée, avec majoritairement une exposition probable (tableau 3). Seuls 3,4% des hommes ont été exposés à l’amiante uniquement lors d’activités extra-professionnelles.

Chez les femmes, les expositions professionnelles concernaient 39,3% d’entre elles. Un tiers était concerné uniquement par des expositions extra-professionnelles, essentiellement par l’intermédiaire de leur père ou de leur conjoint, eux-mêmes exposés à l’amiante dans leurs emplois. Pour 28% des femmes, aucune exposition à l’amiante n’a été retrouvée.

Tableau 3 : Description des expositions à l’amiante selon le sexe, Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM), France, 1998-2013 (N=2 217)
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Les résultats de l’étude cas-témoins ont montré que la fraction de risque attribuable à une exposition professionnelle à l’amiante était de 83,1% (IC99%: [74,5-91,7]) chez les hommes et de 41,7% (IC99%: [25,3-58,0]) chez les femmes. Quand toutes les expositions à l’amiante étaient prises en compte (professionnelles et extra-professionnelles), les fractions de risque attribuables passaient à 87,3% (IC99%: [78,9-95,7]) et 64,8% (IC99%: [45,5-84,3]) respectivement. L’étude cas-témoins a permis de mettre en évidence les professions de plombier-tuyauteur (RC=5,6 ; IC95%: [2,9-10,7]), monteur de charpentes métalliques (RC=5,0 ; IC95%: [1,9-13,2]) et tôlier-chaudronnier (RC=5,0 ; IC95%: [3,0-8,3]) comme étant les plus à risque de mésothéliome. Concernant les secteurs d’activités les plus à risque, outre le secteur de la transformation de l’amiante (RC=11,4 ; IC95%: [3,8-34,3]), c’est celui de la construction navale qui est le plus à risque de mésothéliome (RC=9,1 ; IC95%: [5,2-16,1]) (résultats non montrés).

Discussion - conclusions

Couvrant aujourd’hui environ 17 millions d’habitants, soit environ 30% de la population française, le PNSM est un système de surveillance épidémiologique destiné à documenter de façon permanente les évolutions de l’épidémie de mésothéliome pleural. Il apporte des informations importantes pour la connaissance du mésothéliome et permet de suivre l’évolution de nombreux aspects de cette maladie à l’échelle de la France.

Depuis sa mise en place en 1998, le PNSM a contribué de manière significative à l’amélioration de la certification diagnostique du mésothéliome pleural, en particulier pathologique. En effet, une analyse immunohistochimique complémentaire est systématiquement réalisée dans le cadre de la validation du diagnostic des cas ; cette dernière permet de différencier les mésothéliomes pleuraux des autres lésions cancéreuses ou non (métastases, sarcomes…) et limite ainsi les erreurs diagnostiques. Pour illustration, cette expertise systématique a permis de mettre en évidence 10% de formes inhabituelles, causes d’erreur diagnostique avant la mise en place du PNSM.

L’évaluation de nombreux marqueurs pour le diagnostic de mésothéliome a permis d’améliorer la qualité des résultats. De plus, la commercialisation et la mise à disposition de ces marqueurs auprès des pathologistes à l’origine du diagnostic initial a très certainement conduit à l’évolution et à l’amélioration de leurs pratiques diagnostiques. Ainsi, depuis 1998, la proportion de cas exclus après expertise diagnostique a fortement diminué de 13% à 3%, au profit des cas certifiés (de 76% à 89%). Ce phénomène est plus prononcé chez les femmes, en particulier âgées (de plus de 75 ans) : 63% des cas certifiés sur la période 1998-2000 et 87% sur la période 2009-2011.

Cette observation corrobore l’hypothèse avancée d’un sous-diagnostic des mésothéliomes de la plèvre chez les femmes à la fin des années 1990 au profit d’une tumeur secondaire de la plèvre 7.

Une plus forte attention au mésothéliome chez les personnes âgées et de meilleures procédures diagnostiques associées au vieillissement de la population sont vraisemblablement les raisons expliquant une diminution de la proportion de cas jeunes (de 16,7% à 7,9%) et une augmentation de l’âge au diagnostic (de 70,1 ans à 73,8 ans) entre 1998-2000 et 2009-2011.

Les estimations de l’incidence nationale du mésothéliome pleural présentées ici montrent une nette augmentation du nombre de cas incidents, mais aussi une augmentation du taux standardisé sur l’âge entre les deux périodes 1998-2000 et 2009-2011, chez les hommes (+15%) et surtout chez les femmes (+69%).

Ces estimations peuvent être rapprochées de celles réalisées dans le cadre de deux études récentes 7,8.

D’après les prévisions réalisées à partir des données de mortalité par tumeur maligne de la plèvre 8, le pic de mortalité aurait été atteint au début des années 2000 chez les hommes (2001) et chez les femmes (2002 ou 2007 selon l’hypothèse) avec respectivement, selon l’hypothèse (« haute » ou « basse »), entre 631 et 815 cas et entre 245 et 310 cas.

La seconde étude 7 a été réalisée à partir des données d’incidence de tumeurs malignes de la plèvre des registres Francim (années 1980-2003) et des données d’incidence du mésothéliome pleural du PNSM (années 1998-2003). Les projections réalisées jusqu’à l’année 2005 suggéraient que l’incidence des tumeurs malignes de la plèvre et des mésothéliomes pleuraux diminuait chez les hommes depuis l’année 2000. Elle augmentait chez les femmes sur l’ensemble de la période.

Ainsi, contrairement à ces résultats, les estimations présentées ici ne montrent pas de diminution des taux standardisés sur l’âge, chez l’homme comme chez la femme, entre 1998 et 2011.

Par ailleurs, les estimations réalisées pour les années 2006 à 2011 à partir des données de mortalité et des données du PMSI sont très proches, en particulier chez les hommes. Pour l’année 2012, d’après les données du PMSI, on pourrait s’attendre à une stagnation du nombre de cas par rapport à 2011 (820 hommes et 300 femmes).

Néanmoins, ces comparaisons comportent certaines limites, car elles reposent sur des données de nature différente (tumeurs maligne de la plèvre, et/ou de mortalité…) et/ou recueillies sur des périodes plus anciennes, et/ou des scénarios d’exposition nécessaires à la modélisation.

À ce jour, les estimations produites n’excluent pas que l’épidémie continue de se développer, tel que prévu par deux autres études antérieures, pendant au moins une ou deux décennies dans notre pays 9,10.

La poursuite du suivi réalisé dans le cadre du PNSM permettra de mieux appréhender la dynamique de cette épidémie dans les années à venir.

Le PNSM permet également de mieux documenter les expositions à l’amiante en France, qu’elles soient d’origine professionnelle ou extra-professionnelle. L’amiante est à ce jour le seul facteur de risque connu pour le mésothéliome pleural ; les hommes y ont été ou y sont plus fréquemment exposés que les femmes. En effet, si pour 4% des hommes l’expertise ne permet pas de retrouver une exposition à l’amiante, cette proportion s’élève à 28% chez les femmes.

Par ailleurs, les expositions extra-professionnelles représentent près d’un tiers des expositions à l’amiante chez les femmes. Or, contrairement aux expositions professionnelles, les experts se basent principalement sur le déclaratif pour évaluer ce type d’exposition, ce qui peut conduire à une surestimation ou une sous-estimation de ces expositions.

De nombreuses questions subsistent donc concernant les expositions à l’amiante et la survenue de mésothéliome pleural chez les femmes. Afin de mieux appréhender le risque de mésothéliome dans cette population, une étude cas-témoins spécifique, à une échelle plus importante que celle du PNSM est en cours de préparation.

Depuis 2012, ce programme est complété par la déclaration obligatoire (DO) des mésothéliomes, qui concerne les mésothéliomes tous sites (pleural et autres) sur l’ensemble du territoire national 11.

Ce système de surveillance national des mésothéliome (PNSM et DO) pourrait, à terme, permettre de développer la surveillance et la recherche d’autres facteurs étiologiques, en particulier chez les femmes et les cas jeunes.

Références

1 Goldberg M, Imbernon E, Rolland P, Gilg Soit Ilg A, Savès M, de Quillacq A, et al. The French National Mesothelioma Surveillance Program. Occup Environ Med. 2006;63(6):390-5.
2 Gilg Soit Ilg A, Goldberg M, Rolland P, Chamming‘s S, Ducamps S, Gramond C, et al. Programme national de surveillance du mésothéliome. Principaux résultats 1998-2006. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2009, 24 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=814
3 Chamming’s S, Clin B, Brochard P, Astoul P, Ducamp S, Galateau-Salle F, et al. Compensation of pleural mesothelioma in France: data from the French National Mesothelioma Surveillance Programme. Am J Ind Med. 2013;56(2):146-54.
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Citer cet article

Gilg Soit Ilg A, Ducamp S, Gramond C, Audignon S, Chamming’s S, de Quillacq A, et al. Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM). Actualisation des principaux résultats. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(3-4):28-37. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/3-4/2015_3-4_1.html