Amiante et effets sur la santé : une thématique toujours d’actualité
// Asbestos and its effects on health: still a current topic
L’amiante et ses effets sanitaires ont fait l’objet de nombreux développements médiatiques et scientifiques au cours des dernières décennies, et d’aucuns pourraient considérer la thématique comme « résolue ». Ce n’est malheureusement pas le cas, et quelques exemples peuvent en témoigner :
- si nombre de maladies induites par les expositions à l’amiante sont connues depuis longtemps (fibrose pulmonaire ou asbestose, fibroses pleurales, cancers bronchopulmonaires et mésothéliomes de divers sites), de nouveaux sites de cancers (larynx et ovaire) sont venus s’y ajouter lors de la dernière évaluation du Centre international de recherche sur le cancer 1. Le rôle de l’amiante dans la survenue de divers cancers digestifs demeure en outre débattu ;
- l’interdiction de l’amiante est effective en France depuis le 1er janvier 1997 et des efforts importants ont été réalisés dans le champ de la prévention pour améliorer l’information et la protection des différents acteurs susceptibles de rencontrer des matériaux comportant de l’amiante (MCA). Des outils pédagogiques adaptés à divers publics (employeurs, travailleurs, médecins, autres acteurs) ont été élaborés et des procédures de travail ainsi que des dispositifs appropriés de protection de la santé des travailleurs ont été mis en œuvre. Malgré cela, beaucoup de MCA sont encore en place, sur lesquels de nombreux professionnels (ou bricoleurs) interviennent, parfois sans connaissance de leur nature réelle et donc sans précaution spécifique. Les problèmes posés par les expositions aux fibres fines et courtes d’amiante, qui ont fait l’objet d’une expertise par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), font toujours débat 2 ;
- une conférence de consensus sur la surveillance médicale à proposer aux personnes antérieurement exposées professionnellement a été organisée en France en 1999. Les modalités de cette surveillance ont été reprécisées à l’issue d’une Commission d’audition réunie par la Haute Autorité de santé en 2010. Pourtant, de nombreuses questions demeurent non résolues, comme ont pu le souligner certains rapports de synthèse ou réunions récentes 3,4. Parmi ces questions, figurent notamment les modalités de surveillance des populations vis-à-vis du risque de cancer bronchopulmonaire, dans la mesure où un bénéfice du dépistage par examen tomodensitométrique thoracique a été démontré dans l’essai NLST aux États-Unis dans des populations de fumeurs 5;
- enfin, il existe des controverses sur l’évolution attendue de la fréquence des affections liées à l’amiante. Ce sont surtout les affections tumorales qui ont fait l’objet de projections prédictives, au niveau national ou international 6.
Au total, en dépit d’avancées significatives dans le champ des connaissances et de la prévention, la thématique « amiante » demeure plus que jamais d’actualité en France.
Ce numéro du BEH permet de faire un point important sur des informations obtenues au niveau national, au moyen de programmes spécifiques menés à l’Institut de veille sanitaire (InVS), et en collaboration avec divers partenaires pour plusieurs d’entre eux.
À partir des données épidémiologiques récentes et des matrices développées dans le cadre du programme Matgéné, il a été possible de mettre à jour les évaluations de fractions de risque attribuables à l’amiante réalisées au début des années 2000. Il apparaît que le poids des cancers pour les sites liés à l’amiante de façon certaine (poumon, mésothéliome, larynx, ovaire) demeure très important, puisqu’il est estimé entre environ 2 200 et 5 400 cas par an en France, touchant de façon majoritaire les hommes pour les cancers respiratoires du fait des situations d’exposition responsables (A. Gilg Soit Ilg et coll.). Pour le cancer bronchopulmonaire, les estimations épidémiologiques soulignent que le dispositif de réparation médicosociale est très vraisemblablement sous-utilisé. Un phénomène analogue est observé pour le mésothéliome pleural. Un élément sans doute plus surprenant encore est la sous-utilisation du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (Fiva), objectivée dans le Programme national de surveillance du mésothéliome (PNSM) (S. Chamming’s et coll.).
La surveillance du mésothéliome est assurée en France depuis 1998 par le PNSM, qui couvre actuellement 21 départements, soit environ 30% de la population française. L’augmentation d’incidence (après standardisation sur l’âge) observée chez les hommes, lorsque la période 2009-2011 est comparée à la période 1998-2000, suggère que le pic d’incidence n’est peut-être pas encore atteint chez l’homme, contrairement à ce qui avait pu être avancé précédemment 7. Il apparaît donc essentiel de surveiller son évolution au cours des années à venir à l’aide d’un dispositif exhaustif. L’augmentation de l’incidence du mésothéliome chez les femmes, même si les cas féminins représentent moins de 25% de l’ensemble des cas, souligne l’importance de mieux documenter les enquêtes étiologiques pour les cas de sexe féminin. En effet, les estimations de fraction de risque attribuable à l’amiante chez la femme demeurent nettement inférieures à celles retrouvées chez l’homme (A. Gilg Soit Ilg et coll.), et un nombre élevé de femmes n’ont aucune exposition à l’amiante identifiée. La mise en place récente du dispositif de déclaration obligatoire (DO) du mésothéliome, qui a vocation à couvrir l’ensemble du territoire national, complète le PNSM dans ce champ et devrait notamment aider à obtenir des informations sur un nombre plus élevé de cas de mésothéliomes féminins du fait de sa plus grande couverture géographique (C. Gallot et coll.). L’obtention d’une exhaustivité dans ce dispositif de DO est un objectif important pour qu’il puisse fournir des informations utilisables à visée épidémiologique.
Le programme ESPrI permet de documenter un secteur souvent méconnu en terme d’expositions professionnelles : les professions artisanales (H. Goulard et coll.). Les informations obtenues soulignent que la fréquence des expositions à l’amiante chez les hommes artisans retraités est nettement plus élevée que dans la population générale non artisan de même âge. Ce programme permet de mettre l’accent sur les professions du bâtiment, qui sont indiscutablement un secteur-clé où des expositions peuvent encore survenir du fait des MCA toujours en place et si des précautions spécifiques ne sont pas prises en cas d’intervention sur ces derniers.
Parmi les points qui font actuellement l’objet de débat, celui du lien entre la présence de plaques pleurales et le sur-risque d’affections cancéreuses chez les sujets antérieurement exposés à l’amiante est probablement l’un des plus importants, du fait de la fréquence élevée des plaques pleurales dans les populations exposées à l’amiante. La mise en évidence d’une association forte entre plaques pleurales et mortalité par mésothéliome dans la cohorte des sujets ayant sollicité une indemnisation auprès du Fiva avant 2008 est un résultat important (S. Smaili et coll.), et est en accord avec l’association antérieurement rapportée dans la cohorte issue du programme de surveillance multirégional français ARDCO (Asbestos-Related Diseases Cohort) mis en place dans les suites de la conférence de consensus de 1999 8. Une association entre plaques pleurales et mortalité par cancer bronchopulmonaire a également été identifiée très récemment dans le programme ARDCO 9.
En conclusion, les affections consécutives aux expositions à l’amiante vont encore être observées pendant plusieurs décennies en France. La prévention des expositions aux MCA en place doit être une préoccupation permanente, tant en milieu de travail que dans l’environnement général. Compte tenu des incertitudes qui demeurent sur l’évolution de l’incidence des affections liées à l’amiante, notamment les cancers, il apparaît essentiel d’assurer la poursuite des dispositifs de surveillance épidémiologique mis en place en France. Il est certainement important de renforcer ou renouveler l’information auprès des acteurs de santé sur les pathologies liées à l’amiante et les aspects médico-sociaux qui y sont liés. Des recommandations sont en cours d’élaboration sur le thème de la surveillance médicoprofessionnelle à proposer aux populations antérieurement exposées à des agents cancérogènes professionnels pour le poumon, sous l’égide de la Société française de médecine du travail, de la Société de pneumologie de langue française et de la Société française de radiologie. Il est clair que les populations antérieurement exposées à l’amiante sont les plus directement concernées par ces futures recommandations, soulignant l’importance du repérage aussi précis que possible de ces expositions.