Des études essentielles pour la généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l'utérus

// Essential studies for the generalization of organized cervical cancer screening

Nicolas Duport1 & Jérôme Viguier2
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Institut national du cancer, Boulogne-Billancourt, France

La pathologie cancéreuse cervico-utérine fait l’objet, depuis plusieurs années, d’une attention accrue. D’une part, l’arrivée en 2006 des vaccins ciblant leur principale cause, soit différents virus de la famille des papillomavirus humains (Human Papilloma Virus, HPV), a conduit à la mise en place d’une surveillance de l’impact de cette vaccination sur l'incidence des lésions précancéreuses et cancéreuses du col utérin. D’autre part, le Président de la République a annoncé la généralisation du dépistage organisé de ce cancer dans le cadre du Plan cancer 2014-2019, en se basant notamment sur les résultats encourageants de son expérimentation menée dans 13 départements français entre 2010 et 2013.

Dans les pays où le taux de couverture de dépistage (correspondant à la proportion de femmes ayant réalisé un dépistage au cours des trois dernières années) est très bas, ce qui est souvent le cas dans les pays en développement, le cancer du col de l’utérus est le 2e ou 3e cancer le plus fréquent chez la femme. En revanche, dans les pays, comme la France, où un dépistage par frottis cervico-utérin existe depuis plus de 60 ans, avec une couverture estimée proche de 60%, ce cancer devient beaucoup plus rare. En France, il se situe désormais à la 11e place parmi les 17 localisations de tumeurs solides surveillées chez la femme.

La situation est très hétérogène sur le territoire français. Les départements d’outremer ont en général une couverture de dépistage moindre qu’en métropole et le cancer du col de l’utérus se situe alors parmi les cancers les plus fréquents chez la femme. Cette couverture basse est partagée avec certains départements métropolitains du fait parfois de leur faible démographie en gynécologues, médecins généralistes ou anatomo-cytopathologistes.

Les vaccins anti-HPV actuellement disponibles sur le marché sont dirigés contre deux génotypes de HPV à haut risque oncogène (sur la vingtaine d'HPV oncogènes ou potentiellement oncogènes) et n’atteignent logiquement leur pleine efficacité que chez les jeunes filles non préalablement infectées par ces génotypes, d’où le schéma précoce de vaccination. En France, la couverture vaccinale peine à dépasser 30% de la population ciblée. Dans tous les cas, la vaccination ne protègera que la cohorte des jeunes filles vaccinées et non, dans la situation actuelle, la majorité des 19 millions de femmes de 25 à 65 ans, qui représentent la cible du dépistage. La vaccination, surtout avec une couverture insuffisante et une mise en place récente, ne doit en aucun cas conduire à un abandon du dépistage.

Ce numéro constitue le premier BEH entièrement dédié à cette thématique, et paraît à l'occasion de la 5e édition de Juin vert, mois national de mobilisation contre le cancer du col de l'utérus initié en 2010 par l'Institut national du cancer. Il réunit un ensemble de travaux présentant des données récentes sur le dépistage du cancer du col de l’utérus, par frottis ou à l’aide de tests innovants, et des études sur l’impact de la vaccination sur l’écologie virale et les lésions précancéreuses et cancéreuses du col de l’utérus. Cet éditorial invite à leur lecture, et vise à en présenter les principales thématiques.

Le premier article (A. Garnier et coll.) dresse un panorama des programmes européens de dépistage du cancer du col utérin. Comme en France, la tendance est à la généralisation du dépistage organisé après une phase expérimentale. La France fait d’ailleurs partie des pays précurseurs dans l’expérimentation du test HPV en dépistage primaire (V. Dalstein et coll.). Les auteurs soulignent néanmoins les difficultés importantes de comparaison entre pays, notamment du fait de modalités d’organisation différentes.

L’article suivant (N. Duport et coll.) présente les premiers résultats, encourageants, de l’évaluation des expérimentations de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus dans 13 départements français (dont deux d’outremer), menées selon des modalités proches, avec une incitation ciblée des femmes qui ne font pas spontanément de frottis et en recueillant les résultats de suivi pour l’ensemble des femmes de la tranche d’âge de ce dépistage. Le gain de couverture dans ces départements a été estimé à 13,2 points, atteignant 24 points dans le Cher, département où la couverture est passée de 27,3% (couverture de dépistage individuel) à 51,3% (couverture obtenue grâce au dépistage organisé).

Ensuite, les données de la surveillance des lésions précancéreuses par les registres du cancer, ainsi que le travail de standardisation de ces enregistrements qu’il a été nécessaire de réaliser en amont, sont analysés par A.S. Woronoff et coll. Ces données permettront, à terme, la mesure et le suivi dans le temps de l’impact des actions de santé publique mises en place concernant les vaccins anti-HPV et le dépistage du cancer du col de l’utérus.

Dans un quatrième article, I. Heard et coll. décrivent les différents génotypes d’HPV identifiés chez les femmes en fonction des résultats de leur frottis. Les auteurs relèvent que près de 14% des frottis normaux étaient néanmoins positifs pour un HPV à haut risque oncogène, ce qui devra être pris en compte si une stratégie de dépistage basée sur le test HPV en première intention devait voir le jour. De plus, les auteurs ont montré que le génotype 18 (l’une des deux cibles des vaccins actuels) n’était pas très fréquemment isolé dans les frottis de haut grade (HSIL) ; la prévalence des infections par des HPV de génotypes 16 et 18 était de 47,2%, correspondant alors à l’impact maximal potentiel des vaccins HPV actuels sur ces anomalies cytologiques.

Des méthodes alternatives au frottis cervico-utérin peuvent être envisagées dans un programme de dépistage organisé du cancer du col de l'utérus. Elles visent à mieux atteindre les femmes non dépistées malgré l’incitation, en leur proposant des techniques simples et peu coûteuses pouvant être réalisées à domicile : c’est l’objet du travail de K. Haguenoer et coll., qui décrivent et comparent plusieurs modalités d’auto-prélèvement vaginal en milieu sec par rapport à un prélèvement réalisé par un professionnel à la recherche d’une infection par un HPV à haut risque oncogène. Leur conclusion est que l’auto-prélèvement vaginal en milieu sec est une méthode qui pourrait être utilisée pour atteindre les femmes non dépistées. Ces résultats sont encourageants mais devront être complétés par des études de suivi des femmes avec un test positif, pour lesquelles un frottis de triage serait alors probablement justifié.

Enfin, l’article de V. Dalstein et coll. présente la première expérimentation française de dépistage primaire par test HPV, menée dans le département des Ardennes. L’étude visait notamment à analyser son acceptabilité par la population et les professionnels de santé. Le principal constat est que la mise en place d’une organisation du dépistage reposant sur un nouveau test s’avère difficile et ne pourra s’envisager que progressivement.

Ce BEH thématique offre donc plusieurs pistes de réflexion susceptibles d’éclairer les pouvoirs publics dans le choix des modalités d’organisation à mettre en place dans les mois qui viennent. Du point de vue des auteurs de cet éditorial, le principal message à porter dans les actions de communication et d’information en 2014 est simple et clair : le facteur de risque le plus important du cancer du col de l’utérus est l’absence de dépistage, y compris chez les jeunes femmes vaccinées.

Citer cet article

Duport N & Viguier J. Éditorial. Des études essentielles pour la généralisation du dépistage organisé du cancer du col de l'utérus. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(13-14-15):218-9. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/13-14-15/2014_13-14-15_0.html