Évolution de l’incidence et de la mortalité du syndrome coronaire aigu chez les 35-74 ans dans trois régions françaises : résultats des registres sur la période 2006-2016
// Changes in incidence and mortality of acute coronary syndrome among 35-74-years-old in three regions of France: Results from registries for the 2006-2016 period
Résumé
Introduction –
Une diminution des taux d’incidence des syndromes coronaires aigus (SCA) et de la mortalité associée a été observée dans le monde occidental au cours des trois dernières décennies, y compris en France. Nous avons cherché à déterminer s’il existait des disparités géographiques françaises dans ces diminutions entre 2006 et 2016.
Méthodes –
Nous avons exploité les trois registres en population surveillant la métropole européenne de Lille dans le nord de la France, le département du Bas-Rhin dans le nord-est de la France et le département de la Haute-Garonne dans le sud-ouest de la France. Tous les SCA (hospitalisés fatals ou non fatals et tous les décès extra-hospitaliers par SCA) chez les hommes et les femmes entre 35 et 74 ans résidant dans ces trois zones géographiques ont été enregistrés entre 2006 et 2016. Les taux ont été standardisés sur la population mondiale. Les taux bruts ont été calculés par classe d’âge de 10 ans.
Résultats –
Chaque région géographique a enregistré une baisse significative des taux d’attaque de SCA sur la période de 11 ans, tant chez les hommes que chez les femmes, la baisse la plus importante étant observée à Toulouse (-2,2% par an chez les hommes et -2,4% par an chez les femmes). Cependant, cette baisse n’est retrouvée qu’après 54 ans chez les hommes et 64 ans chez les femmes, ceci dans les trois régions. L’incidence (premiers événements) a également diminué sur la période, dans les deux sexes à Toulouse (-1,3% par an chez les hommes et -1,9% par an chez les femmes), mais uniquement chez les hommes à Lille (-1,4% par an) et à Strasbourg (-0,7% par an). Ces diminutions ne sont observées que chez les hommes et les femmes entre 65 et 74 ans. Quant à la mortalité coronaire, elle a significativement diminué dans les trois régions sur la période. La baisse la plus remarquable est observée à Toulouse (-5,6% par an chez les hommes et -8,3% par an chez les femmes) car la mortalité a baissé dans cette région dans toutes les tranches d’âge et les deux sexes, contrairement aux autres régions, qui présentent des baisses chez les sujets âgés uniquement. Quant à la létalité à 28 jours, elle est toujours inférieure à Toulouse (24%) par rapport à Lille (34%), Strasbourg étant intermédiaire (29%).
Conclusion –
Des tendances à la baisse des taux de SCA et de leur incidence ont été observées entre 2006 et 2016 chez les hommes et les femmes ayant entre 35 et 74 ans, de manière homogène dans trois régions françaises géographiques distinctes. Cet effet peut être principalement attribuable à la diminution du taux d’incidence des SCA chez les individus âgés entre 65 et 74 ans. En revanche, des disparités régionales ont été constatées en ce qui concerne la mortalité. En effet, celle-ci a baissé dans toutes les tranches d’âge et dans les deux sexes à Toulouse, alors qu’elle n’a baissé que chez les plus âgés à Lille et à Strasbourg. Malgré ces tendances favorables, le gradient nord-sud décroissant existe toujours. Les mesures de prévention primaire et secondaire doivent donc encore être renforcées – en particulier au nord et à l’est du pays, ainsi que chez les jeunes adultes, pour abaisser encore ces tendances dans ces régions.
Abstract
Introduction –
A decrease in the incidence rates of acute coronary syndromes (ACS) and associated mortality has been observed in the Western world over the last three decades, including in France. We sought to determine whether geographical disparities in these decreases existed in France for the period 2006-2016.
Methods –
We exploited three population-based registers monitoring the areas of Lille (métropole européenne de Lille) in northern France, Bas-Rhin in north-eastern France and Haute-Garonne in south-western France. All ACS (fatal and non-fatal hospitalised ACS, plus all out-of-hospital ACS deaths) that occurred between 2006 and 2016 among men and women aged 35-74 years residing in these three geographical areas were recorded. The rates were standardised on the global population. Crude rates were calculated by 10-year age groups.
Results –
Each geographical area showed a significant decrease in ACS attack rates over the 11-year period for both men and women, with the largest decrease in Toulouse (-2.2% per year for men and -2.4% per year for women). However, in all three regions, this decline was only found after the age of 54 years for men and 64 years for women. The incidence (first events) also decreased over the period, for both sexes in Toulouse (-1.3% per year for men and -1.9% per year for women), but only for men in Lille (-1.4% per year) and Strasbourg (-0.7% per year). These decreases were only observed for men and women aged 65-74 years. Mortality due to ACS decreased significantly in all three regions over the period. The most remarkable decrease was observed in Toulouse (-5.6% per year for men and -8.3% per year for women) where mortality decreased in all age groups and for both sexes throughout the region, contrary to the other regions, which showed decreases only among the elderly. As for fatality at 28 days, it was consistently lower in Toulouse (24%) than in Lille (34%), with Strasbourg at an intermediate level (29%).
Conclusion –
Downward trends in ACS rates and incidence were observed between 2006 and 2016 in men and women aged 35-74 years, homogeneously across three distinct geographical areas of France. This effect may be mainly due to a lower ACS incidence rate among individuals aged 65-74 years. In contrast, regional disparities were found for mortality rates. Mortality decreased in all age groups and for both sexes in Toulouse, whereas it only decreased for the oldest age groups in Lille and Strasbourg. Despite these favourable trends, the decreasing north-south gradient still exists. Primary and secondary prevention measures must therefore be further strengthened, especially in the north and east of France as well as among young adults, in order to further reduce ACS trends in these regions.
Introduction
Les taux de mortalité par maladie coronaire ont augmenté au cours du XXe siècle, mais ont commencé à baisser dans certains pays au cours des années 1960, tant chez les hommes que chez les femmes. La moindre exposition aux facteurs de risque et l’amélioration des traitements ont tous deux contribué aux réductions observées de la mortalité coronaire, même si les estimations des impacts relatifs de la prévention et du traitement varient d’un pays à l’autre 1,2,3. Malgré la baisse observée de la mortalité due aux maladies coronaires, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte que cette affection est toujours la principale cause de décès dans le monde et qu’elle représentait 9,5 millions de décès en 2016 4.
En France, nos études sur les registres de cardiopathies ischémiques en population ont montré que les taux d’attaque pour infarctus du myocarde (IDM) et décès coronaires (DC) ont diminué de façon continue entre 1997 et 2007 chez les hommes et les femmes 5,6,7. Entre 2000 et 2007, les baisses des taux d’IDM et de DC les plus prononcées étaient chez les personnes âgées de 55 à 74 ans 6. Les taux d’incidence d’IDM ont également diminué pendant cette période (-16% chez les hommes et -19% chez les femmes) 6. Nous avons récemment montré que cette baisse s’est poursuivie dans les registres entre 2006 et 2014 en France 8.
L’objectif de la présente étude était de déterminer s’il existe des différences régionales entre les trois registres de population français concernant la baisse des taux de syndromes coronaires aigus (SCA) et la mortalité associée entre 2006 et 2016.
Méthodes
Population
Les registres français des cardiopathies ischémiques couvrent trois zones géographiques d’environ 1 million d’habitants chacune : la métropole européenne de Lille dans le nord de la France, le département du Bas-Rhin dans le nord-est de la France et le département de la Haute-Garonne dans le sud-ouest de la France. Les registres enregistrent tous les épisodes coronaires aigus survenus parmi les hommes et les femmes ayant entre 35 et 74 ans de chaque zone géographique.
Données collectées
Tous les SCA hospitalisés, fatals et non fatals, et tous les DC de SCA extra-hospitaliers ont été enregistrés. Les événements ont été classés comme fatals ou non fatals à 28 jours. Si plusieurs événements se sont produits dans les 28 jours, seul l’événement le plus grave a été retenu pour l’analyse. Conformément aux règles du registre, les événements coronaires fatals survenus moins de 28 jours après un événement ischémique aigu ont été classés comme un événement coronaire unique fatal. Un événement incident est défini par l’absence d’antécédents connus d’IDM, de cardiopathie ischémique, d’angioplastie ou de pontage coronaire chez le patient.
Les SCA ont été identifiés à partir de plusieurs sources d’identification pouvant se recouper de tous les hôpitaux publics et privés (lettres de sortie, listes informatisées couvrant le diagnostic à la sortie de l’hôpital – Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) –, listes de cas des services d’urgence, etc.), des services d’urgence, et les certificats de décès de la région géographique surveillée 5 ont été collectés. Les patients ayant un diagnostic clinique de SCA avec l’une des dénominations suivantes ont été inclus dans l’étude : IDM, SCA, angor instable ou autres épisodes d’insuffisance coronarienne aiguë (symptômes d’ischémie myocardique associés à des anomalies de l’ECG et/ou à une élévation des troponines et/ou à des anomalies sur la coronarographie). Pour garantir l’exhaustivité, les sources sont examinées et recoupées. Les cas hospitalisés de SCA ont été documentés sur la base des dossiers hospitaliers. Les diagnostics ont été obtenus à partir des lettres de sortie de l’hôpital. Pour chaque cas fatal extra-hospitalier, l’événement coronaire a été documenté en contactant les médecins généralistes et/ou les services médicaux d’urgence mobiles, en examinant les mentions figurant sur le certificat de décès et en examinant les dossiers médicaux de l’individu, ainsi que la base de données du registre pour tout antécédent coronaire éventuel.
Les causes de décès ont été vérifiées en examinant les dossiers hospitaliers et d’autopsie (quand disponibles) et en interrogeant les médecins généralistes 7. Le personnel du registre a analysé les données puis, en fonction des antécédents médicaux du sujet et des circonstances du décès, a classé l’événement dans l’une des quatre catégories suivantes : (i) DC (y compris IDM), soudain ou non ; (ii) DC probable (décès avec symptômes et/ou antécédents de maladie coronaire, et sans autre cause de décès) ; (iii) DC possible (mort rapide en moins de 24 heures mais sans antécédent de maladie coronaire) ; (iv) cause de décès inconnue (données insuffisantes). Seule cette dernière catégorie a été exclue de la présente étude.
Indicateurs
Tous les participants ont été classés en quatre groupes d’âge de 10 ans (35-44 ans, 45-54 ans, 55-64 ans et 65-74 ans). Pour estimer les taux d’événements, nous avons utilisé les personnes-années à risque des personnes du même groupe d’âge et de même sexe dans la zone couverte par les registres sur la période correspondante (fournie par l’Institut national de la statistique et des études économiques) comme dénominateur. Le taux d’incidence a été calculé avec le nombre d’événements de novo au numérateur. Le taux d’attaque a été calculé avec le nombre total d’événements (à la fois de novo et récurrents) au numérateur. Le taux de mortalité à 28 jours a été calculé avec le nombre de décès au numérateur. Les taux ont été exprimés pour 100 000 habitants par an. La létalité à 28 jours (exprimée en pourcentage) a été calculée avec le nombre de décès à 28 jours au numérateur et le nombre total de SCA au dénominateur.
La standardisation directe ajustée sur l’âge a été réalisée en utilisant les groupes d’âge de 10 ans correspondants de la population mondiale 9 et le logiciel de régression Joinpoint® (version 4.8.0.1, avril 2020 ; Statistical Methodology and Applications Branch, Surveillance Research Program, National Cancer Institute, Bethesda, MA, USA).
Analyses statistiques
Les p de variation des taux standardisés et le pourcentage de variation annuelle ont été obtenus avec le logiciel Joinpoint. Les tendances non linéaires et les changements de direction dans une tendance donnée ont également été analysés à l’aide de Joinpoint avec un maximum d’un point de jonction et la méthode de test de permutation.
Les comparaisons des taux bruts entre les deux périodes (de 2011 à 2016 versus de 2006 à 2010) ont été effectuées par des modèles de régression de Poisson log-linéaires (procédure genmod dans SAS® (version 9.4, SAS Institute Inc., Cary, Caroline du Nord, États-Unis)).
Le seuil de signification statistique a été fixé à p≤0,05.
Résultats
Entre 2006 et 2016, 43 798 SCA ont été enregistrés : 33 612 hommes (77%) et 10 186 femmes (23%) (tableau 1). Parmi eux, 29 972 (68%) étaient des événements incidents (22 478, soit 75% chez les hommes, et 7 494, soit 25% chez les femmes), et 12 687 (29%) étaient mortels (9 382 hommes, soit 74%, et 3 305 femmes, soit 26%). La répartition des SCA par région est détaillée dans le tableau 1.
La figure 1 illustre les taux de SCA standardisés par année et par sexe dans les trois registres combinés. Sur la période étudiée, les taux d’attaque standardisés ont diminué significativement de 2% par an chez les hommes et de 2,5% par an chez les femmes. Les taux d’incidence ont également diminué : -1,3% par an et -1,9% par an chez les hommes et les femmes, respectivement). La diminution des taux de mortalité avec le temps était encore plus prononcée : -3,9% par an chez les hommes et -4,7% par an chez les femmes.
Le tableau 2 et la figure 2 décrivent les taux de SCA standardisés sur l’âge par année, par sexe et par région. Chaque région géographique a enregistré une baisse du taux d’attaque standardisé chez les hommes et chez les femmes, ce taux variant de -1,3% par an chez les hommes à Strasbourg à -2,4% par an chez les femmes à Toulouse. En ce qui concerne les taux d’incidence de SCA, on observait une diminution significative dans les deux sexes à Toulouse, mais uniquement chez les hommes à Lille et à Strasbourg. Quant au taux de mortalité par SCA, il diminuait significativement dans les trois régions, et très fortement à Toulouse (-5,6% par an chez les hommes et -8,3% par an chez les femmes), alors que les taux de mortalité étaient déjà beaucoup plus bas à Toulouse en 2006 par rapport aux deux autres zones.
L’analyse de régression de point de jonction, qui permet de tester le changement de direction des tendances au cours de la période observée 10, n’a révélé aucun changement significatif dans les tendances temporelles au cours de la période pour aucun des taux calculés (données non présentées), ce qui signifie que les changements étaient constants et linéaires entre 2006 et 2016.
En ce qui concerne les taux bruts de SCA par groupe d’âge de 10 ans (tableau 3), les taux d’attaque ont significativement diminué chez les hommes de plus de 45 ans, de manière relativement homogène dans les trois régions. Chez les femmes, les taux d’attaque dans ces trois zones ont diminué uniquement dans les groupes des 35-44 et 65-74 ans. Les taux d’incidence de SCA n’ont diminué que chez les hommes et les femmes ayant entre 65 à 74 ans, et ce, dans les trois régions (tableau 4). Les taux de mortalité (tableau 5), quant à eux, ont diminué chez les hommes à Toulouse quel que soit le groupe d’âge, alors qu’à Lille et à Strasbourg ils n’ont diminué que chez les hommes de plus de 55 ans. Chez les femmes, les résultats sont plus variables : on observe une diminution de la mortalité chez les femmes jeunes de 35-44 ans à Strasbourg et Toulouse, mais pas à Lille, et chez les 65-74 ans à Lille et Toulouse, mais pas à Strasbourg.
Nous avons également comparé la létalité à 28 jours entre régions sur la période étudiée (tableau 6). Un gradient décroissant nord-sud est observé (34% à Lille, 29% à Strasbourg et 24% à Toulouse) pour les deux sexes. Entre 2006 et 2016, dans les trois zones combinées, la létalité a diminué de 1,8% par an chez les hommes et de 2,2% par an chez les femmes. Elle a en réalité stagné à Strasbourg (-0,95% chez les hommes et –0,4% chez les femmes), légèrement diminué à Lille (-1,5% chez les hommes et -1,8% chez les femmes) mais a en revanche très fortement diminué à Toulouse (-3,3% chez les hommes et -5,7% chez les femmes).
Discussion
L’analyse des données des trois registres en population, au nord, à l’est et au sud de la France, a montré que les taux d’attaque et d’incidence ont diminué entre 2006 et 2016, de manière quasi-similaire dans les trois régions, tant chez les hommes que chez les femmes. Aucune évolution significative de l’incidence des SCA n’a été observée chez les moins de 65 ans, et ce, quelle que soit la région, et que l’incidence demeure beaucoup plus élevée à Lille et Strasbourg qu’à Toulouse. En revanche, il existe des disparités régionales concernant la baisse de la mortalité. La baisse est bien plus prononcée à Toulouse que dans les autres régions car elle est présente dans les deux sexes et quel que soit l’âge des individus à Toulouse, alors que, de base, les taux de mortalité sont plus bas à Toulouse comparativement aux deux autres zones, et ce, quels que soient l’âge et le sexe. La létalité a également fortement diminué à Toulouse entre 2006 et 2016.
Des publications antérieures sur les registres en France (sur les données entre 1985 et 2000, entre 2000 et 2007 et entre 2006 et 2014) ont également montré des tendances globales à la baisse de ces indicateurs pour l’IDM et les événements coronaires 5,6,7,8. La persistance de ces tendances favorables sur une période de 30 ans suggère que les mesures de prévention primaire et secondaire continuent d’avoir des effets bénéfiques. Nos données actuelles sont en lien avec les diminutions temporelles des facteurs de risque cardiovasculaire observées en France depuis 1985 – notamment l’hypertension, la dyslipidémie et le tabagisme (chez l’homme) 11,12,13,14.
Les tendances à la baisse observées dans notre étude sont cohérentes avec celles décrites par plusieurs autres registres européens, même si ces données sont légèrement antérieures à la période décrite dans notre étude. Le registre national suédois a montré que les taux de mortalité dus aux maladies coronaires sont en baisse depuis les années 1980 15,16. Entre 1987 et 2009, les taux de mortalité coronaire ont diminué de 67,4% chez les hommes et de 65,1% chez les femmes âgées de 35 à 84 ans 16, et la diminution a été observée dans tous les groupes d’âge. En République tchèque, Bruthans et coll. ont montré que les taux de mortalité coronaire avaient diminué de 66% chez les hommes et de 65% chez les femmes âgées de 25 à 74 ans entre 1985 et 2007 ; 52% de cette diminution a été attribuée à une réduction des principaux facteurs de risque cardiovasculaire et 43% à une amélioration des soins 17. Dans une vaste étude de six registres européens, les taux d’attaque d’IDM et de mortalité coronaire ont diminué dans la plupart des populations pour les deux sexes et pour tous les groupes d’âge entre 1985 et 2010 18. Le registre italien MONICA / CAMUNI a également montré une diminution annuelle de 3% du taux d’incidence de l’IDM dans les deux sexes pendant la période 1985-2004 19. Enfin, aux États-Unis, les taux de mortalité coronaire entre 1979 et 2011 ont nettement diminué chez les adultes de plus de 65 ans et stagné chez les hommes et femmes de moins de 55 ans 20.
D’autres études ont rapporté un ralentissement depuis 2010 de la baisse de la mortalité par maladies cardiovasculaires (MCV) chez les adultes âgés de 35 à 74 ans dans les pays à revenu élevé comme la France, et même une augmentation de la mortalité par MCV dans les plus récentes années aux États-Unis et au Canada 21. Néanmoins, comme ces auteurs ont rapporté une mortalité combinée pour les cardiopathies ischémiques et les accidents vasculaires cérébraux (AVC), il est difficile de comparer leurs données avec les nôtres. Une autre étude, basée sur les admissions nationales hospitalières, a décrit que de 2004 à 2014, les taux annuels d’admissions normalisées selon l’âge pour SCA chez les femmes de moins de 65 ans avaient augmenté de 6,3% sur la période alors qu’ils avaient diminué de 23% chez les femmes âgées de 65 ans ou plus 22. Ces dernières données peuvent paraître différentes de celles de nos registres, mais nos données incluent à la fois des données hospitalières et non hospitalières, elles sont donc très différentes de celles provenant d’une base de données nationale hospitalière uniquement. Des analyses complémentaires séparant les patients hospitalisés des patients non hospitalisés sont nécessaires pour explorer ces tendances spécifiques.
La diminution de l’incidence des SCA n’est observée que chez les individus les plus âgés (65-74 ans), mais de manière homogène dans les deux sexes et dans les trois régions françaises. Cela pourrait être lié à des tendances favorables en matière de prévention des maladies coronaires dans cette tranche d’âge. Il peut également être plus facile de détecter des tendances favorables chez les adultes plus âgés que chez les adultes plus jeunes, en raison du nombre beaucoup plus élevé d’événements dans le groupe d’âge des 65-74 ans (n=16 280, représentant 37% de tous les SCA) que dans celui des 35-44 ans (n=3 294, soit 7,5% des cas). Étant donné que les facteurs de risque sont plus fréquents chez les personnes âgées, les progrès de la prévention des maladies coronaires peuvent avoir un impact plus important dans ce groupe, ce qui entraîne une diminution des taux de SCA. Par ailleurs, les sujets jeunes sont moins à risque, ils sont donc moins susceptibles d’être dépistés que les sujets âgés. De plus, l’absence de diminution de l’incidence chez les plus jeunes peut être due (au moins en partie) au tabagisme – un facteur de risque cardiovasculaire majeur qui est plus fréquent chez les jeunes adultes que chez ceux plus âgés et qui est fortement associé aux événements coronaires 23. Les études du Baromètre santé ont en effet montré en France une prévalence du tabagisme comprise entre 35% et 45% chez les hommes de 15 à 44 ans et entre 25% et 36% chez les femmes de cette même tranche d’âge. Cette prévalence était stagnante entre 2005 et 2016 24. Ce phénomène pourrait également être attribué à la prévalence croissante du surpoids/de l’obésité (et par conséquent du diabète de type 2) observée dans de nombreux pays. Cependant, nous avions précédemment montré que la prévalence du surpoids augmentait chez les hommes, mais était stable chez les femmes sur la période 1986-2013 dans le nord de la France 11. Ainsi, une combinaison de tous ces facteurs de risque est susceptible d’expliquer la stagnation de l’incidence du SCA chez les jeunes. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les causes de cette stagnation, afin de pouvoir l’inverser.
La diminution de la mortalité par SCA chez les hommes et les femmes dans nos registres est assez spectaculaire, notamment à Toulouse. La seule exception concerne les femmes de 45-64 ans, chez qui il n’y avait aucune évolution significative de la mortalité par SCA, quelle que soit la région. Néanmoins, cette tendance globale favorable des taux de mortalité pourrait être due à une diminution concomitante du taux d’incidence et de la létalité, deux phénomènes observés sur la période dans nos registres. D’autres explications sont également possibles. Premièrement, une meilleure connaissance du risque de maladie coronaire pourrait entraîner des interventions plus précoces par les ambulanciers paramédicaux pendant la phase aiguë de l’événement, ce qui réduirait probablement l’étendue et/ou la gravité des lésions coronaires. Deuxièmement, nous avons montré que la mortalité extra-hospitalière a davantage baissé à Toulouse que dans les autres zones sur la période 2004-2018, ce qui peut contribuer à cette plus forte diminution dans cette région 25. Troisièmement, des améliorations dans la gestion de la phase aiguë d’un SCA à l’hôpital peuvent également entraîner de meilleurs pronostics, donc une meilleure survie 26. Enfin, et bien que la prévention secondaire ne soit pas toujours optimale après un SCA, des améliorations ont été visibles au cours de la dernière décennie 27,28.
Notre étude comporte des limites. Nos données reposent sur une période contemporaine, mais relativement courte (11 ans). Il aurait été intéressant de rapporter des tendances sur le long terme (30 ans par exemple) de l’incidence du SCA, mais le changement de définition de la maladie coronaire au cours de cette période (IDM puis SCA) rend sa réalisation impossible. Cependant, depuis 1985, nous avons périodiquement reporté les tendances des taux d’IDM et de DC 5,6,7,8. Ensuite, ces données ont été observées dans trois zones géographiques de France et ne sont pas nécessairement généralisables à l’ensemble du pays. Par ailleurs, notre étude pourrait avoir une puissance statistique limitée pour détecter, par région, les tendances dans les groupes d’âge les plus jeunes. De plus, concernant les données sur la mortalité, il peut exister un risque résiduel d’erreur dans la classification des décès que seule l’autopsie permettrait d’éliminer complètement. Enfin, l’analyse portait sur des sujets âgés de 35 à 74 ans, ce qui ne permet pas d’extrapoler les conclusions pour les sujets plus âgés.
Conclusion
Une nette diminution de la prévalence et de l’incidence des SCA a été observée entre 2006 et 2016 dans les trois régions françaises et les deux sexes, en particulier dans le groupe d’âge des 65 à 74 ans, documentant la persistance favorable des tendances des événements coronaires de ces trois dernières décennies dans la population française. La baisse de la mortalité est plus prononcée dans le sud que dans le nord et l’est de la France. Malgré ces tendances favorables, le gradient nord-sud décroissant existe toujours. Les mesures de prévention primaire et secondaire doivent donc encore être renforcées, en particulier chez les jeunes adultes pour abaisser encore ces tendances, ainsi qu’au nord et à l’est de la France.
Liens d’intérêt
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