Comparaison de la prise en charge thérapeutique du syndrome coronaire aigu en 2006 et 2016 en France et analyse de son impact sur la létalité à 1 an

// Comparison of patient care after an acute coronary syndrome in France in 2006 and 2016 and analysis of its impact on 1 year lethality

Victoria Gauthier1, Michèle Montaye1, Jean Ferrières2,3, Samantha Huo Yung Kai3,4, Katia Biasch5, Marie Moitry5,6, Philippe Amouyel1, Jean Dallongeville1, Aline Meirhaeghe1 (aline.meirhaeghe@pasteur-lille.fr)
1 Université de Lille, Inserm, CHU Lille, Institut Pasteur de Lille, U1167 – RID-AGE – Facteurs de risque et déterminants moléculaires des maladies liées au vieillissement, Lille
2 Département de cardiologie, hôpital Rangueil, CHU de Toulouse
3 CERPOP, Université de Toulouse, Inserm, UPS, Toulouse
4 Département d’épidémiologie, CHU de Toulouse
5 Laboratoire d’Épidémiologie et de Santé Publique, Université de Strasbourg
6 Département de santé publique, CHU de Strasbourg
Soumis le 09.02.2022 // Date of submission: 02.09.2022
Mots-clés : Infarctus du myocarde | Syndrome coronaire aigu | Mortalité cardiovasculaire | Registre de morbi-mortalité | Prise en charge médicale
Keywords: Myocardial infarction | Acute coronary syndrome | Cardiovascular mortality | Morbidity and mortality registry | Medical care

Résumé

Objectif –

L’objectif du travail était de comparer la prise en charge thérapeutique des syndromes coronaires aigus (SCA) en 2016 par rapport à 2006 et d’estimer l’impact de cette évolution sur la létalité à 1 an par le calcul de la fraction préventive (FP).

Méthodes –

L’enquête portait sur des patients pris en charge en 2006 et 2016 pour un SCA incident dans les trois régions surveillées par les registres français des SCA. La FP des traitements a été estimée.

Résultats –

L’étude comprenait 2 023 patients en 2006 et 1 173 en 2016. À la phase aiguë, les taux d’angioplasties, de prescription d’antiagrégants de nouvelle génération et de statines ont augmenté en 10 ans. Après un épisode STEMI (ST-Segment Elevation Myocardial Infarction), la FP des angioplasties avec pose de stent actif est passée de 10% à 59% (+49%), et celle des antiagrégants a progressé de 86% à 98% (+12%). Après un épisode NSTEMI (Non-ST-Segment Elevation Myocardial Infarction), la FP des angioplasties avec stent actif a progressé pendant la période de 19% à 45% (+26%), et celle des antiagrégants de 62% à 95% (+33%).

En sortie d’hospitalisation, les taux de prescription, déjà élevés en 2006, ont peu progressé, à l’exception de la rééducation fonctionnelle (+14% après un SCA STEMI). La FP des antiagrégants a augmenté de 57% à 78% en 2016 par rapport à 2006, après un SCA STEMI, en raison de leurs effets bénéfiques sur la létalité. La létalité à 1 an est restée stable, autour de 11%.

Conclusion –

Les taux de prescriptions des principaux traitements ont augmenté en 2016 par rapport à 2006, sans bénéfice notable sur la létalité à 1 an.

Abstract

Objective –

The aim of the work was to compare the treatment of acute coronary syndromes (ACS) between 2006 and 2016 and to quantify the impact of this evolution on the 1 year lethality, by calculating the preventive fraction (PF).

Methods –

The investigation focused on patients managed in 2006 and 2016 for an incident ACS in regions monitored by 3 French ACS registries. The PF of the treatments was estimated.

Results –

The study included 2,023 patients in 2006 and 1,173 in 2016. At the acute phase, the rates of angioplasties, the prescription of new generation antiplatelet drugs and statins increased. After a STEMI event, the PF of angioplasties with an active stent increased from 10% to 59% (+49%) and the one of antiplatelet drugs increased from 86% to 98% (+12%). After a NSTEMI event, the PF of angioplasties with an active stent increased from 19% to 45% (+26%) and the one of antiplatelet drugs increased from 62% to 95% (+33%).

At discharge from hospitalization, prescription rates, already high in 2006, increased a little, with the exception of functional rehabilitation (+14% after a STEMI event). The PF of antiplatelet drugs increased from 57% to 78% after a STEMI event due to their beneficial effect on lethality. Lethality at 1 year remained stable at around 11%.

Conclusion –

The recommended prescription rates increased when comparing 2016 and 2006, with no significant benefit on the 1-year lethality.

Introduction

Depuis le milieu des années 1960, la mortalité coronaire n’a cessé de décroître en France. Cette diminution s’explique par les progrès du dépistage et de la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire, l’amélioration des traitements à la phase aiguë du syndrome coronaire aigu (SCA) et le renforcement de la prévention secondaire après l’hospitalisation 1,2,3,4.

Durant ces deux dernières décennies, de nouvelles stratégies thérapeutiques susceptibles de modifier le pronostic de la maladie ont renforcé la panoplie des traitements du SCA (stents actifs, nouvelles classes d’antiagrégants plaquettaires et d’anticoagulants oraux…). Afin d’évaluer l’impact de ces nouvelles stratégies thérapeutiques sur le pronostic des SCA, des données mises à jour de prise en charge sur un échantillon représentatif de la population française sont nécessaires. Pour proposer une lecture de ces données différente de ce qui est proposé habituellement dans la littérature scientifique, nous avons cherché à estimer cet impact par le calcul de la fraction préventive (FP) 5. L’objectif de notre travail était de comparer la prise en charge thérapeutique des SCA en 2016 par rapport à 2006 et d’estimer l’impact de cette évolution sur la létalité à 1 an par la FP.

Méthodes

L’étude a porté sur les données des 3 registres français de morbi-mortalité des cardiopathies ischémiques (registres MONICA, Multinational monitoring of trends and determinants in cardiovascular disease). Les cas concernaient les épisodes de SCA survenus chez les sujets âgés de 35 à 74 ans, domiciliés dans chacune des trois régions : communauté urbaine de Lille, département du Bas-Rhin et département de la Haute-Garonne.

Les cas ont été identifiés dans tous les hôpitaux publics et privés de chacune des trois zones géographiques. Plusieurs sources (lettres de sortie, listes informatisées couvrant le diagnostic de sortie de l’hôpital, listes informatisées des services d’urgence, certificats de décès, etc.) ont été examinées et recoupées pour s’assurer que toutes les informations pertinentes avaient été incluses. Les SCA ont été documentés à partir des antécédents cliniques et des dossiers hospitaliers. Seuls les patients ayant un diagnostic clinique de SCA ont été inclus dans l’étude avec l’une des dénominations suivantes : infarctus du myocarde, syndrome coronaire aigu, angor instable ou autres épisodes d’insuffisance coronarienne aiguë (symptômes d’ischémie associés à des anomalies de l’électrocardiogramme (ECG) et/ou à une élévation des troponines et/ou à des résultats d’angiographie anormaux). Les dossiers médicaux et la base de données du registre ont été examinés pour rechercher des antécédents de coronaropathie. Une enquête spécifique sur la prise en charge à la phase aiguë et les prescriptions de sortie a été réalisée pour tous les patients hospitalisés entre janvier et décembre 2006 à Lille et à Strasbourg, ou entre décembre 2005 et novembre 2006 à Toulouse, ainsi qu’entre octobre 2015 et mars 2016 pour les trois centres de manière identique. Seuls les événements incidents ont été retenus pour cette étude. Un événement incident est défini par l’absence d’antécédents connus d’infarctus du myocarde, de cardiopathie ischémique, d’angioplastie ou de pontage coronaire chez le patient.

Les épisodes ischémiques étaient classés en 4 catégories selon les résultats de l’ECG et de la biologie :

STEMI (ST-Segment Elevation Myocardial Infarction) : pour les sus-décalages du segment ST+ et troponines positives ;

NSTEMI (Non-ST-Segment Elevation Myocardial Infarction) : pour les non-ST+ et troponines positives ;

angor instable : pour les non-ST+ et troponines non positives ;

autre : pour les ST+ et troponines équivoques ou normales, ainsi que pour les combinaisons comportant des données électrocardiographiques ou biologiques manquantes ou inclassables.

Prise en charge

Pour chaque patient hospitalisé, l’enquête spécifique sur la prise en charge permettait de recueillir les actes médico-chirurgicaux de reperfusion (thrombolyse, angioplastie, pontage coronarien) et les traitements (bétabloquants, antiagrégants plaquettaires, statines, inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II (ARAII) et anticoagulants) prescrits pendant l’hospitalisation, ainsi que les traitements prescrits sur l’ordonnance de sortie pour les patients vivants en sortie d’hospitalisation.

Les antiagrégants plaquettaires d’ancienne génération regroupaient l’aspirine, la ticlopidine, le clopidogrel, les antagonistes des récepteurs GPIIb/IIIa. Les antiagrégants plaquettaires de nouvelle génération regroupaient le ticagrélor et le prasugrel. Les anticoagulants d’ancienne génération regroupaient les AVK, l’héparine standard, l’héparine de bas poids moléculaire et l’hirudine. Les anticoagulants de nouvelle génération regroupaient le fondaparinux, l’Eliquis®, le Pradaxa® et le Xarelto®.

Survie

Le statut vital à 28 jours et à 1 an après la date des premiers symptômes a été recherché en recueillant l’information dans les lettres de sortie, les certificats de décès, la base du registre, également auprès des médecins traitants et des mairies de naissance. La létalité à 28 jours et à 1 an a été calculée en divisant le nombre de patients décédés à 28 jours et à 1 an par le nombre total de patients incidents hospitalisés.

Analyses statistiques

Les taux de prescription des traitements ont été comparés entre 2006 et 2016 par régression logistique. Des courbes de survie de Kaplan-Meier ont été comparées avec le test du Log-rank. L’association entre les traitements et la létalité a été évaluée par régression de Cox. L’ensemble de ces résultats a été stratifié selon la catégorie diagnostique de l’événement (STEMI/NSTEMI/Angor instable/Autre), en réponse à des stratégies de prise en charge différentes, et ajusté sur l’âge et le sexe, en lien avec plusieurs études montrant des caractéristiques et une prise en charge différentes selon l’âge et le sexe des patients 6,7. Les pratiques pouvant également différer d’un centre à l’autre ; les analyses ont également été ajustées sur le centre.

Enfin, la FP attribuable de chaque traitement a été estimée par la formule :

FP = Ft(1-HR)

où Ft est le taux de prescription du traitement t et HR est l’hazard ratio de la létalité associée au traitement.

La FP est une mesure d’impact correspondant à la proportion de décès évités dans la population pour chaque traitement 5. La FP a été estimée pour les traitements dont l’HR était <1. Les analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel R® (version 3.5) (1).

Résultats

Au total, 2 023 patients hospitalisés pour un SCA incident ont été enregistrés sur l’année 2006, et 1 173 sur une période de six mois en 2015-2016, dans les trois centres français (tableau 1). La proportion d’hommes était trois fois plus élevée que celle des femmes, sans évolution significative entre 2006 et 2016. La proportion de patients dans la tranche d’âge 55-64 ans a augmenté pendant la période (p<0,01), tout comme celle des NSTEMI qui est passée de 26% en 2006 à 39% en 2016. À l’inverse, la proportion d’angors instables a diminué de 14% en 2006 à 7% en 2016.

Tableau 1 : Caractéristiques des patients hospitalisés pour un syndrome coronaire aigu en France en 2006 et 2016
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Survie

La létalité à 28 jours était de 8% (158/2023) en 2006 et 7% (80/1173) en 2016 (p=0,3) et la létalité à 1 an atteignait 11% (221/1993) en 2006 et 10% (109/1145) en 2016 (p=0,15). Les survies à 28 jours et à 1 an n’étaient pas statistiquement différentes en 2016 par rapport à 2006 (figures 1 et 2).

Figure 1 : Courbes de survie à 28 jours après un syndrome coronaire aigu en France 2006-2016
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Figure 2 : Courbes de survie à 1 an après un syndrome coronaire aigu en France 2006-2016
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Évolution des taux de prescription

Le tableau 2 décrit les taux de prescription des traitements après un SCA, en 2006 et en 2016.

Tableau 2 : Taux de prescription des traitements des SCA en France en 2006 et 2016
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Phase aiguë

La proportion de thrombolyses a considérablement chuté de 18% en 2006 à 2% en 2016 (p<0,0001) chez les patients STEMI, et à l’inverse celle des angioplasties a augmenté de 79% à 89% en 2016 (p<0,0001) chez les patients STEMI, et de 61% à 66% en 2016 (p<0,05) chez les patients NSTEMI. La proportion moyenne d’angioplasties avec stents a augmenté de plus de 4% (p<0,05) après un SCA STEMI ou NSTEMI. Le pourcentage de stents actifs est passé de 20% à 77% (p<0,0001) pour les STEMI, et de 29% à 56% (p<0,0001) pour les NSTEMI pendant la période.

L’utilisation des bétabloquants (environ 82%), des antiagrégants plaquettaires (environ 97%), des statines (environ 83%) et des IEC ou ARAII (environ 72%) est restée globalement stable pour tous les types de SCA. Cependant, en 2016, plus de la moitié des antiagrégants plaquettaires étaient des molécules de nouvelle génération pour les STEMI et NSTEMI. Ils étaient également prescrits dans 38% des cas d’angor instable. Enfin, la prescription d’anticoagulants (toutes générations confondues) a augmenté de plus de 5% sur la période (p<0,01) après un épisode STEMI, NSTEMI ou d’angor instable ; les nouveaux anticoagulants étaient prescrits chez plus de 15% des patients en 2016.

La durée moyenne du séjour hospitalier est passée de 9 jours en 2006 à 7 jours en 2016 (p<0,0001) pour un SCA STEMI et de 8,5 à 6 jours (p<0,0001) pour un SCA NSTEMI. La durée de séjour des angors instables a presque diminué de moitié en 2016 par rapport à 2006 (p<0,01).

Prescriptions de sortie

Au total, 1 869 patients en 2006 et 1099 en 2016 (sur six mois) ont survécu à l’épisode aigu et ont bénéficié d’une prescription à la sortie de l’hospitalisation. Les prescriptions des bétabloquants (environ 82%), des antiagrégants plaquettaires (environ 95%), des statines (environ 90%) et d’IEC ou ARAII (environ 75%) sont restées stables pendant la période, et celle d’anticoagulants également (environ 12%).

Les taux de prescription de rééducation fonctionnelle ont augmenté de 44% à 58% (p<0,0001) au cours de la période après un SCA STEMI.

Évolution du risque de décès à 1 an associé aux traitements

Le tableau 3 décrit le risque de décès à 1 an associé aux traitements à la phase aiguë et en sortie d’hospitalisation en 2006 et en 2016.

Tableau 3 : Risque de décès à 1 an des traitements des SCA en France en 2006 et 2016
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Phase aiguë

L’angioplastie était inversement associée à la létalité à 1 an, en 2006 (HR<0,39) et en 2016 (HR<0,41) pour les STEMI, NSTEMI et angors instables. Les bétabloquants, les antiagrégants plaquettaires, les statines et les IEC ou ARAII étaient inversement associés au risque de décès à 1 an en 2006 et en 2016. Une amélioration notable du pronostic chez les sujets recevant un traitement antiagrégant plaquettaire peut être observé, passant d’un HR=0,12 en 2006 à HR=0,02 en 2016 après un STEMI et passant d’un HR=0,36 en 2006 à HR=0,04 en 2016 après un NSTEMI. Chez les patients recevant un anticoagulant le risque de décès est passé de 0,99 en 2006 à 0,23 en 2016 pour les STEMI.

Prescriptions de sortie

Globalement les traitements de référence étaient inversement associés à la létalité à 1 an en 2006 et en 2016, sans évolution statistiquement notable du risque pendant la période. Les prescriptions de rééducation fonctionnelle restaient associées à un meilleur pronostic en 2006 (HR=0,12) comme en 2016 (HR=0,56) pour les STEMI.

Proportion de décès évités dans la population pour chaque traitement

Le tableau 4 rapporte les fractions préventives associées aux traitements à la phase aiguë et en sortie d’hospitalisation, en 2006 et en 2016, après un événement STEMI ou NSTEMI.

Tableau 4 : Fractions préventives des traitements des SCA en France en 2006 et 2016
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Phase aiguë

À la phase aiguë, la FP des traitements de référence variait entre 0% et 86% en 2006, et entre 0% et 98% en 2016. Après un épisode STEMI, pendant la période, la FP des angioplasties avec stent actif a progressé de 10% à 59% (+49%), celle des antiagrégants de 86% à 98% (+12%), et celle des IEC ou ARA II de 64% à 71% (+7%). Après un épisode NSTEMI, la FP des angioplasties avec stent actif a progressé pendant la période de 19% à 45% (+26%), et celle des antiagrégants de 62% à 95% (+33%).

Prescriptions de sortie

La FP des traitements était comprise entre 9% et 62% en 2006, et entre 8% et 78% en 2016. La FP des antiagrégants a augmenté de 57% à 78% (+21%) en 2016 par rapport à 2006 après un SCA STEMI.

Discussion

En 2006, les taux de prescription des principaux traitements à la phase aiguë et en sortie d’hospitalisation des SCA étaient déjà élevés. En 2016 par rapport à 2006, ces taux ont faiblement progressé, laissant assez peu de patients sans prise en charge optimale. Les taux de létalité sont restés inchangés, autour de 8% pour la létalité à 28 jours et 11% pour la létalité à 1 an.

Au cours de la période, la proportion des SCA incidents est restée trois fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes 8, la proportion de cas dans la tranche d’âge 55-64 ans a augmenté et la proportion des NSTEMI a augmenté en 2016 au détriment des angors instables. L’utilisation croissante des troponines ultrasensibles, dont la sensibilité est 10 fois supérieure aux troponines plus anciennes, explique probablement l’augmentation de la prévalence des SCA à troponines positives. Ces observations sont en accord avec les résultats des observatoires FAST-MI et USIC, et avec les données des bases médico-économiques françaises 4,9,10, et valident leurs interprétations sur un échantillon représentatif de population.

En 2016, par rapport à 2006, la proportion de thrombolyses après un STEMI était diminuée (-16%) et celle des angioplasties était augmentée (+10%), avec notamment une augmentation considérable de poses de stents actifs. Ces tendances reflètent l’évolution des pratiques en accord avec les résultats des essais thérapeutiques 11,12,13 qui ont démontré une meilleure reperfusion après une angioplastie primaire qu’après une thrombolyse. Des analyses complémentaires ont montré que les premiers secours étaient arrivés dans l’heure suivant l’apparition des symptômes pour un quart des cas après un événement STEMI ou NSTEMI en 2006 et en 2016 13. Les deux périodes ne différaient pas significativement en ce qui concerne le délai d’arrivée des premiers secours, ou d’arrivée dans le premier service d’accueil et donc de mise en place d’une stratégie de reperfusion. La diminution des thrombolyses en 2016 peut aussi être mise en parallèle à l’augmentation de l’incidence des événements NSTEMI.

Globalement, les taux des prescriptions des principaux traitements à la phase aiguë et en sortie d’hospitalisation étaient similaires en 2006 et 2016. La couverture par les antiagrégants plaquettaires restait très élevée, de l’ordre de 97%, avec cependant l’émergence des antiagrégants de nouvelle génération qui représentaient plus de 36% des prescriptions en 2016 15. Les taux de prescriptions des IEC ont sensiblement diminué, partiellement compensés par une augmentation des ARAII 16,17. La prescription des nouveaux anticoagulants a connu un essor important, ces molécules contribuant à près de 15% des prescriptions de la phase aiguë en 2016. Enfin, pendant la période, la durée d’hospitalisation a globalement diminué de 2 jours. La prescription des séjours en réadaptation fonctionnelle a, quant à elle, augmenté de +6%, en relation possible avec l’augmentation de l’offre de soin pendant la période.

En dépit de l’évolution favorable des taux de prescription, la létalité à 28 jours et 1 an est restée stable en 2006 et 2016. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette stabilisation. D’abord, les taux de prescriptions des traitements recommandés étaient déjà élevés en 2006 et la marge de progression pour
la couverture thérapeutique était très limitée, ce qui rend difficile la mise en évidence d’éventuels bénéfices supplémentaires. Enfin, l’amélioration de la prise en charge extrahospitalière des SCA s’est traduite par l’augmentation des admissions de patients au pronostic vital altéré, tel que les arrêts cardiaques réanimés (+3%, p<0,001, pendant la période).

La FP d’un traitement est fonction de son taux de prescription et du bénéfice/risque associée à ce traitement. À la phase aiguë, après un épisode STEMI ou NSTEMI, la FP de l’angioplastie était supérieure à 47% en 2006, et celle des traitements de référence était comprise entre 49% pour les IEC ou ARAII, et 86% pour les antiagrégants plaquettaires, en raison notamment des taux élevés de prescription dans la population. En 2016 par rapport à 2006, les FP de ces traitements ont augmenté de quelques pourcents, principalement en relation avec l’amélioration modeste du pronostic, à l’exception de la FP des stents actifs qui s’est améliorée de +49% après un STEMI et de +26% après un NSTEMI, en raison de l’augmentation de leurs taux de prescription. En sortie d’hospitalisation, la FP des traitements de référence était comprise entre 8% et 78%. L’amélioration du risque associé aux antiagrégants plaquettaires, et à un moindre degré aux IEC en 2016 par rapport à 2006, explique la progression des FP pendant la période. Dans cette étude en population, l’amélioration du pronostic d’un traitement reflète à la fois l’évolution de l’efficacité des molécules (c’est-à-dire nouvelles molécules), mais aussi celle du périmètre de prescription (c’est-à-dire moins de complications iatrogènes) ou de l’observance. Typiquement, le sur-risque observé chez les patients recevant un anticoagulant en 2006 diminue en 2016, en raison probablement de l’introduction des nouvelles générations et d’une meilleure prise en charge des fibrillations atriales. Enfin, nos résultats montrent que la rééducation fonctionnelle pourrait expliquer près d’un quart des décès évités après un SCA STEMI, en lien avec des travaux précédents confirmant le bénéfice de la rééducation cardiaque fonctionnelle dans la maladie coronaire 18,19,20,21.

Ce travail présente certaines limites. Le nombre de cas en 2016 était relativement faible, limitant la puissance statistique de l’analyse pour l’étude de la prise en charge en fonction du type de SCA. L’absence de données sur les facteurs de risque cardiovasculaire en 2006 a empêché l’étude de leur impact sur les tendances observées. L’analyse portait sur des sujets âgés de 35 à 74 ans ne permettant pas d’extrapoler les conclusions pour les sujets plus âgés. La somme des FP de chaque molécule était très largement supérieure à 100%, ce qui s’explique par la co-prescription de nombreux traitements. Ainsi les FP rapportées dans ce travail ne reflètent pas l’effet indépendant de la molécule. Une façon de résoudre ce problème serait d’estimer le risque à partir d’une analyse multivariée. Mais, en raison de la colinéarité des prescriptions et des taux très élevés de prescription de certaines molécules cette analyse n’était pas pertinente. À l’inverse, l’étude présentait des points forts. Les registres MONICA couvrent tous les hôpitaux publics et privés et tous les patients pris en charge par le système de soin (comprenant les services d’urgence pré-hospitaliers), quel que soit le mode d’admission. Le diagnostic est précis et le statut vital est parfaitement renseigné avec seulement 0,09% de perdus de vue à 28 jours (n=3). Enfin, l’utilisation d’un registre de population dans des zones géographiques définies permet d’évaluer les événements de manière exhaustive et d’analyser avec précision l’évolution des soins médicaux par des enquêtes spécifiques.

En conclusion, ce travail a permis de montrer une progression modeste de la prise en charge du SCA
dans un échantillon représentatif de la population française, principalement à la phase aiguë de la maladie. Cependant, les taux de prescriptions étant déjà très élevés en 2006, les bénéfices possibles de cette progression sur la létalité sont difficiles à percevoir. La létalité est similaire en 2006 et 2016.

Remerciements

Nous tenons à remercier les enquêteurs pour leur précieuse contribution à la collecte et à la validation
des données, les médecins et les cardiologues qui ont contribué à ce processus.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Financements

Ces travaux ont été financés par Santé publique France, la Fédération française de cardiologie,
l’Inserm et l’Institut Pasteur de Lille.

Références

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Citer cet article

Gauthier V, Montaye M, Ferrières J, Huo Yung Kai S, Biasch K, Moitry M, et al. Comparaison de la prise en charge thérapeutique du syndrome coronaire aigu en 2006 et 2016 en France et analyse de son impact sur la létalité à 1 an. Bull Epidémiol Hebd. 2022;(14):247-56. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2022/14/2022_14_2.html

(1) R Core Team (2019). R: A language and environment for statistical computing. R Foundation for Statistical Computing, Vienna, Austria. https://www.r-project.org/