Activités à risque d’exposition au plomb et saturnisme chez les enfants de familles de gens du voyage en Charente, 2017-2019
// Activities at risk of lead exposure and lead poisoning in children of travellers’ families in Charente, 2017-2019
Résumé
Introduction –
À la suite du signalement d’un cas de saturnisme chez les enfants de familles de gens du voyage en Charente en 2015, l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine a lancé une étude de 2017 à 2019 afin de décrire l’exposition au plomb des enfants de cette population. L’objectif de cette étude était de repérer et décrire les cas de saturnisme et d’identifier les facteurs de risque d’exposition au plomb.
Méthode –
L’investigation incluait la passation d’un questionnaire par famille en face-à-face par les travailleurs sociaux de deux centres sociaux de Charente, préalablement formés, et la réalisation d’un prélèvement sanguin de tous les membres de la famille pour mesurer la plombémie. En cas de saturnisme, une enquête environnementale sur les lieux de vie des enfants a été menée.
Résultats –
Parmi les 100 enfants âgés de 24 mois à 17 ans avec un résultat de plombémie, 40 enfants avaient une plombémie supérieure au seuil d’intervention de 50 µg/L ; 13 de ces enfants avaient une plombémie supérieure à 100 µg/L. Le fait d’être un garçon âgé entre 11 et 14 ans et de participer aux activités à risque de contamination, augmentait de manière significative la moyenne géométrique des plombémies. Parmi les activités à risque, le démontage de voitures, le brûlage de matériaux pour en séparer les métaux, ainsi que le découpage et la manipulation de ferraille étaient le plus souvent cités. Les aires de ferraillage présentaient des taux de contamination au plomb de la terre largement supérieurs au seuil de 300 mg/kg préconisé par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) pour la mise en œuvre d’un dépistage.
Discussion –
Malgré un faible nombre de prélèvements, les niveaux de plombémie détectés lors de ce dépistage incitent à renforcer le dépistage du saturnisme sur l’ensemble des enfants issus de la population des gens du voyage, y compris ceux âgés de plus de 6 ans.
Abstract
Introduction –
Following the report of a case of childhood lead poisoning in a traveller community in Charente in 2015, the Regional Health Agency of Nouvelle-Aquitaine conducted a study between 2015 and 2017 to assess lead exposure among children of traveller families. More specifically, it aimed to detect and describe cases of lead poisoning and to identify the risk factors associated with its occurrence.
Methods –
The investigation consisted of a quantitative survey in which social workers administered a face-to-face questionnaire for each participating family. At the end of the survey, the social workers proposed a blood test to all family members in order to measure their blood lead levels. If this test resulted in a diagnosis of lead poisoning, an environmental survey was performed on soil, dust and water samples from the child’s living environment.
Results –
Among the 100 children with a blood lead result, 40 suffered from lead poisoning, defined as a level above the threshold of 50 µg/l, including 13 above 100 µg/l. Being a boy between 11 and 14 years of age and participating in activities at risk of contamination were significantly associated with higher geometric mean blood lead levels. The at-risk activities cited most were dismantling cars, burning materials to separate metals, and cutting and handling scrap metal. The scrap metal areas had lead contamination levels in the soil well above the recommended threshold set by the Haut Conseil de la santé publique (HCSP).
Discussion –
Despite the relatively small number of blood samples collected, the high levels of lead detected advocate the reinforcement of screening for lead poisoning among children of the traveller community, including those above 6 years of age.
Introduction
Le saturnisme infantile, reconnu comme problème de santé publique depuis les années 1980, est une maladie à déclaration obligatoire dont le critère de notification est défini par une première plombémie supérieure ou égale à 50 µg/L chez une personne de moins de 18 ans 1. Le dépistage du saturnisme infantile est ciblé sur les expositions à risque. Les facteurs de risque d’exposition au plomb sont variés : la présence de peintures au plomb, l’habitat dégradé, la situation de précarité des familles, le fait de se constituer en populations itinérantes, une immigration récente, des travaux de rénovation dans le lieu de vie de l’enfant, le fait de vivre sur un ancien site industriel, le fait de manger dans une vaisselle avec un vernis au plomb ou d’utiliser du khôl, ou encore de pratiquer la chasse ou la pêche 2…
Les activités de ferraillage sont des activités à risque, à l’origine de la production de poussières de plomb qui peuvent contaminer les enfants. En effet, les vêtements et chaussures de travail, rapportés au domicile familial peuvent alors être une source d’exposition au plomb pour l’ensemble des occupants 3. De plus, selon le témoignage des acteurs locaux, la fréquentation par les enfants d’aires de ferraillage, que ce soit pour jouer ou pour participer aux activités de ferraillage, pourrait être une raison de la contamination par le plomb. La présence d’enfants atteints de saturnisme est ainsi le point de départ de plusieurs études et d’actions de prévention menées auprès des gens du voyage 4. Depuis les années 2000, du fait des préoccupations environnementales, l’économie du recyclage a pris une dimension industrielle, impactant du même coup le métier traditionnel de ferrailleur souvent exercé par les gens du voyage. Ainsi, les changements induits ont marginalisé ce métier exercé de manière traditionnelle par les gens du voyage, renforçant leur exclusion sociale 5.
En 2015, un cas de saturnisme chez un enfant d’une famille de gens du voyage du département de la Charente, a été signalé auprès de l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine (ARS) par les associations locales accompagnant cette population. L’ARS a alors lancé une campagne de dépistage (1), en partenariat avec les associations et la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (FNASAT-GDV), du 1er mars 2017 au 11 décembre 2019, afin de dénombrer les cas de saturnisme parmi les familles de gens du voyage habitant dans le département de la Charente, et a sollicité Santé publique France pour décrire les cas de saturnisme et identifier les facteurs de risque associés à leur survenue.
Méthodes
Population cible
Le dépistage réalisé par l’ARS avait pour cible les enfants âgés de 9 mois à 18 ans, parmi les 750 ménages de gens du voyage usagers des deux centres sociaux et résidant au sein des arrondissements d’Angoulême et de Confolens dans le département de la Charente. Selon un estimatif des centres sociaux (le recensement de cette population étant inexistant), 975 enfants étaient concernés par ce dépistage. Ces familles résidaient sur 26 sites différents : aires d’accueil autorisées, stationnement sur un terrain communal ou sur un terrain familial, lotissement bailleur social, logement individuels (locatif ou en propriété) accueillant parfois des caravanes dans leur jardin… Les familles de ces enfants étaient connues pour exercer une activité pouvant entraîner une contamination au plomb, ou pour habiter un lieu de vie dans lequel d’autres familles exerçaient ce type d’activités.
Inclusion des enfants
Les familles qui ont accepté de répondre à un questionnaire se sont vu proposer un dépistage du saturnisme de manière systématique pour tous leurs membres (adultes et enfants). Seules les familles volontaires ont participé à ce dépistage. Les enfants inclus dans la suite des analyses réalisées par Santé publique France disposaient d’une plombémie et d’un questionnaire famille renseigné.
Données recueillies
Questionnaire en face-à-face
Les données ont été recueillies dans le cadre de la campagne de dépistage menée par l’ARS. Les familles ont donné leur accord pour l’analyse secondaire des données à des fins d’analyse plus approfondies par Santé publique France. Un questionnaire en face-à-face a été administré par les travailleurs sociaux des centres préalablement formés à la passation du questionnaire. Celui-ci comportait des informations sur les caractéristiques sociodémographiques et sur les conditions de vie des familles. Il contenait également des questions permettant d’identifier les activités professionnelles des familles exposant au plomb, telles que recensées dans le guide de dépistage du HCSP 2 : démontage de voitures, récupération de batteries, récupération de radiateurs d’automobiles, stockage de métaux, découpage et manipulation de ferraille, brûlage de matériaux pour en séparer les métaux, décapage de ferronnerie, décapage par grattage ou ponçage de vieilles peintures, décapage thermique de vieilles peintures et pose ou dépose d’ouvrages en plomb dans les bâtiments. Aussi, ce questionnaire a permis de collecter des informations sur la proximité de ces activités par rapport aux lieux de vie, leurs fréquences et les mesures prises pour limiter une contamination.
Mesures de la plombémie
Les travailleurs sociaux des centres sociaux accompagnaient les familles lors des prélèvements sanguins réalisés auprès d’un laboratoire de la zone sur prescription du médecin traitant ou de la Protection maternelle et infantile (PMI). Le prélèvement sanguin pouvait également être exécuté directement par l’équipe de la Permanence d’accès aux soins de santé de l’hôpital de référence. Le dosage de la plombémie a été effectué par les laboratoires Eurofins-Biomnis et Cerba. Les limites de quantification (LQ) des analyses de plombémie étaient égales à 10 µg/L pour les plombémies traitées par Eurofins-Biomnis et 0,2 µg/L pour Cerba. Toutes les mesures étaient supérieures à la LQ.
Mesures environnementales
Les enquêtes environnementales autour des cas de saturnisme, mises en place par l’ARS, se sont déroulées de juillet 2017 à janvier 2020. Les équipes étaient constituées de binômes comprenant un technicien du service santé-environnement de l’ARS et le travailleur social du centre social concerné. Les enquêtes, avec mesures environnementales, ont concerné quatre équipements publics (trois aires d’accueil et un terrain communal), un stationnement sur un terrain familial, un lotissement de maisons de voyageurs, et deux maisons individuelles accueillant des caravanes dans leur jardin (bailleur social ou propriétaire). En général, une seule enquête environnementale par aire d’accueil/stationnement a été réalisée, même en présence de plusieurs cas de saturnisme sur le même lieu. Tous les sites avaient un site de ferraillage et/ou de brûlage. Sur les aires d’accueil et stationnement de voyageurs, trois échantillons composites de terre, si possible, étaient prélevés : un sur l’aire de ferraillage ou de brûlage, un second sur un lieu fréquenté par des enfants et un troisième à proximité des caravanes. L’échantillon de terre meuble (500 g) était prélevé à une profondeur de 5 cm maximum. Un seul échantillon était recueilli dans les jardins de maisons individuelles ou de lotissements. Un prélèvement d’eau sur les aires d’accueil/stationnement, et le recueil de plusieurs échantillons de poussières à l’intérieur, et parfois à l’extérieur des caravanes, étaient réalisés. Les analyses de plomb dans l’eau, les poussières et les sols ont été mises en œuvre par des laboratoires accrédités pour les mesures de plomb.
Analyses statistiques
Cette analyse a été réalisée sur les données anonymes transmises par l’ARS à Santé publique France. Les familles avaient donné leur accord, lors du recueil des données, pour la transmission et le traitement secondaire des données à des fins d’analyse. La distribution des plombémies a été décrite sous forme de percentiles et d’une moyenne géométrique. Les moyennes géométriques et leurs intervalles de confiance à 95% ont été estimés en fonction des caractéristiques sociodémographiques des enfants et de leur proximité avec des activités à risque.
Un modèle linéaire généralisé a été utilisé afin de déterminer les facteurs de risques liés de façon indépendante à une augmentation de la moyenne géométrique de la plombémie. Les variables ont été sélectionnées à partir d’analyses bivariées et ajustées sur l’âge et le sexe des enfants. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel R® (R Core Team, 2019).
Protection des données
Les analyses ont été réalisées à partir de données anonymes mises à disposition par l’ARS, avec pour finalité de maîtriser un phénomène épidémique. Le traitement a ainsi été réalisé conformément aux dispositions de l’autorisation Cnil N°341194V42 relative aux investigations menées en urgence concernant ici l’exposition à un risque environnemental.
Résultats
Description de la population d’étude
De mars 2017 à décembre 2019, parmi les 78 familles rencontrées, 48 familles ont accepté le dépistage du saturnisme et 43 d’entre elles comportaient au moins 1 enfant avec un résultat de plombémie. Au total, 100 enfants ont été inclus dans l’étude.
À la différence des familles non incluses, les familles incluses vivaient moins souvent en groupe familial – ménages qui sont tout ou partie de l’année sur un même lieu de vie et qui ont un lien de parenté – (59,5% contre 71,4%), et avec un nombre d’enfants plus important (53,5% ont 3 enfants ou plus, contre 31,4% pour les familles non incluses). Elles vivaient moins souvent en zone urbaine (37,2% contre 60,0%) et en caravane ou en habitat mixte (logement + caravane) (53,5% contre 77,1%).
Notre échantillon comportait 39 filles (39%) et 61 garçons (61%). La médiane de l’âge des enfants était de 8,7 ans (écart-type : 4,6 ans). Aussi, 41% d’entre eux avaient moins de 7 ans et 59% avaient entre 7 ans et 18 ans.
Description des activités et pratiques à risque auxquelles sont exposés les enfants
Seules 20 familles ont répondu aux questions concernant les activités à risque. Parmi les activités à risque les plus fréquemment citées (tableau 1), on retrouvait le brûlage des matériaux pour en séparer les métaux (75%), le démontage de voitures (75%), le découpage et la manipulation de ferraille (75%), le stockage de métaux (70%), la récupération de batteries (65%) et la récupération de radiateurs d’automobiles (55%). Au total, 20% des familles ont déclaré réaliser ces activités plusieurs jours par semaine.
Parmi les adultes exerçant les activités à risque, 55% ont déclaré se laver les mains après l’activité et 20% prendre une douche et 35% utiliser un équipement spécifique pour ces activités ; 25% ont déclaré ne pas changer de vêtements après ces activités.
En ce qui concerne la localisation de ces activités à risque, les 20 familles (100%) ont déclaré qu’elles étaient réalisées à proximité du lieu de vie, et que ces lieux étaient accessibles aux enfants dans 90% des cas. Sur les 20 familles, 13 ont déclaré qu’au moins un de leurs enfants participait directement à ces activités.
La manipulation de munitions ou de plombs de pêche était pratiquée par 90% des familles de notre échantillon. En revanche, aucune des familles n’a déclaré préparer ses repas dans des récipients en étain.
Analyse descriptive des plombémies du dépistage et facteurs associés
Niveaux de plombémie chez les enfants âgés de 6 mois à 18 ans
La distribution des 100 plombémies du dépistage est présentée sur la figure. Les plombémies allaient de 5 à 332 µg/L. Le dépistage a révélé 40 plombémies supérieures ou égales à 50 µg/L (niveau d’intervention), 23 plombémies comprises entre 25 et 50 µg/L (c’est-à-dire au-dessus du niveau de vigilance) et 13 plombémies au-dessus de 100 µg/L. Les percentiles 50 et 95 étaient 37,5 µg/L et 140,4 µg/L respectivement.
Parmi les enfants de moins de 7 ans, 36,6% avaient une plombémie supérieure ou égale à 50 µg/L et 34,1% une plombémie comprise entre 25 et 50 µg/L. Parmi les plus de 7 ans, ces proportions étaient respectivement de 42,4% et de 15,3%.
Niveaux de plombémie chez les enfants âgés de 6 mois à 18 ans en fonction de certaines caractéristiques sociodémographiques et de leur mode d’habitat
La moyenne géométrique des plombémies des enfants de 6 mois à 18 ans était de 34,8 µg/L (intervalle de confiance à 95% : IC95%: [28,9‑41,9]) (tableau 2). Elle était significativement plus élevée chez les garçons (45,4 µg/L [36,0-57,2]) que chez les filles (23,0 µg/L [17,4-30,3]), et plus élevée chez les enfants âgés de 9 mois à 5 ans et de 11 à 14 ans que dans les autres classes d’âge, sans que cette différence soit statistiquement significative. Aussi, elle était significativement plus élevée chez les enfants vivant en caravane ou en habitat mixte (caravane + logement sédentaire) par rapport à ceux vivant en logement sédentaire (44,7 µg/L [36,5‑54,9] vs 24,6 µg/L [17,8‑34,0]), et chez les enfants dont la famille vivait sur une aire d’accueil ou de stationnement toléré par rapport à ceux dont la famille était locataire, propriétaire ou hébergée chez un tiers (49,0 µg/L [39,6‑60,5] vs 24,4 µg/L [18,4‑32,4]). Une différence significative était observée en fonction de l’appartenance ou non à un groupe familial. En effet, les enfants vivant dans un groupe familial avaient une moyenne géométrique des plombémies supérieure à celle des enfants ne vivant pas en groupe familial (44,7 µg/L [36,5-54,9] vs 25,6 µg/L [18,6-35,1]).
Comparaison des plombémies avec des données de référence
La moyenne géométrique des enfants de 0 à 5 ans de notre étude était plus de 2,5 fois supérieure à celle des enfants de 6 mois à 6 ans dans la population française selon l’étude Saturn-Inf 6 (14,9 µg/L [14,5‑15,4]). Si on la compare à la moyenne géométrique de l’étude Esteban 2014-2016 7 chez les 6-17 ans en population générale (9,9 µg/L [9,9-10,4]), cette moyenne était plus de 3,5 fois supérieure.
Niveaux de plombémie chez les enfants âgés de 6 mois à 18 ans en fonction des activités à risque
Les moyennes des plombémies des enfants qui étaient en contact avec une personne de leur entourage ayant des activités à risque étaient toutes supérieures à celles des enfants qui n’étaient pas exposés à ce type de contact (sauf pour « pose de plomb » et « décapage thermique ») (tableau 3).
Ces écarts n’étaient statistiquement significatifs que pour les enfants en contact avec une personne exerçant une activité de démontage de voiture, comparativement aux enfants n’ayant pas dans leur entourage une personne exerçant cette activité (48,8 µg/L [22,3‑36,3] vs 28,8 µg/L [36,5-65,2]). Toutefois, la taille de l’échantillon était faible pour ces comparaisons.
Analyse multivariée des facteurs associés aux niveaux de plombémie
Parmi les facteurs sociodémographiques, être un garçon augmentait significativement le niveau de plombémie comparé à une fille (augmentation de 28,5% [13,6-43,5] avec p<0,001) (tableau 4).
Les enfants dont les familles vivaient sur une aire d’accueil ou en stationnement toléré avaient une plombémie significativement plus élevée que les enfants qui vivaient dans des familles qui étaient propriétaires, locataires ou hébergées par d’autres familles (augmentation de 16,6% [1,0-32,2] avec p<0,05). De même, les enfants issus d’un groupe familial présentaient des plombémies plus élevées (plus 17,2% [2,0-32,5] avec p<0,05) que ceux des familles ne vivant pas en groupe. Enfin, le fait que l’enfant participait aux activités à risque augmentait significativement la moyenne de la plombémie (de 16,3% [1,2-31,4] avec p<0,05).
Description des expositions environnementales des cas de saturnisme
Une activité de ferraillage ou de brûlage a été retrouvée systématiquement sur le lieu de vie des cas de saturnisme. Dans le cadre des enquêtes environnementales, 14 prélèvements de sols ont été réalisés sur 8 sites différents : 5 lieux de vie collectifs avec caravane (aires d’accueil, terrain familial et stationnement toléré) et 3 jardins de logements individuels. Pour les enfants résidant en maison, un seul échantillon a été prélevé dans le jardin. Les concentrations dans les sols des jardins étaient de 42,50 et 15 000 mg/kg. Dans les stationnements ou aires d’accueil collectif, les prélèvements provenaient, pour 5 sites, de l’aire de ferraillage/brûlage, pour 3 sites du lieu de vie et pour 2 sites de l’aire de jeu. Les concentrations en plomb dans les sols variaient de 95 à 15 000 mg/kg. Dans les sols des aires d’accueil ou stationnements sur terrain familial ou communal (n=5), la concentration moyenne de plomb dans les sols des lieux où jouaient les enfants était plus faible (105 mg/kg) que celle mesurée sur les lieux d’habitation (3 422 mg/kg) ou encore sur les aires de ferraillage (3 244 mg/kg). Les teneurs en plomb dans les sols des lieux de ferraillage ou de brûlage étaient systématiquement supérieures à la valeur de contamination de 300 mg/kg pouvant conduire à un dépistage du saturnisme infantile préconisée par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) 8. Dans les lieux de vie, les teneurs dépassaient 300 mg/kg sur un site parmi les trois prélevés. Aucun prélèvement effectué sur les lieux fréquentés où jouaient les enfants ne dépassait ce seuil. Pour ce qui est des prélèvements de poussières à l’intérieur du domicile ou des caravanes, les résultats montraient qu’une seule des 7 mesures de plomb dans les caravanes et une mesure sur deux dans les logements individuels dépassaient la valeur de 70 μg/m2 (valeur devant conduire à un dépistage 8). Les mesures de plomb dans l’eau de boisson étaient toutes inférieures à la valeur réglementaire de 10 μg/L.
Les enquêtes environnementales ont également identifié d’autres sources possibles d’intoxication : la manipulation ou mastication de plomb de chasse ou de pêche chez deux enfants, la manipulation et le brûlage de batteries chez deux enfants et l’utilisation de khôl en poudre chez un enfant. Les parents de 3 cas de saturnisme ont déclaré que leurs enfants participaient aux activités de ferraillage.
Discussion
Parmi les 750 familles de la population des gens du voyage (dont 975 enfants) résidant sur les 173 communes ciblées, 48 familles ont participé à la campagne de dépistage sur la période 2017-2019. Les plombémies de 100 enfants ont été mesurées et 40% d’entre eux avaient une plombémie dépassant le seuil de 50 µg/L, dont 13 plombémies supérieures à 100 µg/L.
La prévalence du saturnisme chez les 0-6 ans était plus de 26 fois supérieure à celle estimée dans l’enquête de prévalence Saturn-Inf 2008-2009 (1,5 %) 6. Ce résultat est toutefois concordant avec une étude menée entre 2011 et 2013 auprès de 65 enfants vivant dans un contexte de ferraillage et parmi lesquels 36 avaient une plombémie supérieure au seuil de 100 µg/L 9. Dans notre étude, la moyenne géométrique des plombémies des enfants de 6 mois à 7 ans inclus (34,8 µg/L) était largement supérieure à celle obtenue dans l’enquête de prévalence Saturn-Inf 2008-2009 (moyenne estimée à 14,9 µg/L chez les enfants de 6 mois à 6 ans) 6. Les enfants de 9 mois à 5 ans et de 11 à 14 ans avaient en moyenne les plus fortes plombémies. Le fait d’être un garçon et de vivre sur une aire d’accueil ou un stationnement toléré augmentait significativement la plombémie (respectivement de 28,1% et de 18,5%). Aussi, le fait de participer aux activités à risque de contamination augmentait de 16,3% le niveau de plombémie. Et parmi les activités les plus fréquemment citées, on retrouvait le démontage de voitures, le brûlage de matériaux pour en séparer les métaux et le découpage et manipulation de ferraille. Les analyses environnementales indiquaient, quant à elles, une forte contamination des sols des lieux de ferraillage avec des mesures de plomb largement supérieures au seuil de 300 mg/kg, mais aussi des lieux de vie dans les aires d’accueil et terrain familial ou communal. Le dépassement du seuil de 300 mg/kg peut amener 5% des enfants exposés à avoir une plombémie supérieure ou égale à 50 µg/L. Les mesures dans les poussières intérieures montrent une contamination assez faible des lieux de vie (caravanes et maison), probablement du fait de la mise en place de gestes barrières efficaces pour empêcher les particules de plomb de passer du lieu de ferraillage vers le lieu de vie.
La pratique du ferraillage par des familles parfois très précaires de gens du voyage s’inscrit dans les pratiques professionnelles habituelles et génère une économie parfois essentielle. Du fait de sa nature, cette activité de récupération s’exerce souvent en marge de la réglementation, ce qui rend le sujet délicat à aborder. Les enfants sont particulièrement vulnérables en raison de l’immaturité de leur système nerveux encore en développement et de leur fort coefficient d’absorption digestive. Par ailleurs, ils sont davantage exposés par leur comportement de porter la main à la bouche et parce qu’ils sont proches du sol. Aussi, la trop grande proximité des lieux de ferraillage par rapport aux lieux d’habitation, notamment les aires d’accueil et les stationnements tolérés, est un facteur de risque supplémentaire car les particules de plomb sont transportées par le vent et la fluidité des revêtements de sol. La transmission des particules peut également se faire par les vêtements et les chaussures des parents qui véhiculent les poussières de plomb du lieu de travail à la caravane. Enfin, les difficultés d’accès à l’eau courante, et à l’installation de douches à l’intérieur de l’habitat, peuvent constituer un frein à l’application de mesures de précaution minimales.
Les limites de notre étude résident dans l’absence de plan de sondage et un nombre restreint de plombémies (100/975 enfants). La faible taille de notre échantillon entraîne donc une certaine incertitude dans nos résultats. De plus, certaines questions de l’enquête demeurent trop imprécises pour arriver à identifier avec finesse les activités de récupération en cause dans la contamination au plomb. Aussi, de peur d’être stigmatisées ou de se voir interdire l’exercice des activités de ferraillage, toutes les personnes interviewées n’ont probablement pas répondu de manière exhaustive, et ce, bien que ce soient des travailleuses sociales connues de cette population qui leur aient posé les questions. Ces résultats incitent à cibler le dépistage du saturnisme sur l’ensemble des enfants de familles de gens du voyage par une sensibilisation des médecins généralistes, mais aussi des spécialistes de la petite enfance (PMI, pédiatres, sages-femmes, gynécologues obstétriciens, voire médecine scolaire). En parallèle, il est important de limiter les risques de contamination des lieux d’habitation et des aires de jeux par les lieux d’activités professionnelles. Le travail de médiation en santé effectué au quotidien et depuis de longue date par les associations peut faciliter la mise en place, en co-construction avec les gens du voyage, de mesures de prévention efficaces et d’activités de sensibilisation au port d’équipements appropriés lors des activités de ferraillage, en facilitant la recherche de solution avec les familles des mesures de prévention qu’elles pourront mettre en place. En ce qui concerne les contaminations par les activités de ferraillage, des solutions existent ou sont d’ores et déjà identifiées dans différents départements. Parmi celles-ci, l’utilisation par certains voyageurs de géotextiles sur les zones de ferraillage qui permettent de protéger les sols et de contenir les poussières ; la fabrication d’une granuleuse (2) de petite taille qui pourrait être avantageusement étudiée. Enfin, une réflexion sur la filière de recyclage dans son ensemble serait judicieuse pour bâtir avec les voyageurs et les pouvoirs publics une économie substituant l’économie de revente des matières par la monétarisation du service rendu de la collecte « au premier kilomètre », permettant ainsi de rendre les activités de démantèlement, brûlage ou autre inutiles. Dans tous les cas, associer les voyageurs reste un facteur clé de l’efficacité de ces mesures.
Remerciements
Camille Roingeard, Sandrine Brisard, Stéphanie Raynaud, Stéphanie Balloux, Alexandra Bouchard, Séverine Chabeauti, Amélie Gonthier et Damien Pageaud, Erwan Autes (ARS Nouvelle-Aquitaine), Stéphanie Videau (Ireps Nouvelle-Aquitaine), Éléonore Clarysse, Frédérique Quirino Chaves, Gérard Houot, Laurent El Ghozi, Stéphane Lévêque, Alain Fontaine, Jean-Claude Desenclos, Geneviève Chêne et Anne Laporte.